Sur quelques problèmes du contrôle ouvrier
Par René Yvetot le Samedi, 04 Novembre 2000 PDF Imprimer Envoyer

Le contrôle ouvrier a été jusqu'à présent essentiellement formulé comme le contrôle des travailleurs sur l'industrie. Pourtant, la définition du contrôle ouvrier n'est pas à proprement parler économique. Le contrôle ouvrier représente, pour reprendre l'expression de Trotsky, une "dualité de pouvoir" dans l'entreprise. Et Trotsky expliquait déjà la dynamique sociétale et politique du contrôle ouvrier. Dans les écrits sur l'Allemagne, il parle de l'approfondissement et de l'élargissement du contrôle ouvrier, de "son immixtion dans la vie de l'usine , de la ville, dans les branches d'industrie, dans les régions et enfin dans l'Etat."

Dans les écrits sur la France, il souligne la nécessité "d'un contrôle paysan". Or, une des caractéristiques du "capitalisme du troisième âge" est son extension à l'ensemble des activités sociales. C'est pourquoi la crise actuelle du capitalisme se manifeste comme une crise sociale sans précédent ébranlant non seulement le mode de production, mais aussi le mode de vie et l'ensemble des institutions. Et c'est pourquoi nous proposons d'étendre la notion de contrôle ouvrier en le définissant comme une "dualité de pouvoir" non plus seulement dans l'entreprise, mais dans les différents domaines de l'activité sociale.

1. Contrôle ouvrier et autogestion

a) Dans une crise révolutionnaire posant le problème de l'expropriation économique et politique de la bourgeoisie, le contrôle ouvrier ne se limite pas à un droit de veto sur les décisions patronales, il tend à prendre la forme de la gestion directe des entreprises et de l'ensemble des activités sociales par les travailleurs et les couches populaires. C'est de cette gestion directe que naît le besoin de substituer à l'économie de marché, qui entraîne fatalement gaspillage et concurrence entre les usines, une planification décidée par un congrès national des comités d'usines et des comités de localités.

b) Mais le contrôle ouvrier ne saurait se limiter au beau matin d'une crise révolutionnaire. Dans une période de montée du mouvement de masse, telle que nous la connaissons depuis 1968, peuvent se développer des expériences locales partielles de contrôle ouvrier comme l'a illustré la grève des Lip. Ces expériences sont forcément transitoires (encore qu'elles puissent être prolongées) compte tenu du rapport de forces global entre les classes. Mais elles sont capitales car elles préparent les travailleurs à leur généralisation dans une situation révolutionnaire.

Lors de ces expériences partielles de contrôle, les travailleurs opposent leurs intérêts de classe à la logique capitaliste. Un danger grave consisterait à partir d'une compréhension "économiste" du contrôle ouvrier, à prôner "l'autogestion" des entreprises qui ferment. Ainsi, les travailleurs devenant leur propre patron seraient contraints de s'appliquer à eux-mêmes les critères de rentabilisation capitaliste, c'est-à-dire à s'auto-exploiter. Charles Piaget avait raison de dire: "Lip, ce n'est pas de l'autogestion, c'est de l'autodéfense". A contrario, l'expérience de Manuest a montré la dynamique de la gestion ouvrière en système capitaliste, conduisant les nouveaux patrons, anciens délégués CFDT, à proposer le licenciement des nouveaux délégués syndicaux.

Ainsi, il ne saurait être question de soutenir la proposition de la CFDT d'autogestion des entreprises nationalisées par le Programme commun dans la mesure où ce programme ne remet pas en cause l'économie capitaliste (selon les dire mêmes de ses auteurs). L'autogestion est indissociable de la planification socialiste, faute de quoi elle ne diffère pas qualitativement de la cogestion Etat-travailleurs-usagers prônée par le PCF et la CGT dans le cadre du Programme commun.

c) Est-ce à dire que les travailleurs doivent refuser toute gestion en système capitaliste? Ils doivent refuser toute gestion les enchaînant à l'économie capitaliste, qui ne peut que diviser les travailleurs en reproduisant en leur sein les rapports de concurrence et d'exploitation. Mais dans leur constitution en classe, les travailleurs sont amenés à gérer leurs organisations, non seulement syndicales et politiques, mais aussi sociales et culturelles (associations sportives, centres culturels, colonies de vacances, bibliothèques, etc.). On ne peut donc reprocher aux réformistes de développer la gestion des "œuvre sociales". Mais cette gestion doit être absolument indépendante de l'Etat ou du patronat même si elle en reçoit des subventions. Et cette "autogestion" doit être l'occasion d'une critique idéologique et pratique de la société bourgeoise par la recherche et l'expérimentation de nouveaux rapports sociaux.

Or, l'intégration de plus en plus importante des réformistes et néo-réformistes à la société bourgeoise les amène de plus en plus à reproduire au sein de ces "institutions" l'idéologie et la pratique dominantes. En sorte que le seul intérêt persistant à ces "œuvres sociales" se limite souvent à une "gestion à bas prix". C'est aux révolutionnaires qu'il appartient donc de recréer, à travers un réseau d'organisations sociales et culturelles, une autre "société" prolétarienne remettant en cause dans les faits la société bourgeoise sans développer pour autant l'illusion de créer des îlots de socialisme bien "proprets". La tâche est d'autant plus difficile que la base sociale prolétarienne des organisations révolutionnaires est aujourd'hui encore très limitée et les pressions petites-bourgeoises d'autant plus fortes.

2. La dynamique du contrôle ouvrier

a) Si le contrôle ouvrier est une "dualité de pouvoir", il se définit donc comme une situation éminemment instable. "Par essence même, cette dualité de pouvoir est quelque chose de transitoire car elle renferme en elle-même deux régimes inconciliables, le régime capitaliste et le régime prolétarien." (L. Trotsky)

Le contrôle ouvrier ne peut donc que s'approfondir puis s'étendre, ou bien régresser, puis disparaître. Parti de l'usine, le contrôle ouvrier amène les travailleurs à se poser le problème du contrôle hors de l'entreprise, puis finalement, à partir d'un certain seuil, à se confronter directement à l'Etat. Ainsi, lors de licenciements massifs, la dynamique du contrôle mène de la réduction des cadences à l'occupation comme réaction au lock-out ou à la fermeture, de l'occupation à l'ouverture des livres de compte à la remise en marche sous contrôle des travailleurs au profit de leurs luttes, de la remise en marche à l'exigence de la nationalisation sous contrôle ouvrier.

De même, l'occupation conduit les travailleurs à se poser le problème de l'autodéfense et de la solidarité active. La remise en marche pose à la fois le problème de "nouveaux rapports de production" et le problème d'une "nouvelle production" et de la constitution d'un réseau "illégal" de vente. Cette "réorganisation" de la production et de la vente reste bien sûr, déterminée exclusivement par l'objectif de la lutte et non par celui de la production, serait-elle autogestionnaire. Elle ne peut donc être que partielle et embryonnaire même si elle contient en germe l'autogestion socialiste (cette dynamique dépend bien sûr en partie de la taille de l'entreprise et de la nature de la production, plus ou moins facilement contrôlable par les travailleurs de l'entreprise).

b) La mobilisation des énergies pour réaliser ces multiples tâches nécessite des formes d'organisation nouvelles des travailleurs dépassant le cadre habituel (assemblées générales, commissions, délégués de lutte, comité de grève, comité d'usine, etc.). Ces nouvelles formes d'organisation favorisant l'épanouissement de la démocratie ouvrière libèrent les énergies et posent dans les faits le problème de nouveaux rapports sociaux entre les travailleurs, remettant en cause la coupure vie professionnelle/vie militante/vie privée (rapports entre "les leaders" et "la base", entre les hommes et les femmes, entre les travailleurs français et immigrés, entre les différentes catégories de travailleurs, etc.).

Ainsi, il existe une véritable dialectique entre la pratique du contrôle ouvrier, l'auto-organisation des travailleurs, le changement des rapports sociaux. L'auto-organisation n'est pas un préalable au contrôle ouvrier, mais le contrôle ouvrier ne peut s'épanouir sans l'auto-organisation des travailleurs. Le contrôle ouvrier suppose un insolence ouvrière. Mais seul le développement en pratique de la démocratie ouvrière peut permettre de remettre en cause les rapports sociaux au sein même de la classe ouvrière.

Mais, évidemment, tant que la bourgeoisie garde son pouvoir économique et politique sur l'ensemble de la société, ce "nouveau pouvoir ouvrier local" ne peut être qu'embryonnaire et sa croissance chétive, vite suspendue... Car le pouvoir dans la société ne se partage pas et, à partir d'un certain seuil, le contrôle ouvrier amène inéluctablement les travailleurs à se confronter à l'Etat. Et c'est bien face à l'Etat que les travailleurs de Lip ont buté: faiblesse de l'autodéfense face à l'intervention policiere, réticence à développer le mot d'ordre de nationalisation sous contrôle ouvrier.

3. Contrôle ouvrier et "contrôle syndical"

a) En tant qu'organisation de masse, le syndicat vise quotidiennement à limiter le pouvoir patronal en atténuant l'exploitation des travailleurs. Mais en tant qu'organisation de classe, il vise en même temps à l'abolition du pouvoir patronal, à commencer par sa contestation dans les faits par la pratique du contrôle ouvrier. Il n'y a pas contradiction entre ces deux termes, car c'est au cours des luttes de masse que les travailleurs, prenant conscience de leur force, passent à des actions de classe niant le pouvoir patronal.

C'est donc le rôle des organisations syndicales de classe de préparer ce saut dans l'action de masse - un syndicat de classe devrait donc adopter la revendication de contrôle ouvrier et s'en faire un actif propagandiste. Il est significatif à cet égard que ni la CFDT "championne de l'autogestion" ni la CGT "championne des nationalisations" ne développent la problématique du contrôle ouvrier, mais se contentent de parler "de formes d'action nouvelles", "Imaginatives", "d'élargissement des droits syndicaux" ou de "pouvoir syndical".

b) Mais si le contrôle ouvrier n'est possible qu'en période d'intense mobilisation des travailleurs (même si c'est au niveau d'une seule entreprise), peut-on parler et revendiquer un "contrôle syndical" entre ces périodes de mobilisation, alors que n'existe plus ni comité d'usine ni délégués d'atelier?

On ne peut avoir aucune illusion sur la réalité d'un "contrôle syndical" limité au contrôle de quelques permanents syndicaux sur les documents que veulent bien leur montrer les patrons, ou même sur la réalité d'un "contrôle syndical" sur les conditions de travail. Et l'on sait que ce que cherchent les patrons en échange de ce "pseudo-contrôle", c'est la participation des directions syndicales aux mesures de rentabilisation capitaliste. En fait de contrôle, il s'agit d'une sorte de cogestion qu'il faut refuser.

Mais, inversement, les délégués "lutte de classes" peuvent se servir de droits syndicaux accrus pour, au contraire, favoriser le contrôle ouvrier. Ils peuvent refuser de respecter le secret sur les informations économiques aux comités d'entreprise. Ils peuvent constituer des commissions d'enquête intersyndicales dont le but sera de montrer que les arguments économiques et les chiffres patronaux sont faux; que seuls, les travailleurs ont la possibilité effective, en s'organisant par atelier et par service d'exercer un réel contrôle, c'est-à-dire non seulement un droit d'information, mais un "pouvoir de fait". De même, le délégué syndical dans les comités d'hygiène et de sécurité peut dénoncer les conditions de travail sans sécurité, il peut même montrer que le patron ne respecte pas la légalité et l'attaquer en justice. Mais, ce faisant, sa tâche fondamentale, son but doivent être de montrer aux travailleurs qu'eux seuls peuvent prendre la décision qui s'impose: "pas de sécurité, pas de travail!", en imposant ainsi eux-mêmes leur propre légalité.

En conclusion, il ne peut y avoir de réel contrôle syndical sans contrôle ouvrier, mais l'élargissement des droits syndicaux, y compris le droit formel de contrôle syndical, s'il n'implique aucune cogestion ou coresponsabilité, est un moyen pour des syndicats de classe de stimuler le contrôle ouvrier. Il serait donc faux pour les révolutionnaires d'opposer contrôle ouvrier et élargissement des droits syndicaux (y compris la reconnaissance d'un "contrôle syndical") ; même si ces droits sont limités, ou même si ces droits sont utilisés par les bureaucrates réformistes pour freiner la mobilisation des travailleurs et le développement du contrôle ouvrier. Mais c'est alors une "autre" bataille, celle de la démocratie syndicale et ouvrière, celle du contrôle sur les élus ouvriers.

Ainsi, face au Programme commun qui prévoit l'élargissement des pouvoirs des comités d'entreprise et des commissions d'hygiène et sécurité, etc., nous avançons, d'une part l'idée de délégués élus par atelier et service responsables devant l'assemblée générale des travailleurs, réunis en comité d'usine, et d'autre part, nous nous prononçons pour une abolition du secret sur les informations économiques au conseil d'entreprise (CE), pour un élargissement des pouvoirs de contrôle des délègués des travailleurs élus au CE en particulier pour un droit de veto de ces délégués sur les licenciements.

De même, nous sommes pour l'élection des commissions hygiène et sécurité, et nous sommes pour que les délégués des travailleurs dans ces commissions aient un droit de veto permettant l'arrêt du travail sur les mesures de sécurité ne sont pas respectées. En effet, il y a fort a parier que l'auto-organisation des travailleurs passera par de nouvelles structures, on ne peut totalement éliminer le fait que œtte auto-organisation passe par une lutte des travailleurs pour la démocratisation et le refudla collai ration de classes dans un certain nombre de structures telles que les conseils d'entreprises (CE), les CHS etc. De toute façon, cette lutte ne peut que favoriser le mouvement d'auto-organisation des travailleurs.

C'est pourquoi à la différence du Programme commun et des syndicats qui demandent un droit de veto sur les licenciements pour le CE en tant que tel (où siègent patrons et syndicats, même si les syndicats sont majoritaires) nous revendiquons un droit de veto pour les délègues des travailleurs au CE.

4. Contrôle ouvrier sur les investissements

Dans l'économie capitaliste de marché, les investissements sont déterminés en fonction des profits. Au contraire, dans l'économie socialiste planifiée, les investissements sont détermines collectivement en fonction des besoins. C'est dire qu'il ne peut y avoir de contrôle effectif sur les investissements, si ce contrôle n'est pas lié à l'élaboration d'un plan par les travailleurs et leurs organisations. L'application pratique du contrôle sur les investissements commencera donc dans une situation révolutionnaire et se développera surtout dans la période de transition au socialisme, parallèlement au développement de l'autogestion des entreprises socialiste.

Mais si le contrôle sur les investissements ne peut s'exercer en pratique que dans une situation révolutionnaire, le problème se pose des aujourd'hui, de façon au moins propagandiste, pour trois raisons:

a) Avec le développement de la crise, on voit de plus en plus les dirigeants syndicaux se mettre en devoir d'expliquer aux patrons comment et où il faudrait investir dans l'intérêt bien compris des travailleurs, de "l'entreprise" et de la « nation », le tout enrobé de phrases sucrées sur "le nouveau modèle de développement". Ainsi, les bureaucrates italiens expliquent aux patrons qu'ils sont prêts à limiter leurs revendications si, en échange, les patrons, au lieu d'investir en Argentine ou au Brésil, investissent au sud de l'Italie et y créent des emplois. Nous devons dénoncer ce discours des dirigeants syndicaux qui a pour seule fonction de modérer les revendications ouvrières afin de permettre un taux de profit suffisant, au nom de la solidarité de tous (patrons, syndicats, ouvriers) avec les intérêts de l'entreprise.

Au contraire, nous expliquons que non seulement les travailleurs refusent de faire les frais de la crise en avançant des revendications telles que celle de la semaine de 35 heures sans diminution des salaires, mais encore qu'ils proposent la seule solution réaliste pour sortir de la crise: l'existence non pas d'un "nouveau modèle de développement" entreprise par entreprise, trust par trust, région par région, mais d'un nouveau modèle de développement pour l'ensemble de la société, défini à partir des besoins des travailleurs.

Mais la réalisation de ce "nouveau modèle de développement" suppose une économie planifiée rendue possible par l'expropriation de l'ensemble des grandes entreprises capitalistes. Dans cette perspective, les travailleurs et les organisations syndicales, aidées de techniciens et de statisticiens, devraient recenser l'ensemble des besoins essentiels non satisfaits de la population et l'ensemble des capacités productives non utilisées, ainsi que l'ensemble des gaspillages (ce qui suppose la généralisation du contrôle ouvrier sur l'ensemble de l'activité économique). Ainsi, pourrait être opposé aux divers plans de rationalisation capitalistes, non pas un "contre-plan" capitaliste, mais un plan socialiste, du moins ses grandes lignes.

b) Craignant la mobilisation des travailleurs que pourrait entraîner l'accession des partis réformistes (PS et PC) au gouvernement, les patrons organisent d'ores et déjà la grève des investissements et la fuite des capitaux (notamment par le biais d'investissements dans les pays réputés "sûrs"). Pour le moment, il ne s'agit que d'un chantage. Demain, cela pourra prendre, comme au Chili, la forme d'un véritable complot économique. Pour s'y opposer efficacement, il n'y a que deux voies: celle préconisée par Michel Rocard qui explique à peu près ceci: "Les capitaux fuient? Nous n'y pouvons rien; toute mesure de contrainte risquerait d'accentuer la fuite; l'important est de regagner la confiance par une économie saine; alors, les capitaux rentreront tout seuls." C'est la voie capitaliste qui compte appâter les capitaux par un taux de profit élevé, c'est-à-dire par une exploitation accrue des travailleurs!

L'autre voie est celle du contrôle ouvrier, de l'ouverture des livres de compte, de la levée du secret commercial et bancaire, qui permet dès aujourd'hui le recensement et la dénonciation de tous les "comploteurs" et demain leur expropriation parallèlement à l'unification du système bancaire et au monopole étatique du commerce extérieur.

Mais, si comme le PCF, nous pouvons être amenés à dénoncer la fuite des capitaux à l'étranger (en particulier sous forme d'investissements dans les pays "sûrs"), contrairement à lui:

1) Nous le faisons au nom de la marche ouvrière au socialisme et non au nom de la "patrie" toutes classes réunies;

2) Nous montrons l'inconséquence des mesures proposées par le PCF et le Programme commun qui promettent d'indemniser tous les actionnaires, même les gros (même s'il y a distinction avec les petits), qui prétendent limiter les nationalisations, qui entendent respecter le Marché commun capitaliste;

3) Face à l'internationale du capital, nous montrons qu'il faut opposer non pas le "patriotisme chauvin" (produire français, consommer français... et pourquoi pas travailler français), mais l'internationalisme prolétarien en développant notamment information, contacts, solidarité active, en particulier au niveau syndical, dans la perspective des Etats-Unis socialistes d'Europe, prélude à la victoire mondiale du socialisme.

c) Le problème du contrôle ouvrier sur les investissements est aussi posé par les exigences nouvelles des travailleurs, non plus en tant que simples producteurs, mais aussi en tant que consommateurs, usagers ou habitants refusant l'installation d'usines polluantes, la consommation de produits et de services de mauvaise qualité. Le danger est grand d'opposer sur ce terrain les travailleurs en tant qu'usagers aux travailleurs en tant que producteurs, l'écologie à l'emploi.

Il est donc capital de combattre à la fois l'idéologie corporatiste des travailleurs qui risquent de les amener à s'assimiler à la production de "leur" entreprise et la non prise en compte par les usagers des revendications des travailleurs producteurs. Il s'agit donc de trouver des objectifs communs permettant des formes de lutte communes dépassant le point de vue "corporatiste" des uns et des autres compte tenu que seule, la maîtrise collective de l'économie permettra de répondre globalement à ces problèmes de "choix de société" au sens exact du terme. Dans une économie planifiée assurant le plein emploi, les travailleurs de l'automobile n'auront aucune raison de chercher à produire à tout prix des voitures individuelles. Et le choix entre transports individuels et transports en commun résultera d'un débat démocratique. Ce problème du contrôle du "cadre" de vie pose plus généralement celui de l'extension du contrôle ouvrier.

5. L'extension du contrôle ouvrier

L'extension de la problématique du contrôle ouvrier à l'ensemble de l'activité sociale n'est finalement que la réponse de la classe ouvrière à l'extension du capitalisme d'après-guerre à l'ensemble de la vie quotidienne (santé, habitat, tâches ménagères, loisirs, information et formation, etc.).

Le développement du capitalisme a eu notamment pour conséquences:

a) la profonde modification du prolétariat:

- extension par prolétarisation de nombreuses couches d'employés (banques et santé par exemple) facilitant la jonction entre les travailleurs de ces secteurs et l'ensemble des travailleurs;

-élévation du niveau culturel rendant encore plus insupportable et la hiérarchie dans l'entreprise et l'anarchie du système capitaliste;

-élévation du niveau de vie matérielle d'une grande partie des travailleurs (malgré la réapparition de véritables poches de misère avec la crise) les amenant à se poser les problèmes de lutte en tant que consommateurs et non plus seulement en tant que producteurs;

- parcellisation des tâches aggravant l'aliénation du travail, mais rendant plus vulnérable le processus de production (grèves bouchons articulées, etc.) et stimulant les luttes sur les conditions de travail.

b) La modification sociale de la jeunesse scolarisée lycéenne et étudiante dont la majorité n'appartient plus à la bourgeoisie mais à la petite bourgeoisie (ancienne et nouvelle) et est appelée à renforcer les "nouvelles couches salariées" menacées elles-mêmes par la crise du capitalisme et particulièrement le chômage. Cette modification sociale "double" (par l'origine et l'avenir) rend compte du bouleversement politique du milieu étudiant, de la crise de l'institution scolaire et de la possibilité de convergence avec la classe ouvrière sur les problèmes de la formation.

c) Le développement d'une nouvelle petite bourgeoisie salariée (cadres, ingénieurs, agents commerciaux, contremaîtres, médecins salariés, etc.) dont une partie joue, consciemment ou non, le rôle de flics des patrons, mais dont l'autre - encore minoritaire - rejoint les organisations syndicales ouvrières. Parallèlement, des fractions de la petite bourgeoisie de fonction traditionnelle (médecins, avocats, juges...) rentrent en crise, prises dans la contradiction entre le rôle que leur fait jouer le capitalisme et l'expression des besoins et droits des travailleurs. Même si c'est seulement une toute petite minorité qui fait le saut de la lutte de classes, la majorité vit intensément cette crise professionnelle. Cette crise se manifeste notamment par une crise des institutions qui facilite l'intervention de la classe ouvrière elle-même sur ces terrains.

d) L'élévation du niveau culturel, le développement de la contraception permettant de dissocier maternité et sexualité, l'extension de travail des femmes et la socialisation de fait par le capitalisme d'une partie des tâches d'éducation et des travaux ménagers jusque là dévolues aux femmes sont les bases de la crise de la famille et du développement du mouvement des femmes contre leur surexploitation et leur oppression. Or, ce mouvement, qui lutte pour le changement radical des rapports sociaux, porte en lui une exigence de pratique collective et d'action directe.

e) Enfin, la crise des valeurs bourgeoises entre l'ascétisme chrétien (famille, travail, patrie) et l'idéologie "hédoniste" de la consommation facile, entre les croisades et le néocolonialisme, entre la toute-puissance impérialiste et la défaite en Chine, à Cuba et au Vietnam, stimule l'insolence de la jeunesse contre cette société qui a perdu sa "légitimité".

Certes, ces cinq facteurs essentiels au développement et à l'extension du contrôle ouvrier sont contrecarrés par des facteurs inverses:

1) L'enrichissement relativement rapide d'une partie importante de la classe ouvrière nationale d'après-guerre;

2) La diversification accrue du prolétariat (multiplication des catégories de l'OS au technicien, doublant la division français/immigrés);

3) La privatisation accrue de la vie sociale en dehors de l'usine et le développement considérable des techniques de bourrage de crâne (télévision...);

4) Et surtout la politique réformiste d'intégration à la société bourgeoise, tous facteurs tendant à diluer la cohésion du prolétariat et à freiner son auto-activité.

Mais dans le cadre de la montée des luttes ouvrières, c'est la tendance de fond qui domine et s'exprime par l'extension du contrôle comme forme de lutte et comme revendication. C'est cette tendance qui explique:

a) Le recours à la grève active dans les secteurs publics (transports gratuits, santé gratuite, etc.) facilitant la jonction entre travailleurs de ce secteur et les travailleurs usagers. La réalisation par l'action de services gratuits pour les chômeurs.

b) Le recours à l'action directe: occupation des logements vides, crèches sauvages, pratique illégale et assumée en tant que telle de l'avortement, "marchés rouges" des producteurs aux consommateurs.

c) Le refus collectif des hausses et pas seulement le contrôle des prix: refus de la hausse des charges locatives ou, comme en Italie, autoréduction des tarifs publics y compris les impôts, organisées collectivement et reprises en charge par les syndicats.

d) La revendication du contrôle des habitants sur l'urbanisme, contre les dégâts de la spéculation foncière, et plus généralement, sur "l'environnement".

Autant de formes d'action qui dans la mesure où elles transgressent la légalité bourgeoise et affirment de fait un pouvoir ouvrier contestataire se situent dans la problématique du contrôle ouvrier. Mais cette extension pose deux questions:

1) Sur quelle base politique se fait ou se revendique le contrôle ? Quels intérêts de classe exprime-t-i ? En effet, nous ne saurions avoir une conception "corporatiste" du contrôle où chaque groupe social exprime son intérêt immédiat et non un intérêt de classe. Cela est vrai au niveau de la production, cela est encore plus vrai quand la couche sociale qui exerce le contrôle n'est pas socialement prolétarienne. Ainsi, nous pensons que d'un point de vue programmatique, il faut parler de contrôle ouvrier et non de "contrôle populaire" même si dans la pratique, ce contrôle prend la forme de contrôle des usagers, ou des locataires ou des habitants.

2) Sur quel rapport de forces peut s'instituer ce contrôle pour dépasser le cadre de l'action ponctuelle? La force du contrôle ouvrier sur la production réside dans la capacité du prolétariat de bloquer la machine économique. Rien de tel avec l'occupation des logements vides, les "marchés rouges", ou le refus des centrales nucléaires. En fait, ces actions ont moins pour fonction de réorganiser parallèlement la société que de constituer un rapport de forces par rapport à l'Etat en montrant dans les faits que d'autres solutions conformes aux besoins des travailleurs existent. Elles ne possèdent donc pas en soi la même dynamique que le contrôle ouvrier dans l'entreprise.

6. Contrôle ouvrier et institutions étatiques

L'Etat bourgeois se caractérise par son caractère "séparé" des citoyens lui permettant d'assurer la dictature de la bourgeoisie avec le "concensus" maximal des travailleurs. La classe ouvrière dans la mesure où elle est une classe dominée ne peut s'emparer du pouvoir politique en utilisant cet Etat à ses propres fins. Elle doit le briser, puis le remplacer par un nouvel Etat constitué par les travailleurs eux-mêmes: c'est l'Etat-classe qui n'est plus tout à fait un Etat.

"Le contrôle ouvrier sur les institutions" ne peut donc avoir pour sens qu'une dualité de pouvoir entre les anciennes institutions bourgeoises et les nouvelles institutions prolétariennes "autogestionnaires ". Notre problématique générale s'articule donc autour des deux axes suivants:

1) La lutte pour l'extension des droits démocratiques qui ne sortent pas du cadre bourgeois mais accroissent les possibilités de combat de la classe ouvrière, à condition de distinguer soigneusement les droits démocratiques des institutions bourgeoises dites «démocratiques».

2) L'appui sur les expériences partielles d'auto-organisation des travailleurs (et notamment l'auto-organisation des travailleurs employés dans ces institutions) pour imposer un contrôle de fait sur le champ d'action des institutions et montrer dans les faits la supériorité de la démocratie ouvrière sur la démocratie bourgeoise.

Mais encore faut-il distinguer les différentes institutions selon la place qu'elles occupent dans la domination de classe et la division du travail. De ce point de vue, on ne peut traiter de la même façon des institutions telles que le parlement et l'armée d'une part et l'école et la santé d'autre part.

a) Ainsi, en ce qui concerne les institutions dites "démocratiques" (municipalités, parlement...), nous avançons à la fois:

-Des revendications démocratiques telles que la proportionnelle intégrale, le droit de vote pour les immigrés, la suppression de la tutelle des préfets, l'élection d'assemblées régionales au suffrage universel, etc.

-Le droit de veto des travailleurs organisés en comités de masse sur toutes décisions les concernant.

Et nous luttons pour que les élus ouvriers dans les institutions bourgeoises aident à développer ces comités autonomes de l'institution et s'engagent à respecter leurs décisions en se plaçant sous leur contrôle. On voit là la différence d'articulation entre auto-organisation et contrôle au niveau de la production et au niveau des institutions. Dans le domaine de la production, en raison même du rapport de forces que peut constituer la classe ouvrière par le blocage de l'outil de production, le contrôle ouvrier peut naître sans une auto-organisation développée. Il favorise au contraire son épanouissement. Il n'en est rien au niveau de la cité, où en raison de la dispersion des "citoyens", l'auto-organisation est une condition essentielle au rapport de forces permettant de développer le contrôle en véritable dualité de pouvoir.

b) De même en ce qui concerne l'armée, véritable Etat dans l'Etat. Nous luttons prioritairement aujourd'hui pour la reconnaissance des droits démocratiques (droits syndicaux et politiques pour les soldats, suppression des tribunaux militaires, etc.). En eux-mêmes, ces droits sont peu compatibles avec le rôle de l'armée de guerre civile. Parallèlement, nous avançons l'idée de contrôle des travailleurs et des soldats sur toutes les activités militaires (contrôle sur les conditions d'hygiène et de sécurité, dénonciation de l'endoctrinement, refus d'utilisation contre "l'ennemi intérieur", exigence de l'épuration des officiers fascistes et racistes).

Mais bien sûr, nous devons expliquer qu'il n'y aura pas de réel contrôle si les travailleurs et les soldats n'ont pas de réel rapport de forces constitué par l'organisation autonome des soldats, le contrôle des stocks d'armes et, lors d'une crise révolutionnaire, l'armement des travailleurs.

c) Pour les médias (télévision, radio, presse), il ne s'agit pas seulement de réclamer le droit d'expression pour l'ensemble des organisations ouvrières et "démocratiques", il s'agit d'exiger le droit à la contre-information de la part des travailleurs et tout particulièrement des travailleurs de ces entreprises et des travailleurs en lutte.

Cela peut se faire occasionnellement au prix de "mini coups de force" (occupation de la télévision...). Ces expériences limitées préparent en fait la transformation de la télévision de simple organe de diffusion en moyen de communication au service de la démocratie ouvrière. Cette conception implique de ne pas tomber dans l'erreur des travailleurs de Republica au Portugal qui, au lieu d'exiger le droit à la contre-information, réalisèrent de fait la censure. Même s'ils étaient poussés par un sentiment de classe contre la direction social-démocrate du journal, ils tombèrent dans un piège donnant l'impression qu'ils voulaient limiter le droit d'expression.

Autre chose est la faute de l'Unité populaire chilienne qui respecta le monopole économique de la bourgeoisie sur l'information comme elle respecta les institutions bourgeoises. Au contraire, nous devons nous battre pour la nationalisation de l'ensemble des moyens matériels de diffusion et leur répartition entre les différents groupes de citoyens au pro rata de leur importance et de leur audience, sans aucune exclusive autre que la rébellion armée contre le nouveau régime.

d) Enfin se pose le problème du contrôle ouvrier sur des institutions telles que la santé et l'école ayant pour fonction à la fois d'assurer l'entretient et la formation de la force de travail et de diffuser l'idéologie dominante.

Ces institutions ne seront pas détruites du jour au lendemain lors de la prise du pouvoir par les travailleurs; elles connaîtront un processus de transformation-dépérissement, parallèlement à la remise en cause de la division du travail, visant à faire réapproprier par l'ensemble de la société les activités sociales que sont la formation et la santé. Notre lutte dans ces institutions s'articule donc autour des axes suivants:

- D'une part, lutte pour l'accession d'un maximum de travailleurs et d'enfants de travailleurs à la "meilleure" santé et à la "meilleure" formation dans le cadre même du système existant et donc lutte contre toutes les mesures de rentabilisation et réformes capitalistes.

- D'autre part, remise en cause de la fonction de ces institutions dans la division capitaliste du travail qui s'exprime ici par la coupure enseignants/enseignés/travailleurs ou médecins/travailleurs de la santé/soignés/travailleurs. Cette double problématique débouche sur les axes revendicatifs suivants:

1) L'égalité de tous en matière de formation et de santé suppose la gratuité, la gratuité impliquant la nationalisation. Ce qui signifie notamment: formation gratuite, générale et critique, unique pour tous jusqu'à 18 ans; santé gratuite et de qualité pour tous; ce qui suppose la défense du caractère public de l'école et de l'hôpital contre les tentatives de privatisation, l'exigence de la nationalisation des écoles privées et de la santé privée, en particulier la fonctionnarisation du corps médical.

2) L'autonomie par rapport à l'Etat bourgeois et au patronat: autonomie pédagogique des enseignants, libre choix des médecins par les patients et liberté de prescription des médecins. Ce droit "démocratique" s'articule sur le développement de "pratiques de rupture" au sein de l'institution (recherches pédagogiques, recherche d'une nouvelle pratique médicale). Ces nouvelles pratiques s'épanouiront dans la période de transition mais il importe qu'elles se développent d'ores et déjà sans vouloir se figer en de nouvelles normes, c'est-à-dire en étant conçues comme des "expérimentations" librement voulues par les participants.

3) Le contrôle des travailleurs et des usagers sur les conditions de travail: nombre d'élèves par classe, nombre de malades en fonction du personnel soignant.

4) Remise en cause plus fondamentale du contenu même de l'enseignement et de la santé dans la perspective de remettre en cause la coupure étudiants/enseignants/travailleurs, ce qui, dans l'immédiat, signifie notamment: l'exigence du droit des travailleurs à la formation permanente sur le temps de travail (supposant la réduction massive du temps de travail à 35 heures et même 30 heures par semaine réparties sur cinq ou six jours afin que les journées de travail à l'usine soient courtes et moins abrutissantes) la remise en cause du rapport théorie/pratique dans la connaissance et en conséquence dans la reconnaissance de la qualification, le droit au contre-cours dans le domaine des "sciences sociales", l'ouverture des écoles et des universités aux activités syndicales et populaires sur le quartier ou sur la ville ... ou la coupure médecin/travailleurs de la santél soignés/travailleurs, ce qui dans l'immédiat signifie:

- le droit de contrôle des travailleurs et de la population sur les "nuisances"; rythme de travail, pollution, transports, urbanisme, etc;

- l'éducation de l'ensemble de la population dès l'école sur la connaissance du corps humain, ses examens, ses maladies, en associant théorie et pratique, en liaison avec le secteur de la santé publique;

- une filière unique de l'infirmier au médecin généraliste ce qui suppose un recentrage des études médicales sur la pratique médicale et la suppression des critères de sélection actuels;

- l'obligation d'informer la population et particulièrement les malades sur l'intérêt et les risques de chaque examen et de chaque thérapeutique et le droit pour eux de les refuser sans cesser pour autant de recevoir les soins qu'ils acceptent;

- la suppression du secret médical sauf si le patient le demande;

- la suppression de tous les règlements rétrogrades des hôpitaux, ce qui suppose leur transformation matérielle (droits de visite, de sortie, d'habillement, etc.);

- la suppression de toute juridiction spéciale aux médecins (suppression de l'Ordre des médecins), etc.

Cette conception se distingue donc:

a) de la conception gauchiste selon laquelle le savoir n'est qu'idéologique" et que finalement, n'importe qui pouvant aujourdhui remplacer un enseignant ou un médecin, ce qui est un moyen de laisser l'enseigné sans connaissance et le malade sans soins!

b) de la conception corporatiste qui remplacerait la problématique d'ensemble du contrôle ouvrier sur la formation par le contrôle étudiant ou le contrôle ouvrier sur la santé par le contrôle des seuls travailleurs de la santé ou même des seuls malades.

c) de la conception ouvriériste qui comprendrait le contrôle ouvrier sur l'école ou sur la santé comme le contrôle de l'enseignant ou des médecins par un délégué ouvrier ou un délégué syndical.

d) de l'utopie qui penserait constituer des contre-institutions, véritables "territoires libres", tissus de nouveaux rapports entre enseignants et enseignés, soignants et soignés, sans comprendre que ces nouveaux rapports sont indissociables du rapport enseignants-enseignés-societé ou soignants-société. Mais il s'agit là d'un rapport dialectique et des "contre-institutions", si elles ne peuvent pas être des "territoires libres", peuvent être néanmoins des terrains "d'expérimentation" et de "contestation" anticipant et favorisant les bouleversements sociaux.

7. Contrôle ouvrier et division du travail

Le contrôle ouvrier apparaît donc fondamentalement tant au niveau de la production que de la cité et des institutions de type école-santé comme la revendication et la forme de lutte permettant de remettre en cause dans la pratique la division capitaliste du travail et le "morcellement" du travailleur aliéné.

Pour autant, il serait faux de croire qu'on peut combattre la division du travail en luttant purement et simplement pour sa suppression par le partage et la rotation des tâches, non seulement entre intellectuels et manuels, mais au sein même des travailleurs manuels. En effet, si le capitalisme est directement responsable de l'accroissement de la hiérarchie vers le haut, en même temps, il est responsable d'une déqualification accrue accroissant la hiérarchie vers le bas par la multiplication dans tous les secteurs des "OS".

La lutte contre la hiérarchie passe par une lutte contre ce double mouvement, par une série de revendications telles que:

a) Formation permanente pour tous sur le temps de travail permise par la réduction massive du temps de travail, formation à la fois professionnelle "spécialisée" et universitaire "générale".

b) Reconnaissance de la qualification acquise à la fois comme acquis "scolaire" et comme acquis du "savoir faire".

c) Simplification des catégories visant à unifier les travailleurs selon le principe à travail égal salaire égal. Mais dans cette révision de la grille hiérarchique, les travailleurs doivent être guidés non pas par la définition d'une "juste hiérarchie", ce qui ne peut que semer la division et finalement justifier la division du travail, mais en fonction de critères de lutte de classes. Par exemple, en se fixant l'unification des grilles par branche professionnelle, en se fixant sur la meilleure grille existant dans chaque branche. Définition de parité entre les branches quand cela correspond à un travail et une qualification comparables, etc. (en refusant de prendre en compte la situation des cadres supérieurs directement liés au patronat).

e) Suppression du travail au rendement, intégration des primes au salaire, publicité intégrale des salaires, la lutte contre la hiérarchie des fonctions et contre la hiérarchie des salaires étant indissolublement liés.

f) Suppression pure et simple des fonctions de "flics" patronaux. Remise en cause des fonctions d'encadrement dont les tâches d'organisation technique du travail, nécessaires, pourraient facilement être réalisées à tour de rôle par les travailleurs ou par un travailleur élu et révocable par ses camarades.

Mais si cette revendication est assez facilement réalisable dans une situation de contrôle ouvrier où les travailleurs mobilisés sont susceptibles de faire respecter leur volonté contre la légalité de l'entreprise, de séparer rôle d'encadrement-flic et rôle d'organisation technique. En élisant un de leurs camarades à ce rôle, en dehors d'une telle situation, les travailleurs risquent fort, non pas de remettre en cause la hiérarchie, mais de la cautionner de leurs voix. L'élection de la maîtrise par les travailleurs est donc indissociable de la remise en cause de sa fonction et plus généralement des rapports de production.

En effet, c'est lors des luttes et grâce à leur auto-organisation que les travailleurs peuvent et doivent poser les problèmes de nouveaux rapports de production, d'une nouvelle répartition des tâches entre les travailleurs eux-mêmes, ce qui suppose une nouvelle définition de ces tâches.

Mais avancer une telle perspective hors d'une telle situation de contrôle ouvrier, c'est-à-dire sans réel changement de "rapport de pouvoir" dans l'entreprise, c'est tomber dans le panneau des différentes réformes de l'entreprise (direction participative par objectif, enrichissement des tâches, etc.).

Publié dans Critique Communiste, n°17, 1977

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