Les postiers en lutte contre le statut McDo
Par Serge Alvarez et Louis Verheyden le Mercredi, 16 Décembre 2009 PDF Imprimer Envoyer

Lors des  négociations  concernant l’introduction à la poste d’un nouveau sous-statut, celui de « facteur de quartier » auparavant appelé « porteur de courrier », les postiers ont mené en octobre des luttes radicales. Les grèves spontanées ont explosé surtout dans la région liégeoise, le Brabant wallon et à Bruxelles, qui ont culminé début octobre en plusieurs jours de grève générale.

Cela fait des années que les postiers luttent contre la pénurie de personnel, pour l’égalité de traitement entre contractuels et statutaires et pour l’admission au statut de fonctionnaire des contractuels. La coupe était pleine avec la création de ce nouveau statut précaire. C’est clair : la direction essaie de briser la force syndicale.

Si les directions syndicales ont appuyé les actions, elles n’ont rien fait pour les coordonner. Les actions ont été peu suivies en Flandres parce que tant l’ACOD que l’ACV-Transcom ont voté en faveur de cette proposition patronale. C’est la scission communautaire de facto des deux syndicats sous les coups de la direction Thijs/Durez/Van Acker.

Du coté francophone, les actions se sont essoufflées faute de coordination. La CGSP a déclaré l’arrêt de la grève afin de mener les négociations sereinement. A La Poste, l’existence d’un front commun est importante dans la mobilisation. L’abandon unilatéral de la CGSP a donné l’occasion à la CSC et la CGSLB de seulement couvrir les actions sans y appeler.

L'action dans la rue

De nombreux comités de citoyens défendant les bureaux de quartier ont vu le jour ces dernières années. La sympathie de la population envers la grève des postiers est aussi due aux actions contre les fermetures de bureau dont celui de Louvain-La-Neuve. Une coordination de comités a envoyé une délégation aux secrétaires syndicaux, qui n’avaient pas compris l’intérêt d’unir la mobilisation des citoyens usagers à celle des postiers. Une pétition contre le statut de facteur de quartier a été lancée sur Facebook à l’initiative spontanée de quelques militants syndicaux CSC. Elle a déjà récolté plus de 5.000 signatures. C’est un pas modeste vers une conscientisation citoyenne mais il faut essayer de faire déboucher cela par la création et le renforcement des comités, l’interpellation des parlementaires sur leur responsabilité dans la défense d’un vrai service public. C’est l’action dans la rue qui fera pencher la balance.

D’où vient ce conflit ?

Lorsque Johan Vande Lanotte (SP.a) ouvre le capital de La Poste, entreprise publique autonome, au capital privé, une grande négociation va être entamée avec différents opérateurs. Finalement ce sera le groupe de capital CVC Capital Partners qui emporte le morceau. CVC est largement réputé pour ses Leverage Buy Out. Cela consiste à rassembler et emprunter des capitaux pour acheter une entreprise, la restructurer et en extraire les morceaux juteux, prendre ses bénéfices et enfin la revendre en bourse. CVC a déjà montré au Danemark sa capacité à démantibuler le service public postal.

Au nom de l’autonomie de gestion et sous le prétexte de la directive européenne Mc Creevy imposant la libéralisation de tout le courrier au 1/1/2011, les gouvernements permettent l’accentuation de l’exploitation du personnel.

Le gouvernement a soutenu au Conseil d’Administration les 3 projets Géoroute qui augmentaient chacun la productivité de 10%, et la diminution de la moitié du réseau des bureaux.

En parole, PS et Ecolo défendent les services publics, l’emploi et l’environnement. En actes, ils attaquent le réseau postal. Faut-il croire Laurette Onkelinx (PS) quand elle dit «Ce n’est pas le privé qui va dicter ses règles au gouvernement. » ? Pourtant son parti et le parti frère flamand ont soutenu les privatisations. La loi ne permet pas à La Poste d’employer du personnel contractuel qu’à titre exceptionnel. La moitié du personnel travaille maintenant sous statut privé, nettement moins humain que le statut d’agent de l’Etat. Aujourd’hui, 30% du personnel est sous contrat à durée déterminée, sans avoir de possibilité de passer en CDI. En cas de pénurie momentanée, le bureau peut engager du personnel intérimaire.

Nouveau projet de démantèlement

Actuellement, les intérimaires ne reçoivent que deux jours de formation pour apprendre le métier. Cela les amène à faire souvent 50 heures par semaine au lieu des 38 prévues et payées. Maintenant La Poste organise un nouveau statut pour organiser le travail d’une façon encore plus précaire : le statut de « facteur de quartier ». La distribution sera réorganisée : le personnel stable devra préparer les tournées, distribuer les recommandés, les pensions, déposer les sacs de courrier pour les porteurs. Ce distributeur ira chercher dans un dépôt le courrier préparé par le facteur statutaire. Ces nouveaux facteurs travailleront 3 heures par jour pour un salaire horaire de 8,43 euros brut. Ils recevront une gratification de 25 cents pour l’entretien de leur vélo. Ils gagneront environ 330€ par mois. Aux Pays-Bas, il s’agit surtout de pensionnés, d’étudiants ou de ménagères. Il est aussi évident que cela crée une nouvelle catégorie de travailleurs et une pression vers le bas des conditions de travail et des salaires. En outre, ces travailleurs n’ont aucun contact avec leurs collègues : la solidarité jouera peu, la syndicalisation chutera.

Négatif sur toute la ligne

Cette nouvelle organisation sera mauvaise pour les travailleurs concernés. Elle sera désastreuse au niveau de la qualité. Et elle sera catastrophique pour l’environnement. Adieu à la qualité du service rendu aux usagers : il y aura deux sortes de courrier : une première pour les entreprises et les personnes qui paient pour recevoir leur courrier à la première heure pris en charge par les postiers professionnels et la deuxième pour le citoyen ordinaire, qui recevra son courrier vaille que vaille.

En ce qui concerne l’environnement, d’abord la privatisation ouvrira le marché, ce qui signifie qu’en plus d’une tournée par la camionnette rouge de la poste, il y aura une même tournée desservi par UPS, TNT, DHL et éventuellement les petits privés. En outre les tournées à pied et à bicyclette des facteurs dans les zones rurales sont remplacées par des tournées en vélomoteur et camionnettes.

La fusion des 550 bureaux de distribution en 130 plateformes allongera toutes les distances parcourues sauf celle des poids lourds qui viennent des centres de tri. En zone urbaine, la réorganisation provoquera le passage de trois voir cinq camionnettes au lieu du passage du facteur à pied habituel. Une première déposera le courrier de qualité aux entreprises, la deuxième les sacs pour les porteurs, la troisième distribuera les paquets, la quatrième s’occupera des transactions, la cinquième enfin collectera le courrier dans les boîtes rouges. Le bilan CO2 et de l’encombrement mériterait un peu d’attention au moment où Johnny Thijs veut obtenir des labels écologiques pour l’entreprise.

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