Crise capitaliste: Moins d'analystes, plus d'activistes!
Par Ataulfo Riera et David Dessers le Vendredi, 24 Octobre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Sous ce titre un brin provocateur, nous voulons souligner un paradoxe frappant dans la situation actuelle. Depuis le début de la crise capitaliste, on assiste à un véritable tsunami de points de vue, d'analyses, d'opinions et de déclarations sur le sujet. Les médias commerciaux sont saturés par les commentateurs économiques et financiers, les inévitables «experts» qui, à l'image des «experts militaires» lors des guerres impérialistes, se bousculent littéralement sur les plateaux et dans les colonnes des quotidiens. Les pages consacrées aux débats ou aux cartes blanches du «Soir» ou de la «Libre Belgique» sont littéralement embouteillées par les prises de position des uns et des autres, à tel point que les opinions évoquant d'autres sujets pourtant tout aussi pertinents sont écartés d'un revers de la main.

Internet n'échappe évidement pas à ce raz de marée. Sur la «blogosphère», chacun et chacune y va de son billet personnel. «A gauche de la gauche», on constate également une inflation galopante d'analyses, ce qui, somme toute, est assez légitime puisque la gauche radicale, le mouvement altermondialiste, les mouvements comme Attac ou autres, dénoncent avec constance depuis des années les conséquences inévitablement catastrophiques des politiques capitalistes néolibérales.

Mais on ne peut s'empêcher de constater un décalage, pour ne pas parler d'un véritable gouffre, entre l'ampleur de cette déferlante analytique et la pauvreté des réactions sociales et militantes, des actions et des manifestations de rue qu'une telle crise et les dangers qu'elle implique devraient pourtant provoquer.

La situation est pour le moins paradoxale: avec l'ampleur de la crise capitaliste actuelle, l'idéologie néolibérale traverse une crise et une perte de légitimité profondes, la classe dominante et ses relais politiques de «gauche» comme de droite est divisée quant aux réponses immédiates à avancer, la gauche gestionnaire et social-libérale est discréditée par sa complicité dans les politiques qui ont mené à cette situation. Mais, malgré un réel sentiment de révolte et d'injustice parmi les travailleurs/euses face à la gestion de la crise par les élites dominantes et les menaces qui s'accumulent sur le monde du travail, les organisations syndicales sont aux abonnés absents depuis la journée nationale d'actions du 6 octobre, la gauche radicale est atone et les mouvements sociaux ou altermondialistes quasiment invisibles.

Un potentiel qui risque d'être gâché

Pas de malentendus; il ne s'agit pas ici de dénigrer ou d'estimer superflues les analyses qui permettent de comprendre la nature, les origines, les mécanismes, les dangers et les réponses à apporter à la crise capitaliste. Ces analyses sont bien souvent d'une grande qualité, pertinence et utilité. La conscience sans la science est bancale et avec le concept de «praxis», Marx n'a cessé tout au long de sa vie d'insister sur la nécessaire connaissance et compréhension scientifique du capitalisme afin de guider l'action visant à le renverser. Mais c'est bien là que le bât blesse aujourd'hui, le deuxième terme de cette praxis est notoirement faible, voir inexistant. Le hiatus que nous voulons souligner se situe bien dans ce déséquilibre flagrant entre l'ampleur et la gravité de la crise, entre la quantité et la richesse des analyses de cette dernière d'une part et la faiblesse et la pauvreté des actions d'autre part.

Bien entendu, on peut avancer plusieurs explications à cette situation. Plus de 25 années de politiques néolibérales ont développé l'individualisme, la culture égoïste du chacun pour soi, la destruction des liens sociaux et des solidarités collectives. Il n'est pas très aisé de se mettre debout et d'avancer alors que le matraquage assourdissant «d'informations» et la valse assommante de chiffres astronomiques comptabilisés en millions et en milliards a de quoi tétaniser et donner le vertige. On ne peut pas attendre grand chose des appareils et des «directions traditionnelles» du mouvement ouvrier tant elles sont engluées par des années de pratique bien huilée de «concertation sociale» et de mobilisations presse-bouton. En dépit du fait que le gouvernement, dans son budget 2009, n'a rien résolu ni répondu à l'urgence sociale, elles ne semblent plus connaître d'autre horizon ou savoir comment agir en dehors du cadre routinier de la «concertation» aujourd'hui rendu totalement dépassé par les événements. Sans parler de leur crainte d'ouvrir la boîte de pandore d'une contestation risquant de les déborder et de mettre à mal une «paix sociale» qu'elles souhaitent maintenir coûte que coûte en échange de quelques miettes pour leurs bons et loyaux services!

Le succès de la journée nationale d'actions FGTB-CSC du 6 octobre a pourtant démontré qu'il existe une réelle disponibilité et détermination à agir; le manque de volonté et donc l'absence de direction et d'orientation de la part des sommets syndicaux ne doivent pas laisser ce potentiel s'épuiser sans lendemain et semer la démoralisation. C'est à la base syndicale, aux délégués dans les entreprises et aux militant/es qu'il revient d'agir et de s'exprimer sans attendre les directives venant du sommet, en organisant des assemblées générales, en votant des motions en faveur d'une grève générale de 24 heures et en menant des actions déterminées.

Quant à la gauche radicale et révolutionnaire, sa faiblesse réside toujours dans sa dispersion. Nous pensons tous avoir «l'analyse correcte», mais ce qui nous manque, c'est la force capable de la mettre en pratique afin de lancer les luttes de résistance et la contre-offensive. Des années de sectarisme et de division, l'accumulation répétée d'échecs dans les tentatives unitaires ou de recomposition politique ne se résolvent pas et ne se résoudront pas en un tour de main. Mais des actions ou des initiatives unitaires face à la crise devraient pouvoir s'engager, même en l'absence d'une unité politique.

Unifier et impulser les luttes!

La crise du système capitaliste est patente et elle à du moins l'avantage de rendre possible d'unifier les luttes et les résistances tant elle s'attaque à tous domaines de la société. Cette crise et la volonté des classes dominantes d'en faire payer les frais à la majorité sociale provoquent l'inflation et la montée des inégalités, frappent durement les femmes, les chômeurs, les pensionnés, les sans-papiers et tous les précaires, les salaires des travailleurs/euses, leurs conditions de travail et la sécurité de leur emploi, elles rendent plus difficile encore l'accès à un logement décent, restreignent les politiques publiques en faveur de l'éducation, de la santé et à la lutte conséquente et dans la justice sociale contre le changement climatique.

Tout cela, nous pouvions déjà le dire il y a un an. Mais ce qui a fondamentalement changé avec l'aggravation de la crise capitaliste est qu'aujourd'hui une grande partie des gens est capable de le comprendre parce que ces situations sont désormais vécues au quotidien. Mais le passage de cette prise de conscience à l'action, qui seule peut permettre un changement de rapport de forces réel, ne se produira pas spontanément, ni mécaniquement.

Cette crise exige donc non seulement une explication pédagogique, mais également des actions unitaires capables de toucher et de convaincre les masses d'agir ici et maintenant, d'offrir une perspective à ceux et celles qui sont à la recherche d'une issue favorable au monde du travail. L'heure est plus que jamais à la résistance. Notre responsabilité à l'assumer de manière efficace dans l'intérêt de la majorité sociale que nous sommes censés défendre est plus que jamais engagée.

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