Révolution et contre-révolution en Espagne
Par Vincent Scheltiens le Vendredi, 04 Mai 2007 PDF Imprimer Envoyer

Le 18 juillet, il y aura exactement soixante ans que l’insurrection de la classe ouvrière espagnole aura fait échouer le putsch du général Franco. Tout de suite après ce succès, les travailleurs passèrent à la contre-offensive. Trois années et un million de morts plus tard, cette puissante vague révolutionnaire fut définitivement écrasée sous le talon de fer d’une dictature qui allait durer quarante ans. Mais la défaite de la révolution était effective dès 1937. Ni cette défaite ni la déroute militaire de 1939 n’étaient une fatalité.

Jusqu’à présent, l’explication dominante de ces dramatiques événements niait complètement ou minimisait qu’il y ait eu un processus de révolution sociale en Espagne. Les historiens parlaient essentiellement de la guerre civile mettant aux prises le camp réactionnaire et nationaliste de Franco et le camp républicain démocratique. Toujours selon cette explication, Franco remporta la victoire grâce au soutien de Hitler et de Mussolini. De fait, l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie ne respectèrent à aucun moment le pacte de non-intervention dans le conflit, pacte auquel la France, la Grande-Bretagne se tinrent par contre scrupuleusement, abandonnant la République espagnole dans des rapports de forces militaires défavorables. Toujours selon cette version officielle de l’histoire, l’URSS de Staline fut la seule puissance à soutenir la camp républicain agressé par la fascisme. Quant à ceux qui, dans cette guerre, refusèrent de se soumettre aux institutions bourgeoises de la république, l’Histoire officielle les dépeint comme des « aventuriers romantiques », dont l’action aurait compromis la défense de la démocratie. Cet « ennemi dans son propre camp », la république se devait de l’éliminer sans pitié. Ainsi fut fait et ainsi fut écrite l’histoire.

 

Et pourtant… Et pourtant le putsch de Franco n’était pas dirigé contre la République en soi. Par le putsch, le clergé, la noblesse, les grands propriétaires terriens et une partie de la bourgeoisie (dans beaucoup de cas ces dénominations différentes recouvraient les mêmes acteurs socio-économiques) voulaient établir une dictature parce qu’ils estimaient que la république ne serait pas capable de juguler la révolution montante dans le pays.

 

De la résistance à la révolution

 

Le 18 juillet 1936, aussitôt que la nouvelle du putsch fut connue, les syndicats UGT (socialiste) et CNT (anarcho-syndicaliste) appelèrent à la grève générale. Les travailleurs/euses s’armèrent de leur mieux et aussi vite que possible pour tenir tête aux militaires. Pour cela, ils attaquèrent et pillèrent des arsenaux militaires, des casernes et des commissariats. L’improvisation fut grande, mais pas totale. En effet, syndicats et partis politiques ouvriers disposaient de structures d’autodéfense semi-clandestines, ce qui n’était pas exceptionnel en Europe à cette époque. Sentant venir le coup, ces organisations demandaient depuis des mois au gouvernement républicain d’armer les travailleurs. Mais il n’y a pas de directives venant d’en haut. Le pouvoir républicain, à ce moment crucial, tente de négocier un compromis avec les putschistes.

 

Les travailleurs, de leur côté, ne se contentent pas d’autodéfense. Emportés par leur élan, ils occupent les centres de communication, les centres vitaux des transports, les infrastructures d’approvisionnement… Milices et colonnes d’assaut formées en hâte par les organisations syndicales et politiques ouvrières supplantent complètement les institutions étatiques qui s’évanouissent, ou hurlent avec les loups fascistes.

 

C’est le moment historique où une république démocratique bourgeoise chancelante oscille entre les deux camps fondamentaux : la révolution ou la contre-révolution. Camillo Berneri, l’anarchiste italien qui sera « nettoyé » par les agents de Staline en mai 1937, exprime bien la situation : « Le seul dilemme est celui-ci : ou bien la victoire sur Franco grâce à la guerre révolutionnaire, ou bien la défaite ».

 

Le puissant mouvement social prend entre-temps le contrôle des entreprises et introduit l’autogestion. On exige des services publics. Dans les villages, des « juntas » (conseils) sont élus et la réforme agraire, réclamée en vain depuis de si longues années, est appliquée. Dans des régions telles que la Catalogne, l’Andalousie du Nord, l’Aragon, le Levant et la Nouvelle-Castille, les masses passent carrément à la collectivisation des terres. La révolution s’empare aussi de la justice, de la garde des frontières et fixe les prix des produits de première nécessité. La politique du logement est prise en mains par les conseils communaux. Les coopératives sortent de terre comme des champignons. Les contre-maîtres sont limogés et remplacés par des travailleurs élus. Dans certaines régions, le carnet syndical prend la place de la carte d’identité.

 

Les travailleurs pèsent sur le pouvoir politique. Les conquêtes sociales, culturelles, économiques sont à l’avenant : règlement du travail, lois sociales, écoles unique, maisons du peuple. C’est aussi à cette période que le premier mouvement autonome et de masse des femmes apparaît en liaison directe avec le mouvement ouvrier. Ils s’appelle « Mujeres Libres » (Femmes Libres), et est d’orientation anarchiste.

 

Dernière chance…

 

Le putsch voulait empêcher une révolution. Il l’a fait éclater. La vieille taupe révolutionnaire creusait depuis le fin de la dictature et l’avènement de la république, en 1931. Avant le putsch de Franco, il y avait eu pas moins de 17 « pronuciamentos » militaires depuis le début du siècle. Et il y avait eu, aussi, des vagues successives de luttes sociales. Luttes du jeune et combatif prolétariat organisé surtout par les anarchistes selon le principe de l’action directe, dans les villes. Luttes des paysans sans terre et des ouvriers agricoles contre les pratiques féodales dans les campagnes. Avant 1936, le point culminant de cette agitation avait été 1934, avec les grèves générales, la formation de véritables fronts uniques ouvriers et l’insurrection des Asturies.

 

Mais il faut aussi rappeler le contexte international de l’époque pour situer correctement la révolution espagnole. Après la crise de 1929 (la grande dépression), avec son cortège de chômage de masse et de misères, toute une série de pays d’Europe (et de colonies) connaîtrons une vague de luttes sociales intenses. Ce sera le cas aussi en Belgique, avec les grèves générales de 1932 et de 1936.

 

Mais juste avant 1936, en janvier 1933, Hitler était arrivé au pouvoir en Allemagne. La politique de division criminelle de la social-démocratie et des communistes sous direction de Staline lui avait laissé le champ libre. La peur, la colère et le désarroi sont les sentiments dominants dans la classe ouvrière européenne. Ils s’exacerbent encore lorsque le chancelier autrichien Dolfuss, le 12 février, parvient à écraser le Schutzbund, les milices ouvrières de la social-démocratie, au terme de quatre jours de résistance héroïques de celles-ci. Six jours plus tôt, l’extrême droite française avait tenté un coup d’état auquel la classe ouvrière avait répondu par la grève générale.

 

On comprend donc l’énorme espoir qui s’empara de tous les militants de gauche dans le monde entier lorsqu’ils apprirent que le putsch franquiste avait été mis en échec sur la péninsule ibérique par une insurrection ouvrière. Pour toute la gauche internationale, ce succès magnifique représentait la dernière chance de barrer la route au fascisme sur l’ensemble du Vieux Continent. C’est ce qui explique l’engouement spontané et massif de jeunes révolutionnaires de tous les pays pour les Brigades Internationales, ainsi que l’énorme solidarité matérielle de la classe ouvrière de l’Europe entière avec ses frères et ses sœurs d’Espagne.

 

Espoirs révolutionnaires contre calculs cyniques

 

Mais le mouvement révolutionnaire semi-spontané en Espagne est vu d’un fort mauvais œil par le Kremlin. Staline consolide son pouvoir bureaucratique en URSS. Cela implique l’élimination de la vieille garde révolutionnaire et internationaliste, des bolchéviks qui ont fait Octobre. Août 1936 voit s’ouvrir le premier procès de Moscou (dit « des seize » ; contre Zinoviev, Kemenev, Smirnov et treize autres). Le « socialisme dans un seul pays » de Staline implique la coexistence pacifique avec l’impérialisme. En guise de gage à l’impérialisme, Staline fait une croix sur la révolution mondiale, n’hésitant pas à la saboter activement si nécessaire. En Espagne, il soutint la république, pas la révolution. L’aide de l’URSS contre Franco vise donc ; 1) à relégitimer manu militari les institutions  républicaines bourgeoises au détriment des organes de contre-pouvoir populaire ; 2) à renforcer l’emprise du Parti communiste espagnol sur ces institutions. Ce soutien est en fait un chantage. La République le paiera d’ailleurs à prix d’or, au sens littéral du terme : toute la réserve d’or de la Banque Nationale d’Espagne sera en effet transférée à Moscou, soi-disant pour « raison de sécurité ».

 

La péninsule reçut en échange la visite de très nombreux conseillers soviétiques et d’agents secrets chargés de liquider physiquement les révolutionnaires. A leur retour, bon nombre de ces agents furent eux-mêmes liquidés. Pas de témoins et qui sait si certains n’auraient pas été contaminés par le virus révolutionnaire ? Dès septembre 1937, à Barcelone, le consul soviétique et « vieux bolchévik » Antonov-Ovsenko disparaît. A partir de 1940 « disparaissaient » l’ambassadeur Rosenberg, le journaliste Koltzov, les généraux Kléber, Stachevski et Berzin, suivis de beaucoup d’autres.

 

Staliniens et bourgeois républicains s’accordèrent sur le même dogme : « D’abord gagner la guerre, les revendications sociales viendront après ». Celui qui rejetait ce dogme devait s’attendre à être éliminé sans pitié. « Pour gagner la guerre, il faut éliminer le cancer trotskiste » déclarait par exemple le dirigeant stalinien Manuel Uribe, le 24 janvier 1937. Ou pour le dire dans les termes du stalinien Juan Comorera « Avant de reconquérir Saragosse (tenue par les franquistes), nous devons conquérir Barcelone » (foyer de la révolution).

 

Face à cette logique stalinienne criminelle, les courants politiques les plus lucides sur le terrain étaient le POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste), des courants anarchistes tels que celui de Buenaventura Durruti et une partie de la gauche du parti social-démocrate (PSOE). Le leader de la gauche socialiste Largo Caballero avait d’abord été qualifié de « Lénine espagnol » par Staline. Mais il devint ensuite une des bêtes noires de Moscou parce qu’il s’est refusé à pratiquer la répression à l’encontre du POUM comme l’exigeait les staliniens. De plus, si sa pratique au moment ou il assume le pouvoir était contradictoire avec ses propres termes, Caballero affirmait que la guerre ne pouvait pas être gagnée sans révolution sociale : « La guerre et la révolution sont une seule et même chose. Non seulement elles ne s’excluent pas, mais elles se complètent et l’une renforce l’autre. Le peuple n’est pas en train de se battre pour l’Espagne du 16 juillet qui était sous la domination des vieilles castes, mais pour une Espagne qui aura extirpé toutes les racines de ses castes (…) C’est la révolution à l’arrière qui donne la certitude et l’inspiration pour une victoire sur le champ de bataille ».

 

La guerre, poursuite de la politique par d’autres moyens

 

On en vient ainsi à la question militaire proprement dite. Elle est indissolublement liée à la question sociale. Toute tentative de l’en séparer en distinguant des « étapes » (d’abord la guerre, puis la révolution) démoralise la base sociale sans laquelle il ne peut y avoir de victoire militaire. En Espagne, Staline a mené cette politique criminelle de façon consciente et cynique.

 

Personne ne prétendait qu’il fallait faire d’abord la révolution et la guerre ensuite. C’est la combinaison des deux qui est la question-clé. Les historiens bourgeois et les staliniens prétendent que les mesures révolutionnaires affaiblissaient la guerre contre les fascistes, que les troupes régulières disciplinées (celles du stalinien Juan Modesto par exemple) étaient plus efficaces, que les discussions politiques et l’autogestion des milices étaient militairement désastreuses. Ce sont des mensonges. Les travailleurs et les paysans sous l’uniforme avaient une beaucoup plus grande ardeur au combat quand ils luttaient pour leurs conquêtes sociales et sous leur propre direction.

 

Les staliniens et les républicains bourgeois ont « discipliné » les troupes. Le catalogue des mesures dans le cadre de cette normalisation vaut mieux que de longs discours théoriques. Les organes du pouvoir ouvrier furent dissous : le comité central des milices de Catalogne, le comité exécutif populaire d’Aragon… des corps d’armées et de police traditionnels furent mis sur pied. La discussion politique était interdite en leur sein. Pour être policier on ne pouvait même plus être membre d’une organisation politique (sauf le PCE, bien entendu). Les officiers furent de nouveau payés plus que les soldats et les soldats obligés de saluer les officiers. Ceux-ci furent de nouveaux nommés, alors qu’ils étaient élus. Les propriétés confisquées furent rendues aux capitalistes. Et les femmes furent retirées des unités combattantes, renvoyées dans les rôles traditionnels d’infirmières et de cuisinières. L’argument à l’appui de ces mesures contre-révolutionnaires ; ne pas effrayer l’allié bourgeois dans le camp républicain, et ne pas froisser les démocraties bourgeoises à l’étranger.

 

Mais en pratique l’Angleterre et la France avaient déjà choisi leur camp. Les Britanniques refusèrent de vendre du combustible à des bateaux républicains sans officiers, alors que ces bateaux étaient indispensables pour empêcher Franco d’acheminer ses troupes du Maroc vers l’Espagne. A Irun, au Pays-Basque, le camp républicain fut battu parce que le gouvernement français arrêta les livraisons de munitions (par la Catalogne). La bourgeoisie « démocratique » aussi choisit son camp. A San Sebastian, cette bourgeoisie capitula pour empêcher que la résistance militaire de la CNT n’ait pour conséquence la destruction des usines. Résultat : les usines intactes passèrent sous le contrôle des fascistes. Mais le cas le plus criant est celui de l’Aragon. « Les milices des anarchistes et du POUM exigent, après avoir conquis l’Aragon, qu’une offensive soit lancée en direction de Huesca et de Saragosse. La conquête de cette ville, qui avait un fort mouvement ouvrier anarchiste, pouvait être décisive pour battre les années de Franco sur le front basque ainsi que celles qui marchaient vers Madrid. Mais le gouvernement ne voulait pas donner un avantage politique aux anarchistes. Le front de l'Aragon resta privé de l'artillerie lourde indispensable. Au contraire, une grande partie des milices anarchistes, dirigées par Garcia Oliver et Durruti, furent envoyées en direction de Madrid". Tel est le récit que fait de cet épisode tragique Eduardo Mauricio, membre du Comité central du POUM.

 

L'armée de Franco était composée en grande partie de soldats marocains. La gauche révolutionnaire demandait qu'on accorde l'indépendance au Maroc espagnol et eut des contacts positifs avec les nationalistes marocains. Pourquoi une "république démocratique" devrait-elle garder des colonies, demandait-elle? Donner l'indépendance au Maroc aurait réduit très sérieusement l'ardeur combattante des soldats marocains. Mais les staliniens et les bourgeois républicains ne voulurent pas en entendre parler. L'indépendance du Maroc espagnol aurait en effet pu s'avérer contagieuse au Maroc français. Or il s'agissait de ne pas froisser l'impérialisme français et son "gouvernement démocratique".

 

La contre-révolution dans le camp républicain

 

Le mouvement révolutionnaire est  brisé en mai 1937 avec l'assaut donné à la centrale téléphonique de Barcelone. Ces affrontements forment le point culminant d'une longue série de calomnies et d'attaques de toutes sortes contre le POUM (qualifié à tort de "trotskyste"). La centrale téléphonique était un des points névralgiques occupés par la CNT depuis juillet 36. L'assaut donné à la Telefonica par la soldatesque stalinienne le 3 mars amène les travailleurs à dresser des barricades dans toute la ville. Mais la CNT et la direction du POUM hésitent et sonnent finalement la retraite. Le 7 mai achèvent d'arriver les 12.000 soldats que le gouvernement a décidé d'envoyer pour "normaliser" la situation dans la ville. Le 28 mai, le journal du POUM, La Batalla, est interdit. Quelques jours plus tard, le POUM est mis hors-la-loi. Son dirigeant, Andres Nin, "disparaît" le 16 juin. Il sera assassiné un peu plus tard par des agents staliniens. A partir de ce moment décroîtra aussi l'influence de la CNT -avec en toile de fond une immense démoralisation et dépolitisation des masses. La révolution est brisée.

 

Dans la confusion qui suivit les journées de mai à Barcelone, les agents de Staline ne restèrent pas inactifs. Berneri est assassiné durant les journées de mai. Le même sort frappe le dirigeant des jeunesses, Alfredo Martinez, les trotskistes allemands Freund et Erwin Wolf, des membres de l'Indépendant Labour Party britannique... Un procès sur le modèle des procès de Moscou est organisé contre le POUM à Barcelone. Un nouveau gouvernement est mis en place au niveau national, cette fois sans les socialistes de gauche et les anarchistes.

 

Les staliniens, les bons et les mauvais anarchistes

 

Les staliniens qui vont partout répétant que les "bandes révolutionnaires" ne prenaient pas au sérieux leurs tâches militaires seront intéressés de lire ce commentaire de leur allié de l'époque, le ministre socialiste de droite Prieto. Le 28 mai 1937, il écrit  à l'ambassadeur d'Espagne à Washington: "Nous avons d'ailleurs décidé de déclencher sur différents fronts une série d'offensives, dans lesquelles nous enverrons en premier lieu les éléments des CNT et des FAI (anarchistes) en tant que troupes de choc. D'autre part nous avons décidé de déplacer ces éléments vers les secteurs les plus dangereux. De cette manière ils nous aideront eux-mêmes à réaliser le nettoyage le plus complet, ce dont nous leur serons reconnaissants".

 

Les staliniens qui considèrent l'anarchiste Buenaventura Durruti comme un " anarchiste sérieux" prennent des libertés avec l'Histoire. Durruti, qui disparut dans des circonstances non élucidées lors des combats sur le campus de Madrid, ne fit jamais mystère de son dégoût pour le stalinisme. L'Espagne était pour lui le théâtre d'une "authentique révolution sociale".

 

L'honneur du courant anarchiste de Durruti -les amis de Durruti -comme celui d'Emma Goldmann. fût de prendre la défense des révolutionnaires au cours des journées de mai à Barcelone. Ils furent peu nombreux à le faire : "Travailleurs!   Formez   une  junte révolutionnaire! Fusillez les coupables. Désarmez les corps armés. Socialisez l'économie. Dissolvez les partis politiques qui ont agressé la classe ouvrière. Nous n'abandonnerons pas la rue. La révolution avant tout. Salut à nos camarades du POUM qui ont fraternisé avec nous dans la rue. Vive la révolution sociale! A bas la contre-révolution! " (Tract anarchiste du 6 mai 1937, imprimé sur les presses de « La Batalla »).

 

Epilogue

 

En juillet 1938, la bataille de l’Ebre est la dernière grande offensive de la république. Une année plus tôt, en septembre 37, les armées basques avaient déjà capitulé. En septembre 38, d'ailleurs, les "démocraties" capitulaient à Munich face au nazisme. En novembre, les Brigades Internationales sont retirées d'Espagne. Janvier 39 voit la chute de Barcelone et toute la Catalogue suit un mois plus tard. En septembre 1939, c'en est fini, Madrid est tombée. Exécutions, tortures, emprisonnements, exil, oppression sociale et culturelle... vont être le sort de dizaines et de centaines de milliers de gens. Pour ceux qui y survivront, le calvaire durera encore quarante ans. L’orientation révolutionnaire n’a pas pu prouver qu’elle était capable de battre le fascisme. Mais le camp républicain (staliniens, social-démocrates et bourgeois démocrates) y est encore moins parvenu – en dépit de la discipline imposée à ses troupes et de l’élimination des révolutionnaires. Les démocraties bourgeoises reconnaissent le régime de Franco et, plus tard, l’URSS fera de même. La page est tournée. En août 1939 l’URSS et l’Allemagne nazie signent le pacte Ribbentrop-Molotov…

 

Socialisme ou Barbarie

 

Ce terrible drame espagnol allait déboucher sur une barbarie plus grande encore : la deuxième guerre mondiale avec le génocide des Juifs. Le bombardement de la population civile de Guernica par la Légion Condor allait être reproduit au centuple, par les nazis d’abord, par les étatsuniens ensuite à Hiroshima Nagasaki et Dresde. Seule la victoire révolutionnaire en Espagne aurait pu faire tourner la roue de l’Histoire dans l’autre sens. « Socialisme ou Barbarie » : l’avertissement de Rosa Luxemburg allait se révéler plus prophétique que jamais…

 

Questions ouvertes

 

Il manqua en Espagne une véritable direction révolutionnaire. Les révolutionnaires les plus lucides, les camarades du POUM, commirent de graves fautes à des moments décisifs. L'Opposition de Gauche espagnole aurait-elle dû rejoindre la gauche du PSOE plutôt que de former le POUM, comme Trotsky le préconisait? Cette question reste ouverte. En tous cas, le POUM n'aurait jamais dû entrer dans la Generalitat, le gouvernement catalan. Mais d'autre part, le POUM une fois constitué, Trotsky aurait dû formuler ses critiques de façon plus constructive pour guider ses camarades dans les épreuves tactiques qui allaient suivre. Au lieu de cela, il déchaîna sur ses ex-camarades une violence verbale impressionnante, qui eut pour effet de fermer les oreilles de ceux auxquels ils s'adressaient, alors même qu'ils attendaient beaucoup du fondateur de l'Armée Rouge.

 

D’après un dossier de Vincent Scheltiens publié dans La Gauche n°14, 12 juillet 1996

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