Accord interprofessionnel (AIP) : Des mobilisations syndicales sans lendemain ?
Par Denis Horman le Lundi, 21 Mars 2011 PDF Imprimer Envoyer

Après le rejet du projet d’Accord interprofessionnel (secteur privé) par la FGTB (75% des votes), le syndicat libéral, CGSLB (55% des votes) et son acceptation par la CSC (68% des votes, les centrales des employé-e-s, CNE/LBC, votant contre), le gouvernement Leterme (Libéraux, chrétiens et socialistes) a imposé un AIP 2011-2012, légèrement relooké.

La présidente de l’Union des classes moyennes UCM, se faisant l’écho du monde patronal, a déclaré « Une vraie réussite ! L’AIP n’impose aucune charge nouvelle aux entreprises : ni fiscale, ni parafiscale, ni administrative, ni en matière de formation. Il maintient toutes les déductions, aide à l’embauche et à l’emploi existantes ». Et elle ajoute : « dans les années 70, la négociation de l’accord interprofessionnel se limitait à l’examen d’une liste de revendications syndicales. Les temps ont bien changé. Les besoins des entreprises sont prises en compte » (1).

Les raisons du rejet de l’AIP (2)

Le préaccord entre patrons et directions syndicales, puis l’AIP « relooké » par le gouvernement ont suscité de larges mobilisations, à l’initiative de la FGTB.

Le gouvernement «  en affaires courantes » a confirmé un des points les plus « explosifs » du préaccord qui, faut-il le rappeler, avait été signé par les négociateurs syndicaux : l’imposition d’une marge salariale scandaleuse de 0,3% d’augmentation en …2012, alors que les 20 principales sociétés établies en Belgique (Bell 20) ont engrangé, au total pour 2010, plus de 17 milliards d’euros de bénéfices, soit 37,4% de plus qu’en 2009. « Cette augmentation de 0,3%, cela représente trois pains par mois, à condition de gagner 2000 euros nets par mois »(3). Et, pour le gouvernement, cette norme salariale reste impérative : pas de liberté de négocier dans les secteurs ou les entreprises qui se portent très bien.

Le gouvernement a fait un geste pour le salaire minimum interprofessionnel garanti : une augmentation de 10 euros net par mois (donc sans contribution à la sécurité sociale) et financée, non par le patronat, mais par une réduction d’impôt (cela en moins pour le budget de l’Etat !).

Oubliée l’harmonisation des statuts ouvriers-employés ! Le gouvernement a opéré un léger correctif au préaccord initial : faible hausse de la durée du préavis pour les ouvriers et adoucissement de la réduction du préavis des employés. Avec en toile de fond le feu vert au chômage technique et aux licenciements, avec des préavis, en grande partie à charge de la sécurité sociale.

Pour être de bon compte, les directions syndicales -en particulier la CSC pour faire avaler l’AIP- ont souligné l’adaptation des allocations sociales au bien-être : des augmentations qui iront de 0,70% à 2% ! Une aumône, et encore, pour certaines, il faudra attendre 2012. Et on a préservé l’indexation des salaires. Jusque -à quand ?

Mobilisations syndicales : force, faiblesse, obstacles

Les négociations patronat-syndicats pour un Accord interprofessionnel de deux ans dans le privé mettent en lumière la solidarité et la mobilisation syndicale interprofessionnelle pour revendiquer et imposer, pour tous les travailleurs et travailleuses du secteur privé, ainsi que pour les allocataires sociaux, des revendications qui ne pourraient être obtenues, surtout dans les entreprises où l’organisation syndicale est quasi absente ou trop faible. Ce socle de revendications est un minimum légitime et indispensable. Rappelons, qu’aujourd’hui, les 3/4/ des travailleur(euse)s gagnent moins de 1600 euros nets par mois. Aujourd’hui, travailler au salaire minimum, c’est avoir 1150 euros net par mois. Plus de 100 000 travailleurs sont à ce niveau-là. Et environ 400 000 sont à peine plus haut (4). De même, 60% des pensions légales sont inférieures à 1000 euros brut par mois.

En l’absence d’un cahier de revendication précis, chiffré, élaboré et débattu largement dans les structures syndicales, les instances syndicales sont venues à la table de négociations, sans mandat précis, dans une attitude déjà défensive. «Sans doute, depuis le milieu des années 1980, le patronat présentait-il déjà des demandes de limitation de l’indexation, de modération salariale et de transfert vers l’Etat des coûts résultant des accords. L’accord proposé à présent va plus loin. Il est ressenti par la base syndicale comme un compromis à partir des seules revendications patronales » (5).

La journée de mobilisation nationale du 4 mars, précédée de mobilisations et grèves tournantes dans les régions, fut globalement un succès qui traduit bien la montée du ras-le-bol et de la colère sociale. Elle illustre bien ce potentiel syndical, même s’il fut fortement limité par la division entre la CSC et la FGTB, et au sein même de la FGTB, avec l’attitude passive de la CGSP, et l’absence de mot d’ordre officiel de grève de 24 heures par la direction nationale de la FGTB.

Lors de la discussion et la décision gouvernementale sur l’AIP, les medias attiraient notre attention sur les contacts discrets, respectivement entre la ministre CDH de l’Emploi, Joêle Milquet et la direction de la CSC, ainsi que Laurette Onkelinckx, ministre PS des Affaires sociales, avec la direction de la FGTB pour en appeler au sens des responsabilités et à la paix sociale. Comme le rappelait encore dernièrement le président du Parti socialiste, Elio Di Ruppo : « On doit dire aux gens : il faut de la rigueur » (6).

Lutter pour gagner

Les mobilisations contre l’AIP laissent un goût amer. Une fois de plus, nombreux sont les travailleurs, les syndicalistes qui se sentent floués.

Et l’offensive continue. « Aujourd’hui », comme le soulignent d’ailleurs les directions syndicales, tant CSC qu’FGTB, « c’est l’Europe des banquiers, des patrons et des actionnaires, qui organise le recul social, chez nous et partout ». En se taisant toutefois sur le rôle des gouvernements de « gauche » comme de droite, qui légifèrent sur ces plans d’austérité.

« Nous ne nous contenterons plus de manifestations-promenades et de grèves d’avertissement sans lendemains » ; C’est ce que disent aujourd’hui de plus en plus de travailleurs, de syndicalistes (7).

Construisons la solidarité et l’unité syndicale à la base pour imposer aux sommets syndicaux une plate-forme de lutte en front commun syndical interprofessionnel, pour créer un rapport de force à la hauteur des enjeux, pour aller jusqu’au bout, jusqu’à la grève générale, à partir d’un plan d’action offensif.

(1) Union et action, Magazine de l’UCM, n°26, 21 janvier 2011.

(2) Site de la LCR (www.lcr-lagauche.be): articles sur l’AIP.

(3) Syndicats, n°5, 11 mars 2011. Point de vue, FGTB Centrale Générale.

(4) Thierry Bodson, sec. Général de la FGTB Wallonne, in La Meuse, 1/3/2011.

(5) Mateo Alaluf, Accord interprofessionnel : la concertation sociale au tournant, in revue Politique.

(6) Le Soir, 11 mars 2011.

(7) Appel à la résistance sociale : www.resistancesociale.be

Voir ci-dessus