Dossier: Comprendre la crise pour mieux combattre l'austérité
Par Jan Willems et Samy Joshua le Samedi, 19 Septembre 2009 PDF Imprimer Envoyer

La crise qui frappe l’économie mondiale capitaliste est une crise sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale. Pour la première fois depuis 1945 le commerce international a régressé. La crise financière qui a éclaté en 2008 s’est rapidement propagée à l’économie réelle, c’est-à-dire aux entreprises. En 2009, le PIB mondial devrait connaître une chute similaire à celle de 1929.

Cette crise, comme toutes celle qu’engendre ce système capitaliste, va d’abord frapper les travailleurs et les milieux populaires, dans les pays pauvres comme les pays riches. Car pour les riches capitalistes, la crise n’est qu’une manière de rationaliser leur investissement et de profiter sur le malheur du reste de la population. Certains capitalistes sont éliminés dans le processus mais ils ne perdent qu’exceptionnellement toute leur fortune.

Malgré les milliards que la faillite de Fortis a coûté aux contribuables belges, leur propriétaire principal, la famille Lippens, ne va pas perdre son emploi et elle restera la famille milliardaire qu’elle était. La famille Boël ne perdra pas ses châteaux et autres biens immobiliers qu’on estime à 100 millions d’euros. Le concessionnaire belge de Rolls Royce a déclaré ne pas avoir perçu une chute de ses ventes suite à l’irruption de la crise. La consommation des super riches se porte bien, merci.

A l’origine de la crise : les capitalistes financiers démantèlent le contrôle des Etats pour spéculer et frauder sans entrave

Pourtant cette crise, ce sont bien les capitalistes qui l’ont créée avec leur soif toujours plus grande de profit. Depuis la crise de surproduction qui a éclaté en 1973 et le ralentissement de la croissance capitaliste qui l’a suivi, les entreprises et les rentiers ont de moins en moins investi pour créer des emplois et de nouvelles forces productives utiles à la société. Les capitalistes devaient trouver où réinvestir la masse de leurs profits. Comme les débouchés pour les marchandises étaient saturés, une partie croissante de ces profits s’orienta vers la finance et vers la spéculation au cours de ces trente dernières années.

Il y a une quarantaine d’années, les grandes banques et les fonds d’investissements privés poussèrent leurs gouvernements à libéraliser les mouvements de capitaux pour spéculer et investir sans entrave mais aussi pour échapper plus facilement à l’impôt. Le gouvernement américain ne se fit pas prier longtemps et dès le milieu des années 1970, les capitaux pouvaient librement entrer et sortir des Etats-Unis, facilitant l’évasion fiscale et les possibilités de spéculer sur l’ensemble de la planète. Les gouvernements des autres économies capitalistes les plus développées leur emboitèrent le pas. Ils ne pouvaient ne pas donner les mêmes avantages à leur bourgeoisie financière nationale que ceux dont bénéficiait leur concurrente américaine. Les capitaux purent ainsi librement circuler comme avant la première guerre mondiale et les centres financiers off-shores (littéralement « hors des côtes », c’est-à-dire hors des contrôles des Etats) qui accueillent les riches fraudeurs fiscaux et blanchissent l’argent sale se multiplièrent et se renforcèrent à travers la planète (Iles Caïmans, Iles Vierges, Luxembourg, Liechtenstein etc…).

Des bulles spéculatives internationales et des crises financières destructrices à répétition…

Au cours des années 1970, les banques des pays riches, au lieu d’investir dans de nouvelles forces productives, prêtèrent massivement à des sanglantes dictatures militaires des pays du Tiers-monde comme le Brésil, l’Argentine, la Corée du sud et l’Indonésie. Elles pouvaient effectivement spéculer avec la complicité des gouvernements de ces Etats en augmentant massivement la dette de ces pays. Cela permit d’obtenir rapidement des profits jusqu’au début des années 1980 où ces pays ne purent faire face à la montée des taux d’intérêt et se trouvèrent dans l’incapacité de rembourser leur dette aux banques des pays riches. Ce fut le début de la crise de la dette qui se poursuit encore en 2009. Comme aujourd’hui, les banques américaines se sont retrouvées virtuellement en faillite du fait de leurs prêts trop risqués.

Mais comme aujourd’hui également, ce ne sont pas elles qui payèrent les pots cassés, mais les travailleurs du monde entier. En effet, les gouvernements occidentaux reprirent à leur charge la dette des pays du tiers-monde et effacèrent ainsi l’ardoise des banques privées. Les gouvernements présentèrent l’addition aux contribuables des pays riches, c’est-à-dire à la population laborieuse. En effet, les grandes multinationales et les familles les plus fortunées plaçaient déjà la plupart de leurs capitaux dans les paradis fiscaux de la planète et les Etats leur offraient de plus en plus d’exemptions fiscales pour soi-disant les inciter à créer des emplois. Les centaines de milliards de dollars que les banques privées avaient prêtés aux dictateurs du tiers-monde et qu’elles ne pouvaient plus récupérer furent ajoutée à la dette publique des Etats-Unis et de l’Europe. Et auprès de qui les gouvernements américains et européens empruntèrent à des taux très élevés ? Naturellement auprès des banques privées… qui reçurent ainsi des centaines de milliards de dollars d’intérêts supplémentaires payés par les travailleurs taxés.

Les Etats des pays riches avec l’aide du Fond Monétaire International de la Banque Mondiale (des institutions financières dite « mondiales » dans laquelle les gouvernements américains et européens disposent d’un droit de véto) imposèrent des plans de remboursement extrêmement durs aux populations du Tiers Monde. Ces plans dits « d’ajustement structurels » ont forcé les gouvernements des pays du Tiers-monde à sabrer dans l’enseignement, la santé, le reste de la fonction publique ainsi que dans les rares politiques sociales existantes. Le FMI a imposé des baisses de salaire allant jusqu’à 50%. Partout s’ensuivirent des catastrophes sociales qui durent depuis des décennies et qui constituent le terreau des guerres civiles sanglantes, de la désintégration de l’Etat et de la montée en puissance des organisations criminelles et des seigneurs de guerres. Le Congo, La Somalie, le Rwanda, la Yougoslavie ou le Mexique constituent autant d’exemples tragiques de ce système capitaliste mondial absurde et meurtrier.

Le FMI s’assura également que les pays du Tiers-monde s’ouvrent entièrement aux investisseurs capitalistes occidentaux et suppriment les contrôles sur les mouvements de capitaux qui existaient encore dans les Etats du Tiers-Monde. Les multinationales occidentales purent ainsi investir pour contrôler plus directement les ressources naturelles et les services (banques, transports, télécoms) des pays pauvres. Elles purent produire dans ces pays où les salaires étaient dix fois inférieurs à ceux des pays développés et où les syndicalistes honnêtes sont menacés de mort et exécutés par des polices locales ou par des escadrons de la mort au service de patrons comme en Colombie ou aux Philippines. Mais le FMI arriva également à imposer que des capitaux financiers spéculatifs puissent librement entrer et sortir des pays du Tiers Monde.

Au début des années 1990, les capitalistes avaient réussi à imposer à leurs Etats d’abandonner la plupart des contrôles sur les mouvements de capitaux à travers le monde. Grâce aux progrès de l’informatique et des télécommunications, les marchés financiers des différents pays étaient interconnectés, créant un grand casino mondial dans lequel les capitalistes pouvaient frauder le fisc, spéculer et blanchir leur argent de la corruption et des trafics de drogues, d’armes… et d’êtres humains.

Ils ne s’en privèrent pas. Les bulles spéculatives et les crises financières s’enchainèrent les unes après les autres au cours des années 1990. Les capitalistes spéculèrent sur tout ce qui est possible : l’immobilier à Bangkok, les titres de la dette de l’Etat mexicain ou russe, la devise brésilienne comme les matières premières. Chacune de ces crises amena son lot de misère, de chômage, de destruction de services publics et d’impôts supplémentaires pour la population : les plus importantes furent la crise de la Tequila au Mexique en 1994 (coût direct pour les contribuables mexicains et américains 50 milliards de dollars), la crise Argentine de 1995, la crise Est-Asiatique de 1997 (des centaines de milliards de dollars), la crise russe, la crise brésilienne et à nouveau la crise Argentine. A chaque fois, les capitaliste spéculaient sur un produit financier, l’immobilier, une monnaie ou des matières premières, générant une bulle qui éclatait et provoquait une crise financière et économique dévastatrice. A la fin des années 1990, les crises financières avaient tellement déstabilisé les économies des pays du Tiers monde qu’une partie plus importante des capitaux spéculatifs se porta à nouveau dans les pays développés, notamment sur la bourse américaine des nouvelles technologies, le NASDAQ. Ce fut la bulle de la « Nouvelle économie » qui déboucha sur la récession de 2001 et sur une nouvelle crise de surproduction.

…aux contradictions du capitalisme américain qui ont conduit à la crise financière actuelle

Après l’effondrement en 2000 de la bulle spéculative du NASDAQ pour offrir de nouveaux débouchés aux capitalistes américains, le gouvernement américain se lança dans un programme de réarmement militaire et dans la soi-disant « guerre contre le terrorisme » en dépensant des centaines de milliards de dollars. Mais parallèlement Bush et sa clique offrirent de nouveau cadeaux fiscaux aux riches, notamment en supprimant tout impôt sur les successions en dessous de…5 millions de dollars ! L’Etat américain commença à s’endetter massivement.

L’Etat américain fit baisser les taux d’intérêt pour stimuler la consommation et les investissements. De fait, des ménages américains profitèrent des taux bas pour acquérir des maisons et des appartements. Le prix de l’immobilier commença à grimper plus vite. Mais ces ménages furent suivis par des spéculateurs qui avaient sortis leurs capitaux des bourses américaines en chute libre et qui voyaient dans l’immobilier un placement plus rémunérateur que les activités de production, la bourse ou les pays du tiers-monde. La demande spéculative fit exploser les prix de l’immobilier qui grimpèrent de 80% entre 2000 et 2006 !

L’économie capitaliste américaine s’est empêtrée dans ses contradictions. Depuis le milieu des années 1970, les travailleurs américains subissent des attaques constantes du patronat et du gouvernement. La liberté de mouvement de capitaux permis aux capitalistes de délocaliser des régions américaines industrialisées où les syndicats étaient bien implantés (Nord-Est et Grand Lacs) vers les régions moins syndiquées et vers les économies du Tiers-monde comme le Mexique, le Costa Rica ou Taiwan. Les directions syndicales américaines convaincues de la nécessité de « cogérer » l’économie capitaliste avec les patrons (comme si c’était possible !) furent évidemment incapables d’organiser une contre-offensive de la classe ouvrière américaine, voire même de défendre certains acquis élémentaires. Les gouvernements américains successifs attaquent sans relâche ceux qui tentaient d’organiser des grèves de grande ampleur. Ainsi le président Reagan réquisitionna des milliers de soldats pour remplacer les grévistes aiguilleurs du ciel au début des années 1980. Le gouvernement Clinton attaqua le dirigeant syndical responsable qui coordonna la grande grève d’UPS (messagerie et transport) pour le faire remplacer par le fils de Hoffa, un dirigeant syndical dont les liens avec la maffia étaient notoires. L’Etat supprime toute une série de lois sociales, facilitant le licenciement et précarisant ainsi les travailleurs. Il restreint aussi les allocations sociales et le chômage ce qui force des millions de travailleuses et de travailleurs, notamment de filles-mères, à prendre un emploi précaire à n’importe quelle condition. De plus, le maintien dans la précarité de millions de travailleurs clandestins d’Amérique Latine, corvéables à merci, affaiblit encore la classe ouvrière américaine face aux attaques patronales.

La conséquence de ces attaques est une chute des salaires sans précédent depuis 1929. En termes de pouvoir d’achat, le salaire horaire minimum légal baisse de 40% entre les années 1960 et 2005 pour atteindre un peu plus de 5$ l’heure, soit 30% de moins que ce peut gagner un sans-papier exploité qui fait la plonge dans l’Horeca belge (voir tableau 1) ! Les familles américaines sont forcées de travailler 20% de plus aujourd’hui qu’en 1970 simplement pour compenser ces baisses de salaires. Alors que la productivité des travailleurs américains (c’est-à dire les richesses qu’ils créent par leur travail) continuent de progresser régulièrement, les salaires, eux, stagnent ou baissent (voir tableau 2) : la différence, c’est encore plus de profits… Profits que les capitalistes américains ne peuvent pas investir entièrement dans la production, faute de demande suffisante…et qui donc alimentent les spéculations diverses.

En plus de cette baisse des salaires, les gouvernements américains successifs depuis Jimmy Carter à la fin des années 1970 ont imposé des réformes fiscales qui exemptent les plus riches. L’Etat n’a donc plus les moyens de financer des services publics élémentaires de qualité comme les pensions, la santé ou l’éducation. On assiste à des services à deux vitesses entre le privé et le public. Les familles des milieux populaires américains sont alors obligées de s’endetter s’ils veulent accéder à des soins de santé ou à l’éducation de qualité. Les frais d’assurance santé et d’inscription universitaires augmentent respectivement de 87% et de 40% entre 2000 et 2008. Permettre à ses enfants d’obtenir un diplôme universitaire peut coûter le prix d’une maison. Les Américains en moyenne dépensent 15% de leur PIB en soins de santé (les deux tiers dans le système privé) contre seulement 7.5% pour les Français (très majoritairement dans le public)…alors que ces derniers vivent deux ans plus vieux !

Pour faire face à l’explosion de leurs dépenses et à la baisse des allocations sociales comme de leur salaire horaire, les familles américaines ont alors recours au crédit de consommation. Elles empruntent notamment en mettant leur maison en garantie. Comme le prix des maisons grimpe du fait de la bulle spéculative, elles peuvent s’endetter encore plus. Mêmes les familles les plus aisées, grisées par la hausse de la valeur de leurs maisons et aux faibles taux d’intérêt, s’endettent pour acheter des bien de luxe.

En fait depuis trente ans, les capitalistes américains exploitent de plus en plus les travailleurs américains, dégradant ainsi leurs revenus. Mais ces travailleurs sont aussi la masse des consommateurs dont le système a besoin pour se créer des débouchés. De plus, les capitalistes éludent de plus en plus l’impôt et ont soutenu le réarmement et les guerres impérialistes en Irak et en Afghanistan, vidant ainsi les caisses de l’Etat américain dont la dette dépassait les 5200 milliards en 2008. Mais là aussi, les capitalistes limitent leur autre débouché que sont les commandes de l’Etat. Les capitalistes américains réalisent des profits record qu’il leur faut réinvestir mais avec des débouchés qu’ils ont eux-mêmes contribuer à restreindre.

Pour créer de nouveaux débouchés afin de pouvoir vendre leurs marchandises et d’accroître leurs profits dans le système bancaire, ils vont donc encourager l’endettement des ménages américain qui est multiplié par 10 entre 1988 et 2008 pour atteindre les 160% du PIB! Et comme cela ne suffit pas à investir la masse des énormes profits accumulés ainsi par les capitalistes, on spécule…jusqu’à l’éclatement de la prochaine bulle.

La bulle immobilière américaine éclate et se propage à travers le monde

A partir de 2001, les prix de l’immobilier ont continué à grimper du fait de la spéculation mais aussi du démarchage des banques et des courtiers auprès des ménages plus pauvres pour les inciter à contracter un crédit hypothécaire. Pour toucher leur commission et les intérêts, les banques offrirent des prêts à taux variables, très bas les deux premières années et dont les charges des intérêts pouvaient grimper jusqu’à 40% ensuite ! Si les emprunteurs ne savaient plus rembourser, il suffisait à la banque de revendre le bien immobilier dont la valeur aurait grimpé depuis son achat puisque les prix ne cessaient de monter… du fait notamment de la spéculation.

Comme lors de toutes les autres bulles spéculatives, les capitalistes furent aveuglés par la soif de profit. En concurrence permanente face à l’expansion ce nouveau marché des crédits hypothécaires, les banques et les courtiers multiplièrent les prêts bien au-delà de ce que préconisent les règles bancaires internationales. Ils trouvèrent une manière de contourner ces règles en titrisant leurs créances hypothécaires. C’est-à-dire qu’ils transformèrent leurs créances risquées, ce qu’on appelle les subprimes, en les combinant à d’autres créances moins risquées pour en faire un produit financier complexe vendus en bourse. Ces produits financiers devenaient de véritables boîtes noires dont la compréhension nécessitait parfois la lecture de manuels d’explication de plusieurs dizaines de pages remplies de modèles mathématiques obscurs. Ces produits étaient revendus à d’autres investisseurs spéculateurs alléchés par les bons rendements financiers. Il existait des agences de notations privées, dont le but était d’évaluer le risque de ces produits mais comme elles touchaient des commissions à chaque opération, elles sous-estimèrent systématiquement le risque, attirant des spéculateurs du monde entier. Les prêts risqués des subprime se répandaient à travers les marchés financiers mondiaux.

Mais lorsque le marché immobilier fut saturé, les prix des maisons commencèrent à baisser en 2006 (voir graphique infra). Des familles pauvres ne surent plus payer leur crédit hypothécaire quand les taux variable se relevèrent. Les banques se mirent à les expulser de leur maison et à les revendre, mais cette fois à perte. Trois millions de familles américaines perdirent ainsi leur bien immobilier. La vague massive de revente de maisons fit d’autant plus chuter les prix et tout à coup, les capitalistes réalisèrent que les prêts subprime ne seraient pas tous récupérables. Les prix des produits complexes titrisés composés de subprime s’effondrèrent soudainement car tous les spéculateurs voulaient s’en débarrasser en même temps. Les institutions financières partout dans le monde qui en avaient trop achetées se trouvèrent en faillite du jour au lendemain. La crise financière était là. Des institutions de crédit hypothécaire américaines, des fonds d’investissement chinois, des banques belges, des compagnies d’assurances tombèrent en faillite les unes après les autres. La valeur de nombreux actifs financiers s’effondra. La crise provoqua en 2008 une perte financière globale de 14000 milliards de dollars, soit plus de 20% du PIB mondial !

La crise se propage vite à l’économie réelle. Les banques en difficultés se mettent à prêter moins facilement, engendrant des faillites en cascade d’entreprises qui avaient besoin de liquidité. La chute de la valeur des maisons réduit les prêts hypothécaires. Les ménages endettés peuvent moins consommer. Les entreprises qui font face à une chute de la demande arrêtent leur investissement et licencient. Même les entreprises en bonne santé utilisent la crise pour licencier pour « dégraisser », comme on dit chez certains cadres dirigeants qui considèrent leurs travailleurs comme du bétail. Les licenciements massifs ralentissent la consommation globale des ménages. La crise financière capitaliste touche alors l’ensemble de la société.

Les Etats au secours de leurs capitalistes nationaux

Comme lors des crises précédentes, les gouvernements intervinrent massivement pour soutenir leurs grands groupes capitalistes. Souvent les capitalistes justifient le profit par le risque qu’ils prennent dans leurs investissements. Mais pour les gros capitalistes, le risque est presque nul. L’Etat américain débourse plus de 100 milliards de dollars pour sauver AIG, le plus gros assureur américain. On connaît bien l’intervention de l’Etat belge pour sauver Fortis et son feuilleton judiciaro-médiatique.

Les gros spéculateurs sont sortis du marché avant la chute de l’action Fortis. L’Etat fit alors un gros cadeau aux actionnaires de la banque du milliardaire Lippens. Lorsque l’Etat suspendit un vendredi le cours des actions Fortis sur le marché boursier, la valeur financière du groupe (holding comprenant assurances et banques) était évaluée à 13 milliards d’euro. Le lundi suivant, les Etats belge, néerlandais et luxembourgeois déboursèrent 11 milliards pour acquérir la moitié seulement du capital de la seule Banque (et non de l’ensemble du holding, assurance comprise) …Un beau cadeau de Reynders à son électorat actionnaire. Mais cela ne leur suffisait pas. Comme quoi, les actionnaires ne sont pas toujours pour le principe du libre marché. Le gouvernement belge fit alors la quête devant le président Sarkozy pour offrir Fortis à la BNP tout en reprenant la grande majorité des actifs toxiques (ces titres que Fortis détient mais dont personne ne veut aujourd’hui et dont la valeur s’est effondrée) qui s’élèvent selon certains analystes financiers à 40 milliards d’euros ! Les contribuables belges paieront donc un cadeau aux actionnaires de Fortis et un autre cadeau aux actionnaires de BNP, livrer un réseau de banques tout neuf et débarrassée de son risque financier principal.

Mais les grandes banques capitalistes sauvées par leurs Etats n’hésitent pas à continuer leur spéculation. Grâce aux prêts bon marché des Etats (les banques centrales publiques octroient des prêts à 1% en Europe et à 0,25% aux Etats-Unis), les banques se refont des marges (elles prêtent parfois à plus de 10% aux PME) qui leur permettent d’acheter de nouveaux actifs financiers et d’accumuler des profits supplémentaires. Cela explique en partie la récente montée boursière de ces derniers mois…et cela prépare peut être une autre crise de la bourse que l’Etat s’empressera de colmater avec l’argent public.

Les fonds que les Etats doivent avancer pour sauver les banques et certaines grandes entreprises, les exemptions fiscales pour « aider » les entreprises (même celle qui font des profits) ainsi que les plus nombreuses allocations de chômage détériorent les finances publiques. Le ralentissement économique qui freine les recettes fiscales aggrave ce processus d’endettement. Ainsi, la dette publique américaine passe de 5400 à 9000 milliards de dollars entre le début de la crise et cet automne 2009.

L’endettement des pays pauvres est encore pire parce qu’avec la crise économique mondiale, la demande pour les matières premières chute et avec elle les prix de la plupart des exportations des pays du Tiers monde. Mêmes les pays dit « émergents » (notamment en Asie orientale et en Europe de l’Est) qui faisaient de l’assemblage de produits manufacturés pour les exporter vers les pays riches subissent une chute dramatique de leurs exportations et leurs Etats s’endettent massivement. Certains n’arrivent plus à rembourser leur dette comme le Pakistan, la Lituanie et la Hongrie et se retrouvent plus que jamais sous la coupe du FMI et de ses « plans de sauvetage » meurtriers.

Mais qui donc peut prêter à ces Etats qui s’endettent à travers le monde. Qui dispose des réserves financières suffisantes ? En grande partie, ce sont ceux-là mêmes qui ont pu sortir à temps de la bulle immobilière et financière, c’est-à-dire les spéculateurs les plus rapaces et les plus aguerris. En effet, les gros opérateurs financiers disposent d’une meilleure information que les petits rentiers et les petits actionnaires. Ils anticipent donc mieux l’éclatement de la bulle spéculative et vendent souvent leurs actifs avant la chute vertigineuse de leurs prix. Les plus petits sont souvent ceux qui y perdent leurs plumes. Les petits actionnaires de Fortis par exemple…

Dans cette crise, les capitalistes spéculateurs ont retiré en 2000 une partie de leurs capitaux du marché du NASDAQ au moment de l’éclatement de la bulle de la nouvelle économie. Ils placent ces capitaux dans l’immobilier jusqu’en 2006, date à laquelle les marchés immobiliers et financiers s’effondrent. Ayant déstabilisé leur propre système financier, les spéculateurs doivent trouver un nouveau placement pour leurs capitaux…Où aller ? Mais les capitalistes savent qu’il existe une valeur sûre à court terme : les matières premières et les produits alimentaires. Les gens doivent bien se nourrir. Alors on va voir les capitalistes spéculer sur le cours du pétrole, du riz, du blé etc… Des cargaisons de produits agricoles seront rachetées et revendues plus de trente fois par des spéculateurs avant d’arriver à leur destination. Le prix du baril de pétrole va plus que doubler pour dépasser les 100$. Des analystes employés par les journaux bourgeois iront jusqu’à prétendre que c’est la faute des chinois qui demandent trop de pétrole mais il est clair que ces variations de prix extrêmement brusques ne peuvent pas s’expliquer sans spéculation massive.

Mais les spéculateurs savent que les prix des matières premières vont chuter dès que la crise financière se sera propagée à l’économie réelle. En effet, avec le ralentissement de l’économie réelle, la demande pour ces matières premières sera moins importante et leur prix va chuter…

Alors que font ces capitalistes quand tout s’écroule autour d’eux ? Il reste un placement sûr, c’est de prêter aux Etats riches. Les Etats des petites économies du tiers monde peuvent tomber en faillite mais pas les Etats riches. Car l’Etat pour rembourser n’a qu’à faire payer des impôts à la population laborieuse et il dispose d’une force armée pour le faire. Un analyste américain répondait à des journalistes à la question suivante : « pourquoi les investisseurs prêtent-ils encore à l’Etat américain, même plus qu’aux autres Etats, alors que son endettement s’est brutalement accéléré ? ». Sa réponse fut lapidaire : « parce qu’ils disposent de la plus grande armée ». Car la garantie qu’un Etat peut offrir aux capitalistes qui lui prêtent, c’est sa capacité à forcer les travailleurs à rembourser sa dette.

Les capitalistes ont donc créé cette crise par leur folle soif de profit, créant des bulles spéculatives de plus en plus grosses et de plus en plus incontrôlables jusqu’à l’éclatement de l’automne 2008. Pour les sauver, les Etats ont dépensé des milliers des milliards, s’endettant auprès de ces mêmes spéculateurs ! Et maintenant, ils vont nous annoncer des plans d’austérité de plus de dix ans pour payer les intérêts de la dette à ceux-là même qui sont les responsables de ce désastre…

Il y a un siècle, d’autres spéculateurs capitalistes avaient également prêté à un grand Etat disposant d’une grande armée qu’ils croyaient capable d’imposer à ses travailleurs le remboursement de la dette. Ce pays était la Russie du Tsar Nicolas II qui attirait les capitaux spéculatifs de France, de Belgique ou d’Angleterre. Lorsque les travailleurs russes balayèrent l’autocratie et que les bolcheviks établirent un Etat ouvrier après la révolution d’octobre 1917, une de leurs premières mesures fut de supprimer la dette contractée par les tsars. Les capitalistes perdirent ce qu’ils avaient spéculé, les travailleurs se révoltant contre l’exploitation. N’oublions pas que payer la crise des capitalistes n’est pas une fatalité.

Jan Willems. 9 septembre 2009


La grande crise des années trente aux Etats-Unis. Une présentation critique des diverses explications proposées

Par Samy Joshua

La grande crise américaine l’a emporté sur toutes les autres en intensité et en durée. Il est donc logique que ce soit à son sujet qu’aient été présentées la plupart des grilles de lecture du grand effondrement.

Une thèse souvent évoquée est celle de la sous-consommation (aujourd’hui aussi fréquemment défendue à propos de la crise actuelle). Au cours des années vingt, on aurait constaté une croissance des salaires réels bien plus lente que celle de la productivité du travail ; d’où aurait résulté un partage de plus en plus inégal de la valeur ajoutée (à l’avantage des profits) et une disproportion grandissante entre les rythmes d’expansion de la section II (produisant des biens de consommation) et de la section I (fabricant des biens de production). D’où une crise des débouchés. Mais le décalage entre les taux de croissance des salaires réels et de la productivité du travail, avéré pour l’industrie manufacturière, ne l’est pas au niveau national. D’ailleurs, au cours de ces années vingt, la part des salaires dans le revenu national est stable et celle de la consommation dans le Produit national brut (PNB) est croissante.

Une autre explication soutenue avec insistance (et, là aussi, c’est encore le cas aujourd’hui) est d’ordre financier : le krach boursier du 24 octobre 1929 serait à l’origine de l’effroyable dépression. Dès le départ, cette explication qui met en cause la finance malfaisante a eu les faveurs du grand public (à nouveau, comme aujourd’hui). Elle n’est pourtant pas fondée. Le sommet de l’activité est daté d’août 1929, avant le krach, et de nombreuses statistiques particulièrement sensibles à la conjoncture culminent en août ou septembre. Le cours des actions baisse de 19,2% en 1930, mais il s’était déjà effondré (toujours aux Etats-Unis) de 22,7% en 1877 et de 18,7% en 1907, sans provoquer de grande crise. Il est vrai que l’indice industriel, jusque-là stagnant, entame une chute accélérée à partir d’octobre 1929, ce qui laisse penser que le krach, bien que n’étant pas au point de départ, a contribué à transformer une crise en grande dépression.

L’hypothèse monétariste est particulièrement prisée aux Etats-Unis. Trois grandes vagues de faillites bancaires auraient provoqué la chute dramatique de plus d’un tiers du stock de monnaie du début à la fin de la dépression américaine (avec des effets désastreux sur l’activité économique) sans provoquer de réaction adéquate de la Fed, la banque centrale américaine, qui n’aurait pas réagi comme elle le faisait jusque-là. En réalité, la première vague de crises bancaires n’a pas eu d’impact sensible sur l’économie réelle. La deuxième vague (qui débute en juin 1931) est le résultat du démarrage de la crise bancaire européenne (avec l’effondrement de la Creditanstalt autrichienne en mai 1931) et de la chute de la livre sterling (qui quitte sa base or en septembre 1931), ce qui déclenche une violente spéculation contre le dollar. La Fed réagit conformément à sa doctrine, élève ses taux pour défendre le lien du dollar à l’or et fait passer le soutien aux banques au second plan. La troisième vague de défaillances bancaires débute au cours du dernier trimestre de 1932 : elle découle de l’élection de Roosevelt et de la conviction du public que le Président nouvellement élu va rompre le lien du dollar à l’or. La spéculation contre le dollar repart de plus belle, et la Fed réagit conformément à sa doctrine traditionnelle, élève ses taux pour défendre le dollar et relativise le soutien aux banques. Au total, les défaillances bancaires, l’affaissement du stock de monnaie et le comportement de la Fed ne sont pas des causes autonomes de la crise, mais des retombées de la crise européenne et de la défense de la parité-or du dollar.

Reste la thèse du surendettement, défendue à l’époque en particulier par Irving Fisher, qui met l’accent sur l’articulation entre surendettement et baisses des prix. L’effort des entrepreneurs pour réduire leurs dettes entraînerait en effet une rapide baisse des prix, laquelle accroîtrait, au total, le poids réel de ces dettes, malgré l’effort fait pour s’en dégager. Le principal secret de la plupart des grandes crises tient, dit Fisher, dans ce paradoxe : plus les débiteurs payent, plus ils doivent. Mais la thèse de Fisher ne paraît pas fondée, car le rapport de la dette des entreprises au PNB en 1929 n’a rien d’extraordinaire, si on le compare aux ratios du passé américain. Par contre, le rapport de la dette des ménages au PNB atteint alors un niveau tout à fait exceptionnel, un point sur lequel nous revenons dans le reste du dossier.

La crise de 1929 et la double émergence

La crise de 1929 est une crise d’organisation du monde. La première mondialisation, qui couvre le dernier tiers du XIXe siècle, reposait sur une forme bien particulière de structuration de l’espace. Vaste zone de libre-échange, sans doute, mais fortement rassemblée autour d’un pays, le Royaume-Uni (tout à la fois première puissance économique, commerciale, financière, politique), une zone nettement partagée en centre et périphérie, disposant d’une monnaie, sinon unique, en tous les cas commune, sous la forme de l’étalon-or. Vers la fin du XIXe siècle ce dispositif se rompt. L’ancienne organisation du monde est brisée par une double émergence, celle, sur le nouveau monde, des Etats-Unis, et celle, sur l’ancien, de l’Allemagne. En 1880, les produits manufacturés ne représentaient que 11% du total des exportations américaines. En 1925-29, les Etats-Unis créent près de la moitié de la production industrielle mondiale (URSS exclue). Tard partie, l’Allemagne met les bouchées doubles : en 1913, elle devance le Royaume-Uni et son produit est alors, selon les estimations, de 60% ou 80% supérieur à celui de la France. Il y a donc deux crises dans la grande crise, car il y a deux crises de l’émergence : l’une, au niveau mondial, qui met surtout en jeu les rapports Etats-Unis / Royaume-Uni ; l’autre, au niveau européen, qui situe surtout l’Allemagne face à la France. Ces deux crises s’entretiennent l’une l’autre, mais ont chacune leurs propres racines, et sans ce doublon il n’est guère possible de comprendre la gravité de la grande dépression. Il ne s’agit pas d’un cercle, mais d’une ellipse, à deux foyers, Etats-Unis et Allemagne. Le Royaume-Uni fait en quelque sorte la navette entre les deux, déjà trop affaibli sur la scène internationale par la puissance montante américaine pour pouvoir maintenir son ancienne fonction régulatrice sur la scène européenne. Nous sommes dans un entre-deux : l’Angleterre ne peut plus exercer son ancien rôle, les Etats-Unis ne le peuvent pas encore.

Crise de l’émergence américaine, la crise de 1929 l’est à un double titre, à la fois sur le plan intérieur américain et sur le plan international. De la même façon qu’une île surgie du fond de l’océan, montant à toute allure à la surface, sera, d’une part, en équilibre intérieur instable et va, d’autre part, lever une vague qui ira balayer les continents déjà établis. Sur le premier de ces plans, on peut interpréter la grande crise américaine de 1929 comme celle générée par le passage brutal d’un monde de petits producteurs à celui du salariat. Au cours du dernier tiers du XIXe siècle, il y avait déjà de nombreuses crises économiques éclatant à l’est du territoire des Etats-Unis. Mais elles étaient amorties par l’hétérogénéité du milieu économique américain, qui combinait sociétés et entrepreneurs individuels, salariés et paysans, petite et grande production. Le recul des formes d’activité relevant de la petite production a été particulièrement rapide, à la jonction des XIXe et XXe siècles, ce qui s’explique probablement par la fin de la frontière, survenue au même moment. En 1880, un peu plus de la moitié de la population active travaillait dans l’agriculture ; en 1930, à peine plus du cinquième. Ce bond en avant de l’espace couvert par les sociétés et le salariat a brutalement réduit la diversité de l’espace économique américain, l’homogénéisant, ouvrant la voie à la grande dépression. L’émergence américaine aura joué également un rôle décisif au plan international. C’est ainsi que s’explique la chute de la livre en septembre 1931, la banque d’Angleterre s’avérant incapable d’attirer les capitaux nécessaires, car New York et le dollar occupent désormais la première place.

Double émergence, avons-nous dit, celle des Etats-Unis mais aussi celle de l’Allemagne. Guerre en quelque sorte inachevée, le premier conflit mondial a posé le problème de l’émergence allemande en Europe mais ne lui a pas donné de réponse, a débouché sur un traité de paix qui n’était qu’un armistice et fait des années 1920 la prolongation de la guerre par d’autres moyens. C’est dans ce cadre que l’on peut comprendre l’hyperinflation allemande, les profonds déséquilibres structurels qui lui ont fait suite, et enfin l’explosion d’un extraordinaire matériel inflammable dans la grande crise bancaire allemande de 1931. Les deux crises d’hégémonie, européenne et mondiale ont aussi entremêlé leurs effets. Ainsi la question des réparations a littéralement empoisonné les relations franco-allemandes ; s’y est ajoutée celle des dettes de guerre (opposant les Etats-Unis à leurs alliés), et les deux dossiers, intimement liés, ont représenté un obstacle essentiel sur la voie du redressement.

XXe et XXIe siècles, deux grandes crises

Pouvons-nous comparer la crise de 1929 et l’actuelle ? Sur certains points, s’agissant des Etats-Unis, elles se tiennent proches l’une de l’autre. A chaque fois, une bulle se situe sur la ligne de départ ; à chaque fois la crise bancaire guide la déflagration ; à chaque fois le surendettement des ménages alimente la dépression. Des précisions s’imposent pourtant. La bulle était boursière en 1929, immobilière aujourd’hui ; elle n’a pas déclenché la crise en 1929 (même si elle l’a aggravée), elle a été au cœur de la récession actuelle. En ce qui concerne la crise bancaire, elle s’est manifestée lors de la grande crise du XXe siècle par de très nombreuses fermetures d’établissements, alors qu’actuellement (le sauvetage sur fonds publics aidant) il s’agit plutôt de la paralysie de l’appareil bancaire dans sa fonction de distribution de crédits. Enfin, le surendettement des ménages découle aujourd’hui de la construction résidentielle ; en 1929, il était lié au crédit à la consommation et à la spéculation boursière.

D’ailleurs, on voit poindre dans le déroulement de la crise actuelle certains des traits marquants de la grande dépression des années trente. Qu’il s’agisse de la déflation générale des prix (péril extrême), des dépréciations compétitives de monnaies nationales (pour placer ses marchandises sur les marchés étrangers aux dépens des concurrents) ou encore des capitaux fuyant en masse des pays de la périphérie (comme c’est le cas aujourd’hui pour l’Europe de l’est). Plus fondamentalement, il n’est pas étonnant que nous retrouvions, pour la crise de 1929 ou pour l’actuelle, ce qui fait l’enjeu des crises majeures : une organisation du monde. Celle de 1929 avait, nous l’avons vu, des origines lointaines, celles d’une double émergence, américaine et européenne. Pour la crise actuelle, l’enjeu de la nouvelle organisation du monde est à rechercher, non au point de départ, mais à l’arrivée. En effet, le modèle qui, à partir des années 1980, a succédé à la régulation fordiste aux Etats-Unis repose sur un pacte conflictuel entre capitalistes et zones émergentes de la mondialisation (Chine, etc.). Une bonne part de la question posée par la crise actuelle est de savoir si, au bout du compte, ce pacte aura été brisé ou s’il aura simplement été reconduit sous une nouvelle forme (celle, par exemple, des G20).

Sur d’autres points pourtant les deux crises se tiennent éloignées l’une de l’autre. Le système de l’étalon-or était, sous des formes diverses, universellement présent en 1929, rien de tel aujourd’hui. La grande crise était une ellipse, à double foyer, américain et européen, alors que celle d’aujourd’hui irradie surtout à partir de son centre de gravité américain. Le poids des allocations dans le revenu des ménages ou celui des dépenses publiques dans le PIB atteignent aujourd’hui des niveaux sans précédent, et peuvent jouer le rôle de stabilisateurs de l’activité, ce qui n’était pas le cas en 1929. Cela peut-il suffire à rassurer ? Pas sûr, car, sur bien des points, le système capitaliste s’est profondément modifié, aggravant l’instabilité foncière qui est la sienne. La mondialisation actuelle est celle d’un salariat universel, la petite production ne vient plus y freiner les récessions naissantes alors que licenciement et chute de la consommation se répondent l’un l’autre en une spirale sans fin. Cette mondialisation couvre toute la planète, enrôle des continents entiers restés jusque-là à l’écart, chaque pays rajoutant ses propres fragilités pour faire un peu plus bouillir l’immense marmite. L’espace économique est couvert d’un réseau dense et serré et la rapidité avec laquelle cette interconnexion a transmis au monde entier les chocs de la crise actuelle en a laissé plus d’un pantois.

D’ailleurs, comparer les grandes crises des XXe et XXIe siècles n’implique pas que la seconde en vienne nécessairement à reproduire la première. Tout événement historique est unique, et ainsi en est-il de la crise de 1929. Ce que la grande dépression a d’abord montré, c’est de quoi le système capitaliste est capable, s’il est laissé à lui-même. La grande crise ne peut recommencer, mais une grande crise le peut. N’est-ce pas la même mécanique que nous trouvons au cœur de toutes les crises, une mécanique où le caractère de plus en plus social de la production entre en contradiction avec la forme étriquée d’une propriété privée maintenue ? Soit encore un engrenage où chaque acteur économique prend la décision qu’il estime rationnelle pour la défense de son intérêt privé et compromet ce faisant un équilibre général qui ne pourrait résulter que d’une coopération universelle. Derrière chaque crise, se cache le système qui la produit : le capitalisme.


Une chronologie succincte

Nous pouvons distinguer trois phases. La première est proprement américaine. Le sommet de l’activité est situé en août 1929. Le recul de la production industrielle s’accélère nettement à partir du krach d’octobre. Le surendettement des ménages vient rajouter ses effets. Le crédit à la consommation (une innovation récente) a joué ici un rôle important (achats d’automobiles). Une première vague de suspensions bancaires débute en octobre 1930.

Un processus de redressement se dessine au début de 1931. Il est interrompu par la deuxième vague de suspensions bancaires américaines, qui débute en juin 1931. Nous entrons dans la seconde phase de la crise, située sous l’influence des événements européens. C’est le 11 mai 1931 que sont rendues publiques les pertes de la Creditanstalt, début de la crise bancaire autrichienne. La vague de défiance frappe ensuite l’Allemagne. Malgré un prêt accordé à la Reichsbank par les autres banques centrales, malgré la proposition, le 20 juin 1931, par le Président américain Hoover de la suspension, pour un an, de tous les paiements sur les dettes intergouvernementales (dettes de guerre et réparations), la ruée des déposants se poursuit et l’une des plus importantes banques allemandes, la Danat, ne peut être sauvée. Le 14 juillet, toutes les institutions financières allemandes sont fermées et le contrôle des changes instauré. En volume, le produit national net allemand recule de 3,5% en 1930, mais de 10,8% en 1931.

Après la monnaie allemande (le reichsmark) vient le tour de la livre sterling, dont la convertibilité-or est suspendue le 21 septembre 1931. D’août à décembre 1931, la monnaie anglaise se déprécie de plus de 30% par rapport au dollar, resté sur l’or. Le coup est terrible. Les pressions déflationnistes (à la baisse des prix) s’accentuent un peu partout dans le monde : les prix anglais à l’exportation diminuent à proportion de la dépréciation de la livre et les producteurs étrangers sont contraints, pour résister à la concurrence, de suivre le mouvement. Le dollar américain (lié à l’or) est très rapidement attaqué. Pour défendre sa parité, la banque centrale américaine (la Fed) augmente fortement son taux d’intérêt, ce qui attire les capitaux, sauve (temporairement) le dollar mais aggrave la situation économique. Les volumes de la consommation des ménages et de l’investissement privé enregistrent en 1932 les chutes annuelles les plus sévères de toutes celles relevées au cours de la grande dépression américaine.

Les Etats-Unis subissent la troisième et dernière phase de leur crise avec une nouvelle vague de suspensions bancaires, qui débute au cours du dernier trimestre de 1932 et se conclut le 6 mars 1933 par la fermeture générale des banques. Cette vague est étroitement liée au choix de plus en plus évident du Président nouvellement élu, Roosevelt, de pousser le dollar hors de sa base or, ce qui entretient la crainte d’une future dépréciation du dollar et amène la Fed à augmenter son taux d’intérêt, toutes choses qui redoublent les coups portés à une activité défaillante.

Le creux mondial avait été atteint au troisième trimestre de 1932. Mais le 19 avril 1933 l’étalon or est officiellement abandonné par les Etats-Unis. Après la livre, c’est le dollar qui se déprécie. A nouveau la pression déflationniste s’accroît pour les pays restés fidèles à l’or, bientôt regroupés en un « bloc-or », au sein duquel se trouve la France. La Conférence de Londres de juin et juillet 1933, convoquée pour remédier à cette situation, se termine sur un échec et la crise française débouche sur le Front Populaire.


Définitions

La frontière

La colonistion du territoire des Etats-Unis s’est effectué d’est en ouest. La « frontière » du pays se déplaçait ainsi avec l’avancée des pionniers. La fin de la « frontière » désigne le moment où l’océan Pacifique a été atteint et l’essentiel du territoire occupé.

Etalon-or

Le système de l’étalon-or peut être caractérisé par deux traits essentiels : la valeur de chaque monnaie est définie pas un certain poids d’or, et la convertibilité (totale ou partielle) de ces monnaies en or est assurée.

Dossier paru dans « La Revue Tout est à nous » du NPA, n° 2, juin-juillet 2009.



Voir ci-dessus