Grève générale du samedi 27 février dans les magasins Carrefour: la parole aux grévistes
Par Ataulfo Riera, Denis Horman, Bruno De Wit le Dimanche, 28 Février 2010 PDF Imprimer Envoyer

La grève générale appelée en front commun par les organisations syndicales du Groupe Carrefour-Belgique contre le plan de restructuration de la direction a été massivement suivie, que ce soit dans les hypermarchés, les supermarchés, dans les magasins franchisés et les centres de distribution, au Nord comme au Sud du pays. Ce lundi, des assemblées générales ont lieu dans tous les sites afin de déterminer la suite des actions.

Région liégeoise: «S’il faut aller au finish, on ira au finish!»

Un groupe de militant-e-s de la LCR liégeoise est venu apporter la solidarité de la LCR aux piquets de grève devant les magasins Carrefour-GB à Ans, Cointe et Herstal. Distribution du tract LCR «Interdisons les licenciements», discussions avec les grévistes, mini-interviews de délégués SETCA et CNE.

Brigitte, militante syndicale, avec 30 ans de service dans le même magasin, Rudy, délégué CN et Fabienne, déléguée SETCa nous ont livré leur impressions:

«Ce qui nous révolte, c’est la manière dont la direction de Carrefour a géré ses magasins, l’organisation du travail mise ne place, l’argent jeté par les fenêtres. Dans notre magasin, sur un an et demi, il y a eu trois changements dans l’infrastructure, le matériel, la présentation. Et pour aboutir à quoi? A ce que la clientèle ne s’y retrouve plus, à des files de 30 minutes devant les caisses, parce que la direction a sabré continuellement dans les coûts du personnel, au point que des clients aillent faire leurs courses ailleurs…»

«J’ai connu, dans ma carrière, le passage à plusieurs enseignes (firmes). Mais, cela se passait assez bien, avec reprise du personnel, aussi des prépensions. Mais avec Carrefour, ça a bien changé. On a connu des licenciements abusifs, des pertes d’emploi continuelles. Et les salaires? Parlons-en! Après 10 ans de carrière, et 30 heures semaine, on trouve pas mal de salaires à 1200 euros net sur le mois»

«Carrefour veut le beurre et l’argent du beurre, avec le sourire de ses employé-e-s. On est en train de perdre tous nos acquis, ceux qu’à arrachés la génération précédente, grâce à ses luttes. Et puis, si ce plan de restructuration catastrophique passe, ce ne sont pas seulement le personnel de chez Carrefour qui va subir une terrible régression sociale, mais aussi le personnel des autres chaînes de magasins. Les directions de ces chaînes se dira: «Si cela a réussi chez Carrefour, pourquoi pas chez nous?».

«On aimerait être fixé clairement sur notre avenir. Pas mal de choses restent floues. Aujourd’hui, c’est l’annonce de 1672 licenciements. Mais bien plus d’emplois sont dans le collimateur de la multinationale».

«Le groupe carrefour se porte bien, même très bien sur le plan international. De plus, il a reçu des aides de l’Etat, et pas un peu. On parle de 130 millions d’euros pour 2008. Et il ne paie pas d’impôts. Ca suffit. Je suis sur la rue et je me bats pour mon emploi. Lundi, si le personnel du magasin décide de continuer la grève, et bien, nous les délégué-e-s, on le soutiendra. On ne peut quand même pas obliger les gens à travailler dans ces conditions-là et face à une telle provocation. On peut aussi travailler « à l’escargot », travailler au rythme que nous déciderons. S’il faut reconduire la grève générale tous les samedis, et bien alors oui. S’il faut aller au finish, on ira au finish. Et si Carrefour menace de se barrer, la moindre des choses, c’est de rembourser toutes les aides, tous les cadeaux qu’il a reçus.


Bruxelles: «Vous n'avez plus rien à perdre!»

En Région bruxelloise également, la LCR a rendu visite aux piquets devant les hypermarchés Carrefour et les supermarchés GB de Drogenbos, Evere, Auderghem, Ixelles, Schaerbeek, etc.

A Drogenbos, une trentaine de caissières et de militant-e-s, essentiellement de la CNE-CSC, se pressent devant l'hypermarché de Drogenbos en Région bruxelloise. Un militant syndical distribue une affiche Carrefour détournée par les organisations syndicales où on peut lire « Super Promo: Satisfait, ou licencié!». Des travailleurs de Pizza Hut ont apporté quelques pizzas, les délégués des autres magasins du site (Brico, etc) passent saluer le piquet.

Le magasin de Drogenbos est parti en grève dès l'annonce des licenciements. Une permanente CNE explique: Il y a 250 travailleurs sur le site de Drogenbos, plus une dizaine d'intérimaires. Ici, on fait grève depuis 5 jours déjà. Lundi on fera une assemblée générale du personnel pour définir la suite des actions. Mercredi on s'invite au conseil d'administration de l'entreprise. En tous les cas, le conflit est parti pour durer. On veut le retrait du plan de restructuration de la direction: on refuse les licenciements secs et le passage à une commission paritaire défavorable."

Et d'évoquer l'ampleur du conflit: « En comptant les franchisés, c'est près de 4000 travailleurs qui risquent d'être touchés! Ce n'est pas comme ça qu'ils vont régler leur problème de chiffre d'affaire, par contre les actionnaires, eux, vont s'en mettre plein les poches alors que ce n'est pas aux travailleurs de subir les conséquences d'une gestion et d'une stratégie commerciale déplorables de la part de la direction. Les politiciens viennent montrer leur nez, comme Charles Michel au magasin qui se trouve dans sa commune. Mais tout ce qu'ils savent dire c'est «on va mettre sur pieds des cellules emplois»... alors que c'est la loi!»

Quel est l'état d'esprit? Une autre permanente CNE souligne que «Les travailleurs sont très soudés dans la grève, et au niveau des organisations syndicales aussi. Malheureusement les intérimaires sont en dehors de la lutte vu leurs conditions précaires, mais nous avons toujours réussi à limiter leur nombre face à la volonté de la direction.»

Les réactions des passants allant dans d'autres magasins du site ou venant aux nouvelles sont toutes positives, on sent une réelle solidarité avec les grévistes. Un voisin arrive et apostrophe directement une permanente syndicale: « Ca faisait 20 ans que je venais dans ce magasin, mais depuis quelques temps je ne viens plus; ça change tout le temps, je ne trouve pas ce que jeux, c'est n'importe quoi. Je vous conseille de ne pas vous arrêter: il faut leur faire très mal. Ils perdent 14 millions aujourd'hui mais ce n'est pas assez: c'est une grande multinationale. Quand vous reprenez le travail lundi, faites des grèves suprise d'une heure, sans prévenir, et à ce moment là faites passer les clients avec leurs chariots sans les faire payer! Vous n'avez plus rien à perdre, surtout les caissières qui ont plus de 45 ans, elles ne retrouveront jamais de travail!»

Une caissière confirme et nous raconte: « J'ai des années d'ancienneté, mais je travaille à mi-temps pour un salaire de 1050 euros par mois. Même dans le cas le plus positif, si je garde mon emploi, je passe sous une autre convention et alors je perd 30% de mon salaire. Avec 5 enfants c'est impossible! On verra lundi ce qu'on fera ensemble, moi je ne sais pas, je suis encore sous le choc!».


Flandre: Entretien avec Wiske Leemans (SETCa)

Wiske Leemans (BBTK-Setca) du Carrefour de Malines-Nord menacé de fermeture, nous a accordé cet entretien à propos des plans de la direction de Carrefour de licencier 1672 personnes, de fermer 21 magasins et d’en franchiser encore 7 autres en faisant perdre 6 à 7 % de leur revenus à ces travailleuses et travailleurs. Entretien réalisé le 26 février.

Quelle était votre première réaction aux plans de la direction de Carrefour?

Comme partout, nous avons éprouvé un sentiment d’abattement. Nous ne nous étions pas couchés tranquillement la veille parce que nous savions qu’au Conseil d’Entreprise ils allaient annoncer des restructurations importantes. Mais que cela concernerait tant de sièges et tant de collègues, ça on ne s’y attendait pas du tout ! Les 1672 collègues menacé-e-s de licenciement ont leur emploi mise à prix: 300 millions d’euros, morts ou vivant! C’est le montant que la direction à mis en provision pour réaménager, adapter, transformer les sièges Carrefour pendant les trois années à venir. Trois cents millions face au licenciement collectif de 1672 membres du personnel ! Nous trouvons que c’est dégoûtant de faire partir des gens pour embellir des magasins.

Quelle était la réaction des collègues?

Nous étions à 30 ou 35 réunis à la cantine et d’abord nous ne nous sommes pas rendu compte que le bazar allait déjà fermer fin juin. En première instance, ce fait n’a pas percé. Le gérant nous a lu la lettre type de la direction de Carrefour qui mentionnait un licenciement collectif. Nous en éprouvions comme un coup de poing dans l’estomac. Nous pensions que lorsque le bail de location allait prendre fin ici que nous serions recasés aux sièges de Zemst ou de Lier. Cela a été enlevé de l’agenda. Et nous ne sommes absolument pas tranquilles à ce sujet.

L’atmosphère était tendue depuis un certain temps entre le personnel et ses syndicats et la direction de Carrefour?

Avant, les syndicats pouvaient mieux communiquer avec la direction du GB. C’était des négociations « donnant-donnant ». Nous avons fait quelques grèves et souvent le problème était résolu. Dès que Carrefour est venu à la place, il n’y avait plus de discussion possible. Ce sont des vrais «je m’en foutistes» qui ne tiennent absolument pas compte des syndicats. Des mails restaient sans réponse. C’était vraiment ‘dégoûtant’. Et maintenant il apparaît qu’ils ont transféré 1 milliard € vers la France. Et aujourd’hui ils démontrent qu’ils sont une «entreprise pauvre» et ils ne paient pas d’impôt! C’est la faute à nos gouvernements. Ils donnent des cadeaux énormes aux multinationales qui s’enfuient avec notre argent, sur le dos des citoyens ordinaires.

Et maintenant vous partez en action?

Les actions ont déjà été décidées le mercredi 24, même si l’ambiance était plutôt fraîche et que les larmes ont coulé. La plupart d’entre nous voulait tout simplement fermer le magasin mais nous devions encore un peu digérer le coup. Mais plus que ça dure, plus que les collègues manquent d’envie pour continuer à travailler. Aujourd’hui j’ai fait le tour de mes collègues pour sonder leur envie de mener une action et pour leur demander de participer à la journée nationale d’action de samedi 27.

Est-ce que cette opération de Carrefour est un précurseur qui donnera à d’autres entreprises le feu vert pour faire pareil?

Avec le démarrage de la Tour Bleue, le nouvel hypermarché de Bruges, nous avions déjà pu constater de quoi cette direction était capable. Ils ont transféré ce magasin supergéant vers le comité paritaire 202, qui offre de moins bonnes conditions de travail que le Comité Paritaire 312 qui regroupe actuellement les hypermarchés. Ils ont jeté alors une «petite bombe». Mais la grande devait encore tomber. Car celles et ceux qui auront encore la chance de travailler dans un autre siège de Carrefour devront reculer socialement. Le Comité Paritaire 202 est là règle de Carrefour. Par exemple les jours de congé supplémentaire pour l’ancienneté sont abolis. Ce sera donc le recul pour chaque collègue qui garde un emploi dans le groupe.

Est-ce que les autres magasins sont solidaires?

La direction du Delhaize en face est déjà en train de saliver en prévoyant d’accueillir nos clients ce samedi. A ce moment la solidarité est encore limitée. «Si c’est possible chez Carrefour d’imposer le recul social en changeant de CP, ce sera bientôt notre tour» disent des collègues d’autres entreprises dans notre syndicat. Il est clair que les autres supermarchés veulent encore payer moins, chez Colruyt aussi.

Que penses-tu des montants qui apparaissent dans les médias: les avantages fiscaux, les intérêts notionnels?

Ce sont les cadeaux d’un gouvernement qui ne se soucie pas du peuple. C’est ainsi que Carrefour reprenait un jour le GB, avec 24.000 membres du personnel. Mais que se trouvait-il sur l’autre plateau de la balance? Il n’y a plus eu de contrats fixes, seulement des contrats à temps partiel pour 3 mois, 6 mois. Ainsi ils mettaient par mois et par tête de pipe 500€ de diminution de charges sociales en poche. Et puis on remplaçait un partiel par le suivant. Carrefour a donc profité de ce système pendant des années.

Opel, Inbev, DHL,..ça n’arrête pas!

Ce sont toujours les actionnaires qui sont coupables. Mais ici chez Carrefour c’est pire que de la mauvaise gestion. (fâchée) Ainsi, dans les hangars s’entassent des palettes entières de marchandises qui n’ont pas été commandées : elles ont été envoyées par ordre de la direction. Il y a par exemple du vin invendable à 250€ par bouteille : personne ne peut acheter cela. Cet argent dormant est en train de pourrir ici ! C’est facile d’envoyer une entreprise à la merde comme ça!

Rien n’est investi dans la rénovation. Même le néon qui dessinait le F dans Carrefour au magasin de Woluwé-St-Pierre n’est pas remplacé alors qu’il est cassé depuis longtemps.

Quel avenir pour Carrefour?

Un avenir est possible si le management investit et arrête de transférer tout le bénéfice vers les actionnaires. Les vrais problèmes ne sont pas résolus: des baux de location hors de prix, des erreurs organisationnelles à la pelle, pas de plan commercial sérieux et un milliard transféré au lieu de l’investir!

Interview par Bruno De Wit


 

Pétition de soutien aux travailleurs-euses de chez Carrefour Belgique:

http://www.lapetition.be/en-ligne/je-soutiens...

 


 

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