Mélenchon KO : le couple du Front de Gauche en grand péril
Par Eric Dupin * le Mardi, 12 Juin 2012 PDF Imprimer Envoyer

Après la défaite de Jean-Luc Mélenchon à Hénin-Beaumont, l’alliance originale du Parti de Gauche (en déroute) et du PC (en déclin) est soumise à rude épreuve.

Mélenchon a commis la faute politique de défier Marine Le Pen à Hénin-Beaumont sans analyser de manière réaliste la situation locale. Il a cherché sa revanche contre la dirigeante du FN, qui l’avait dominé lors du scrutin présidentiel, au risque d’aggraver les divisions d’une gauche déjà fort mal en point dans le secteur. Loin de parvenir à « éradiquer politiquement » l’extrême droite, son initiative a sans doute renforcé les chances de victoire de son leader.

Les limites de l’antifascisme virulent

Son élimination dés le premier tour dans la onzième circonscription du Pas-de-Calais augure mal de la suite des évènements pour le couple Parti de Gauche - Parti communiste. Le Parti de Gauche devrait se contenter d’un seul député. Et nombre de députés sortants du PCF sont devancés par le PS.

Le coprésident du Parti de Gauche a négligé l’enracinement limité de sa famille politique dans cette circonscription. Il n’est jamais très bon signe de devoir faire venir des militants de l’extérieur. Mais c’est surtout l’orientation de sa campagne qui est à l’origine de son insuccès. L’antifascisme virulent, promettant au FN de « raser les murs », ainsi que le recours à des références idéologiques et historiques éloignées des préoccupations de la population ont prouvé leurs limites.

En bon militant du mouvement ouvrier, Mélenchon a réagi avec une dignité responsable à sa défaite. Il n’a pas pu néanmoins s’empêcher de s’en prendre aux sondeurs, alors même que ceux-ci se sont plutôt trompés en sa faveur... Et il s’est gardé de la moindre autocritique.

Au-delà de cette mésaventure, le jeune Parti de Gauche sort en triste état de l’épreuve législative. Ses candidats sont presque partout éliminés dès le premier tour, devancés par le PS voire dans l’incapacité de se maintenir. C’est le cas de Martine Billard, député sortante, à Paris. Tous les espoirs du PG ont été sévèrement déçus, qu’il s’agisse de François Delapierre dans l’Essonne, d’Eric Coquerel en Corrèze ou encore de Corinne Morel-Darleux dans la Drôme.

Le seul député qui portera les couleurs de ce parti au Palais-Bourbon (trois sortants) sera sans doute Marc Dolez, député du Pas-de-Calais, qui avait publiquement émis des réserves sur la stratégie de Mélenchon à Hénin-Beaumont.

Le PG est ainsi pris au piège du partage des rôles qu’il avait accepté avec le PCF. La direction communiste avait accepté la candidature présidentielle de Mélenchon en échange de la part du lion des investitures législatives. Fort de son réseau d’élus locaux, le Parti communiste était légitime à représenter le Front de Gauche dans la grande majorité des circonscriptions. Le PG souffre, pour sa part, d’une implantation beaucoup plus faible et d’une jeunesse qui le prive de bastions.

Le Parti communiste en déclin

Mais la direction communiste a, elle aussi, de sérieuses raisons d’être mécontente de ce premier tour. En dépit de la bonne performance de Mélenchon le 22 avril, le PCF va voir le nombre de ses députés diminuer alors même que la gauche s’apprête à retrouver la majorité à l’Assemblée nationale. L’Humanité se plaint amèrement de « l’effet bipolarisation ».

Beaucoup de députés communistes (ou apparentés) sortants ont été devancés dimanche par les candidats soutenus par le PS (ce qui signe normalement leur élimination en vertu de la « discipline républicaine » à gauche). C’est le cas de Jean-Pierre Brard ou encore de Patrick Braouezec en Seine-Saint-Denis. Dans les Hauts-de-Seine, les deux circonscriptions communistes ont vu le PS arriver en tête. Même cas de figure dans un autre département de vieille implantation communiste, en Seine-Maritime, qui perdra ses deux députés PCF.

Au total, seule une dizaine de candidats du Front de Gauche devraient devenir députés le 17 juin contre 21 dans l’Assemblée sortante. Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a déjà fait ses calculs et demandé un nouvel abaissement du nombre minimal d’élus nécessaires à la constitution d’une groupe (15 aujourd’hui).

Des perspectives stratégiques différentes

Dans le malheur, beaucoup de couples se disputent et finissent parfois par se séparer. C’est ce qui menace aujourd’hui le Front de Gauche. Cette alliance originale – qui a eu le mérite de revigorer les militants communistes et aussi d’attirer une nouvelle génération à l’engagement politique – va être soumise à rude épreuve.

Chacun sait que les perspectives stratégiques du PG et du PCF n’étaient pas identiques. Le premier a clairement annoncé qu’il n’entendait pas participer au gouvernement alors que les dirigeants communistes ont indiqué qu’ils se décideraient après le scrutin législatif.

Leur affaiblissement parlementaire et la perspective, désormais probable, d’une majorité absolue du PS et de ses satellites à l’Assemblée nationale compliquent encore la définition d’une ligne commune. Il sera difficile, pour le Front de Gauche, de peser sur le gouvernement dans une Assemblée où leurs votes ne seront pas décisifs. Et il sera plus périlleux encore d’opter pour une stratégie du recours misant sur l’échec de la présidence Hollande.

Le Front de Gauche pèsera institutionnellement moins que des écologistes qui, par la grâce d’une entente avec le PS, devraient envoyer de 16 à 18 des leurs au Palais-Bourbon. Mais les socialistes auraient tort de l’enterrer. La bataille présidentielle a prouvé l’existence d’une sensibilité répandue dans le pays à la gauche du PS. La démarche du Front de Gauche a intéressé nombre de syndicalistes. Sa survie suppose néanmoins que ses dirigeants aient le courage d’une analyse lucide de leurs échecs.

* Eric Dupin est journaliste

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