Génération précaire
Par Guy Van Sinoy le Mercredi, 28 Septembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Il y a quelques semaines, le magazine Références, un magazine en ligne et édition papier spécialisé en offres d'emploi pour jeunes cadres dynamiques, a publié un long article: "A l'origine de la révolution égyptienne: un marché du travail bouché". On y apprend notamment que 75% des jeunes Egyptien-ne-s ont une formation supérieure, secondaire supérieure ou professionnelle supérieure.

Une jeunesse instruite combinée avec un chômage de masse ne peut conduire qu'à une situation explosive sur le plan social, concluait ce magazine qui consacre habituellement peu d'espace aux révoltes sociales. Et chez nous?

Génération mille euros

L'hebdo Moustique a publié, début mai, un dossier consacré à la génération des moins de 30 ans qui, en Europe, collectionnent les contrats précaires. Ils et elles ont en commun un diplôme ou un métier et une solide expérience de la débrouille.

Parmi les jeunes interviewé-e-s, l’une est traductrice et cherche un emploi stable après avoir collectionné les petits boulots pendant trois ans : un stage d’attente, un intérim de réceptionniste pendant deux mois, suivi de quelques mois de chômage, quelques intérims comme hôtesse d’accueil au Heysel pour le Salon des Vacances ou pour Batibouw, quelques cours particuliers, un boulot au noir dans l’horeca quelques heures pas jour, y compris les week-ends. L’autre est informaticien et multiplie les stages et les contrats de quelques mois dans des petites boîtes qui font de la sous-traitance.

On les appelle la « génération des 800 euros » en Grèce, « generazione 1.000 euros » en Italie, les « mileuristas » en Espagne. 50 euros, puis 50 euros, puis encore 50 euros : c’est la course chaque mois pour rassembler l’argent du loyer et vivre au quotidien. Difficile de faire des projets dans ces conditions.

Une donnée universelle

La précarité de l’emploi chez les moins de 30 ans est aujourd’hui une donnée universelle. Aux Etats-Unis où chaque année de 7.000 à 8.000 étudiant-e-s effectuent un stage à temps plein chez Disney World, où ils composent plus de la moitié du personnel. Au Portugal où 296.000 travailleurs/euses cumulent deux emplois ou plus pour joindre les deux bouts. En Croatie où le taux de chômage atteint 30,7% chez les jeunes (35% chez les jeunes femmes) et où 30% des employeurs ne proposent que des « stages » en lieu et place de contrats. En Grande-Bretagne où la politique néolibérale initiée par Tony Blair de 1997 à 2007 a engendré un vaste « précariat ».

La précarité des conditions de travail chez les moins de 30 ans et l’atomisation de cette main-d’œuvre bon marché engendrent des difficultés majeures pour s’organiser dans les syndicats et se battre contre la surexploitation. Certes, il y a parfois des victoires partielles, comme celle remportée par Keri Hudson, une des premières stagiaires au Royaume-Uni à avoir obtenu en justice la reconnaissance de son statut de salariée. Mais c’est une goutte d’eau dans l’océan.

De la surexploitation à la révolte

Le mouvement impétueux des « Indigné-e-s » espagnol-e-s qui occupent massivement l’espace public depuis plusieurs semaines est la première manifestation de révolte globale impulsée par ces dizaines de milliers de jeunes précaires pour dénoncer la surexploitation. Il n’est pas exclu que ce mouvement fasse tache d’huile à l’échelle internationale car la situation générale des jeunes sur le marché de l’emploi est catastrophique.

Bien sûr, l'alliance entre cette lutte et celles de la masse des salarié-e-s qui ont un contrat et sont organisé-e-s dans des syndicats traditionnels dont les directions capitulent souvent, reste à concrétiser davantage. Mais le mouvement des « indigné-e-s » est d’ores et déjà un épisode marquant que les jeunes précaires sont en train de marquer dans la longue lutte des exploité-e-s de par le monde.

De la révolte à la révolution ?

N’oublions pas que l’étincelle qui a embrasé la Tunisie est partie du suicide par le feu d’un jeune précaire harcelé par la police et qui était réduit à vendre à la sauvette, dans la rue, pour échapper à la misère. Que cette étincelle a mis le feu une grande partie de la population excédée par l’arrogance d’un régime despotique et maffieux. Que la masse des travailleurs/euses organisé-e-s dans l’UGTT s’est révoltée contre ses propres dirigeants corrompus et a pris sa propre destinée en mains pour abattre le régime.

Bien sûr, il faut éviter les raccourcis simplistes. La surexploitation ne mène pas automatiquement à la révolte et celle-ci ne mène pas spontanément à la révolution. Et même lorsqu’elle éclate, la révolution ne mène pas nécessairement au renversement du capitalisme. Mais comme disait Lénine, une lutte de masse victorieuse pèse plus que dix tomes de théorie. De ce point de vue, cette jeunesse qui entre en révolte de par le monde vient d’ouvrir un nouvel épisode marquant de la lutte anticapitaliste.

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