Thèses sur l’oppression des femmes et leur lutte de libération
Par LCR le Lundi, 17 Juillet 1989 PDF Imprimer Envoyer

L'oppression des femmes est la première forme d'oppression dans l'histoire de l'humanité. C'est une oppression antérieure à la société de classes, qui a eu une continuité historique et qui est allée et va au-delà d'un mode de production donné. Elle apparaît, se précise et se développe en partant de la division du travail en fonction du sexe.

1) L'oppression des femmes est la première forme d'oppression dans l'histoire de l'humanité. C'est une oppression antérieure à la société de classes, qui a eu une continuité historique et qui est allée et va au-delà d'un mode de production donné. Elle apparaît, se précise et se développe en partant de la division du travail en fonction du sexe. Les mécanismes par lesquelles elle se concrétise, correspondent à des processus complexes qui impliquent toutes les instances d'un corps social pour attribuer des rôles distincts aux hommes et aux femmes. En dernière analyse, c'est une oppression qui détermine des rapports sociaux de domination entre les sexes. .

C'est la société avec ses institutions, ses mécanismes et son mode de production propre qui détermine les traits spécifiques de l'oppression des femmes à chaque époque historique. Cette oppression comporte des rapports de pouvoir que les hommes établissent sur les femmes sous une forme individualisée. Nous appelons patriarcat l'ensemble de ces rapports et leur expression dans l'ensemble des pratiques sociales.

Une telle caractérisation de l'oppression des femmes a des conséquences sur notre activité politique. En premier lieu, parce que nous considérons que cette oppression ne peut pas être réduite à l'exploitation sociale ni à aucune autre oppression de la société capitaliste. Deuxièmement, parce qu'elle nous permet de saisir son caractère universel, dans le sens qu'elle concerne toutes les femmes qui doivent donc se définir par leur appartenance aussi bien de classe que de genre.

2) Il y a de nombreuses théories qui s'efforcent d'expliquer l'oppression des femmes. Le matérialisme historique, dont l'objet est l'étude de la société, est le cadre général qui nous permet d'analyser l'oppression patriarcale et le statut des femmes dans chaque formation sociale. Le marxisme classique n'a pas élabore une théorie de l'oppression des femmes. Marx et Engels ont analysé en profondeur le cadre de la production sous le capitalisme, mais non celui de la reproduction.

Par conséquent, tout en ayant développé une première analyse de la condition des femmes sous le capitalisme et affirmé le caractère historique de la famille, les classiques du marxisme n'ont pas analysé la nature des rapports entre les sexes et leur expression spécifique dans l'ensemble de la société. D'où leur incompréhension de l'autonomie relative de l'oppression patriarcale par rapport à l'exploitation capitaliste et le déterminisme économique sous-jacent à leurs analyses a ce sujet.

Comme Marx et Engels l'ont souligné, la force du marxisme consiste a considérer que le facteur décisif dans l'histoire n'est pas la nature, mais la production et la reproduction de la vie immédiate, à comprendre que l'oppression des femmes et les rapports particuliers qui en découlent, sont des phénomènes et des rapports sociaux, produits de l'histoire et donc susceptibles d'être transformes par l’humanité et que les mécanismes qui amènent à l'oppression sont des processus ou toutes les instances du corps social entrent enjeu.

C'est en partant de cela que nous cherchons de reconstruire la réalité fragmentée des femmes dans la société elle-même de saisir le caractère des rapports de domination patriarcale et donc d'élaborer une théorie d'ensemble, globalisante de l'émancipation des femmes, dans le cadre de notre projet global d'émancipation de l'humanité. Notre conception ouverte et autocritique du marxisme nous amène à réviser des aspects de la pensée de Marx et Engels et à assimiler des contributions importantes qui proviennent du mouvement féministe.

3) C'est la division du travail en fonction du sexe qui a déterminé l'oppression des femmes. Cette division n'a pas une origine naturelle, elle n'est pas liée à des différences biologiques entre femmes et hommes, bien que le fait que ce sont les femmes qui accomplissent les fonctions reproductives a une influence décisive sur la forme de la division du travail dans les sociétés primitives. Cette division implique que les hommes en tant que collectif accomplissent des tâches et des travaux autres que ceux des femmes, dans une société donnée et à une époque historique donnée, ce qui comporte une intériorisation et une oppression des femmes.

Dans les sociétés primitives où la division du travail était déjà incontestable, les fonctions productives et reproductives du groupe social n'apparaissaient pas différenciées, mais faisaient partie d'un seul processus de production. La division de ces fonctions, probablement technique et fonctionnelle dans les sociétés primitives, ouvre le chemin à la division qui se produit dans les sociétés de lignée patrilocales, antérieures à la société de classes. Il y a dans ces sociétés une propriété communautaire et la division sexuelle du travail débouche sur une appropriation par les hommes de la force de travail des femmes et sur le contrôle par la communauté de leur capacité reproductive. Le développement de la propriété privée, de la famille et de l'Etat et la séparation entre sphère publique et sphère privée marquent le commencement d'un processus de différentiation sociale entre les tâches productives accomplies dans les deux sphères et les fonctions reproductives qui sont propres de la sphère privée.

C'est sous le capitalisme que se produit pour la première fois une séparation nette entre le lieu géographique où sont accomplies les tâches productives, et celui où sont accomplies les fonctions reproductives, les unes étant attribuées aux hommes (bien que les femmes y aient toujours participé dans une mesure plus ou moins importante) les autres aux femmes dans le cadre de la famille.

4) La division de la société en classes antagonistes constitue un changement majeur pour l'humanité : une partie de l'humanité s'approprie le surplus social et établit des rapports d'exploitation à l'égard de tous les autres, hommes et femmes. Toutefois, la place des uns et des autres au sein de chaque classe n'est pas la même. Les rapports de domination patriarcale qui existent déjà, font que femmes et hommes ont une condition différenciée au sein de chaque classe, les femmes restant subordonnées au pouvoir des hommes. Une telle condition sera invariable dans toutes les formations sociales. Le statut des femmes dans les sociétés pré-capitalistes est dévalorisé du fait de la séparation entre sphère publique (politique, culture, etc.) d'où les femmes sont exclues, et la sphère privée où elles sont reléguées.

Une telle division comporte la perte de certains droits et de certaines fonctions que les femmes exerçaient avant dans d'autres sphères (culture, religion, administration, etc.) et le renforcement du statut social et du pouvoir économique et politique des hommes à l'égard des femmes dans le cadre de la famille. En dernière instance, la réalité des femmes est déterminée dans chaque société par les contradictions liées à leur appartenance de classe et à leur condition de genre.

5) Sous le capitalisme se forme une société où les mécanismes d'exploitation du nouveau mode de production et ceux de la domination patriarcale, hérités des sociétés précédentes, sont imbriqués. Les uns et les autres sont nécessaires au maintien aussi bien du mode de production que de la société dans son ensemble, bien qu'ils puissent assumer des formes différentes et relativement autonomes par rapport aux structures économiques. Production et reproduction de la force de travail, l'une et l'autre nécessaires au fonctionnement et à la survivance de la société, sont désormais réalisées dans des sphères tout à fait séparées.

La responsabilité de la production pour le marché appartient aux hommes (bien que les femmes ne soient pas expulsées de la force de travail). La responsabilité de la reproduction au sens large appartient exclusivement aux femmes ; c'est un travail qui perd sa valeur sociale et se réalise en dehors des circuits du marché, dans le cadre privé de la famille. La société assigne des rôles différents aux hommes et aux femmes en fonction de la place occupée dans la nouvelle forme de division du travail. Les femmes ont un statut de groupe opprimé, les hommes de groupe oppresseur.

6) C'est sur cette base que surgit la famille d'un type nouveau avec des fonctions économiques, politiques et sociales particulières. Elle perd sa nature d'unité productive et devient une unité consacrée à la reproduction de la force de travail, tâche qui acquiert une dimension et une valeur sociales sans précèdent. Par ailleurs, elle accomplit les fonctions de socialisation des individus et de constitution d'un espace de vie personnelle. La famille est donc un élément fondamental de la structuration des rapports sociaux, une institution stabilisatrice du système capitaliste et patriarcal, de son ordre social et des privilèges masculins. L'une des tâches de la famille est d'assurer sa propre auto-reproduction en donnant aux femmes une formation de groupe opprimé et en éduquant hommes et femmes en fonction de leur classe d'appartenance.

7) Le travail domestique a comme but la reproduction matérielle de la force de travail et implique la production de biens et de services pour la consommation dans le cadre de la famille de même que les soins aux enfants. Il est un travail socialement nécessaire et dans ce sens il fait partie de la production sociale. Par conséquent, il ne peut pas disparaître dans un mode de production basé sur l'exploitation et l'oppression, même si la forme et la quantité des tâches qu'il accomplit peuvent varier. Maigre sa valeur sociale, il est dévalorisé et considéré comme non-travail, sauf lorsqu'il est accompli dans les circuits du marché, c'est-à-dire lorsqu'il est réalisé par des femmes en dehors de leur ménage. Il apparaît comme une contrepartie du salaire que l'homme apporte à la famille.

Ce sont les hommes qui bénéficient individuellement de cette situation du fait qu'ils ne doivent pas accomplir les tâches indiquées et se soumettre à une double journée de travail. Le travail domestique constitue finalement un mécanisme fondamental du marché dans l'intérêt du capital car il règle la participation des femmes à ce marché. Elles sont expulsées du marché avec des justifications idéologiques lorsque le marché est saturé et on les oblige à accomplir une double tâche lorsqu'on a besoin de les réintégrer.

8) Par ses fonctions, la famille est une institution particulièrement efficace pour la structuration de la société et le maintien de la domination patriarcale. Ces fonctions sont relativement indépendantes de la structure économique. De ce fait et du fait que certaines fonctions économiques subsistent, elle peut se maintenir et s'est maintenue au-delà du mode de production capitaliste. C'est la principale institution, bien que non la seule, qui assure la socialisation des individus, hommes et femmes, et l'assimilation par les enfants des valeurs, des connaissances et des symboles qui déterminent les normes de comportement différenciées que la société à fixées pour les hommes et pour les femmes et sont présentées comme si elles étaient naturelles.

Les différences de sexe acquièrent ainsi un caractère social et culturel et les différences de genre se précisent. La famille structure aussi la vie privée, cette vie personnelle qui apparaît séparée des relations sociales et dans le cadre de laquelle on construit l'identité des femmes et des hommes sur une base tout à fait inégale. On assigne aux femmes la responsabilité de soigner les enfants et de satisfaire les besoins émotionnels, sexuels et psychologiques de leurs maris alors qu'il appartient aux hommes d'établir les rapports avec la société et de satisfaire les besoins économiques. D'où la différence des valeurs pour les uns et pour les autres : l'autorité pour l'homme et la dépendance et la soumission pour la femme. Dans le cadre plus général d'une société où on exerce ou on menace la violence sexuelle, tout cela joue comme un mécanisme de coercition et de dissuasion en affirmant en même temps le pouvoir et la suprématie des hommes. L'intériorisation de ce modèle familial contribue à l'aliénation des femmes qui en sont le pilier et consolide leur dépendance et leur subordination dans la famille et dans la société dans son ensemble.

9) La condition des femmes dans la famille — en plus de leur imposer une double journée de travail — détermine une forme de leur participation au marché du travail différente de celle des hommes et marquée par l'inégalité par rapport aux hommes. Le fait qu'elles accomplissent des tâches domestiques amène à les considérer comme une armée de réserve, d'appoint, soumise plus que les hommes aux aléas de la conjoncture économique.

En outre, les femmes sont sur-exploitèes parce qu'elles n'ont pas accès aux emplois les mieux rémunérés, que la féminisation de certaines branches comporte leur dévalorisation immédiate, une diminution des salaires et la détérioration des conditions de travail et que la main-d'œuvre féminine continue d'être sous-qualifiée et donc reléguée souvent aux emplois précaires, au noir et à temps partiel. D'où ce qu'on pourrait appeler une féminisation de la pauvreté.

10) Le capitalisme homogénéise le statut social de toutes les femmes en partant de leur rôle dans la famille, de leur condition d'opprimées. Ce statut commun se fonde sur l'attribution exclusive du travail domestique, indépendamment des formes concrètes, et détermine des pratiques sociales différentes au-delà de l'appartenance à une classe sociale donnée. La dévalorisation sociale de ce travail du fait qu'il se réalise dans la sphère privée, subordonnée économiquement, politiquement et culturellement à la sphère publique, comporte la dévalorisation des femmes et l'institutionnalisation de leur dépendance économique, sexuelle et affective par rapport à l'homme et leur discrimination sociale.

Les hommes jouissent d'un autre statut social, d'un statut d'oppresseurs, d'une condition globale de privilégiés. Ce statut s'exprime par les idées, l'idéologie et les conditions matérielles et opère dans la vie quotidienne aussi bien dans la famille que dans la société. Il comporte des privilèges en matière de salaires, l’exemption des travaux domestiques, une pratique sociale qui permet aux hommes d'avoir des rapports avec l'ensemble des femmes et avec « leur » femme en particulier, des privilèges sexuels grâce au modèle sexuel prédominant, hétérosexuel et androcentrique, qui transforme les femmes en objets sexuels en niant leur propre sexualité et permet l'utilisation de la violence sexuelle comme moyen de réaffirmation du pouvoir masculin et de soumission de la femme. C'est là la base des contradictions qui existent entre hommes et femmes de la même classe, de la résistance de nombreux hommes à la lutte de libération des femmes et de certains conflits sur le terrain politique.

Néanmoins, la réalité des femmes n'est pas seulement marquée que par leur condition de genre. Leur appartenance de classe détermine les conditions matériel-les de leur vie, leur dépendance, de même que la dépendance des hommes, du salaire nécessaire pour vivre. Dans ce sens une condition commune d'exploité(e)s s'établit entre hommes et femmes de la classe ouvrière. Il y a aussi des liens solides entre hommes et femmes de la bourgeoisie, dont l'intérêt commun est de maintenir le statut social et les privilèges matériels liés à la propriété des moyens de production.

11) L'oppression patriarcale s'exprime au niveau non seulement de la famille, mais aussi de la société dans son ensemble, dans les rapports politiques, économiques et culturels. C'est l'Etat qui garantit le maintien de l'oppression patriarcale et toutes les institutions (école, armée, administration, parlement), tout en ayant des fonctions spécifiques, opèrent dans ce même but. L'Etat utilise indifféremment des mécanismes de coercition et des mécanismes de consensus. Les mécanismes de coercition comportent, par exemple, une législation sur le marché du travail qui impose une inégalité économique et des mesures légales qui protègent l'inviolabilité de la famille.

Les mécanismes de consensus exigent un accord social permettant de satisfaire les revendications féministes dans le cadre de l'ordre social existant. Les valeurs idéologiques proclamées ne sont pas toujours les mêmes. Dans la mesure où elles ont une fonction sociale évidente et doivent justifier les mécanismes que la société met sur pied à chaque étape donnée, elles tiennent compte des changements dans la réalité des femmes. Mais dans tous les cas de figure elles visent à légitimer l'oppression patriarcale.

12) Notre perspective stratégique est une révolution sociale mettant fin à toute forme d'exploitation et d'oppression. Cela signifie donc mettre fin à la division du travail en fonction du sexe et à toute forme d'oppression de la femme, en transformant les rapports de domination patriarcale en des rapports fondés sur l'égalité réelle entre hommes et femmes. Dans une société où subsistent des vestiges de cette oppression millénaire on ne saurait parler de socialisme.

La portée, la complexité et les implications du processus de libération des femmes dépendent de traits spécifiques de l'oppression des femmes comme son caractère universel, son enracinement profond dans la société, le fait que les fonctions politiques et sociales de la famille sont relativement autonomes de la structure capitaliste, que ses fonctions économiques varient en fonction des différents modes de production et que la suprématie masculine se traduit par une pratique d'oppression individualisée.

13) Si on veut avancer dans le processus révolutionnaire qui crée les conditions pour mettre fin à l'oppression patriarcale, il faut renverser les structures d'un système fondé sur l'oppression de classe et l'oppression patriarcale, détruire le système économique actuel et l'Etat qui le défend en maintenant l'inégalité sociale. Le système économique garantit l'exploitation en général et la surexploitation des femmes travailleuses en particulier, impose le travail domestique comme partie intégrante de ses mécanismes et tire des bénéfices du maintien du patriarcat.

L'Etat assure un ordre social qui fait apparaître comme naturels des rapports de domination et d'oppression, réprime soit par la répression ouverte soit par des méthodes plus subtiles toute tentative de rébellion des secteurs et couches opprimées, utilise pour atteindre ses buts tout un réseau institutionnel de même qu'une idéologie qui masque les inégalités existantes. Les revendications féministes ne peuvent être réalisées que par de grandes luttes des femmes contre ce système économique et son Etat. Un tel processus ne peut pas être spontané. Il présuppose un saut significatif du niveau de conscience des femmes et exige l'existence d'une avant-garde féministe, révolutionnaire, qui comprend quelles sont les tâches à accomplir pour transformer la société et libérer complètement les femmes.

Cette avant-garde se heurtera à celles qui, en acceptant l'ordre social actuel et visant à trouver une solution des problèmes des femmes par des réformes des institutions, ouvrent un chemin réformiste d'intégration de la rébellion des femmes et donc empêchent toute transformation radicale. La condition des femmes dans la société déterminera leur participation active en tant que sujet et donc leur attitude envers les tâches révolutionnaires d'affrontement avec l'Etat et de destruction de celui-ci de même qu'envers les tâches de la nouvelle période historique.

14) Il existe d'autres mouvements de libération, notamment celui de la classe ouvrière, qui doivent projeter la destruction de l'Etat comme condition pour atteindre leurs objectifs. Le bloc révolutionnaire, l'ensemble des forces participant au processus révolutionnaire, aura une composition multiple. Toutefois, par sa place dans les rapports de production et étant donné les tâches stratégiques qu'on doit accomplir pour assurer la victoire de la révolution, la classe ouvrière aura un rôle central dans la destruction du pouvoir de l'Etat et du régime d'exploitation et dans la construction d'un autre système économique. Lorsque nous parlons de classe ouvrière, nous nous référons à une classe ouvrière mixte, composée de femmes et d'hommes, au sein de laquelle le rôle dirigeant des travailleurs sera décisif pour réaliser la synthèse des intérêts de classe et des intérêts de genre.

Pour que ces potentialités de la classe ouvrière se transforment en capacité concrète de changer la société, il faut mettre fin aux antagonismes qui ont existé dans son sein entre hommes et femmes tout au long de son histoire. Cette division a amené souvent à une pratique politique qui a ignoré les revendications des femmes en les subordonnant à d'autres, voire en les considérant comme opposées aux intérêts concrets de la classe ouvrière masculine. D'où le manque de légitimité et de crédibilité du mouvement ouvrier en tant que sujet de la lutte d'émancipation des femmes. S'il veut être une force qui agglutine l'ensemble des sujets historiques, le mouvement ouvrier doit réaliser des accords et réaliser des convergences avec le mouvement féministe et d'autres mouvements d'émancipation en partant de la nécessité de défendre d'une façon conséquente les revendications des femmes.

Une telle transformation a des implications qui vont au-delà du programme, présuppose de la part des hommes une volonté politique et pratique de renoncer à leurs privilèges non seulement dans le domaine du travail salarié ou dans le cadre public général, mais aussi au niveau des rapports individuels au sein de la famille. Sur le terrain politique, cela implique le respect de l'autonomie des femmes et du mouvement féministe. Ce n'est qu'à cette condition que la classe ouvrière se transformera effectivement en classe pour soi, en sujet conscient de tous ses intérêts et capable d'agir en conséquence. L'existence d'un mouvement féministe fort et autonome avec sa propre activité politique est la garantie du développement de ce processus.

15) La destruction de l'Etat et le renversement du système économique actuel sont nécessaires et peuvent créer des conditions plus favorables à l'émancipation des femmes. Mais cela n'est pas suffisant. Sans l'Etat bourgeois, il n'y a pas d'exploitation capitaliste, mais l'oppression patriarcale subsiste.

Si on tient compte de ce qu'ont indiqué clairement les processus révolutionnaires qui ont eu lieu, on aboutit à une conception du processus révolutionnaire après la destruction de l'Etat bourgeois comme un processus historique long et complexe. On comprend en même temps le caractère stratégique du mouvement féministe et son rôle central dans la transformation révolutionnaire.

Le nouveau pouvoir révolutionnaire doit adopter des mesures allant dans le sens de faire disparaître la famille patriarcale. Il doit introduire des changements au niveau législatif qui ne soient pas formels mais expriment une égalité réelle entre hommes et femmes, une égalité effective dans le domaine économique avec la pleine indépendance des femmes. Il doit prendre des mesures par lesquelles la reproduction de la force de travail devienne une responsabilité de la société en socialisant toutes les tâches qui maintenant sont accomplies dans la famille, en créant les services collectifs nécessaires et en respectant le droit des femmes à prendre leurs décisions indépendamment des besoins de la politique démographique. Les fonctions sociales et politiques actuelles de la famille devront disparaître de même que les valeurs de l'idéologie patriarcale et la hiérarchie de genre. La démocratie socialiste devra stimuler la participation des femmes et leur organisation autonome.

Le but de la révolution socialiste est de créer des alternatives économiques et sociales supérieures à celles d'aujourd'hui, fondées sur une égalité réelle dans la vie et susceptibles de stimuler la solidarité.

16) Les femmes sont le sujet de leur propre libération. Le mouvement féministe en tant que collectif a le but de libérer les femmes, considère prioritaire la lutte pour leurs droits sans les subordonner aux intérêts de n'importe quel autre mouvement ou à d'autres prétendues priorités. La convergence nécessaire dans le processus de l'Etat bourgeois et l'acceptation du rôle dirigeant de la classe ouvrière ne signifient pas délivrer un chèque en blanc à celle-ci ni à n'importe quel autre mouvement ou sujet social.

La lutte pour la libération des femmes a des rythmes distincts de ceux de la crise révolutionnaire et une dynamique propre dans la mesure où l'oppression des femmes existe avant et après la destruction de l'Etat. Dans le processus antérieur ou postérieur a cette destruction, les intérêts de genre peuvent se heurter ou non aux intérêts immédiats d'autres mouvements ou d'autres couches de la population. Ces contradictions ne pourront être résolues que dans le processus lui-même.

La libération des femmes présuppose un projet conscient de la majorité de la société, comporte des mesures spécifiques, y compris volontaristes, de la part du gouvernement et exige la participation active de tous les hommes intéressés à construire une nouvelle société. Il ne s'agit pas d'une étape différenciée de la lutte du socialisme, mais d'un aspect fondamental du même processus où la direction et le protagonisme du mouvement féministe est fondamental.

17) Le socialisme pour lequel nous luttons est lié à notre conception de l'activité politique et à notre pratique. Il est lié aussi au développement des luttes concrètes des femmes pour leurs intérêts immédiats et au développement de la conscience féministe parmi les femmes et dans la société dans sont ensemble.

Le mouvement féministe est le moteur et le sujet du changement de la condition des femmes. C'est un mouvement qui doit être capable, au niveau de ses luttes, de s'opposer dés aujourd'hui à l'ordre social existant et aux privilèges masculins. Son activité politique autonome comporte une autonomie par rapport aux institutions de l'Etat de même que par rapport aux organisations d'autres mouvements. C'est le mouvement féministe qui peut donner une expression politique à la révolte des femmes en réaffirmant leur propre identité individuelle et collective et en accueillant dans ses rangs le plus grand nombre possible de femmes.

Pour avancer dans l'espace politique et social déjà occupé, il faut développer une conscience sociale du mouvement et du caractère politique de ses revendications. Il faut également établir des alliances avec d'autres mouvements sociaux pour élargir à d'autres secteurs et couches populaires les revendications féministes.

18) Tout cela a des implications claires pour le parti en tant que parti de l'avant-garde révolutionnaire. Par sa capacité à unifier les revendications exprimées par des différents mouvements dans un projet global, le parti a la responsabilité historique d'intégrer dans son travail, son programme et sa stratégie la perspective féministe de libération des femmes. Cela a des implications pour l'activité du parti tout entier et pour le développement d'une théorie et d'une pratique qui aborde dans toutes ses dimensions les problèmes de l'oppression patriarcale, en élargissant les revendications et la conscience féministe sur la base de la pratique politique de tous et de toutes et en luttant contre les incompréhensions politiques et les attitudes machistes dans les autres mouvements. Cela signifie qu'il faut s'engager à participer dans le mouvement féministe et donc à consacrer des efforts à son développement, et que toutes les militantes doivent s'identifier pratiquement avec la lutte de ce mouvement.

Finalement, cela a des implications à l'intérieur du parti. En tant que parti qui lutte pour la libération des femmes, nous luttons contre tout comportement machiste de la part des militants et stimulons des mécanismes politiques et organisationnels permettant une participation sur une base d'égalité et un protagonisme spécifique des militantes révolutionnaires.

Thèses adoptées en mai 1989 par la Liga Comunista revolucionaria, section espagnole de la IVe Internationale.

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