Dossier: La Gauche radicale en Asie
Par Pierre Rousset, Alex De Jong, Danielle Sabaï, Maeve le Lundi, 03 Janvier 2011 PDF Imprimer Envoyer

Tout au long de l'année 2010, l'Asie a connu une puissante vague de luttes sociales, parfois victorieuses, en faveur d'augmentations salariales et d'amélioration des conditions de travail. Inde, Pakistan, Cambodge, Chine... ce sont des centaines de millions de travailleurs qui ont fait grève et se sont mobilisés. Peu connue en Europe, la gauche radicale en Asie connaît pourtant, parallèlement à cette montée des lutes, des développements intéressants et tisse une série de réseaux de contacts et de solidarité politique. Afin de mieux la connaître, nous avons rassemblé dans ce dossier une série d'articles et d'interviews concernant des partis d'Indonésie, de Malaisie, de Corée du Sud, et en présentant tout d'abord le RPM-M, section philippine de la IVe Internationale (LCR-Web)

Philippines: Le Parti révolutionnaire des travailleurs-Mindanao (RPM-M)

Par Pierre Rousset

Cet article a été écrit pour Tout est à nous la revue [3], n°14 de novembre 2010. Il présente aussi brièvement le développement des liens internationaux entre partis radicaux d’Asie.

Le PRT a tenu en août dernier sont deuxième congrès. Implanté avant tout dans une zone où cohabitent les « trois peuples » de Mindanao, il occupe une place originale dans la gauche philippine – une gauche radicale où la question de l’unité reste irrésolue.

Le Parti révolutionnaire des travailleurs (Mindanao) – ou RPM-M pour utiliser son sigle tagalog – s’est réuni en congrès aux Philippines, dans une base de guérilla, sous la protection de quelques dizaines de combattants. Non par romantisme passéiste, mais par nécessité : ses membres sont menacés par de nombreux groupes armés. Impossible dans ces conditions de se retrouver comme tout un chacun en ville, dans une salle même discrète ; le danger est trop grand.

Neuf ans après sa fondation en 2001, le RPM-M a donc tenu son deuxième congrès en montagne, dans la grande île de Mindanao, au sud de l’archipel philippin. Comme son nom l’indique, il est en effet avant tout un parti « mindanaouin » : il agit dans la région la plus militarisée du pays, marquée notamment par un très long conflit entre le gouvernement et les organisations militantes enracinées dans les populations musulmanes, les « Moros ». Plutôt que de revenir ici sur le congrès lui-même – je renvoie pour cela au reportage déjà publié à ce sujet [1] –, je voudrais tenter d’expliquer ce qui fait l’originalité du RPM-M au sein de la gauche philippine.

Les enfants rebelles du PCP

Première clé d’explication : l’héritage contradictoire du Parti communiste des Philippines. Ce parti, maoïste, a été le seul à même d’organiser dans les années 1970 la résistance au régime dictatorial du président Ferdinand Marcos. De ce fait, il a profondément marqué une génération militante tout entière. Il s’est cependant révélé incapable, au début des années 1980, de comprendre que la dictature allait être renversée par une combinaison inédite de mobilisation de masse majoritaire et de rébellion militaire minoritaire, et non pas à l’occasion d’une offensive des forces de guérillas comme le prévoyait la direction du parti.

L’héritage du PCP est profondément ambivalent. Il a incarné une grande tradition révolutionnaire et militante, mais aussi des orientations et des pratiques très bureaucratiques. Il a connu de terribles purges internes, nourries par une peur paranoïaque de l’infiltration. Alors qu’une réévaluation d’ensemble de ses références devenait urgente, sa direction a refusé l’organisation d’un débat en son sein avec la tenue d’un congrès, provoquant de nombreux départs et plusieurs scissions dans les années 1980-1990. Depuis, ce parti s’est engagé dans un cours hypersectaire, allant jusqu’à assassiner des cadres des autres mouvements de gauche.

Dans leur majorité, les courants actuels de la gauche radicale aux Philippines, y compris le RPM-M, sont issus du Parti communiste. Tous ont été confrontés au même défi : préserver les traditions révolutionnaires d’antan tout en modifiant profondément les conceptions politiques et programmatiques héritées du PCP. Ils s’y sont attaqués avec plus ou moins de bonheur suivant les cas. Le RPM-M est l’une des organisations qui y a le mieux réussi.

Une nouvelle gauche pluraliste

Seconde clé d’explication : la forme prise par la crise du maoïsme philippin. Dans un premier temps, un espace s’est dégagé qui a permis à des composantes très minoritaires de la gauche marxiste philippine, non maoïste, de s’affirmer en dehors de ses rangs et de gagner en envergure. Une décennie plus tard, les ruptures se sont produites au sein même du PCP. Cependant, dans un parti clandestin et en l’absence de débat organisé à l’échelle nationale, les scissions se sont produites en ordre dispersé. Un sus du départ individuel de nombreux membres, diverses structures du PCP ont pris leur indépendance. Ce fut le cas de commissions (front uni…) ou de secrétariats (paysan…), mais aussi d’importantes unités territoriales, régionales, dans le nord, le centre et le sud de l’archipel.

La crise du PCP a donc donné naissance à plusieurs organisations révolutionnaires souvent issues d’une histoire régionale. Il y a eu depuis des tentatives de regroupement (certaines sont en cours), mais aujourd’hui encore, pour comprendre ce que sont les diverses composantes de la gauche radicale aux Philippines, il faut savoir d’où elles viennent : de quelle région ? de quel secteur d’activité ?

Le RPM-M vient de l’unité régionale chargée pour le parti du travail dans le centre de Mindanao (d’où son nom, à l’époque : Central Mindanao Region ou CMR). Cette région a rompu en bloc, en 1993, avec la direction du PCP, emmenant avec elle l’ensemble des structures sous sa responsabilité : parti clandestin, forces de guérilla (qui a pris le nom d’Armée révolutionnaire du peuple, RPA), travail de masse, formations légales… Particularité essentielle, CMR avait la responsabilité du « lien » entre les « trois peuples » de Mindanao : la « nationalité majoritaire » aux Philippines (les « chrétiens » pour faire bref), les Moros (musulmans) et les lumads (tribus montagnardes), ces dernières constituant toujours l’une des principales bases sociales du RPM-M, ce qui est assez original.

Une nouvelle génération militante

Troisième clé d’explication : le passage de relais entre générations militantes. Plus encore que dans bien d’autres pays, il constitue un défi aux Philippines. Les cadres « historiques » de la gauche révolutionnaire ont combattu sous la dictature Marcos, renversée en 1986, une situation que n’a jamais vécue le gros des militantEs actuelEs. Le congrès du RPM-M a montré que ce relais générationnel était bien engagé : la majorité des membres de la nouvelle direction nationale sont « jeunes » (au sens de « postdictature »).

Entre l’époque du PCP et aujourd’hui, le courant qui a constitué le RPM-M a connu une profonde évolution politique. Internationaliste et à la recherche d’une alternative au maoïsme, il a rejoint la Quatrième Internationale où il joue un rôle grandissant. De nouveaux secteurs d’activité on été développés, comme le terrain électoral. La conception de la lutte armée s’est modifiée. La « question démocratique » est devenue une préoccupation centrale dans le fonctionnement du parti, les rapports aux mouvements sociaux ou la reconnaissance du droit à l’autodétermination des communautés tribales…

Cependant, le RPM-M ne peut échapper aux contraintes imposées par la situation à Mindanao. Les pourparlers de paix avec le gouvernement n’aboutissent pas. Il doit toujours se protéger de nombreuses menaces armées. Même si l’accent est mis sur l’activité de masse légale, il reste donc un parti clandestin doté d’une force de guérilla au rôle « défensif ».

Une situation incertaine à gauche

Quatrième clé d’explication : la difficulté à constituer un parti à l’échelle de l’archipel entier. La plupart des organisations philippines sont principalement enracinées dans un nombre limité de provinces et de secteurs sociaux, en fonction de leurs origines, même si elles ont élargi leurs réseaux militants. Le RPM-M est conscient du problème et a impulsé un regroupement avec d’autres structures régionales issues du PCP. Mais cette fusion a douloureusement échoué. C’est au tour du Parti de la force des masses (PLM) de tenter l’aventure, dans la région de Manille.

La question de l’unité se pose et se posera avec d’autres formations de la gauche radicale, comme le Parti des travailleurs (PM), à Manille encore, ou le Parti marxiste-léniniste des Philippines (MLPP), originaire du Centre Luzon.

Akbayan – le Parti d’action citoyenne –, légal, est devenu l’une des principales composantes de la gauche philippine. L’influence de courants qui n’ont jamais été au Parti communiste, comme Bisig, y est prépondérante, même s’il comprend aussi d’anciens du PCP. Lors des récentes élections présidentielles, Akbayan a soutenu la candidature de « Noynoy » Aquino, qui l’a emporté. Certains de ses cadres se retrouvent aujourd’hui avec des responsabilités paragouvernementales, tout en sachant que le nouveau régime ne rompra pas avec les élites. Cette « cohabitation » devrait en principe se terminer assez rapidement, une fois l’expérience faite, au risque sinon d’ouvrir une crise au sein du parti, d’affaiblir la gauche militante dans son ensemble.

La gauche radicale des Philippines reste la plus importante en Asie du Sud-Est, mais elle a perdu l’initiative politique depuis une vingtaine d’années – le cours hypersectaire du PCP y est pour beaucoup. Aucune organisation ne peut seule répondre à cette situation et la question de l’unité reste posée avec acuité.


Tableau simplifié de la gauche politique philippine

La gauche philippine comprend un grand nombre d’organisations et de courants. En simplifiant, regroupons-les en trois « familles ».

Le Parti communiste. Bien qu’affaibli, il reste la principale organisation clandestine et la mieux armée. Il s’est engagé après les scissions de 1993 dans un cours hypersectaire. Il dirige la Nouvelle Armée du Peuple (NPA), le Front national démocratique (NDF) et un important « bloc » de forces légales appelées « réaffirmistes » (RA), car elles ont « réaffirmé » la validité des orientations définies en 1968 et dans les principaux textes programmatiques du PCP. Les « réaffirmistes » ont des élus au Parlement.

Les « rejectionnistes » (RJ). Ce sont les courants qui, au sein du PCP, ont « rejeté » la ligne de 1968 et demandé une réévaluation de l’orientation du parti. Elles ont scissionné en 1993 et combinent souvent parti clandestin et parti (ou front) électoral légal. Dans la région de la capitale, les scissions dans la région de la capitale ont notamment donné naissance au Parti de la force des masses (PLM) et au Parti des Travailleurs (PM) ; dans les Visayas au Parti révolutionnaire des Travailleurs-Philippines (RPM-P) ; dans la région Centre de Mindanao au Parti révolutionnaire des Travailleurs-Mindanao (RPM-M). Le Parti marxiste-léniniste des Philippines (MLPP) provient d’une scission plus tardive dans le Centre Luzon. Il existe d’autres organisations plus petites que l’on ne peut pas mentionner ici.

La gauche marxiste et socialiste « indépendante ». Divers courants marxistes n’ont jamais appartenu au Parti communiste. Ils se sont dans une large part regroupés en 1985-1986 pour donner naissance à l’organisation socialiste Bisig. Cette dernière joue aujourd’hui un rôle important dans le parti légal « d’action citoyenne » Akbayan ! où se trouvent aussi des composantes issues du PCP. Akbayan ! a des élus au Parlement.

Un cadre unitaire rassemble toutes les organisations en dehors du PCP et des « réaffirmistes » : Combat des masses (LnM), mais cette coalition manque actuellement de dynamisme.


IIRF-Manila

L’expérience du tout jeune Institut international de recherche et de formation à Manille est à ce titre très intéressante. La maison mère avait ouvert ses portes en 1982 à Amsterdam, organisant des sessions de formation destinées à des militantEs venuEs de tous les continents. Elle vient de voir naître deux rejetons en Asie : à Manille (Philippines) d’abord puis, plus récemment encore, à Islamabad (Pakistan).

En août dernier, l’IIRF-Manille a tenu sa seconde session de formation. On loge, mange et se réunit dans les locaux un peu exigus de l’Institut, quitte à dégager tables et chaises, puis à placer des poufs par terre pour faire de la place aux 22 participantEs et intervenantEs (certains ne pouvant pas rester durant les trois semaines complètes d’échanges militants).

Même si quelques Européens étaient là (Néerlandais et Français), l’essentiel des présents venait de huit pays d’Asie soit, en plus des Philippines, le Japon, Hongkong, Taïwan, l’Indonésie, le Bangladesh, le Pakistan et Sri Lanka. Porté par des militantEs proches de la Quatrième Internationale, l’IIRF-Manille est ouvert à diverses composantes de la gauche asiatique. Des organisations d’origines variées s’y retrouvent, y compris quatre courants philippins invités à titre de participantEs ou d’intervenant.e.s.

L’IIRF-Manille contribue ainsi au développement de liens régionaux entre un nombre grandissant de partis. Une session de formation relativement longue assure une qualité d’échange que de courtes conférences ne permettent pas. Grâce à de telles activités, certaines organisations qui se connaissaient depuis longtemps commencent à collaborer plus étroitement que par le passé à un projet politique commun. Les sessions permettent aussi d’en inviter d’autres avec qui les rapports étaient restés ténus (ce fut ici le cas pour l’Indonésie) ou même d’en inviter dans des pays où il n’existait jusqu’à tout récemment aucun contact (ce fut ici le cas pour le Bangladesh).

[1] Voir Le deuxième congrès du Parti révolutionnaire des travailleurs (Mindanao) – un reportage

[2] Voir Message au deuxième congrès du Parti révolutionnaire des travailleurs-Mindanao (RPM-M)

[3]Cette revue est publiée par le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) en France


La politique des pauvres: le combat socialiste en Indonésie

Par Alex De Jong

Douze ans après la fin d’un des régimes militaires les plus sanglants du monde, la gauche radicale en Indonésie continue à être confrontée à des conditions de lutte difficiles. Nous nous sommes entretenus avec Paulus Suryanta Ginting, porte-parole du Komite Politik Rakyat Miskin — Partai Rakyat Demokratik (Comité politique des pauvres — Parti populaire démocratique, KPRM-PRD), une organisation de la gauche radicale.

Alex de Jong : Comment as tu commencé ton militantisme ?

Paulus Suryanta Ginting : J’ai été actif dans les mouvements ouvriers à Semarang, au centre de l’île de Java, et Sidoarjo, à l’est de Java, ainsi que dans les mouvements étudiants à Jakarta. J’ai rejoint le Parti populaire démocratique (PRD) et je devins membre de sa direction en 2004. Plus tard, en 2006, je suis devenu secrétaire général de la Ligue étudiante nationale pour la démocratie et j’ai continué à être actif dans le mouvement étudiant jusqu’à cette année.

Alex de Jong : Peux-tu nous parler des principaux problèmes auxquels le peuple indonésien doit faire face ?

Paulus Suryanta Ginting : Le chômage constitue un problème très important. Plus de 30 % de la population active n’a pas de travail. En particulier ce sont les travailleurs du textile qui ont perdu leurs emplois. Après 1998, de nombreuses usines textiles de Bandung, sur l’île de Java, ont fait faillite, étant incapables de payer les matières premières importées, par exemple, de Chine, car la roupie indonésienne a été brusquement dévaluée. Après la chute de Soeharto, les droits de douane à l’importation du textile de Chine ont été abolis ou fortement réduits et nombre d’industries indonésiennes furent incapables de faire face à la concurrence et ont cessé leur activités. L’accord de libre échange Asie-Chine implique que beaucoup de produits chinois peuvent être importés sans droits de douane ou avec des taxes très réduites et, comme ce fut le cas du textile, les industries indonésiennes ne sont pas concurrentielles. De plus, l’accès à l’éducation et aux soins médicaux est également cher et nombreux sont ceux qui ont du mal à les payer.

Alex de Jong : L’année 1998 fut celle de la fin du régime de Soeharto, mais pourquoi ce fut également un tournant économique ?

Paulus Suryanta Ginting : Soeharto avait déjà accumulé un fort endettement auprès du Fonds monétaire international (FMI). A la fin des années 1990, l’Asie fut frappée par une crise économique, provoquée en grande partie par la spéculation financière. Le FMI a conditionné ses prêts à l’Indonésie par l’application par celle-ci du soit disant Programme d’ajustement structurel (PAS). C’est Soeharto qui avait signé l’accord avec le FMI, mais la réalisation de ces PAS fut l’œuvre de son successeur, Bacharuddin Jusuf Habibie [1]. Ce dernier a par ailleurs conclu de nouveaux accords avec le FMI, comme Abdurrahman Wahid [2] et les présidents successifs : Megawati Soekarnoputri [3] et Susilo Bambang Yudhoyono [4]. Ces programmes ont imposé une libéralisation de l’économie indonésienne. La Banque mondiale a également conditionné ses prêts à la libéralisation et la dérégulation de l’économie.

Au cours du régime de Soeharto — « l’ordre nouveau » — l’Indonésie avait été très populaire parmi les investisseurs étrangers, mais une grande partie de l’économie était commandée par le dictateur et ses acolytes. Depuis, tout a été privatisé et les subventions gouvernementales pour les soins de santé, l’Éducation, les transports en commun et la nourriture ont été réduites. Le coût de la vie a donc augmenté depuis la chute de Soeharto. Lorsque j’étais étudiant à la fin des années 1990 à Yogyakarta, un bon repas coûtait 2000 roupies, maintenant c’est 4500…

Alex de Jong : Depuis 1998 l’Indonésie a officiellement un régime démocratique, mais en réalité les droits démocratiques sont limités…

Paulus Suryanta Ginting : En effet. Les mouvements de gauche sont régulièrement confrontés aux milices, qui travaillent indirectement pour les élites. Beaucoup des membres de cette élite ont accédé au pouvoir sous l’ordre nouveau et restent très influents, dans certaines régions du pays ils ont même plus de pouvoir maintenant. Des lois qui proscrivent les mouvements marxistes sont toujours en vigueur. L’espace démocratique se contracte.

Les conservateurs religieux constituent une autre menace. Dans la province d’Aceh (ou Atjeh), au nord de l’île de Sumatra, une police civile force les femmes à porter le foulard, dans la province de Banten (extrémité occidentale de l’île de Java) les lois en vigueur sont très proches de la charia islamique et limitent sévèrement les droits des femmes. Par exemple elles n’ont pas le droit de sortir le soir sans être accompagnées par un homme. À Jakarta, une réunion au sujet des droits humain des minorités sexuelles a été attaquée par la milice des fondamentalistes islamiques (FPI). De telles milices ont souvent leurs racines dans l’ancien régime, qui les employait pour attaquer le mouvement démocratique au cours des années 1990. Cela provoquait de violents affrontements entre les mouvement de protestataires et les milices. Finalement les milices furent défaites et le régime militaire est tombé.

Alex de Jong : Au cours des mobilisation de masse contre le régime de Soeharto à la fin des années 1990, le Parti démocratique du peuple (PRD) avait émergé comme la plus significative des organisations de la gauche radicale en Indonésie. Pourquoi n’êtes-vous plus actifs au sein du PRD ?

Paulus Suryanta Ginting : Nous avions deux objections concernant le fonctionnement du PRD. Premièrement, il s’agissait de son manque de démocratie interne. Deuxièmement, nous étions en désaccord avec la stratégie électorale adoptée par la majorité du PRD.

Le système électoral en Indonésie est très restrictif. Pour pouvoir participer aux élections un parti doit être présent dans la moitié au moins des provinces et des villes et, dans chaque ville, il doit être présent dans un quart des districts. Pour un petit parti cela rend la participation électorale quasiment impossible.

Après de nombreuses tentatives infructueuses de nous présenter aux élections, le PRD a décidé de construire un front électoral : Papernas (Parti unifié de libération nationale). Ce front n’avait pas un programme socialiste mais mettait en avant un certain nombre de revendications minimales : le non payement de la dette, la nationalisation du pétrole, de l’énergie et des industries minières, un programme national d’industrialisation. De cette manière nous avions essayé de créer une organisation large. Nous avions eu quelques succès mais aussi beaucoup de problèmes. Plusieurs meetings de Papernas ont été attaqués par les fondamentalistes islamiques.

Le groupe qui est devenu le KPRM-PRD avait mis en cause certains des choix du PRD. Nous considérions que le parti avait délaissé l’organisation des actions de rues, qui radicalisent le peuple, au profit de la construction d’une organisation électorale. Mais finalement Papernas n’a pas pu participer aux élections. La majorité du PRD décida alors de constituer une alliance avec le Partai Bintang Reformasi, un parti religieux réactionnaire de notables. Cela leur a permis de participer aux élections, mais le prix qu’ils ont payé fut très élevé, car ils ont dû abandonner leurs revendications et ils étaient alliés avec des politiciens traditionnels et des généraux responsables des violations des droits humains. À l’approche des élections nous avons été exclus car nous étions opposés à ces manœuvres.

En Indonésie, des centaines d’activistes du mouvement démocratique étaient devenus des candidats des grands partis. D’autres ont rejoint les ONG et limitent maintenant leurs objectifs au cadre du statu quo.

Alex de Jong : Quelle est maintenant votre principal centre d’activités ?

Paulus Suryanta Ginting : La majorité de nos cadres sont actifs dans les organisations ouvrières au sein de l’Alliance des revendications ouvrières. Il s’agit d’une structure des travailleurs de diverses industries, comme le textile, le transport, l’électricité, etc. L’Alliance combat pour des salaires convenables, contre l’externalisation, organise des grèves et prend part dans les campagnes politiques. L’Alliance a également ses propres publications et organise des meetings de débat. Le KPRM-PRD organise des meetings publics pour débattre avec les travailleurs des axes des campagnes à mener. La construction de ce mouvement est notre priorité.

Nous participons également au mouvement étudiant et nous avons construit une organisation de femmes : Libération des femmes. Les femmes de diverses couches de la population — des travailleuses, des étudiantes, des paysannes — font partie de cette organisation. Le mouvement ouvrier est le plus grand mouvement du pays, mais les ouvriers ne sont pas rapidement mobilisables, car leur travail prime. Le mouvement étudiant est par contre capable de se mobiliser rapidement et il a une tradition de mobilisations politiques, en particulier pour la démocratie, contre les abus du pouvoir et contre la corruption. Le 1er mai, dans les rues de Jakarta, l’Alliance des revendications ouvrières avait réuni près de 7 000 manifestant(e)s et, comme d’autres groupes ont également mobilisé, la manifestation a réuni environ 24 000 personnes.

Depuis 1998, les mobilisations politiques sont devenues une part de la culture indonésienne. C’est un important héritage du mouvement qui a renversé Soeharno. De nouvelles manifestations ont lieu presque quotidiennement, en général de manière spontanée. Cette volonté de mobilisation est présente partout, non seulement dans les villes mais aussi à la campagne. Par exemple les paysans résistent contre les expulsion et défendent leurs terres et il peut s’agir de mobilisations très radicales au cours desquelles le peuple utilise des armes primitives pour résister à l’armée.

Nous pensons que la gauche peut former une alternative aux élites traditionnelles. Si nous coopérons, nous pouvons être assez forts pour le faire, car la confiance que la population faisait aux politiciens traditionnels décline et la classe dominante est divisée. La récente crise économique a également frappé durement l’Indonésie. Tout cela fait que la population cherche des alternatives ; il y a un intérêt croissant pour les idées socialistes et pour les gouvernements progressistes en Amérique latine. Je pense que si nous parvenons à faire converger les différents mouvements, nous pourrons arracher de nouvelles victoires.

[1] Bacharuddin Jusuf Habibie, vice-président de Soeharto qui l’a remplacé après sa démission en mai 1998. Il fut président jusqu’au 20 octobre 1999.

[2] Abdurrahman Wahid (1940-2009), couramment surnomé « Gus Dur » (« Dur » en tant que diminutif d’Abdurrahman et « Gus » en tant qu’abréviation d’Agus, appellation honorifique javanaise pour les religieux musulmans), intellectuel musulman et opposant à Soeharto, qui a fondé en 1999 le Parti du réveil national. Il a été président de la République d’Indonésie de 1999 à juillet 2001, lorsqu’il a été destitué par le Majelis Permusyawaratan Rakyat (Parlement).

[3] Megawati Soekarnoputri, fille de l’ancien Président Soekarno renversé par le général Soeharto en 1967, a été la tête du Parti Démocratique Indonésien-Lutte (PDIP), un des deux partis autorisés par la dictature. Députée depuis 1987 elle avait symbolisé l’opposition légale du régime et son parti arriva en tête aux élections de 1999. Vice-présidente en 1999 puis élue présidente par le parlement le 23 juillet 2001 (jusqu’au 20 octobre 2004).

[4] Susilo Bambang Yudhoyono, dirigeant du Parti démocrate (PD), premier président élu au suffrage direct en 2004 (contre Megawati Soekarnoputri), réélu en 2009.

Paru dans Inprecor N° 564-565, août-septembre 2010. Traduit par J.M. (de l’anglais).

Alex de Jong fait partie de la direction de l’Alternative politique socialiste (Socialistische Alternatieve Politiek, SAP), la section hollandaise de la IVe Internationale.


Malaisie: Le Parti Sosialis Malaysia

La crise économique globale n’épargne pas la Malaisie et les suppressions d’emplois se font sentir. L’exploitation des travailleurs malais n’est pas différente de celles des Chinois et des Indiens de Malaisie. Les questions économiques, la lutte des classes, jusqu’alors éclipsées par les questions raciales telles que la constitution d’un État Islamique pourraient bien reprendre le devant de la scène. C’est la tache que c’est donné le Parti Socialiste de Malaisie (PSM, Parti Sosialis Malaysia). Constitué en 1994, alors que la gauche malaisienne a été laminé et a complètement disparu depuis la fin des années 80, le PSM a réussi à s’implanter parmi les couches populaires. Son principal objectif est « d’unir les différentes ethnies qui composent la Malaisie dans un mouvement de la classe ouvrière pour gagner la guerre contre le capitalisme » [9].

Depuis sa constitution, le PSM a conduit des luttes dans le cadre de coalitions notamment contre la privatisation des hôpitaux, contre la hausse du prix des carburants et contre la guerre en Irak. Il est le seul parti à mener une lutte contre les accords de libre échange entre la Malaisie et les USA. Jusqu’à l’an passé, le PSM n’avait pas obtenu d’enregistrement légal malgré 10 ans de bataille judiciaire. C’est pourquoi lors des élections de 2004 et 2008, le parti s’était présenté sous la bannière du Party Keadilan Rakyat de Anwar. Lors des élections de 2008 deux membres du parti ont été élus. Dr. Jeyakumar, membre du comité central du PSM, a remporté un siège au parlement contre un éminent membre de la coalition au pouvoir et ministre du travail. Dr. Nasir Hashim, président du PSM, a remporté un siège à l’Assemblée de l’État de Selangor. C’était la première fois depuis 40 ans que des représentants socialistes étaient élus au Parlement ou dans une Assemblée d’État. Bien qu’ayant concouru sous la bannière du PKR, le PSM mena campagne avec son matériel et en mettant en avant son propre programme. L’élection des deux camarades est avant tout le résultat d’une réelle implantation militante parmi les travailleurs des plantations, les pauvres des villes et les travailleurs de l’industrie.

Au sein du parlement, Dr. Jeyakumar se situe dans l’opposition mais ne se sent lié par aucune décision qui irait à l’encontre des intérêts des travailleurs ou contre les principes socialistes auxquels il adhère. L’élection de deux de ses membres a été un formidable tremplin pour le PSM qui est maintenant implanté dans 7 des 13 États de la fédération et revendique environ 10000 membres dans ses comités [1].

Extrait de: Danielle Sabaï, Malaisie : Entre changements et crispations politiques, Inprecor n° 547 février 2009

[1] Pour en savoir plus, le web site du PSM est http://parti-sosialis.org Voir aussi sur ESSF : On the Left : PSM


Corée du sud: SANOWI

Depuis les années 80, on assiste au fulgurant développement économique du «pays du matin calme». Après la chute du régime dictatorial mis en place après la guerre de Corée (1950-53), la Corée du Sud est rapidement devenue un pays fortement industrialisé. Depuis, les régimes autoritaires se succèdent malgré les révoltes populaires qui sont violemment réprimées. Une nouvelle crise sociale voit le jour à la fin des années 80 suite à la mort d’un étudiant au cours d’un interrogatoire de police, les grèves de masses qui en résultent conduisent à l’adoption d’une nouvelle constitution et amorcent un processus de démocratisation.

En 1997, la Corée du Sud connaît une nouvelle crise politique avec l’adoption par le parlement d’une série de mesures de régression sociale. Une loi autorise les entreprises à remplacer les salariés grévistes par des intérimaires en cas de conflit social, facilite les licenciements et interdit temporairement la création de nouveaux syndicats. Les Coréens se sont mobilisés massivement contre cette attaque sans précédent.

Plus récemment, en 2008, le président nouvellement élu, Lee Myung-Bak a autorisé la reprise des importations de boeuf américain, suspendues depuis 2003, après les craintes suscitées par la maladie de la vache folle. Les manifestations se sont multipliées et sept cents mille personnes se sont rassemblées dans les rues de Séoul tandis que des dizaines de milliers d’autres étaient mobilisées en province, malgré les violences policières et la répression.

Devant l’ampleur de la contestation, le gouvernement a été contraint de démissionner. En 2009 et 2010, des salariés se sont mobilisés contre les licenciements dans leurs usines notamment à Valeo ainsi qu’à Ssanyong Motors où la lutte est toujours d’actualité et se durcit. SANOWI est un parti des travailleurs sud-coréens, créé en 2009. Nous avons interviewé Na-rae, 22 ans, étudiante à Séoul et membre de SANOWI depuis sa création.

Peux-tu revenir sur la situation politique et sociale récente en Corée du Sud?

Na-rae: Début 2010, les ouvriers de l’usine Valeo de Chenoan (Province de Chungnam) qui produisent des systèmes thermiques pour les habitacles automobiles, se sont mis en grève pour refuser la fermeture de leur usine et leur licenciement économique. Valeo est une multinationale

française d’équipements automobile, vieille de 87 ans, dont le siège est à Paris. L’entreprise a connu des pertes en 2009 mais recommence à faire du profit depuis 2010. Les salariés ont occupé l’usine pendant plus de sept mois, c’était une lutte exemplaire soutenue activement par la population. Les salariés grévistes ont fait le voyage jusqu’à Paris et campé devant le siège social de Valeo France durant plus d’un mois. Certains de nos camarades de Sanowi faisaient partie des grévistes et d’autres salariés nous ont rejoint après la répression du mouvement de grève.

La KCTU (Confédération Coréenne des Syndicats) a alors organisé des rassemblements syndicaux dans tout le pays en solidarité avec les travailleurs en lutte de Ssangyong Motors, malheureusement ces actions n’ont pas attiré beaucoup de monde. Cette lutte contre les plans de licenciements a eu une importance internationale.

Qu’est-ce que SANOWI?

Na-rae: SANOWI est l’abréviation de «Comités pour la création d’un parti socialiste des travailleurs.» En 2009, plusieurs organisations se réclamant du socialisme se sont regroupées pour construire un nouveau parti visant à organiser les luttes des jeunes et des travailleurs en Corée du Sud. Le parti s’est créé un peu comme le NPA en France, en appelant à la constitution de comités par zones géographiques et lieux de travail partout où cela était possible. L’idée était de créer une nouvelle structure qui soit le fruit du travail collectif de ses militants et réponde à leurs besoins, tous les membres du parti partageaient néanmoins des principes fondateurs communs: SANOWI est un parti révolutionnaire qui a pour but de renverser le système capitaliste et cela passe par un mouvement d’ensemble de la population. Il prône l’auto-organisation des travailleurs dans les luttes et dans une société future. C’est en mai 2009 que ce parti a officiellement vu le jour. Le parti est composé essentiellement de travailleurs, d’étudiants et de militants du mouvement social et associatif. Nous sommes surtout implantés dans la capitale, Séoul ainsi que dans les villes alentours.

Quelles sont vos principales campagnes?

Na-rae: En ce moment, nous participons surtout aux luttes contre les licenciements qui ont lieu dans les usines telles que Valeo, Ssangyong et une filière de Hyundai, nous soutenons également la lutte des enseignants qui demandent la reconnaissance des travailleurs précaires et l’amélioration de leurs conditions de travail.

Nous luttons aux cotés des militantes féministes qui demandent le droit à l’avortement interdit par le gouvernement Myung-Back au prétexte d’un taux de fertilité insuffisant. Nous allons nous mobiliser contre la tenue du G-20 en Corée du Sud début novembre, la répression policière augmente à l’approche du sommet car il faut donner une bonne image du pays, les mobilisations sont plus réprimées que jamais.

Nous essayons d’organiser et de soutenir les luttes des travailleurs, dans les universités nous dénonçons les frais d’inscriptions exorbitants, nous nous battons aussi pour les droits de l’homme et ceux des homosexuels.

Article et interview par Maeve (Rouen), parus dans le journal « L'Etincelle Anticapitalistes » du NPA-jeunes, n°7, octobre 2010

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