Une interview de Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB : « Les luttes sociales peuvent servir de tremplin à la dynamique politique amorcée…»
Par Une interview de Raoul Hedebouw & Guy Van Sinoy le Mercredi, 14 Novembre 2012 PDF Imprimer Envoyer

La Gauche: Le PTB-PVDA a obtenu un résultat remarquable lors des élections communales du 14 octobre dernier. Est-ce que vous vous attendiez à une progression d’une telle ampleur ? 

Raoul Hedebouw : Oui et non. Oui dans le sens où nous nous étions fixé comme objectif de faire une percée électorale en 2012 dans les grandes villes du pays : à Anvers, à Liège et dans une commune bruxelloise où nous sommes particulièrement implantée, Molenbeek.  Au cours des dernières années, nous avons établi une implantation profonde sur le terrain en fonction de ces objectifs. Dans cette mesure, nous avons atteint les objectifs fixés. Mais je dirais aussi que nous ne nous attendions pas à dépasser nos objectifs avec une telle ampleur. Là où on visait 1 élu à Liège, on en a 2 avec 6,4%. Dans des communes où nous travaillons depuis quatre ou cinq ans mais où nous n’avons pas pu concentrer nos forces, je pense notamment à Charleroi, Mons, Schaerbeek, Flémalle, on a assisté à un phénomène qui a dépassé nos espérances. Et aussi à Seraing et Herstal où nous dépassons les 14% et devenons le deuxième parti. Nous avons maintenant 52 élus dans tout le pays.

A Anvers notamment, vous ne vous attendiez pas à faire plus qu’Annemie Turtelboom !

(Rire) « Tu fais bien de le rappeler ! Parce qu’on voit à Anvers, dans un contexte qui était quand même difficile avec la polarisation entre Janssens d’un côté et De Wever de l’autre, avec 8 % nous dépassons le score de partis dits traditionnels comme l'Open VLD et Groen! et nous obtenons 4 conseillers communaux alors que nous en espérions 1. C’est aussi le fruit d’un travail de longue haleine au sein de la ville sur des sujets comme le logement, l'enseignement, la mobilité et la santé et qui pour une partie de la population de gauche s’est concrétisé en vote utile. »

Deux facteurs ont joué

Comment expliques-tu que les résultats électoraux aient amplement dépassé vos espérances ?

Deux facteurs ont joué. D’abord il y a la crise et la politique d’austérité que les autorités entendent faire supporter par la population, au niveau fédéral, régional et communal,  et pour laquelle la population n’est en rien responsable. Dans les communes cela se ressent par des investissements bling bling et d’un autre côté par une augmentation des taxes directes ou indirectes (sacs poubelles, taxes diverses). On sent dans le vécu de la population une tension, une exaspération face à la politique menée et une envie d’une réponse de gauche. Ce n’est d’ailleurs pas spécifique à la Belgique. On le voit dans l’ensemble des pays européens. C’est une partie de l’explication.

L’autre facteur est que nous avons balayé devant notre propre porte. On a pas mal bûché depuis 2008, avec le renouveau du PTB, avec une approche politique qui part des besoins concrets des gens, qui avancent des revendications qui leur sont proches, avec un travail beaucoup plus en profondeur dans les quartiers, avec un parti qui s’est ouvert sur le plan organisationnel. Nous avons largement dépassé le cercle des convaincus pour  nous adresser avec ambition à la masse des travailleurs et des habitants des quartiers populaires.  Nous sommes passés d’un parti exclusivement composé de militants à un parti de membres où ces derniers ont peut-être moins le temps de s’investir mais apportent un travail quotidien dans les quartiers et dans les entreprises. Nous sommes passés d’un parti d’un bon millier de membres au début des années 2000 à aujourd’hui 5.600 membres. Cela donne quand même un peu une idée de notre croissance. Le changement n’est pas seulement numérique. C’est aujourd’hui devenu un parti beaucoup plus concret capable de développer des thématiques beaucoup plus à la portée de la population. Nous avons développé des programmes communaux concrets, très fouillés et adaptés à chaque localité. Nous avons réalisé 1.600 enquêtes de terrain à Liège, 4.700 à Anvers, plus de 12.000 dans les autres communes. Nous avons tenu aussi à être plus concrets par rapport à l’échelon communal en raison de l’échéance électorale qui allait arriver alors que dans le passé nous avions plutôt développé une vision macroscopique avec de grandes solutions extra communales. Ce changement initié aux élections de 2006 (avec déjà 15 élus) a été un élément important dans ces élections-ci.

Des campagnes spécifiques par communes

Est-ce que tu estimes que la campagne des communales était plus concrète et meilleure par exemple, que la campagne « nez rouges » de 2009 (« Arrêtez ce cirque politique ! ») ?

Cette campagne «nez rouges» a fait débat dans la gauche. Je ne dirais pas que notre campagne pour les communales était meilleure. C’étaient deux campagnes différentes. Pour les élections d’octobre 2012 nous avons non seulement interrogé beaucoup d’habitants et aussi organisés des assemblées générales de membres pour déterminer le programme. Fatalement le programme était différent de commune en commune. Car ce n’est pas la même chose de mener campagne dans une grande ville comme Liège où le PS est au pouvoir depuis des dizaines d’années et où on a diffusé un petit carton rouge (« Désolé Willy, cette fois on vote à gauche ! »), qu’à Anvers où on avait d’un côté Janssens au pouvoir avec une coalition avec le CD&V et de l’autre De Wever en embuscade. On ne peut pas vraiment dire que pour les communales il y a eu une seule campagne uniforme partout. Par contre, en ce qui concerne la communication du PTB, on a essayé depuis quelques années d'interpeller la masse des gens au-delà de la grisaille des campagnes traditionnelles. Mais chaque fois adapté au moment politique mais aussi au développement de l'organisation. En 2009, la campagne « nez rouges » s’est déroulée dans un contexte très spécifique : un blocage total du pays pour des raisons communautaires. Nous avions voulu pointer du doigt l’immobilisme de la classe politique. Aujourd’hui on ne referait pas une campagne comme ça. 

Pas de percée électorale sans travail sur le terrain

Revenons un peu à ce premier élément, la crise, l’austérité plein tubes avec un PS aux commandes en Wallonie, à Bruxelles et au gouvernement fédéral. Est-ce que ces facteurs ne créent pas un espace à gauche ? Je pense par exemple à des communes où d’autres listes à gauche ont fait de bons résultats : Vega à Liège, Gauches communes à St-Gilles, Gauche à Etterbeek.

Indiscutablement, les facteurs économiques, sociaux et politiques – la crise, l’austérité, la politique menée par le PS - ouvrent un créneau à gauche. Mais il doit y avoir parallèlement une présence et une approche qui accroche les gens.  Par contre en analysant l’ensemble des résultats à travers le pays, on voit que là où il n’y a pas de travail de terrain il n’y a pas la percée du PTB. Il est très intéressant d’analyser cela pour les élections provinciales, canton par canton. La campagne générale du PTB permet de faire par exemple 4,7% dans la province de Liège avec des pointes à 6,5% dans l'arrondissement de Liège mais aussi 4% à Dison, 3,2% à Verviers mais en même temps on doit constater que si on n’a pas de travail de terrain on n’a pas d’élus. Je dis cela parce qu’il y a parfois, dans la gauche de la gauche, un espoir de grand soir électoral ou d’espérances électorales largement au-delà de la pratique militante. Mais mon expérience des quinze dernières années de militantisme m’a convaincu que cela ne marche pas comme ça. Et ces dernières élections l’ont confirmé. Ce n’est pas un hasard si nous faisons de bons résultats dans les districts d’Ans, de Grâce-Hollogne, de Flémalle. C’est parce que nous y avons des membres et que nous nous y développons. A contrario il y a des communes dans les environs de Waremme ou de Huy où on sent un petit frémissement mais sans commune mesure avec les endroits où nous faisons un travail de terrain. Il faut donc être très réaliste et ne pas se faire d’illusions là où le terrain n’a pas été labouré.

De la lutte peut, à mon avis, émaner une dynamique politique

Il y aura des élections en 2014, parlementaires, européennes et régionales. Comment vois-tu les choses se dessiner ? Dans une récente interview accordée à La Gauche Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la CNE, évoque plusieurs possibilités. Soit le PTB se replie sur lui-même, soit il sent qu’il y a un espace plus grand. Est-ce que tu penses que l’avenir nous réserve une continuation de listes PTB+ avec ça et là quelques indépendants ou penses-tu qu’il soit possible de rassembler plus largement ? 

Je n’ai pas de boule de cristal. Beaucoup de choses peuvent se passer dans les années à venir. Une des composantes importante dans cette discussion est le développement du mouvement social et du mouvement syndical. On ne peut pas découpler toutes les pistes que tu cites maintenant de ce paramètre-là. Parce que l’essentiel reste quand même la dynamique extra parlementaire. C’est important de le rappeler car on parle souvent d’élections en Belgique car nous sommes dans un pays où on vote souvent. Mais pour un parti comme le PTB l’essentiel du rapport de forces se construit surtout dans les entreprises et dans les quartiers, Nous mettons d’ailleurs notre énergie dans le renforcement de sections d’entreprises. C’est sans doute moins visible que dans les quartiers, mais nous avons des camarades dans les entreprises où il y a des combats, que ce soit ArcelorMittal, la SNCB, Caterpillar, les services publics car c’est très important. De la lutte va émaner, à mon avis, une dynamique politique qui existe déjà aujourd’hui et qui pourra se renforcer. Mais parfois on a un peu trop souvent tendance, dans certains cercles, à découpler l’un de l’autre, de voir d’abord le mouvement politique et ensuite de dire on verra bien ce que le mouvement social fera. Non, il y a un lien entre les deux. Et moi je ne sais pas dire ce que le mouvement social va devenir dans les deux ans devant nous. Je ne sais pas. J’ai des espérances, je sais à quoi on travaille comme parti, mais après on verra ce que ça donne. Cela me semble un point important.

Deuxièmement, ce n’est un secret pour personne, au PTB on n’a jamais cru à l’hypothèse d’une unité des gauches dites radicales comme étant LA solution pour faire avancer la gauche de la gauche. Comme PTB, nous avons plutôt préférer remettre en cause nos pratiques passées, trop peu ouvertes, qui s'adressaient trop aux convaincus et qui n'avaient pas l'ambition de toucher le plus grand nombre. Dans ce créneau-là on a essayé de mettre en application une autre tactique avec le PTB et je pense qu’en partie elle a porté ses fruits, à l’échelle de ce qu’est le PTB aujourd’hui, avec tout le réalisme que cela suppose.

Pour ce qui est de l’unité des gauches radicales, il y a déjà eu beaucoup d’expériences à ce sujet en Belgique au cours des 20 dernières années, notamment Gauches Unies et ensuite d’autres tentatives. On constate que l’addition des gauches dites radicales, j’entends par là les partis déjà existants sur la place publique politique, à la gauche de la gauche, n’amène pas ce saut qualitatif électoral. Les scores électoraux de 2012 le montrent en partie. Et je le dis en toute humilité car je trouve que le PTB n’est pas encore arrivé à un score électoral qualitatif sur l’ensemble du territoire, mais les scores des différentes listes Front de Gauche au niveau local, de la liste Rood!, avec tout le respect que j’ai pour les militants qui font ce travail, ne décollent pas. Je pense que ce type de regroupement, cette addition de gauches de gauche n’a pas d’avenir. Il faut trouver une dynamique plus élargissante.

Pour l’instant, pas de grande défection électorale au PS

Maintenant si on parle d’un  élargissement à la gauche, le PTB dit clairement oui, mais avec des perspectives vraiment élargissantes. Et cela va de toute façon poser la question que le PTB a déjà trouvé une place sur la scène politique. Il faut trouver la créativité pour susciter des initiatives élargissantes. Evidemment on va retomber sur la question des syndicats - il y a dans ce sens l'appel de la FGTB Charleroi - et sur ce que vont faire une partie des militants dans des partis comme Ecolo ou le PS. Cela fait partie de l’équation. Et là il faudra que l’on trouve une voie adaptée à la Belgique. Il faut s’inspirer de tous les partis en Europe mais on a nos particularités. Le PS belge n’est pas le PS français, ni le PASOK, ni le SP.a. On a en Wallonie un PS qui fait dans certains cantons 50% des voix. Il faut tenir compte de cette réalité-là. Il faut aussi avoir un minimum de respect quant au travail du PTB quand il parvient à aller chercher 14% des voix dans des communes où le PS fait 50%, comme à Seraing ou Herstal. Des fois, on balaie ça en vitesse en disant « Passons à autre chose! ». Arrêtons-nous un instant pour essayer d’imaginer ce qu’il a fallu mettre en place sur le terrain pour atteindre un tel résultat.

Je constate aujourd’hui que malgré certains reculs il n’y a pas de grande défection du PS sur le plan électoral. Bien sûr que j’aimerais bien trouver en Belgique des courants comme celui du parti de Mélenchon, c’est-à-dire une partie de la social-démocratie qui s’est détachée du PS français. L’aspect important de  Mélenchon en France n’est pas sa personne, mais le courant politique qu’est le Parti de Gauche. Tout cela n’existe pas encore en Belgique. Cela va peut-être venir, mais on verra. Est-ce que l’ensemble des élus du PS vont continuer à assumer cette politique d’austérité derrière Di Rupo? Ou bien va-t-il y avoir un sursaut critique de la part de ceux qui diront «Cela ne peut plus continuer comme ça! »? Je n’en sais rien. Je constate que ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. Et que s'il y a un tout début de remise en cause de certains, c'est à cause des résultats du PTB.

Dernière chose aussi, qu’on arrête de dire qu’il n’y a pas ou plus de divergences ou de débats dans la gauche de la gauche et que seul manque l'unité. Les questions sont complexes. Par exemple la participation de Die Linke, en Allemagne, dans des gouvernements régionaux de centre gauche pose question.

Unité dans la diversité

Dernier point : l’aspect communautaire. Le PTB, comme la LCR ou le PSL sont des partis nationaux. La plupart des centrales syndicales sont encore nationales. Mais tous les partis politiques traditionnels sont scindés sur le plan communautaire. N’est-ce pas une difficulté supplémentaire pour construire un grand parti de gauche ? 

Oui, incontestablement ! Mais il faut rappeler aussi que le PTB reste un parti national parce qu’il pense qu’il faudra une unité du monde du travail au niveau européen. Et on peut difficilement faire l’unité avec les Polonais ou les Tchèques contre cette Europe antisociale si on n’est pas capable de réaliser cette même unité à l’échelle de la Belgique. Sans nier pour autant que les idées de droite sont plus fortes dans le monde du travail en Flandre pour le moment. Ce n’est pas parce qu’on veut maintenir cette unité nationale et qu’on y travaille qu’on va nier les réalités politiques différentes. Certains essaient parfois de nous caricaturer là-dessus. Par contre, je parle ici en tant que responsable politique vivant à Liège, en quoi me sentirais-je déchargé de mes responsabilité politiques  par rapport à une évolution des idées de droite dans les entreprises en Flandre ?  Cela reste mon monde du travail. Si je suis préoccupé parce que, par exemple  les idées de droite progressent chez les travailleurs de Pologne je le suis aussi quand cela se passe en Flandre. C’est mon affaire, de la même manière que j'ai fait tout ce que je pouvais avec mes camarades pour faire que mon camarade Peter Mertens soit élu à Anvers. Et aujourd'hui s'il y a une opposition de gauche sociale et anti-nationaliste à De Wever, elle est sur le terrain, sur place, pas à distance.  Nous voulions avoir des élus à Liège et à Anvers car c’est important que dans ces deux villes ouvrières il y ait une voix de gauche qui puisse s’exprimer. Le fait qu’un parti qui se déclare solidaire des travailleurs wallons obtienne 8% dans une ville comme Anvers est quelque chose d’important. Ce qui se passe en Flandre est beaucoup plus complexe qu'on ne le croit parfois en Wallonie. Il s’y passe que le monde du travail se sent de plus en plus frustré envers la politique des partis traditionnels. Et la N-VA capte une partie de cette colère, de ce courant anti-establishment pour le détourner.

Une partie des gens ont appris à ne plus taper vers le haut mais vers le bas: vers les immigrés ou vers les Wallons quand on est en Flandre et vers les Flamands quand on est en Wallonie, ou vers les chômeurs. Comme si aujourd’hui on n’avait plus le droit de taper vers le haut, vers les actionnaires, vers les banquiers comme si c’était politiquement incorrect. Du côté francophone on entend aussi de plus en plus de racisme. Et si l’extrême-droite ne perce pas du côté francophone, parce qu’elle est la plus bête extrême-droite d’Europe, il n’est pas exclu que cela arrive dans les années à venir.

Et donc la question communautaire, pour revenir à ta question, sera aussi une question de la gauche de gauche. Et cela se pose aussi dans d’autres pays. La question du régionalisme doit trouver un terrain de débat. Le PTB tend la main vers l’organisation de tels débats. 

Propos recueillis par Guy Van Sinoy, le 12 novembre 2012

Les intertitres sont de la Rédaction

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