Accord interprofessionnel: La loi de la rue contre la rue de la Loi
Par Denis Horman le Mercredi, 02 Mars 2011 PDF Imprimer Envoyer

Suite au rejet du projet d’accord interprofessionnel par la FGTB, Anne Demelenne,  secrétaire générale du syndicat socialiste, mettait en garde le gouvernement Leterme : « Je rappelle quand même que 52% des travailleur-euse-s au total (75% à la FGTB, 55% au syndicat libéral, 30% à la CSC, ndlr) ont rejeté l’accord interprofessionnel. Va-t-on les entendre ? ».

Le gouvernement en « affaires courantes »- libéraux, chrétiens et socialistes- a tranché. Il impose un AIP 2011-2012, légèrement relooké. Et cela, sans faire payer aux employeurs les quelques chiches améliorations cosmétiques. C’est la collectivité, via la sécurité sociale et/ou la diminution des rentrées fiscales, qui doit en supporter les coûts.

Contre le patronat et le gouvernement à son service, ce sont les mobilisations sociales, dans l’unité syndicale, ouvriers et employés, des secteurs privé et public qui peuvent faire barrage aux plans d’austérité et imposer les légitimes revendications du monde du travail

Un gouvernement et des partis traditionnels à la botte du patronat

Ainsi, le Conseil des ministres a décidé de mettre en application l’accord interprofessionnel, légèrement relooké. « Toute personne qui regarde cela avec bon sens arrivera à la conclusion que nous avons pris une bonne décision », a déclaré le Premier ministre, Yves Leterme. Jugez-en !

  • Maintien de la norme salariale. Le gouvernement confirme et décrète le blocage des salaires pour 2011, autorisant les travailleur-euse-s à négocier, dans le cadre de conventions sectorielles, une aumône de 0,3% d’augmentation pour 2012.
  • Un geste pour le salaire minimum interprofessionnel garanti qui tourne actuellement autour de 1250 euros net. Ce geste se concrétise par une augmentation de 10 euros net par mois, sans coût supplémentaire pour les entreprises. Celle-ci est financée  par l’Etat, c’est-à-dire la collectivité, au moyen d’une réduction d’impôt. Pas de chances pour les jeunes travailleurs de moins de 22 ans. Ils ne pourront même pas bénéficier de cette aumône.
  • Un supplément d’âme (!) pour les allocataires sociaux (pensionnés, chômeurs, invalides, accidentés du travail). L’enveloppe de 500 millions d’euros pour la liaison au bien-être des allocations sociales (bien-être tout relatif : les augmentations iront de 0,70% à 2% !) sera entièrement dépensée : 60% en 2011 et 40% en 2012. Cette 2ème tranche de 40% était initialement gelée. Mais c’est le Conseil national du Travail (organe paritaire patronat-syndicats) qui décidera de l’affectation de ces 40%.
  • Quelques modifications dans l’harmonisation (par le bas !) du statut ouvrier-employé : faible hausse de la durée du préavis pour les ouvriers et moins grand rabotage de la durée de préavis pour les employés.
  • Feu vert aux licenciements et au chômage technique : Avec des préavis dont les coûts devront être en grande partie à charge de la sécurité sociale. Pour les ouvriers et employés gagnant moins de 61. 071 euros brut/an, le revenu des deux premières semaines de préavis sera exonéré  d’impôt. Une façon de relever les primes de licenciement, à charge de la collectivité ! Le chômage technique chez les employés sera définitivement autorisé, largement  à charge de la sécurité sociale. C’est déjà le cas pour les ouvriers.

Salaires bloqués, actionnaires gavés

Le gouvernement a le culot d’imposer une marge salariale de 0,3%, alors que les 20 principales sociétés établies en Belgique (Bell 20) ont engrangé, au total pour 2010, plus de 17 milliards d’euros de bénéfices, soit 37,4% de plus qu’en 2009.

Cette explosion des bénéfices se marque dans les principaux secteurs de l’économie. Les « majors » du pétrole (Exxon Mobil, Shell, Total, Texaco, BP) déclarent, pour 2010, un total de 80 milliards de dollars  de bénéfices nets, soit 14% de plus qu’en 2009.

Le secteur bancaire en Belgique n’est pas en reste.  Après une perte globale de 499 millions d’euros pour 2009, c’est le retour aux bénéfices, avec 3,6 milliards d’euros.

Pour en revenir au Bell 20, le brasseur AB Inbev a gagné, en 2010, près de 22% de plus qu’en 2009; GDF-Suez a progressé de 13% sur la même période ; Bekaert a fait un bond de 122%, Umicore de 87%. Et Arcelor Mittal ? Début février, la multinationale annonçait à son tour un bénéfice net de 2,9 milliards de dollars pour 2010, soit une augmentation de 118 millions par rapport à 2009. Et sa direction a déclaré tout bonnement  qu’elle misait sur une année 2011 encore « meilleure ».

Ces marges bénéficiaires impressionnantes ne sont pas seulement liées à la surexploitation des travailleur-euse-s qui, faut-il le rappeler, sont la source de ces richesses. Nos bons gouvernements manifestent, au patronat, leur générosité et leur servilité, en lui prodiguant des cadeaux en tout genre : réduction de cotisations sociales patronales, réduction d’impôts qui frise les 0%  pour plusieurs multinationales, intérêts notionnels, etc. Ce qui représente, pour l’année 2010, plus de 15 milliards d’euros et donc un manque à gagner pour la sécurité sociale et le budget de l’Etat fédéral.

Euphoriques, les actionnaires ! Ils peuvent l’être, eux qui touchent en dividendes près de la moitié des bénéfices de plusieurs multinationales, eux dont les dividendes ont gonflé de quelque 20% sur les dix dernières années, tandis que les salaires augmentaient d’environ…1,5%.

Que le patronat, le gouvernement, la Banque nationale, le Conseil central de l’Economie…arrêtent de nous bassiner les oreilles avec leur refrain sur la compétitivité de « nos » entreprises, mise en danger soi-disant  par les augmentations, voir l’indexation des salaires. En quoi la limitation drastique du revenu des actionnaires au prorata de l’augmentation des salaires porterait-elle sur la compétitivité des entreprises, alors que ces largesses actionnariales ne contribuent en rien au développement des entreprises. Mais que font donc ces actionnaires avec leurs dividendes, cette partie de la richesse produite par les travailleur-euse-s ? Des investissements productifs, de l’emploi… ? Certes pas ! De la spéculation financière, des placements dans les paradis fiscaux, un train de vie tout bonnement scandaleux…ça oui !

Alors, il n’est que juste d’arracher et de reprendre, dans les prochaines conventions sectorielles, ce qui est simplement dû aux travailleurs, en passant outre la norme salariale, en brisant la soi-disant « paix sociale ». C’est le moment de rappeler que les augmentations de salaire en brut  permettent aussi de financer les services publics, via les impôts prélevés sur les revenus du travail, mais aussi de financer la sécurité sociale, via les cotisations sociales.

Les organisations syndicales, dans les services publics, qui feignent de ne pas comprendre l’importance de l’unité d’action avec leurs collègues dans le privé, feraient bien de s’en souvenir. D’autant plus que le budget fédéral, qui doit être établi pour le 15 mars, risque de faire des dégâts considérables à la fonction publique : après les postiers et les fonctionnaires des administrations publiques, largement attaqués, les enseignant risquent  également d’être sévèrement touchés.

Grèves, plan d’action, opération « vérité »…

« Bart, Albert, Yves, Elio…Ils sont contre nous. Alors, on lutte ! » C’est le titre d’un tract que la LCR distribue largement en solidarité avec les travailleurs en lutte.

Il est urgent que les syndicats retournent à leur vraie place, dans la rue, en front commun, ouvriers et employés, avec ou sans emploi, du privé et du public, de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre.

Le combat contre l’accord interprofessionnel est une première étape dans cette lutte d’ensemble. Un test aussi des rapports de force entre syndicats, patronat et gouvernement, à la veille d’autres attaques plus violentes contre l’indexation des salaires, la sécurité sociale, les services publics, les revenus des salarié-e-s, l’emploi...

La journée nationale interprofessionnelle d’action et de grèves, lancée par la FGTB, le vendredi 4 mars, sera une précieuse indication de la construction de ce rapport de force en faveur du monde du travail.

Les militant-e-s du mouvement syndical ont une responsabilité centrale dans  l’élaboration, la mise en œuvre et la poursuite d’un large plan d’actions, sur base d’un programme offensif d’urgence sociale et ralliant l’ensemble des travailleurs du pays.

En ce sens, nous saluons la campagne interprofessionnelle de la FGTB wallonne : « Renforcer la sécu », « Un meilleur pouvoir d’achat », « 32h/semaine = un emploi pour chacun », « Renforcer les services publics », « Qui doit payer ». Campagne destinée à faire vivre, diffuser et populariser les revendications du dernier congrès de la FGTB wallonne. Puisse-t-elle être prise en charge par l’ensemble des délégué-e-s, faire l’objet d’une vaste « opération vérité » impliquant les mouvements sociaux, suscitant de larges débats, interpellant les organisations politiques et débouchant sur des mobilisations sociales.

Voir ci-dessus