FIAT-Italie : le « plan Marchionne », modèle de la contre-réforme du droit du travail en Europe
Par Alvaro Rein, Gorka Larrabeiti le Mercredi, 19 Janvier 2011 PDF Imprimer Envoyer

L'offensive capitaliste qui s'est déclenchée dans toute l'Europe afin de faire payer la crise aux travailleurs/euses s'attaque frontalement aux services publics, à l'enseignement, aux pensions, aux salaires et au pouvoir d'achat de la majorité sociale. Mais elle vise également les droits sociaux conquis par le mouvement ouvrier, en « réformant » en profondeur la législation du travail afin d'affaibir la capacité de la classe ouvrière à défendre collectivement ses intérêts. En Grèce, en Italie et dans l'État espagnol, les négociations et les conventions collectives sont ainsi directement remises en cause dans les mesures d'austérité ou par le chantage patronal. Dans cet article, Alvaro Rein revient en détail sur cet aspect avec le « plan Marchionne », patron de FIAT, qui risque de « faire école » comme l'a affirmé avec enthousiasme le ministre du travail de Berlusconi, et pas seulement en Italie. (LCR-Web)

« Les droits reposent avant tout sur des devoirs. Nous sommes habitués à exiger seulement des droits et nous ne nous souvenons jamais de nos devoirs. D'un point de vue éthique et moral, je crois que la hiérarchie entre ces deux concepts est importante. Lorsque l'on parle des droits dans ce pays, on créé une énorme confusion. Soyons francs ; les droits doivent reposer avant tout sur les devoirs » (Sergio Marchionne, patron de FIAT)

Le capitalisme est toujours sorti de ses crises avec de profonds changements qui redessinent les rapports de force entre la classe ouvrière et le capital, des changements qui, en général, ont toujours été favorables au second. À mesure que le marché mondial se récupère de cette dernière « grande récession », rien n'illustre mieux cette tendance historique que les attaques radicales menées ces derniers mois en Europe contre le cadre existant des négociations collectives.

En Espagne, tout le monde sait à quoi s'attendre avec la réforme des conventions collectives du travail imposée par le gouvernement « socialiste ». Mais on sait sans doute moins que la récente mesure imposée par le triumvirat Commission européenne-FMI-Banque centrale européenne d'une réforme radicale des conventions colletives en Grèce — qui permet pratiquement, entre autres, aux entreprises d'adhérer ou non de manière volontaire aux conventions collectives alors qu'elles étaient obligées de le faire jusqu'à présent — est une des conditions mise en avant pour que le gouvernement grec continue à recevoir une aide financière.

Le « modèle » FIAT-Marchionne et l'offensive contre les négociations et les conventions collectives

En Italie l'attaque frontale contre les conventions collectives n'est pas menée par le gouvernement, mais par Sergio Marchionne, le patron italo-canadien qui dirige simultannément les entreprises FIAT et Chrysler. L'an dernier, Marchionne a conditionné les plans de nouveaux investissements dans les usines de Mirafiore (Turin) et de Pomigliano (Naples) à la signature par les syndicats de conventions d'entreprise distinctes des conventions sectorielles nationales du secteur du métal italien. Bref, une attaque en règle contre le cadre actuel des négociations collectives de la part de la principale entreprise du pays qui, comme l'a affirmé avec enthousiasme le ministre du travail de Berslusconi, promet de « faire école ». Si l'offensive de Marchionne est couronnée de succès (voir l'article ci-dessous, NdT), de nombreux analystes considèrent qu'on ne pourra éviter l'extension de cette forme de rupture des entreprises avec les conventions collectives du travail nationales, la « flexiblisation » de ces dernières, ou le fait qu'elles seront à ce point vidées de tout contenu qu'elles cesseront d'avoir le moindre sens.

Le plan de Marchionne poursuit un autre objectif, non moins important : marginaliser une fois pour toutes les « rouges » de la FIOM — Fédération du métal de la CGIL, syndicat historiquement lié à la tradition communiste —, qui, depuis quelques temps, est le syndicat qui se situe à l'avant garde et qui cause le plus de soucis au patronat italien.

Personne n'aurait pu mieux exprimer les sentiments du patronat sur ce que représente pour lui aujourd'hui la FIOM que Giampaolo Galli, le directeur général de la Cofindustria (l'association patronale italienne). Dans une interview du 30 décembre dernier au journal de la Cofindustria « Il Sole 24 Ore », Galli déclare : « Oui, la FIOM représente un problème qui nuit aux entreprises et aux travailleurs (…). Dans le secteur du métal, et surtout dans les grandes entreprises, la FIOM oppose une forte résistance à l'innovation et à la compétitivité ». Le vice-président de la Cofindustria, Alberto Bombassei, a été plus direct encore quand, dans un entretien accordé ce même 30 décembre au journal « La Repubblica » il déclare : « La FIOM a des comportements extrémistes. Ils ne savent pas ce qu'est le travail. Ils n'ont jamais travaillé. Ces messieurs vivent à une autre époque ».

Ce que ces messieurs du patronat ne nous expliquent pas, par contre, c'est pourquoi — si la FIOM fait tant de mal aux travailleurs et que ses dirigeants vivent tellement déconnectés de leur vécu — avec ses 363.000 affiliés est-elle l'organisation syndicale du métal la plus puissante d'Italie, qui compte plus de membres que les trois autres principaux syndicats du secteur mis ensemble ? Et pourquoi donc, en outre, depuis 2009, les affiliations à ce syndicat sont à nouveaux en hausse après cinq années de déclin ?

Le plan Marchionne : syndicalisme corporatiste contre syndicalisme de classe

Mais avant de poursuivre dans les conséquences collatérales pour la politique et le syndicalisme de classe en Italie du plan Marchionne, il est nécessaire de décrire un peu plus en détail le contexte. Cela fait approximativement un an que Marchionne a annoncé un plan d'avenir ambitieux pour les opérations de production automobile de FIAT en Italie, plan baptisé « L'Italie fabrique ». Ce plan consiste en une transformation de la production italienne, jusqu'à présent principalement orientée vers le marché national intérieur, en une plate-forme flexible d'exportation vers le marché extérieur et, en particulier, vers le marché nord-américain, grâce à l'alliance avec Chrysler. L'objectif du projet « L'Italie fabrique » est de dupliquer la production annuelle de véhicules FIAT en Italie jusqu'à atteindre 1,4 millions d'unités en 2014, desquels 1 million seront produits pour l'exportation.

Marchionne a promis que si les travailleurs italiens — qu'il a qualifié « d'improductifs » — démontraient une disposition à changer leur « éthique du travail » et à le suivre dans son projet de « L'Italie fabrique », il « concéderait » en échange aux usines italiennes de FIAT la production de nouveaux modèles automobiles, avec des investissements s'élevant à 20 milliards d'euros à moyen terme, garantissant l'avenir de l'emploi pour tout le secteur.

Pour mettre son projet en route, Marchionne a donc conditionné la « concession » de la production de la nouvelle FIAT-Panda à l'usine de Pomigliano (qui empocherait quelques 700 millions d'euros d'investissement) et des nouveaux modèles de Jeep et d'Alfa Romeo pour l'usine de Mirafiori (1 milliard d'investissement) à une réforme radicale des conditions de travail et des relations conventionnelles de travail dans ces deux usines.

Marchionne veut créer deux nouvelles entreprises (« newcos »: entreprise fondée ad hoc dans le but de licencier les salariés d’une usine pour ensuite les réembaucher sur base d'un nouveau contrat de travail sans pour autant respecter la convention collective de travail du secteur, NdT), avec la participation de FIAT et de Chrysler, dans les usines de Mirafiori (5.500 travailleurs) et de Pomigliano (4.600 travailleurs), qui ne seront pas affiliées à la Cofindustria. En restant en dehors de la fédération patronale, elles ne seront donc plus obligées d'accepter la convention nationale du travail du secteur du métal italien, signée entre la Cofindustria et les principales centrales syndicales du pays, ce qui leur laissera les mains libres pour développer des conventions d'entreprise maison et créer leur propre cadre de représentation syndicale dans l'entreprise.

En se constituant en dehors de la Cofindustria, les deux « newcos » se situeront également en dehors de l'accord de 1993 signé entre la fédération patronale et les principales organisations syndicales du pays qui régule le cadre de la représentation syndicale dans les entreprises. Ce cadre, connu comme le « RSU » (Représentation syndicale unitaire), repose sur l'élection d'un comité de délégués syndicaux par des travailleurs de chaque entreprise, qui est le seul légitime afin de négocier les conventions d'entreprise et de représenter les travailleurs. Les délégués RSU sont élus proportionnellement en accord avec le nombre de votes obtenus par chaque syndidat dans l'entreprise, mais en outre un tiers des délégués sont, également de manière proportionnelle, désignés parmi les candidats des syndicats signataires de la convention nationale de tout le secteur.

Le système RSU « dérange » Marchionne — il rend l'usine « ingouvernable » selon ses termes — pour deux raisons fondamentales. La première, parce qu'elle oblige la patron à négocier également avec des syndicats qui ne sont pas signataires de la convention d'entreprise. La seconde, parce qu'elle concède à ces syndicats une liberté « illimitée » d'agitation parmi les travailleurs au sein des usines contre ces accords d'entreprise.

En sortant ses deux « newcos » de la Cofindustria, la FIAT veut tout bonnement supprimer le système « RSU » pour revenir au vieux système de représentation syndicale appelé « RSA » (Représentation syndicale dans les entreprises, selon ses sigles italiens). Pour Marchionne, ce système permettra de ne concéder le droit de représentation syndicale des travailleurs qu'aux seuls syndicats qui auront signé la convention d'entreprise.

Voter pour ne plus jamais voter

Le modèle de relations du travail que Marchionne a en tête repose en grande partie sur l'accord signé avec l'United Auto Workers Union (UAW) dans les usines de Chrysler aux États-Unis, quand cette entreprise a échappé à la banqueroute et est passé sous le contrôle de FIAT qui a acheté 20% de ses actions en juillet 2009.

Dans les usines de Chrysler aux États-Unis, le système de représentation syndicale implique que le syndicat ayant le plus de votes acquiert automatiquement le monopole de la représentation des travailleurs face au patronat. Autrement dit, pour Marchionne, l'idéal est de négocier avec un seul syndicat, comme l'UAW, et qu'après la signature de l'accord, tous les travailleurs doivent se soumettre et se résigner à l'accepter sous peine de mesures disciplinaires. Rien n'illustre mieux le syndicalisme d'entreprise corporatiste que la dégénéréscence qu'à connu l'UAW et dont le principal objectif est défini par cette organisation dans les termes suivants :

« Dans le cadre d'une concurrence globale, l'unique voie qui garantit la sécurité de l'emploi est de fabriquer des produits de meilleure qualité et d'offrir les meilleurs services au meilleur prix pour le consommateur. Pour promouvoir le succès de nos employeurs, l'UAW s'engage à soutenir l'innovation, la flexibilité, les productions efficacement ajustées, les niveaux les plus élevés de qualité mondiale et la réduction continue des coûts. Au travers du travail en équipe et de la résolution créatrice des problèmes, nous construisons notre relation avec les employeurs sur base du respect, d'objectifs partagés et de la vitalité d'une mission commune »

En échange de la promesse d'éviter à Chrysler de tomber en faillite et de maintenir les niveaux d'emploi dans ses usines, Marchionne a obtenu que l'UAW s'engage à ne pas faire de grève jusqu'en 2015 et d'accepter des réductions radicales des salaires (jusqu'à 50% pour les nouveaux engagés). L'accord entre Marchionne et l'UAW fut soumis à un référendum parmi les travailleurs, qui a obtenu 80% des votes en sa faveur.

Bien qu'en Italie Marchionne a également trouvé des syndicats qui aspirent à jouer le même rôle corporatiste que l'UAW, son grand problème est l'existence d'un syndicat de lutte de classe tel que la FIOM qui, par son poids et le nombre de ses affiliés, a la capacité potentielle de dynamiter n'importe quelle tentative de cooptation des syndicats les plus collaborationnistes. Face au « problème FIOM », Marchionne a donc simplement décidé d'adopter la stratégie adéquate afin de l'isoler et de l'expulser de ses usines.

Marchionne a commencé à mettre en pratique cette stratégie en signant un accord le 15 juin 2010 avec les syndicats CISL, UIL, FISMIC et UGL de l'usine FIAT de Pomigliano (1). En résumé, les syndicats signataires de cet accord s'engagent à accepter la création d'une entreprise « newco » dans l'usine, avec une convention d'entreprise détachée de la convention nationale du métal, en échange des 700 millions d'investissement et de la production du nouveau modèle de FIAT Panda au détriment de l'usine polonaise de Tychy. Les signataires acceptent également de remplacer le système « RSU » par le « RSA ». La FIOM et le syndicat COBAS ont refusé de signer un tel accord.

Le 22 juin, FIAT a tenté de le légitimer en organisant un référendum parmi les travailleurs de Pomigliano dans lequel on leur demandait s'ils étaient disposés à abandonner « volontairement » leur convention nationale sectorielle et à adhérer par contrat individuel à la nouvelle convention d'entreprise, en échange de la garantie de nouveaux investissements et du maintien de leur poste de travail.

Nous avons ici un exemple lumineux du sens du concept de « liberté » dans l'économie de marché, dans lequel le travailleur est « libre » de choisir entre la perte de son emploi ou un accord imposé par le patron qui réduit ses droits. Pour le « marché », les travailleurs sont également « libres » de vendre leur liberté, vu qu'en acceptant le nouvel accord les travailleurs se renient eux-mêmes, ainsi que leur droit à protester ou de partir en grève et qu'ils renoncaient à leur droit d'élire démocratiquement leurs représentants, comme c'est le cas avec le système RSA. Bref, on les fait voter pour qu'ils ne votent plus jamais, comme l'a dit le secrétaire général de la FIOM, Maurizio Landini.

Malgré le fait que 62% des travailleurs consultés ont finalement voté en faveur du plan de Marchionne dans ce référendum, ce dernier à poussé de hauts cris car il espérait obtenir au moins 80% des votes en sa faveur, comme dans ses usines Chrysler aux Etats-Unis. 62%, c'est une majorité trop étroite que pour garantir la paix sociale exigée par Marchionne avant d'engager des centaines de millions d'investissement. Pendant quelques jours, les dirigeants des syndicats signataires se sont mis à trembler, craignant que, malgré leur docilité totale à l'heure de renoncer aux droits conquis par les travailleurs, Marchionne déciderait finalement de ne pas accomplir sa part de l'accord.

Mais le patron de FIAT a non seulement finalement décidé de poursuivre son plan, mais aussi de l'appliquer également le « modèle Pomigliano » à l'usine Mirafiori, en déclarant, cette fois ci de manière prudente, qu'il serait satisfait avec un résultat de 51% des votes des ouvriers de Turin. A l'encontre de ceux qui prédisaient que Pomigliano était un cas « spécial », qui ne pouvait être répété ailleurs, la FIOM a toujours maintenu avec raison que ce n'était au contraire que le début de l'extension d'un nouveau modèle.

Le 23 décembre 2010, la direction de l'usine FIAT de Mirafiori a donc signé un accord avec les syndicats CISL, UIL, FISMIC et UGL qui brise la convention nationale du métal et exclu une fois de plus le syndicalisme « rouge » représenté par la FIOM (2).

En riposte à cette agression, le 29 décembre, la Comité central de la FIOM a voté en faveur d'un préavis de grève général pour le 28 janvier dans tout le secteur du métal italien contre ce type d'accords et pour mener une campagne active en faveur du « Non » au référendum « à la Pomigliano » que la direction de FIAT prévoit de mener en janvier à Mirafiori. La FIOM a formellement déclaré que, même si le « Oui » venait à l'emporter, elle ne se considérerait pas liée à lui. Pour la FIOM cet accord est et restera illégitime, car il existe des droits auxquels on ne peut pas renoncer, qui ne peuvent être mis à la disposition de la bonne volonté patronale, indépendamment de la quantité et du résultat de référendums.

Ces propositions d'action de la direction de la FIOM ont obtenu 102 votes « pour » et zéro « contre » au sein de son Comité central, bien qu'il y eut 29 abstentions de la part de la minorité oppositionnelle dirigée par Fausto Durante, avec qui sympathise actuellement la secrétaire générale de la CGIL Susanna Camusso. La minorité représentée par Durante plaide également pour une campagne en faveur du « Non », mais défend la position qu'en cas de victoire du « Oui », la FIOM devra accepter le résultat afin de pouvoir à nouveau entrer dans les organes de représentation de l'entreprise et ainsi éviter d'« abandonner » les travailleurs, dont c'est son devoir de les défendre, quelles que soient les circonstances.

La réponse syndicale aux plans de Marchionne a creusé encore plus la division existante entre les trois principales centrales syndicales du pays. A tel point que le président de la FIOM, Cremaschi, a déclaré que les secrétaires généraux de la CISL et de l'UIL sont la « honte du syndicalisme italien » et que plusieurs autres dirigeants de la FIOM ont qualifié les syndicats signataires de l'accord de Marchionne de « syndicats jaunes ». Le numéro deux de la CISL a répliqué en disant que Cremaschi provoquait la « violence » et faisait du « terrorisme » avec ses déclarations. Ambiance...

Pour comprendre la portée des accords concoctés par Marchionne, il est utile de séparer le contenu de la convention signée avec FIAT en deux grandes parties. La première se réfère à des changements dans les conditions de travail, tandis que la seconde se rapporte à ce que les patrons aiment appeler la « gouvernance de l'entreprise », autrement dit les changements dans le cadre de la représentation/liberté syndicale et le droit de grève des travailleurs.

Comme cela sera développé plus loin, la gauche politique et syndicale italienne modérée a généralement centré ses critiques sur les changements concernant la « gouvernance » et, dans de nombreux cas, a au contraire volontier accepté les changements dans les conditions de travail. Autrement dit, dans leur mentalité réformiste et bureaucratique, il n'y a pas de problème avec le contenu de l'objectif poursuivi, mais bien seulement avec leur forme, comme si les deux pouvaient être séparés.

Mais avant d'entrer dans le débat politique suscité par l'accord au sein de la gauche italienne, il faut aborder le contenu concret de ces deux parties et le remettre dans son contexte.

L'accord Marchionne: le signification de la « flexibilité du travail »

L'objectif principal des changements introduits dans les conditions de travail par l'accord est basiquement d'augmenter la flexibilité et l'intensité des horaires de travail, plus que de réduire les coûts salariaux absolus de production. Dans la pratique, les salaires des travailleurs augmenteront probablement du fait d'un recours plus massif aux heures supplémentaires et aux équipes de nuit due à la nouvelle organisation de la production.

Comme on le sait, les coûts salariaux en général ne sont pas la principale préoccupation du patronat de l'automobile, depuis déjà pas mal de temps. L'automobile est une industrie caractérisée par de hauts niveaux de productivité du travail, d'intensivité en capital, en matériels intermédiaires, en Recherche et Développement, avec un excès de capacité de production permanent et considérable et où l'estimation la plus partagée est que les coûts salariaux ne représentent qu'autour de 15 à 20% du coût total de la production. Le fait que le premier pays constructeur automobile d'Europe soit l'Allemagne, où l'ont produit 36% des véhicules du continent, et où les travailleurs du secteur jouissent de salaires plus élevés, illustre bien cette caractéristique de ce secteur (3).

La productivité du secteur est telle qu'une augmentation de l'utilisation de la capacité productive réduit immédiatement le poid relatif des coûts salariaux en rapport avec les coûts totaux. Les chiffres souvent avancés par la presse, qui comparent la quantité de véhicules produits par annuellement avec le nombre de travailleurs afin d'établir si ces derniers sont plus ou moins « productifs » sont totalement trompeurs. La productivité dépend en réalité totalement des modèles spécifiques que l'entreprise à assigné à la production dans chaque usine et des niveaux d'utilisation de la capacité productive. Pour les patrons de l'automobile, ce qui importe plus que les coûts salariaux, c'est la capacité d'intensifier aux maximum l'utilisation des différents facteurs de la production afin de répondre de manière immédiate à une augmentation de la demande. Autrement dit, ce qui compte avan tout pour eux c'est que leurs usines puissent produire 24 heures par jour au maximum de leur capacité et au rythme le plus rapide possible afin de rentabiliser les énormes coûts fixes induits par la production automobile.

Mais les machines ne travaillent pas sans travailleurs; de là la nécessité d'une totale subordination de leur temps aux changements impératifs de la production de l'entreprise (la « flexibilité »), ce qui constitue l'objectif prioritaire des patrons. Dans l'usine de Mirafiori, par exemple, il existe actuellement une seule modalité d'horaire de travail qui consiste en deux équipe quotidiennes de huit heures chacunes, étalée sur cinq jours par semaine (modèle connu sous le terme « 2x5 »).

Le nouvel accord du 23 décembre vise à ajouter trois nouvelles modulations des horaires de travail. Deux de ces modalités sont composées de trois équipes quotidiennes de huit heures chacune et, dans les deux cas, une des équipes est nocturne. Ainsi, l'usine est en production 24 heures par jour dans les périodes de demande maximale. Dans l'une des modalités, les équipes sont étalées sur cinq jour par semaine, dans l'autre sur six jours. La troisième modalité introduite établit deux équipes quotidiennes de dix heures, pendant six jours par semaine. L'accord précise que la direction de l'usine peut passer d'une modalité à l'autre avec un préavis de 15 jours.

Comme si cela n'était encore assez, l'accord étend le nombre maximum d'heures supplémentaires que peuvent prester chaque travailleur, en le passant de 40 à 120 heures annuelles, avec la possibilité d'ajouter 80 heures extra avec l'acceptation des syndicats qui ont signé l'accord et qui, de ce fait, sont les seuls à représenter les travailleurs.

Les 40 minutes de pause actuellement accordée aux travailleurs de Mirafiori en équipe de huit heures, sont réduits à 30 minutes en échange d'une augmentation salariale brute mensuelle de 45 euros. Or, il est bien évident que le patron obtient bien plus de valeur produite au cours de ces 10 minutes arrachées aux travailleurs, que cette augmentation de leur paye!

L'accord de Mirafiori prévoit également de réduire le taux d'absentéisme en aggravant les pénalités pour les travailleurs qui recourent « excéssivement » aux congés pour cause de maladie, même s'ils sont justifiés par un médecin. Autrement dit, ce sont les patrons et non les médecins du travail qui décident si un travailleur est capable ou non d'occuper son poste de travail lorsqu'il est malade!

Les changements introduits par rapport à l'absentéisme s'inscrivent parfaitement avec les autres modifications qui visent à augmenter l'intensité du travail, vu que les patrons – qui ne sont pas idiots – anticipent le fait que leurs mesures vont inévitablement augmenter la probabilité que les travailleurs tombent malades ou qu'ils chercheront ainsi à préserver du temps de récupération face à la dureté de l'intensification du travail en équipes. Pour contrecarrer ces conséquences non désirées de l'imposition de la flexibilité sur les travailleurs, les patrons optent donc pour serrer encore plus la vis disciplinaire.

Comme le sait tout travailleur qui a souffert dans ses chairs d'un régime de travail équipes intensives, l'absentéisme au travail, « justifié » ou non par la maladie, est l'une des rares soupapes dont dispisent les ouvriers quand l'intensification du travail devient insuportable. Parfois, les patrons les plus pragmatiques le tolèrent, précisément parce qu'ils savent qu'il ne convient pas de pousser leurs employés au delà de certaines limites. Ces patrons savent également que ces soupapes peuvent être également utiles afin de mieux « gouverner » leurs entreprises. Ils ferment donc les yeux, tout en se réservant bien entendu le droit de fermer hérmétiquement cette soupape aux travailleurs par mesure de rétorsion, pour les discipliner quand cela lui convient pour d'autres raisons.

Dans la nouvelle FIAT de Marchionne, avec ses méthodes « scientifiques » d'exploitation du travail, toutes ces considérations sont écartées. Les travailleurs n'existent qu'on les poussent jusqu'aux extrêmes limites de leur force de travail et pour se débarrasser le plus rapidement possible d'eux lorsque leurs vies ne sont plus « rentables » pour l'entreprise. Chez FIAT, le taux d'absentéisme est actuellement de 8% et Marchionne veut le réduire à 6% en 2011, à 4% en 2012 et jusqu'à 3,5% en 2013! Il est clair que vouloir réduire à cette allure le taux d'absentéisme tout en augmentant en même temps l'intensité du travail, cela ne peut être atteint que par une augmentation inhumaine et brutale de la pression disciplinaire sur les travailleurs.

L'accord Marchionne: ce que signifie la « gouvernance d'entreprise »

Comme on l'a vu, la seconde partie de l'accord de Mirafiori concerne l'amélioration de la « gouvernance » de l'usine, vu que l'augmentation de l'intensité du travail entraîne naturellement les patrons à anciticiper une augmentation du mécontentement des travailleurs. Ici, l'idée force et directrice de Marchionne sur la gestion de cette hausse prévisible ne passe nullement par des concessions sur d'autres terrains afin de les mitiger, mais bien au contraire sur une augmentation de la répression à l'intérieur de l'usine contre quiconque ose recourir à la protestation ouverte contre le nouveau régime de travail.

Ce que craint le plus Marchionne et les syndicats qui ont signé son accord c'est que, lors de l'application du nouveau système de travail, le syndicat FIOM reste présent et actif dans l'entreprise et qu'il capitalise et puisse offrir une caisse de résonnance et une plateforme à la protestation qui accompagner l'inévitable croissance du mécontentement parmi le personnel. De là le fait que les syndicats signataires insistent sur l'importance de coopter également, d'une manière ou d'une autre, la FIOM ou de lui faire accepter d'une façon ou d'une autre le nouvel accord.

Ainsi, dans les deux cas, chaque travailleur individuel de Mirafiori sera lié au nouvel accord par son contrat de travail personnel, de sorte que quiconque décide de faire grève ou de protester contre les nouvelles conditions de travail pourra être licencié pour avoir enfreint son contrat de travail. Les syndicats qui n'ont pas signé l'accord de Marchionne (autrement dit principalement la FIOM) n'auront pas le droit d'avoir des représentants élus face à la direction. Le système d'élection des délégués d'entreprise est remplacé par un autre où seuls les organisations syndicales qui soutiennent Marchionne pourront faire élire leurs délégués de manière paritaire. Si, d'aventure, l'un des syndicats signataire décide tout de même à un moment donné de protester contre l'accord, ce dernier stipule que la direction de FIAT pourra leur nier le droit à organiser des assemblées du personnel et ne reconnaîtra pas les heures affectées au travail syndical de leurs délégués.

La réaction de la gauche italienne

Rien ne reflète mieux l'état actuel de la gauche italienne que la réaction de ses différentes composantes face à l'offensive de Marchionne. Les dirigeants du principal parti d'opposition, le Parti Démocratique (PD), a fait à nouveau honneur au caractére idéologiquement invertébré de ce parti en exprimant quatre positions politiques différentes sur la question.

Ces différentes attitudes du PD sont en réalité le reflet de l'amalgame inconsistant des idéologies et des intérêts opposés qui nourissent ce parti. Loin de refléter une vision politique de la réalité sociale, élaborée de manière indépendante, les différentes positions de ses dirigeants ne sont rien de plus que l'écho des différentes positions exprimées par les véritables acteurs du conflit social. Pour le dire autrement, les dirigeants du PD n'ont fait que plagier les différentes déclarations déjà faites sur le conflit par la Cofindustria, Marchionne, la direction de la CGIL, CISL, UIL, FIOM, etc.

L'ex-premier ministre et ex-communiste Massimo D'Alema, par exemple, a appelé à voter « Oui » en faveur de l'accord de Marchionne pour le référendum de Mirafiori, et cela bien qu'il ne considère pas opportun d'exclure les syndicats qui s'opposent au contenu de l'accord dans les organes de représentation syndicale. Par contre, les nouvelles conditions de travail sont pour lui « positives ».

Un autre ex-communiste et ex-ministre, Piero Fassino, candidat du PD à la mairie de Turin (où se trouve l'usine de Mirafiori), a également appellé les travailleurs à voter en faveur du plan Marchionne. Par contre, l'ex-secrétaire général de la CGIL, Sergio Cofferati, aujourd'hui eurodéputé du PD (qui, comme il se définit lui-même, n'est ni un « radical », ni un « rouge »), appuie la position de la FIOM et a rejoint l'association récemment constituée « Travail et Liberté », qui, ensemble avec Bertinotti, Rossanda, Mario Tronti et d'autres personnalités historiques de la gauche, veut promouvoir les intérêts de la classe ouvrière contre la dérive autoritaire du capitalisme.

Parmi les partis de gauche qui soutiennent ouvertement les positions de la FIOM figure l'Italie des Valeur (IdV) de l'ex-juge Di Pietro, qui déclare sans détour que Mirafiori revient à l'époque du fascisme avec l'accord de Marchionne. Le parti Socialisme et Liberté (SeL), du populaire gouverneur de la région des Pouilles, Nichi Vendola – parti formé à partir de la scission du secteur « bertinottiste » du Parti de la Refondation Communiste (PRC) – est également devenu le porte-voix de la lutte de la FIOM. Vendola, dont la stratégie politique consiste essentiellement à se poser tous les jours comme le candidat de gauche alternatif à la direction du PD pour diriger un vaste front de la gauche italienne, a déclaré que le soutien à la FIOM contre Marchionne doit être un des axes sur lequel devrait se construire n'importe quel front électoral de la gauche italienne contre Berlusconi.

Aujourd'hui sans forces parlementaires, les Parti de la Refondation Communiste (PRC), le Parti des Communistes Italiens (PdCI) et les Verts font également campagne en faveur de la FIOM, bien que depuis leur dernière débâcle électorale, ces forces sont considérablement marginalisées dans la vie politique italienne.

En guise de conclusion: la centralité absolue du conflit capital/travail aujourd'hui

Pour ceux qui depuis un certain temps à gauche parlent de la perte de centralité de la classe ouvrière industrielle, le conflit actuel chez FIAT ne peut que briser tous leurs schémas. Si la classe ouvrière industrielle des pays avancés était morte, si elle avait cessé d'être relevante et s'il ne resterait pour ainsi dire à la gauche qu'à lui dire adieu (comme le pronostiquait André Gorz dans son fameux livre « Adieu au prolétariat » dans les années... 80), comment est-il possible qu'un conflit qui touche une poignée d'ouvrier dans deux usines italiennes est en train de monopoliser ainsi le débat politique de tout un pays, au point d'obliger toutes les forces politiques à se positionner par rapport à lui?

La réalité ne serait-elle pas plutôt inverse? N'est-il pas temps que ce soit au contraire la classe ouvrière et ses syndicats de classe qui dise adieu aux forces politique de la gauche majoritaire, car ces dernières ont cessé de représenter, ne serait-ce que faiblement, ses intérêts dans la lutte et le débat politque, devant la société? C'est une question qui n'est pas moins relevante en Italie, en Espagne ou ailleurs vu que depuis longtemps déjà le patronat peut compter avec les partis majoritaires de droite et de gauche pour les représenter.

A l'extérieur de l'Italie, l'offensive radicale de Marchionne contre le syndicalisme de classe est suivie depuis avec une attention enthousiaste et minutieuse par les grands médias du capitalisme global comme le « Financial Times » ou « The Economist ». Et c'est bien naturel. La classe sociale qu'ils servent a une vision suffisament claire des choses pour comprendre parfaitement que les luttes des classes qui se déroulent dans chaque pays pris isolément, et dont on pourrait superficiellement croire qu'elles sont déconnectées entres elles, forment en réalité un tout, une lutte globale pour changer les rapports de force globaux entre les classes dans tous les pays. Ils savent très bien ce qui est en jeu. Mais nous, le, savons-nous?

Álvaro Rein, 9 janvier 2011

Publié sur le site www.sinpermiso.info , traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

Notes:

[1] La CISL, qui est la seconde force syndicale en Italie après la CGIL, est le vieux syndicat démocrate-chrétien. L'UIL, la troisième force syndicale du pays, est le syndicat social-démocrate. La FISMIC est quant à lui le vieux syndicat d'entreprise de la FIAT. Quant à l'UGL, il est l'héritier de l'ancien syndicat fasciste.

[2] Le journal « Liberazione » a informé le 28 décembre que dans l'usine FIAT-Mirafiori, la FIOM avait obtenu lors des dernières élections sociales 22% des votes, se situant ainsi comme le second syndicat dans l'entreprise, après la CISL (25%), mais devant le FISMIC (19%), l'UIL (13%), l'UGL (13%) et COBAS (7%).

[3] Un travailleur moyen de l'usine emblématique de Volkswagen à Würzburg, par exemple, a un salaire net mensuel de 1.700 euros, soit 500 euros de plus par mois que son homologue de la FIAT à Mirafiori.


Le référendum Marchionne à l'usine FIAT de Turin: Une défaite victorieuse, une victoire précaire

C'est d'un cheveu, mais c'est finalement l'estomac qui a vaincu le coeur et le cerveau. Le réferendum dans l'usine FIAT de Mirafiori (Turin) vient d'avoir lieu: 54% des travailleurs ont dit « Oui » à la nouvelle convention d'entreprise et 45% ont dit « Non », et cela alors que la campagne médiatique en faveur du « Oui » a été intense. 5.139 personnes ont voté – 94,6% de l'effectif total – et si le « Oui » l'a emporté avec un peu plus de 400 votes, il est difficile de croire que ceux qui ont voté en faveur de l'accord le défendent tel quel.

Le nouveau contrat de travail à FIAT Mirafiori prévoit, d'une part, un durcissement drastique des conditions de travail, ce qui explique que le « Non » a été majoritaire dans toutes les lignes de montage, tandis que le « Oui » l'a emporté grâce au vote des employés de bureau (en grande partie des chefs qui forment l'encadrement hiérarchique). D'autre part, ce contrat établit un dangereux précédent pour la représentation syndicale et s'attaque aux principes fondamentaux du droit du travail et de la Constitution italienne.

L'histoire de l'Italie enseigne que ce qui se passe chez FIAT anticipe ce qui va se passer dans le reste des secteurs du monde du travail, de là le fait que ce référendum a été perçu comme quelque chose d'extrêmement important pour ses conséquences dans tout le reste du pays. Qu'on en finisse avec le contrat collectif, que l'on convoque un référendum sous pression d'un chantage – FIAT avait menacé que si le « Non » l'emportait elle quitterait l'Italie et Berlusconi s'est déclaré d'accord avec cela – pour approuver un accord qui modifie substentiellement les conditions de travail, c'est un fait gravissime, mais qui a déjà eu lieu à l'usine FIAT de Pomigliano (où le « Non » avait obtenu 36%) l'été dernier, dans une procédure qui fut, à l'époque, présentée comme « extraordinnaire ». Mais il n'y a là rien « d'extraordinnaire »; on assiste aujourd'hui à l'extension d'un modèle de contrat basé sur l'atomisation des travailleurs: « ou tu travailles comme je le veux, moi, ton patron, ou c'est la porte ».

Il est important d'évoquer le contexte local dans lequel s'est déroulé ce référendum. Comme le raconte Marco Revelli, à Turin surgit à nouveau, surtout dans les quartiers ouvriers, des magasins avec des pancartes indiquant « On achète de l'or » et dans lesquels on trouve de tout, y compris des prothèses dentaires. En 2010, le nombre de logements saisis à cause des hypothèques a augmenté de 54,8%. De 35 à 40% des travailleurs turinois du secteur du métal ont, au cours de ces deux dernières années, demandé un crédit, souvent tout simplement pour arriver en fin de mois. Vu avec cette loupe, les 45% de « Non » représentent quelque chose de surhumain.

Sergio Marchionne, Directeur exécutif de FIAT est le personnage central de l'affaire. Pour le patronat, pour Berlusconi et pour une grande partie du Parti Démocratique dans l'opposition, il fait désormais figure de « héros », de « capitaine intrépide » qui veut « changer l'Italie », « moderniser les relations syndicales » et qui parle avec « clarté et dureté ». Pour le reste, c'est un parasite qui gagne 4 millions d'euros par an, plus des stocks-options qui, grâce à la montée en Bourse du titre FIAT, dépassent aujourd'hui les 120 millions d'euros. Un manager qui gagne plus que tous les travailleurs de Mirafiori réunis, qui paye ses impôts en Suisse et non en Italie; un patron à qui il n'arrive rien si le groupe FIAT vend 17% en moins en 2010, mais qui s'en tire au contraire en massacrant les syndicats, en augmentant la valeur boursière du titre de 33%.

Comment résister à ces attaques? La réponse est apportée par Rajka Veljovic, responsable des relations internationales du syndicat serbe Samostalni, qui rappelle aux travailleurs italiens que lorsque FIAT a racheté l'usine de Zastava, elle a liencié 1.600 travailleurs: « Au moins, il faut que les travailleurs de FIATdans le monde soient unis et il faut coordonner les initiatives de lutte. Comme par exemple une grève internationale. Nous le répétons depuis 1999 » (« Il Manifesto », 13/1/2011) .

De l'autre côté du front, le ministre du Travail, Sacconi, annonce une « évolution des relations industrielles » et Marchionne célèbre « un changement historique ». La recette néolibérale pour la grande crise que traverse le secteur automobile, en surcapacité productive, consiste à précariser le travail et non dans des projets industriels qui misent sur un autre type de mobilité, ce que demande le syndicat FIOM et ce que les travailleurs exigeront dans la grève générale convoquée pour le 28 janvier.

Les néolibéraux pensent qu'ils ont gagné, mais ils sous-estiment l'augmentation de la misère massive et, par conséquent, la croissance de la conscience sociale. Les 36% de « Non » lors du référendum à l'usine de Pomigliano et les 45% à Mirafiori, personne ne s'y attendait. Tout le monde pensait que ces référendums seraient une promenade de santé pour la direction de FIAT, et cependant ce ne fut pas ainsi. Signe que cette conscience sociale se développe également parmi les intellectuels, qui depuis des années ne prêtaient pas beaucoup d'attention au monde du travail, on a vu aujourd'hui des appels se mulitiplier, comme l'appel "MicroMega" (voir ci-dessous, NdT), la lettre ouverte de 46 économistes italiens, de chercheurs, d'étudiants de l'Université de Rome « La Sapienza » ou celle de Rossana Rossanda au Président de la République.

Qui a gagné dans ce référendum de Mirafiori? On pourrait dire que ce sont les employés, les « cols blancs » des bureaux, mais il est également vrai que les travailleurs des lignes de production ont gagné dans leur terrain. Les syndicats UIL et CISL, qui ont signé l'accord, ont gagné, mais ils ont perdu en crédibilité car ils s'attendaient à 80% de « Oui ». Marchionne lui-même a gagné, mais cependant, il sort politiquement défait, à la différence de la FIOM qui sort renforcée. Les conditions de travail de ceux qui ont voté « Oui » vont empirer. Par contre, ceux qui ont voté « Non », sans perdre leur travail, ont gagné en dignité et en courage.

Gorka Larrabeiti (extraits), 16 janvier 2011

www.rebelion.org , traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be


Appel du syndicat FIOM pour la grève générale du 28 janvier: Unis, on peut réussir!

Nous avons appelé à une grève generale des métallurgistes pour le 28 janvier; c'est une étape fondamentale pour la reconquête du Contrat national de travail et la défense des droits sur les lieux de travail.

Le choix fait par Fiat à Mirafiori et à Pomigliano d'Arco est une action antisyndicale, autoritaire et antidemocratique sans precedents dans l'histoire des relations syndicales de notre pays depuis l'après-guerre.

C'est un attaque aux principes et valeurs de la Consitution italienne et à la democratie, parce qu'elle piétine la liberté des travailleurs et travailleuses de décider du syndicat auquel adhérer pour défendre collectivement leurs propres droits et élire leurs propres représentants dans l'entreprise. Celui qui ne signe pas, disparaît; celui qui signe devient un syndicat d'entreprise, corporatiste, gardien des choix imposées par Fiat.

Le contrat national de travail est annulé, les conditions de travail deviennent plus lourdes, l'exploitation et l'horaire de travail augmentent, tout droit de grève est violé et la retribution est reduite pour ceux qui tombent malades. D'un seul coup, des années de luttes et conquetes sont annulées.

Le chantage de Marchionne est cohérent avec la destruction de la législation du travail actuelle, qui va rendre tous et toutes plus seuls et precaires; c'est la meme logique répressive realisée par le Gouvernement en attaquant le droit à l'éducation et à la recherche, avec l'approbation de la lois Gelmini et les coupes des fonds pour l'information et la culture. De cette facon, des principes fondamentaux pour la democratie et la cohexistence civile sont mis en echec.

La Fiom considère que le travail est un bien commun et pour cette raison le 16 octobre avait appelé à une grande manifestation, après le référendum/chantage illegitime de Pomigliano, ouverte à tous ceux qui sont engagés dans la defense des droits et des libertés constitutionelles inviolables.

La grève générale dans la métallurgie, proclamée pour le 28 janvier et les manifestations après le referendum/chantage de Mirafiori, ont le même objectif: quand il y a une lésion des droits fondamentaux, si la blessure n'est pas délimitée, elle s'étend progressivement au monde du travail entier, comme il a eté demontré par l'introduction de dérogations au Contrat National signé par Federmeccanica et les autres organisations syndicales.

La Fiom est engagée dans le soutien au Contrat Collectif National de Travail sans dérogations; dans la defense de la légalité, la démocratie et la liberté d'association; dans la lutte contre la précarisation et la domination du marché, qui dévorent la vie des gens et déchirent la cohésion sociale et le futur du pays.

Nous demandons à toutes les femmes et hommes, aux associations, aux mouvements qui partagent les raisons exposées, de soutenir la lutte des metallurgistes et de signer notre appel.

Federazione Impiegati Operai Metallurgici nazionale (FIOM)

www.fiom.cgil.it

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La société civile avec la Fiom: «Oui aux droits ! Non aux chantages !»

Appel lancé par Camilleri, Flores d’Arcais et Hack publié dans la Revue MicroMega [1] le 4 janvier 2011. Il a recueilli jusqu’à présent plus de 70'000 signatures.

Le diktat de Marchionne, signé par Cisl et Uil, contient une clause inouïe qui n’a jamais été imaginée, y compris pendant les années de la répression syndicale (reparti-confino [2]) menée par Valletta [3]: l’éviction des syndicats qui n’ont pas signé l’accord, l’impossibilité pour eux de disposer d’une représentation collective, leur abrogation de fait. Cet incroyable anéantissement d’un droit constitutionnel inaliénable ne provoque pas l’insurrection morale qui devrait aller de soi pour tout citoyen démocratique. Il s’agit cependant de l’équivalent du squadrismo [4], bien que dans une forme moderne et (peut-être) douce, qui a permis au fascisme de détruire le droit des travailleurs à s’organiser librement.

C’est pour cette raison que l’appel à une grève générale, avancée par la Fiom, nous paraît sacro-sainte au point de devoir être soutenu par tous les moyens possibles. L’attaque inouïe de la Fiat aux droits des travailleurs est une attaque aux droits de tous les citoyens, puisqu’il met un péril la valeur fondamentale des libertés démocratiques. C’est pourquoi nous considérons comme urgent que la société civile manifeste la solidarité la plus concrète et active à l’égard de la Fiom et des travailleurs de la métallurgie: il en va des libertés de tous !

Andrea Camilleri, Paolo Flores d’Arcais, Margherita Hack

Premiers signataires: don Andrea Gallo, Antonio Tabucchi, Dario Fo, Gino Strada, Franca Rame, Luciano Gallino, Giorgio Parisi, Fiorella Mannoia, Ascanio Celestini, Moni Ovadia, Lorenza Carlassarre, Sergio Staino, Gianni Vattimo, Furio Colombo, Marco Revelli, Piergiorgio Odifreddi, Massimo Carlotto, Valerio Magrelli, Enzo Mazzi, Valeria Parrella, Sandrone Dazieri, Angelo d'Orsi, Lidia Ravera, Domenico Gallo, Marcello Cini, Alberto Asor Rosa.

Traduction et notes publiées sur le site www.alencontre.org

Notes:

1) L’appel est disponible à l’adresse: http://temi.repubblica.it/micromega-appello/?action=vediappello&idappello=391202

2) La pratique des reparti-confino consiste à éloigner les militants syndicaux en les déplaçant dans des départements isolés au sein de l’entreprise. Celle-ci est en vogue encore aujourd’hui chez Fiat – tel est le cas des syndicalistes de base Cobas qui ont été déplacés de Pomigliano d’Arco à Nola (Campanie). Cette pratique a été courante également en France. Cf. Le récit de Robert Linhart sur son expérience de travail à l’usine Citroën de Choisy, en 1967, publié dans L’Établi aux éditions de Minuit (1981).

3) Vittorio Valletta a été le PDG de la Fiat entre 1945 et 1966. Il est connu pour la gestion autoritaire de la Fiat, caractérisée par la pratique des reparti-confino et la mise en place d’un syndicat «jaune» (l’actuelle Fismic) au sein de l’entreprise.

4) Le Squadrismo désigne les bandes armées qui attaquaient les organisations politiques et syndicales du mouvement ouvrier pendant les premières années du fascisme italien.

Voir ci-dessus