Sur les grèves des gardiens de prisons
Par David Maertens le Mercredi, 17 Août 2011 PDF Imprimer Envoyer

Les prisons ne sortent presque plus de l’actualité : tantôt ce sont des évasions spectaculaires avec prise d’otages, tantôt la surpopulation et les conditions de détention épouvantables, tantôt les grèves du personnel de surveillance qui font la une de la presse écrite ou audiovisuelle. Dernièrement celles-ci se répètent régulièrement et dans tous le pays. Quels facteurs expliquent ce malaise permanent et, semble-t-il, croissant du personnel ?

Paradoxalement, en ce qui concerne le statut des agents de surveillance il est difficile de contester que ceux-ci ont obtenu ces dernières années une revalorisation statutaire dont aucune autre profession n’a bénéficiée. En Belgique les agents pénitentiaires étaient des agents recrutés au niveau D (niveau le plus bas des agents de l’Etat, qui ne nécessite pas de diplôme). Depuis le 1er novembre 2009, tous les agents sont passés collectivement au niveau C, sans exigence de réussite d’un examen de promotion. C’est unique dans l’histoire des services publics. Cette revalorisation salariale se combine avec d’autres « avantages » : l’intégration de certaines primes au salaire, la fin de carrière à 55 ans, etc. Depuis novembre 2009 les nouveaux recrutements se font donc au niveau C. Une conséquence inattendue de cette revalorisation semble se manifester : il devient de plus en plus difficile de recruter des agents pénitentiaires car sur le marché du travail, les personnes disposant de diplômes donnant accès au niveau C ne souhaitent pas  devenir « gardien de prison » et ne posent pas leur candidature.

Les avancées statutaires n’ont pas fait disparaître le malaise. La grande majorité des prisons est confrontée à un absentéisme important, au point qu’une blague circule dans le milieu pénitentiaire : quelle est la différence entre un établissement pénitentiaire et un paquet de poudre à lessiver ? Dans la poudre à lessiver il y a au moins un agent actif ! Cet humour grinçant, mais, plus encore, ce taux d’absentéisme véridique révèlent l’ampleur du malaise effectif. Ce qui ne manque pas de poser la question de fond : le malaise du personnel, n’est-ce pas le malaise de la prison elle-même ? Est-il possible d’être « à son aise » dans une prison, tant comme détenu que comme travailleur ? Ne serait-il pas très inquiétant d’être « en paix » avec la prison ? Il faudra revenir à ces questions essentielles du rôle de la prison et donc du rôle que l’on fait assumer à ceux qui y travaillent.

Mais d’abord reprenons quelques facteurs concrets de stress et de difficultés. La surpopulation des prisons est aussi désastreuse que scandaleuse. Les agents pénitentiaires doivent chaque jour enfermer des hommes et des femmes dans des conditions inhumaines et dégradantes. Ou bien ça vous ronge ou bien vous vous blindez. Les deux tentatives de solution peuvent conduire au désastre. Autre stress au quotidien : ouvrir seul une cellule où se trouvent trois détenus. Le rapport de forces semble déséquilibré. Et en prison tout se vit en termes de rapports de force. Pourtant avec 11000 détenus et plus de 9000 surveillants en Belgique, l’écart est nettement plus réduit que dans d’autres pays européens où la proportion est d’un agent pour 3 ou 4 détenus.

Les prisons ne sont pas une priorité pour les politiques, en tout cas leur entretien. De nombreux bâtiments sont dans un état lamentable, voire insalubre. Rats, cafards, cuisine fermée par l’agence pour la sécurité alimentaire en raison du manque d’hygiène : rien n’est épargné. Les ascenseurs de la maison d’arrêt de Lantin, tour de 8 étages, ne peuvent plus être utilisés parce que le bâtiment, construit au coût le plus bas bouge sur ses fondations. Pour les préaux, les visites, les avocats, l’accès à l’infirmerie ou n’importe quel mouvement, il faut passer par l’escalier. Les repas, servis dans des chariots chauffants, doivent être montés par l’escalier sur 8 étages. Au XXième siècle !

Tout ce contexte  en dit long sur les conditions de vie et de travail. Mais il faut regarder les choses en face. Certaines grèves et certains mouvements portent des revendications qu’en mai 68 et dans les années suivantes, qui ont vu la création de comités d’action de détenus et de groupes de soutien aux prisonniers, on n’hésitait pas à qualifier de fachos. En tout cas, appelons les ultra-réactionnaires. Des grèves et actions pour des sanctions disciplinaires plus sévères à l’encontre des détenus, contre la sortie du cachot avant 9 jours, parce qu’il y a « trop d’activités » pour les détenus, etc. Et malheureusement si souvent des réactions corporatistes de premier degré sur les questions de la sacro-sainte sécurité.

Il n’y a pas de place ici pour faire de longs développements. On ne peut qu’énumérer certains points qui méritent une réflexion bien plus approfondie. Mais quand-même ceci : si l’augmentation des prises d’otage en prison démontre quelque chose, c’est la faillite de la politique de sécurité ! Allons plus loin. Plus on revendique et plus on installe d’obstacles matériels et technologiques aux évasions, plus on augmente l’insécurité du personnel. Si la surabondance de barbelés, de concertinas (spirales de barbelés-lames de rasoir), de système de détection à fibre optique, de caméras, de radars au sol dans les chemins de ronde rend tout espoir vain de passer au travers de cette jungle sécuritaire, le détenu poussé à bout qui veut s’évader n’a pour seule issue que la prise d’otage. La vraie sécurité c’est de laisser l’espoir de pouvoir s’évader  « comme au bon vieux temps » en escaladant le mur d’enceinte à l’aide de draps noués !

Mais plus le régime de détention est inhumain (les activités réduites à rien, la discipline intempestive et harcelante, les sanctions injustes et humiliantes) et le système technique de sécurité omniprésent, en un mot, plus la prison est violente, plus il y aura de violence à l’encontre du personnel aussi. Et moins il y aura de sécurité. On en revient au sens fondamental de la prison évoqué plus haut. Dans une institution d’enfermement, c’est-à-dire au cœur d’une violence institutionnelle de grande intensité, il ne peut pas ne pas y avoir de malaise. La seule arme pour le faire diminuer, c’est d’y introduire une logique de désenfermement, d’ouverture,… de liberté !

Voir ci-dessus