La démocratie syndicale
Par Frank Levi le Mardi, 18 Juillet 2000 PDF Imprimer Envoyer

Parfois, la démocratie syndicale devient un slogan sans contenu. En 73. Lambion a pu retirer leur mandat aux délégués combatifs de Cockerill-Liège - au nom de ta démocratie syndicale ! - parce qu'à peine élus, ils avaient remis au secrétaire une lettre de démission en blanc. Le principe de la révocabilité des délégués, principe de démocratie syndicale, avait ainsi été transformé en un instrument anti-démocratique qui excluait la base devant laquelle, fondamentalement, les délégués sont responsables.

La démocratie syndicale n'est pas un sous-produit de la démocratie bourgeoise: c'est en fait une forme de la démocratie socialiste. Le parlement bourgeois limite à la portion congrue la participation de la population à la prise des décisions : on a tout juste le droit de noircir un bulletin de vote tous les 4 ans. La démocratie socialiste, elle, vise à la participation permanente de la population à la prise de décision. Cette démocratie repose sur la discussion menée dans les instances de base (les conseils d'entreprise, les conseils de quartier) et ensuite sur la délégation à des instances supérieures.

Une telle démocratie active et permanente généralisée est naturellement impossible sans un changement fondamental de la société. Elle est pourtant parfaitement applicable au sein des organisations de la classe ouvrière, et en premier lieu au sein des syndicats. Les syndicats ont d'ailleurs tout intérêt à instaurer une telle démocratie permanente. Car, contrairement à l'Etat bourgeois, les syndicats sont des organisations libres, des organisations auxquelles les gens adhèrent librement. Traiter ces adhérents volontaires comme des électeurs occasionnels et béats, cela ne les encouragera pas a rester membres.

En outre, la FGTB se veut un syndicat socialiste, un syndicat qui s'appuie sur la conscience de classe des travailleurs et qui vise (selon ses statuts, du moins) à l'abolition du capitalisme et à son remplacement par le socialisme. Malheureusement, pour les centaines de milliers de travailleurs en Belgique, le socialisme n'est pas quelque chose d'attirant. C'est évidemment dû à la propagande bourgeoise, mais surtout aussi au comportement anti-socialiste de nombreux prétendus socialistes en Belgique et ailleurs, sur lequel cette propagande peut d'ailleurs s'appuyer.

Raison de plus pour renforcer la véritable démocratie socialiste à l'intérieur de la FGTB. Ce n'est qu'en l'appliquant que cette répugnance des travailleurs pourra être vaincue. Les règles de la démocratie syndicale sont simples. Elles découlent des principes de base de la démocratie socialiste :

• les délégués doivent être élus en assemblée générale, après discussion et sur base d'une déclaration explicitant leurs objectifs

• la délégation élue reste sous contrôle de sa base, qui a le droit de lui retirer sa confiance et d'en élire une nouvelle

• durant les grèves et les actions importantes (au cours des-quelles tout le monde est plus disponible) l'assemblée générale doit pouvoir élire un comité temporaire (un comité de grève, par exemple) plus large que la délégation, afin de pouvoir organiser les différents aspects de la lutte. Ce comité doit être l'exécutif de l'assemblée générale régulière et souveraine de tous ceux qui participent à l'action (régulière, c'est-à-dire tenue quotidiennement ou tous les deux jours). C'est la meilleure manière de réussir l'action et de convaincre en même temps les non-syndiqués éventuels de la nécessité de se syndiquer

• les mandats exceptionnels (par exemple les mandats de délégués à un congrès) doivent être attribués en assemblée générale des membres, après discussion des différents points de vue et positions. La répartition des mandats doit refléter l'opinion de l'assemblée. Les mandats ne sont pas distribués aux permanents du syndicat (parce qu'ils peuvent de toute façon assister aux congrès).

La tendance générale de ces mesures est claire. Il s'agit d'impliquer la base dans la prise de décision. Pourtant, à l'intérieur de la FGTB il existe aujourd'hui une règle en complète contradiction avec cette préoccupation : à savoir la règle qui requiert une majorité de deux tiers pour déclencher une grève. L'argument, c'est qu'une grève décidée à 51% n'a pas de chance de réussir. Cela, les travailleurs le savent aussi.

La règle des deux tiers enlève aux concernés le droit de se prononcer en toute clarté et de discuter de ce qu'ils ont à faire. Comme si les travailleurs ne pouvaient pas dire: «La majorité est pour la grève, mais cette majorité est trop restreinte.Discutons donc comment nous devons préparer et organiser notre action, quelle forme elle devra prendre ».

Et il y a pire: cette règle des deux tiers, qui était initialement seulement utilisée en cas de grève, est aujourd'hui exigée également pour rejeter les projets d'accord conventionnels. On piétine donc complètement la démocratie: une majorité n'est plus une majorité. Ça permet de se rendre compte combien la FGTB s'est éloignée de la démocratie véritable. La démocratie syndicale n'est pas à l'ordre du jour en tant que telle, mais elle est incluse dans chaque point qui doit être discuté lors du prochain congrès de la FGTB.

La Gauche, 11/05/1978

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