Et si on parlait entre filles?
Par Céline Caudron le Lundi, 13 Septembre 2004 PDF Imprimer Envoyer

"Femmes en lutte"... mais pour quoi faire? La réponse à cette question simple n'est pas si évidente pour tout le monde. Les réflexions qui gagnent la palme à ce sujet sont celles du genre "aujourd'hui, les femmes sont libérées... il y a beaucoup moins de machos qu'avant... celles qui sont toujours pas contentes exagèrent...". Heureusement, certain/es sont sensibilisé/es à cet enjeu et admettent l'importance de ce combat. Mais beaucoup adoptent une position mitigée, et estiment que l'oppression des femmes se limite aujourd'hui en gros à la violence conjugale, aux inégalités de salaire, à la prostitution.... du coup, la lutte des femmes se voit trop souvent cantonnée dans un champ d'actions restreint, n'est pas considérée comme un combat global et est ainsi reléguée à un plan secondaire.

Sans déblatérer les nombreuses théories féministes qui argumentent le bien fondé d'un tel combat, comment faire pour mesurer les pleins enjeux d'une lutte pour notre émancipation?

Une prise de conscience

Un préalable incontournable tombe sous le sens: il est indispensable de prendre pleinement conscience de notre situation. Pourtant, nous négligeons souvent cette étape. On sait bien qu'on est considérées comme le "sexe faible", que les mecs adoptent toujours l'une ou l'autre attitude machiste... mais ce ne sont que des constats qu'on lit dans des bouquins, qu'on dresse comme étendards de la lutte féministe. Nous oublions de les intégrer, de les confronter à notre vie quotidienne. De plus, nous avons vite tendance à rejeter toute la faute sur les hommes - c'est vrai, ce sont eux les machos - et nous nous remettons rarement en question. S'interroge-t-on souvent sur nos propres attitudes, nos propres réflexes qui entretiennent et perpétuent les rôles attribués aux femmes?

Nous pourrions mener ce genre de réflexion chacune dans notre coin. Mais, étant donné que nous sommes toutes sur le même bateau, que nous adoptons et subissons toutes, sous une forme ou l'autre, des attitudes sexistes, pourquoi pas mettre nos expériences en commun? Pourquoi pas en parler entre femmes?

Vive les réunions non mixtes!

L'exercice est on ne peut plus simple; il suffit d'improviser une bonne p'tite soirée entre filles. Au lieu de parler du dernier film qu'on a vu au cinéma, de rigoler de la dernière connerie de Bush ou de se demander quand la RTBF se décidera à arrêter de passer des émission sur les familles royales, on peut lancer une p'tite discu', bien conviviale, autour d'une bonne chope, sur ce qu'on vit en tant que femme.

Comment commencer? Peut-être par sa journée... L'idée a l'air un peu conne comme ça, mais l'expérience en vaut le coup; les résultats sont parfois révélateurs. L'une va se rappeler que c'est elle qui a fait les courses et qui a fait le souper... tiens, comme hier et avant-hier... et comme toute la semaine? Une autre va revenir sur une blague sexiste qu'on lui a lâchée au boulot et qui a bien fait rire tout le monde... même les femmes...

La sauce prend vite et, d'un coup, on a envie de dire plein de choses. Des petites choses, des détails auxquels on ne pensait même pas. Et on se rend compte que ces détails de notre vie quotidienne manifestent, même si c'est de façon discrète ou insignifiante, l'inégalité des genres et les discriminations envers les femmes. On n'a pas besoin de l'apprendre dans un bouquin, nous vivons ces inégalités chaque jour et, quand on n'en a pas conscience, nous contribuons même à les entretenir.

La parole libérée

Parler de notre quotidien, c'est bien sûr un peu réducteur, mais c'est une façon de commencer, un moyen de conscientisation collective qui peut nous aider à changer nos habitudes. L'expérience ne doit pas en rester là. Nous pouvons essayer de faire apparaître, au-delà des péripéties de notre petite vie, la dynamique globale des rapports de genres forgés par la société patriarcale. Ainsi, on peut élargir le débat et aborder des tas de questions plus globales. L'intérêt de la non mixité est de traiter ces "questions de société" d'un point de vue de femmes et avec une parole sans entraves. Dans des débats entrepris avec des hommes, nous allons moins facilement au bout de nos idées, soit parce qu'elles ne sont pas prises au sérieux par les hommes, soit parce que, tout simplement, on ose moins s'exprimer devant des hommes qui tiennent le crachoir. Une expérience intéressante à tenter à ce propos est d'entamer une discussion sur un sujet entre femmes et de reparler ensuite du même sujet dans le cadre d'une réunion mixte. La tournure du débat est généralement bien différente.

Et puis?

La lutte ne se résume bien sûr pas aux discussions et aux débats. La prise de conscience n'est qu'un préalable à l'action. Comment arriver à abandonner les rôles que la société patriarcale a façonnés pour nous? Comment amener les hommes à abandonner leurs attitudes machistes? Les stratégies à suivre sont nombreuses. Il n'y a pas de voie toute tracée. Mais, dans le cadre d'une lutte féministe, les initiatives doivent assurément venir des femmes. Si des hommes peuvent soutenir notre combat, ils ne pourront jamais le mener à notre place. Les réunions non mixtes offrent ainsi un espace privilégié de conscientisation et de réflexion et nous permettent d'élaborer nos propres stratégies et moyens d'actions.

Voir ci-dessus