Luttes féministes...
Par Chris Den Hond le Jeudi, 04 Novembre 2004 PDF Imprimer Envoyer

Début 70', le féminisme est dans son âge d'or. Depuis, le mouvement a évolué et continue d'être critiqué. Pour revenir sur cette période faste et sur quelques remises en cause classiques de la légitimité du féminisme, la gauche a rencontré Josette Trat, militante féministe, professeur à l'université de Saint-Denis à Paris.

Pourquoi et comment le mouvement féministe d'après 68 s'est-il développé ?

J.T.
En 68, personne ne se posait directement la question des droits des femmes, de la lutte contre l'oppression des femmes. Jusqu'en 1970, on ne parle pas vraiment de mouvement féministe. Une des questions à l'ordre du jour était celle de la libération sexuelle par laquelle on dénonçait l'hypocrisie de la morale bourgeoise religieuse.

La date-clé de l'apparition massive du féminisme en Europe est 1970. Il y avait un décalage entre le sentiment d'égalité des nouvelles générations de femmes et l'expérience concrète que, en réalité, cette égalité n'existait pas. Pour la grande majorité des femmes, il y avait plutôt le sentiment qu'on avait acquis des droits extraordinaires par rapport à nos propres mères. Mais l'égalité n'existait pas à propos de questions essentielles, comme celles du droit à la contraception, du droit à l'avortement ou à propos de la persistance du modèle fondé sur la femme au foyer et des discriminations dans le domaine de l'emploi. Le mouvement pour le planning familial, qui revendiquait l'accès à la contraception, a fait la jonction entre les luttes de 68 et le mouvement féministe des années 70.

D'après certain/es, une lutte spécifiquement féministe n'est pas souhaitable. Il faudrait plutôt inscrire cette lutte dans une lutte pour le socialisme...

J.T.
C'est exactement l'idéologie dominante du mouvement ouvrier et des partis de gauche, y compris de l'extrême-gauche. La lutte des classes devrait être le combat principal et tout le reste découlerait automatiquement d'un changement des rapports de production dans la société; toutes les autres oppressions disparaîtraient alors. Ce n'est pas vrai du tout évidemment. Dans les expériences révolutionnaires russe ou algérienne, après les premières années de libération anticoloniale, de nouveaux droits pour les femmes sont généralement apparus. Mais, sans pression des femmes elles-mêmes pour les obtenir, ils ne seraient pas venus automatiquement. D'autre part, les expériences révolutionnaires ont souvent été suivies de contre-mouvements dans lesquels les droits des femmes fraîchement acquis ont été les premiers remis en cause.

L'idée de la lutte autonome des femmes, dans laquelle elles s'organisent pour créer un rapport de force et pour obtenir la satisfaction de leurs revendications, est très forte dans la renaissance de la lutte féministe dans les années 70. L'autonomie ne veut pas dire être indépendantes des autres luttes sociales, mais plutôt qu'on se donne les moyens de mobiliser le maximum des forces pour faire avancer les objectifs d'émancipation, sans se mettre à la remorque d'autres revendications dites prioritaires qui ne prennent généralement pas en considération la lutte des femmes.

Certain/es disent que les revendications féministes sont un luxe réservé aux femmes des pays industrialisées...

J.T.
C'est complètement faux. J'ai une expérience qui m'a beaucoup ouvert les yeux d'ailleurs. Je suis allée au Brésil au début des années 80 et j'y ai rencontré des militantes féministes qui m'ont emmenée dans les bidonvilles où elles faisaient des réunions sur la question de la contraception, sur le droit d'avortement, sur la sexualité ou sur la violence. Ce sont toutes des questions portées par le mouvement féministe. Les formes peuvent varier d'un pays à l'autre mais, le fond de l'affaire, c'est la bataille pour l'égalité et pour une organisation économique et sociale qui permette réellement cette égalité. Et ça concerne les femmes du monde entier.

Comment transmettez-vous la mémoire du mouvement féministe aux jeunes femmes qui, souvent sans se dire féministes, se comportent quand-même comme féministes ?

J.T. J'essaie de leur faire comprendre que rien n'est définitivement acquis. Si les militantes féministes n'avaient pas maintenu des associations qui défendent le droit à l'avortement, par exemple, ce droit serait remis en cause en permanence. Il y a eu, en France il y a quelques mois, des tentatives de remettre en cause ce droit. C'est un droit fondamental.

Pour l'égalité au travail, la lutte continue. En général, quand les jeunes femmes entrent dans la vie professionnelle, elles se rendent compte qu'elles se font avoir très largement, très très largement. Si elles commencent à avoir une vie de couple, elles commencent à s'apercevoir que ce n'est pas aussi simple et que ça implique des luttes collectives pour faire avancer tous leurs droits.

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