Croatie : résistance ouvrière contre le démantèlement des entreprises
Par Correspondant(es) le Vendredi, 14 Décembre 2012 PDF Imprimer Envoyer

Rapport d’une conférence syndicale organisée par le groupe trotskyste « Radnicka borba » (Lutte ouvrière).

La conférence syndicale « Résistance ouvrière contre la destruction des entreprises » a par ses résultats plus que rempli les attentes de l’organisateur. Parmi les conférenciers et dans le public, la grande majorité était composée avant tout des ouvriers qui luttent au jour le jour sur leur poste de travail. En deux jours ils ont présenté les problèmes de leur entreprise et entré dans un vif débat, sur les relations entre entreprises, les rapports sociaux, position du capital, de l’Etat et ses institutions, de même que sur les revendications dans le domaine syndical, comme celui de la société toute entière. La discussion n’a pas du tout restée abstraite, elle abordait les propositions concrètes à mettre en pratique. Malheureusement, le temps s’avérait à chaque exposé suivi de discussion trop court la mener à terme. En guise du résultat final de la conférence, il y avait l’unanimité sur les objectifs suivants : une déclaration commune, l’échange de contacts et établissement d’un réseau de coordination de l’activité, de même que la poursuite vers la création d’un mouvement ouvrier commun.

Après l’introduction du représentant de l’organisateur, où on a souligné la nécessité de transposer les luttes des entreprises particulières au niveau de toute la société, et de créer un mouvement ouvrier et social puissant, et que cette conférence s’inscrit dans cet objectif, la conférence a débuté avec l’exposé de Lukica BUCAT du syndicat indépendant de « Dalmacijavino » (entreprise des boissons à Split). Il a raconté brièvement l’histoire de son entreprise, des grèves et de la situation déplorable dans cette entreprise qui a de l’avenir, mais écrasée par les problèmes de l’actionnariat ouvrier.

Denis GETO du syndicat de branche technique du HEP Technos (EDF croate) a parlé de façon critique sur la situation syndicale, présenté l’activité de son syndicat qui n’englobe pas le personnel de bureau mais avant tout les opérateurs, et mis en avant la nécessité de l’unité et de l’action commune face à la tendance de morcellement syndical, prélude à la privatisation de l’entreprise. Au cours de la discussion plusieurs participants ont souligné que, maintenant que nous sommes réunis, nous ne pouvons rester qu’au niveau de la discussion, mais qu’il faut faire un pas vers la création d’un mouvement commun. Egalement il a été souligné qu’il faut des actions décidées pour empêcher la privatisation des biens publics.

Zeljko LUKSIC, du syndicat des Cheminots croates, outre son exposé sur les Chemins de fer, où on procède aux licenciements, l’abandon et morcellement de cette entreprise d’Etat, a posé quelques questions générales et essentielles qui ont provoqué une vive discussion. Luksic a constaté qu’il faut procéder à un changement social, qui n’est pas possible sans la prise du pouvoir politique par les ouvriers. Le premier pas aurait été dans cette direction la construction d’un parti ouvrier, composé non des politiques professionnels mais des ouvriers eux-mêmes, c’est-à-dire à partir des syndicats. En relation avec les labouristes de Lesar (une sorte de socio-démocrates de gauche, ayant 5-6 députés), il a constaté qu’en tant leur ex-membre et responsable régional il sait qu’ils ne sont en aucun cas un parti ouvrier, « mais un projet populiste mis en œuvre par un gueulard ». Une discussion intéressante a suivi sur les relations entre la lutte parlementaire et l’activité « dans la rue », où une opinion commune sur la nécessité de combiner les deux a prévalu. Il y avait des propositions que les participants à la réunion réfléchissent ensemble sur la création d’un nouveau parti ou association sur une plateforme ouvrière, mais dans la discussion qui a suivi on est arrivé à la conclusion qu’il faut créer d’abord un mouvement, pour voir ensuite, en fonction de son développement, quelle forme est la meilleure.

Le lendemain la conférence a été reprise avec Tonci DRPIC, qui a brièvement retracé l’histoire unique de « Jadrankamen » (carrières de pierre sur l’ile dalmate Bratch), depuis leurs pères et grand-pères jusqu’aujourd’hui, lorsqu’on brisait et transportait la roche avec mains nues et outils rudimentaires, que l’entreprise était très prospère dans la Yougoslavie, jusqu’à sa reprise par Oresar et criminels qui lui ont vidé la caisse, et obligé les ouvriers de se battre à mort. Il a annoncé de nouvelles luttes – actuellement l’entreprise est en liquidation judiciaire, mais une partie des ouvriers et rembauché et une certaine activité continue, alors que la moitié est licenciée et groupée autour de leur syndicaliste, continue la lutte – en disant que les ouvriers de Jadrankamen ne lâcheront jamais leur entreprise. Les autres participants de la conférence étaient unanimes pour offrir leur soutien de solidarité urgent aux camarades de Jadrankamen.

Bojan KOVACIC de « Dioki » de Zagreb (dans la branche pétrolière) a raconté comment on a détruit cette entreprise, au cours de la privatisation de INA (compagnie nationale principale de distribution de carburants) et le fameux procès de Jezic et Sanader (ancien premier ministre croate, plongé dans la corruption jusqu’au cou, et condamné récemment à dix ans de prison), comment on a fait n’importe quoi – achat des journaux régionaux comme « Novi list » et « Voix de Slavonie », la vente des terres disponibles aux tiers, auxquels on a ensuite loué ces mêmes terres… Kovacic a conclu en disant que « Dioki » ne peut probablement plus être sauvé, mais que les ouvriers lutteront pour leurs salaires impayés et indemnisations de licenciement.

Sinisa MILICIC du Syndicat industriel régional a souligné, dans son analyse du syndicalisme en Croatie, que rien dans les rapports sociaux n’a changé par rapport à l’époque où Frédéric Engels décrivait « La situation de la classe ouvrière en Angleterre », et que la plus grande différence est dans le fait que nous possédons aujourd’hui des i-pods et téléphones portables. En citant quelques exemples du syndicalisme de lutte au début du XXe siècle en région de Varazdin, il a insisté sur la nécessité d’apprendre de l’histoire et de réactualiser le véritable syndicalisme. Il a fini par une boutade : il est venu à la conférence en pensant résumer son discours en une phrase : « La situation du syndicalisme croate est mauvaise, et sans perspective », mais après la conférence il a changé l’avis : « malgré tout, il semble qu’il y ait des perspectives ».

La discussion terminale s’est occupé à résumer les conclusions, leur mise en œuvre, de même que de la rédaction de la résolution par un groupe de travail composé ad hoc. On a conclu par décider une coordination ouvrière commune, entre ceux qui étaient présents, et que dans un avenir proche on prépare une nouvelle conférence. Les présents se sont engagés à y faire venir le plus possible d’ouvriers de leurs entreprises, puis faire venir encore plus de syndicalistes de divers horizons. Les syndicalistes ont demandé à « Radnicka borba » d’organiser la nouvelle conférence et de se charger de la coordination entre-temps. Egalement ils l’ont chargé de rédiger le texte définitif de la résolution et de la soumettre aux participants à l’approbation, puis de la faire circuler parmi les syndicalistes et publier dans la presse. Tous ont exprimé l’espoir de rendre la conférence régulière, afin que son influence s’élargit, le nombre de participants grandisse et que toute l’initiative se transforme en un mouvement fort.

V. K.

* « Radnicka borba » le 3 décembre 2012.

* Traduction : R. Pavlovic.

 Source : http://www.europe-solidaire.org

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