Portugal: les femmes s’entêtent
Par Céline Caudron et Ataulfo Riera le Mardi, 28 Septembre 2004 PDF Imprimer Envoyer
Au Portugal, les femmes du Bloc de Gauche ont joué un rôle moteur dans la récente campagne pour que le droit à l’avortement libre et gratuit soit enfin reconnu . Elles ont mené avec succès une campagne exemplaire qui a réussi à peser sur l’agenda politique national afin d’obtenir ce droit fondamental car elles sont parvenues à modifier favorablement les consciences sur cette question. La Gauche a rencontré Adriana Lopera, militante du PSR (section portugaise de la IVe Internationale) et du Bloc de Gauche, animatrice d’un groupe féministe du Bloc dénommé « Marias » (« Mulheres em Acção Radical por Ideiais Anti-Sexistas » - Femmes en action radicale pour des idées anti-sexistes). Elle travaille également comme infirmière dans la section des soins intensifs de la maternité d’un hôpital de Lisbonne.

Dans quel contexte s’est déroulé la campagne pour obtenir un référendum sur le droit à l’avortement ?

Adriana : En 1998 il y a eu un référendum qui posait la question de la légalisation de l’avortement médicalement assisté jusqu’à la 10e semaine, ce dernier n’étant autorisé qu’en cas de viol, de malformation importante ou de danger de mort pour la mère. Ce référendum avait été porté, à l’origine, par le Parti socialiste. A l’époque le Bloc de Gauche n’existait pas encore. Nous nous sommes impliqués avec le PSR.

Mais la droite avait réussi à contre-carrer ce référendum en menant une puissante campagne arguant que nous voulions porter atteinte à la vie humaine, que l’avortement était un crime contre un être sensible, que le système nerveux du foetus était formé dès la première semaine, etc. En posant le débat sur ce terrain, ils ont réussi à nous mettre sur la défensive car il était difficile pour nous de défendre le droit à disposer de son propre corps face à ceux qui se réclamaient « pro-vie » - un comble car c’est nous qui sommes pour la vie puisque nous sommes contre la guerre, contre les massacres, etc !

Finalement, le gouvernement avait fixé le référendum à la date 28 juin. C’était une journée torride et tout le monde était parti à la plage ! A peine 30% des électeurs ont voté et une courte majorité de 51% l’a emporté pour maintenir l’avortement dans l’illégalité. Avec un taux de participation de 30%, ce référendum ne pouvait légalement être considéré comme décisionnel. Malgré tout, le gouvernement socialiste de l’époque l’a déclaré et reconnu comme tel, enterrant ainsi la campagne qu’il avait pourtant lui-même initiée.

Après cette défaite et ce camouflet de la part du PS, le mouvement féministe a connu une phase de déclin et de découragement. Le Bloc de Gauche, créé il y a cinq ans, a présenté l’année passée une nouvelle campagne en faveur d’un référendum sur le droit à l’avortement. Pour obtenir la tenue d’un tel référendum, il faut récolter 75.000 signatures à soumettre au Parlement. Le Bloc a donc lancé l’initiative et collaboré avec le PS, les Jeunesses socialistes, les mouvements de femmes et des secteurs progressistes de l’Eglise.

Et le Parti Communiste ?

Adriana : Il s’y est pour sa part refusé car il estime que les droits fondamentaux ne doivent pas se décider par référendum. Selon lui, le droit à l’avortement libre et gratuit doit uniquement s’obtenir via une loi soumise et votée par voie parlementaire. Par principe, je pense également que les droits fondamentaux, surtout ceux des femmes, ne peuvent être statués par référendum. Mais, dans le contexte d’une majorité de droite et d’extrême droite que compte le parlement portugais, la voie parlementaire est illusoire car irréalisable.

Comment s’est concrètement déroulée la campagne ?

Adriana : Avec les femmes du Bloc, nous nous sommes impliquées à fond dans la récolte des signatures, armées d’un stylo et d’un papier à l’entrée du métro, des écoles, des entreprises, dans les marchés, les centres commerciaux. Il faut souligner que, si la campagne était unitaire, ce sont surtout et pratiquement seulement les femmes du Bloc et des centaines de jeunes femmes citoyennes qui se sont engagées concrètement pour collecter les signatures. Peu avant leur remise au Parlement, le PS a voulu, via les médias, s’approprier comme sien le succès de la campagne mais sans succès car les gens savaient que c’était avant tout les militantes du Bloc qui étaient dans les rues.

Nous avons discuté avec des milliers de personnes et, même si nous avons eu quelques réponses négatives ou des insultes (du genre « assassins!»), la majorité des personnes touchées estimaient qu’il fallait un nouveau référendum, qu’il fallait en finir avec une situation digne du moyen-âge. Car, au Portugal, les femmes avortent bel et bien, mais elles le font dans des conditions « clandestines » terribles ou alors sont obligées de le faire en Espagne et de payer des sommes importantes.

Notre campagne, cette fois-ci, ne mettait pas l’accent sur le droit à disposer de notre corps, sur la position de dire « mon corps m’appartient et je suis seule à en décider » car c’est une position qui passe difficilement, qui ne convainc pas la majorité de la population. C’est une attitude correcte mais dans une population aux opinions majoritairement à droite, le droit à disposer de son corps, ça ne passe pas.

C’est donc plutôt sur la criminalisation de l’avortement que nous avons mis l’accent en posant la question « êtes-vous d’accord que l’on juge et que l’on envoie en prison les femmes qui pratiquent un avortement ? ». Du coup, les gens peuvent difficilement répondre « oui » car beaucoup sont ou pourraient être directement ou indirectement concernés eux-mêmes.

Nous avons d’ailleurs été favorisés par l’actualité puisque, en pleine campagne de signatures, au mois de novembre 2003, il y a eu un procès retentissant contre 9 femmes qui avaient pratiqué un avortement. Celles-ci ne se sont pas retrouvées seules sur le banc des accusés ; leur fiancé, les médecins, les infirmières, les assistantes sociales, un chauffeur de taxi qui les avaient emmenées à la clinique et leurs parents y ont aussi été traînés ! Bref, tous les gens qui avaient été « impliqués » de près ou de loin !

Ce qu’ont vécu ces femmes était horrible. Sur base d’une dénonciation, la police a appris que cette clinique pratiquait clandestinement des avortements. Les policiers ont arrêté ces femmes à leur sortie de l’hôpital pour les emmener au commissariat où on leur a fait des prises de sang afin de prouver qu’elles avaient pratiqué un avortement. Vivre cela ne fait jamais plaisir, mais si en plus on se retrouve ensuite arrêtée et jugée...

Nous avons immédiatement mobilisé contre ce procès et nous nous sommes rassemblées devant le tribunal avec le Bloc de Gauche et des militant-e-s d’autres organisations pour y soutenir les accusées et affirmer que l’avortement n’est pas un crime et qu’il fallait un nouveau référendum sur la question. Finalement, toutes les femmes et tous les accusé-e-s ont été acquitté-e-s.

Début janvier, après à peine trois mois de campagne, nous avons présenté au Parlement 121.000 signatures, beaucoup plus que nécessaire, un chiffre énorme pour un pays de 9 millions d’habitants ! Le 6 janvier, le Parlement devait voter si oui ou non il y aurait référendum. Avec les femmes du Bloc, nous étions présentes dans les travées réservées au public. Au moment où la majorité de droite a, malgré la quantité de signatures, voté contre la tenue d’un nouveau référendum, nous nous sommes toutes recouvertes d’une « Burka » afin de dénoncer le caractère réactionnaire de leur position.

Si la campagne n’a pas abouti dans son objectif immédiat, elle a par contre été un succès numérique et qualitatif important par le fait que des milliers de femmes se la sont appropriée, qu’il y a eu des débats et des actions dans la rue, etc. Ce succès permet de maintenir la pression sur le gouvernement de droite en faveur du référendum, au point qu’il promet aujourd’hui qu’il se tiendra finalement en 2006. Mais on ne peut faire confiance au gouvernement, ce qui nous impose de rester vigilantes et mobilisées.

Le mouvement féministe au Portugal est donc dans une phase ascendante car si nous savons que nous n’avons pas obtenu, cette fois-ci, le référendum, nous savons par contre que nous avons réussi à gagner la majorité des consciences grâce à notre stratégie politique qui a mis l’accent sur la criminalisation de l’avortement.

Les « Marias »

Comment fonctionnent les « Marias » ?

Adriana : C’est un groupe de jeunes femmes du Bloc de Gauche présent à Lisbonne, mais il n’est pas nécessaire d’être membre de ce dernier pour y participer. Il existe une commission femmes du Bloc mais nous avions ressenti la nécessité de nous organiser entre jeunes femmes. Par exemple, au moment de la campagne pour le référendum, la commission femmes du Bloc discutait pour savoir quelle personnalité significative nous allions contacter pour collaborer. Nous, nous voulions mener une campagne plus politique, plus concrète. C’est ainsi pratiquement le seul espace féministe qui rassemble uniquement des jeunes.

Nous fonctionnons de manière non-mixte et ensuite nous portons nos débats dans les espaces mixtes de l’organisation. Les « Marias » ont bien entendu été très impliquées dans la campagne de signatures, mais nous menons également d’autres activités en direction des jeunes femmes (sur le travail précaire féminin, les sans papiers, la violence domestique, etc.) ainsi que des fêtes, des débats et une librairie féministes.

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