La Belgique ne maîtrise ni sa dette, ni son déficit
Par Olivier Bonfond le Mercredi, 04 Mai 2011 PDF Imprimer Envoyer

Certains discours affirment que la Belgique serait aujourd’hui dans une situation bien meilleure que les pays les plus fragilisés comme l’Irlande, la Grèce, l’Islande ou le Portugal et qu’elle serait à l’abri d’une attaque spéculative sur sa dette publique. Est-ce si sûr ? A l’instar de nombreux pays capitalistes développés, les déficits publics et la dette publique belge ont très fortement augmenté suite à la crise capitaliste internationale qui a explosé en 2008.

Du discours rassurant…

La dette belge est ainsi passée de 84,2% du produit intérieur brut (PIB) en 2007 à 89,6% en 2008, 96,2% en 2009, 97,2% en 2010, et celle-ci devrait se rapprocher très fort des 100 % du PIB en 2011. En valeur absolue la dette publique belge a augmenté de 44.1 milliards d’euros, passant de 282.1 milliards d’euros en 2007 à 326.3 milliards d’euros en 2009.

Rappelons d’abord que sur ces 44 milliards d’augmentation, plus de 20 milliards proviennent du sauvetage financier réalisé par les pouvoirs publics belges en 2008-2009. En effet, fin 2008, en Belgique, trois grandes banques (Fortis, Dexia et KBC) et un assureur (Ethias) ont subi de plein fouet la crise financière internationale. Pour leur venir en aide, le gouvernement Leterme a injecté dans ces banques un montant de 20,64 milliards d'euros. Comment ont-ils financé cette opération de sauvetage ? En émettant de nouveaux titres de la dette publique.

Mais alors que le niveau d’endettement des autres pays en difficultés a explosé, la Belgique aurait réussi à maîtriser rapidement l’augmentation de sa dette et ferait donc partie des « bons élèves ».

En ce qui concerne les déficits, le discours est le même. Pour rappel, la limite fixée par l’Europe est un déficit de 3% du PIB. Suite à la crise financière, presque tous les pays ont dépassé ce seuil. Sous pression des marchés financiers et des agences de notation qui agitent la menace d’une dégradation de leur note, les gouvernements européens se sont engagés à revenir à un niveau raisonnable pour 2015 en mettant en place des budgets d’austérité. La Belgique, dans son dernier Programme de Stabilité 2009-2012, s’est engagée à revenir progressivement vers l’équilibre budgétaire à l’horizon 2015, tout en atteignant un déficit de 3% du PIB dès 2012.

Alors que l’Allemagne et les Pays-Bas ont vu leur déficit public se détériorer en 2010 par rapport à 2009, le déficit public belge s’est amélioré de 1,2%, passant de 6% en 2009 à 4,8% en 2010. Ces chiffres permettent au gouvernement belge d’affirmer que la Belgique a commencé la consolidation de ses finances publiques plus tôt que la plupart des autres pays de la zone euro. La situation belge serait sous contrôle.

…à l’inquiétante réalité

Il convient de rester très prudent quant aux perspectives d’endettement à moyen terme de l’Etat belge.

Premièrement, il ne faut pas oublier que la Belgique partait d’un niveau de dette plus élevé que la moyenne européenne.

Deuxièmement, cette augmentation « maîtrisée » pour la période 2011-2015 s’exprime en proportion du PIB. Or l’hypothèse sur laquelle est construit le scénario gouvernemental est que la croissance économique est revenue. Selon les prévisions de l’OCDE, la croissance économique de la Belgique serait de l’ordre de 1.8% en 2011, soit une croissance supérieure à la moyenne européenne (1). Pourtant, pour bon nombre d’économistes, le retour d’une nouvelle crise et d’un retour à une récession économique est loin d’être improbable, notamment parce que le secteur financier belge est loin d’être assaini et que, dans le cadre d’un système bancaire international fortement interconnecté, des tensions ou déstabilisations dans d’autres pays ne manqueront pas de toucher l’économie belge. Dans le cas où le PIB belge augmenterait moins que prévu voire diminuerait, cela entraînerait automatiquement, même dans le cas d’une politique d’austérité budgétaire, une forte augmentation des déficits publics et donc du niveau d’endettement.

Troisièmement, il ne faut pas écarter l’hypothèse d’une nouvelle crise financière pour le secteur financier belge. Cela aurait des conséquences énormes sur les finances publiques, impliquant éventuellement un nouveau plan de sauvetage nécessitant des nouveaux emprunts de plusieurs milliards. Sans oublier non plus qu’en plus de ses apports en argent frais, les pouvoirs publics ont accordé aux banques différents types de garanties  pour un montant non pas de 25 milliards d’euros comme l’on a souvent entendu dans les médias mais de 68 milliards d'euros (2). Jusqu’à présent non mises en œuvre et donc non enregistrées dans les dépenses de l’Etat, ces garanties sont toujours d’actualité et pourraient refaire surface.

Quatrièmement, début 2011, les trois grandes agences de notation (Standard & Poors, Moody’s et Fitch) ont fait savoir au gouvernement belge qu’une dégradation de la note belge pourrait se confirmer, notamment si un gouvernement ne se crée pas rapidement, ou si les protestations sociales se multiplient. Ces protestations sociales, pourtant absolument légitimes, ont l’art de rendre les marchés financiers « nerveux », c'est-à-dire prêts à utiliser tous les outils dont ils disposent (dégradation de la note, menace des fuites de capitaux ou délocalisations, attaques spéculatives sur la dette, ..) pour que leurs profits ne soient pas menacés.  Pour rappel, plus la note d’un pays est faible, plus les taux d’intérêt sur ses emprunts futurs augmentent…

Bref, sous des apparentes « bonnes nouvelles », la Belgique ne maîtrise rien du tout. Au contraire, elle reste fortement soumise aux pressions des créanciers et des menaces sérieuses pèsent quant à une augmentation  supplémentaire très forte son endettement.

Depuis maintenant 30 ans, la Belgique a mis en place des politiques fiscales et budgétaires visant en priorité à satisfaire les intérêts des capitalistes. D’une part, en s’endettant et en rémunérant les créanciers avec des hauts taux d’intérêt : entre 1982 et 2007, c’est plus de 500 milliards d’euros que les pouvoirs publics belges ont payé aux créanciers uniquement en intérêts de la dette (2) . D’autre part, en privilégiant des politiques fiscales en faveur des riches qui amputent les recettes publiques et empêchent l’Etat d’assumer ses obligations, à savoir améliorer les conditions de vie de sa population en concrétisant des politiques socialement utiles et respectueuses de la nature. Doit-on rappeler que 50 grandes sociétés belges ont payé en 2009, via les différentes déductions fiscales existantes, un impôt moyen de 0.57% et non de 33,99%, taux officiel de l’impôt des sociétés, grevant les recettes publiques de pas moins de 14.3 milliards d’euros. (3)

Il faut en finir avec le chantage de la dette publique et affirmer que son annulation est non seulement possible et souhaitable, mais qu’elle doit s’imposer comme une urgence sociale et un choix politique. La très grande majorité des créanciers étant des grandes institutions financières, une annulation de la dette publique belge ne serait pas préjudiciable aux travailleurs et aux personnes à faible. Au contraire, elle serait doublement bénéfique : faire payer les responsables de la crise et libérer des ressources pour améliorer le bien-être de la population.

1) Les garanties d'Etat désignent une série de mécanismes par lesquels les pouvoirs publics belges se portent garants des engagements des banques du Royaume.

2) Source:   Site de la banque nationale de Belgique :

http://www.nbb.be/belgostat/PresentationLinker?TableId=756000042&Lang=F

3) http://frerealbert.be/fiscalite/impt-des-socits/50-socits-143-milliards-de-ristournes-fiscales/

Voir ci-dessus