Restriction du droit à l’avortement en Turquie : une tentative de féminicide
Par Ecehan Balta* le Jeudi, 21 Juin 2012 PDF Imprimer Envoyer

Le 28 décembre 2011, les forces aériennes de l’armée turque tuaient  37 citoyens kurdes de Turquie dans le de village de Uludere, à la frontière avec le Nord de l’Irak. La plupart d’entre eux étaient des enfants.

Mais alors que nous recherchons les responsables devant assumer le coût politique du massacre d’Uludere, nous sommes à notre tour accuséEs de meurtre. Dans son discours de clôture de la Conférence Internationale des Parlementaires sur l’Application du Programme d’Action de la CIPD(2), le Premier ministre R. T. Erdogan déclarait que « tout avortement est un nouvel Uludere ». De cette manière, il mettait sur un pied d’égalité les assassinats de populations kurdes perpétrés par l’Etat turc et le droit des femmes à disposer de leur corps. Au lieu de rendre des comptes sur le massacre, il l’instrumentalise afin de mettre en œuvre une attaque du capitalisme néolibéral fondamentaliste qui, par ailleurs, était prévisible.

Malthus est mort, Vive Erdogan !

Ce n’est pas la première fois que le Premier ministre s’en prend au corps des femmes. Il est d’ailleurs passé maître dans l’art de nous dire ce que nous devons faire de nos parties intimes : lors de la journée de la femme de 2008 il avait encouragé les femmes à donner naissance à au moins trois enfants, « pour le bien de la Nation ».

Le droit à l’avortement jusqu’à dix semaines de grossesse arraché en 1983 va de nouveau être le terrain d’une bataille rude entre les femmes et l’Etat. En fait, le jour suivant la déclaration d’Erdogan, il a été dévoilé à la presse que le ministre de la Santé publique est en train de préparer un projet de loi qui ferait passer le délai légal pour recourir à l’avortement de 10 à 4 semaines. Le bruit cour également que certaines exceptions telles que les cas de viol ou les raisons de santé ne figureront pas dans la nouvelle loi. Ainsi, le ministre de la Santé publique a-t-il déclaré que, si des femmes se refusaient à élever un enfant né d’un viol, l’Etat pouvait très bien s’en charger.

Et maintenant, que va-t-il se passer ?

Le projet de loi devrait être discuté au Parlement d’ici la fin juin. Etant donné la majorité absolue de l’AKP, seul un mouvement de masse fort peut l’empêcher de passer. Depuis que le débat a fait irruption dans l’espace public, des organisations de femmes ont mené des rassemblements et manifestations dans différentes villes. Elles dénoncent la tentative d’interdire l’avortement à travers l’axe des droits sociaux des femmes et du droit à disposer de son corps. L’avortement gratuit, sûre et facilement accessible ainsi que la contraception gratuite, sûre et largement accessible tant aux hommes qu’aux femmes constituent deux des revendications du mouvement.

Malheureusement, le dernier rallye, qui a eu lieu le 17 juin dernier dans les trois plus grandes villes du pays, n’était pas à la mesure des attentes. Mais les participantes enragées et inébranlables ont montré que la bataille n’était pas finie et que personne n’avait encore eu le dernier mot. Le jour où le projet de loi sera à l’agenda du Parlement, des femmes de toute la Turquie seront en face du bâtiment pour défendre leur droit à l’avortement.

Concernant l’axe de la lutte

Comme nous le savons tou-te-s, toute forme de fondamentalisme, qu’il soit islamique ou encore bouddhiste, constitue une roue de secours pour le néolibéralisme dans le monde entier. L’AKP est le résultat logique de ce concept changeant. La lutte contre l’AKP devrait donc être vue, ici en Turquie mais également partout ailleurs, comme une part de la lutte contre le néolibéralisme en soi, sans pour autant s’y substituer.

Cette attaque contre le corps des femmes n’est rien d’autre qu’une nouvelle étape dans le chemin emprunté par le capitalisme vers la « sainte famille ». Nous avons affaire à une des pires formes de tyrannie sur notre corps. Reloger le corps de la femme à l’enseigne d’outil de reproduction d’une force de travail bon marché et éliminer les femmes du marché du travail sont deux des objectifs sous-jacents à cette attaque.

Le capitalisme est intrinsèquement lié au patriarcat, comme il l’est au racisme et à la destruction écologique. Cela fait des centaines d’années que les femmes se battent contre le patriarcat. La « liberté » sexuelle a été l’un des succès de la seconde vague de féminisme et nous n’allons pas les laisser nous la reprendre. « Nous ne disposons pas du luxe de revenir en arrière tant que ce nous avons obtenu ne représente même pas la moitié de nos espoirs. »

* Ecehan Balta est membre de YeniYol, section turque de la IV Internationale (traduit de l’anglais par Matilde Dugauquier)

(2) Conférence internationale pour la Population et le Développement. La réunion s’est tenue les 24 et 25 mai à Istanbul, ndt.


Notre corps nous appartient !

La LCR soutient les femmes de Turquie dans leur combat pour le droit inaliénable à disposer de son corps. En ce sens, nous sommes signataires de la pétition lancée par plusieurs organisations de femmes en Turquie et que l’on peut trouver au lien suivant, avec d’autres informations sur le mouvement et son actualité : http://saynoabortionban.com/

Cette pétition peut être signée tant par des collectifs que des individus.



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