Féministes pas contentes !
Par Céline Caudron le Samedi, 13 Septembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Dans les années ’80, réapparaissent des discours sur la « crise de la masculinité », attribuée aux effets d’un féminisme qui serait allé trop loin. Des groupes d’hommes se forment dans les pays occidentaux et se convainquent de la nécessité de retrouver des repères en recomposant leur identité masculine et en reconquérant un pouvoir soi-disant perdu. Dans une période d’offensive néolibérale, ce mouvement, qui surfe allégrement sur la vague anti-féministe, trouve écho auprès de certains hommes qui cherchent un bouc-émissaire aux inquiétudes concrètes qu’ils rencontrent.

Aujourd’hui, les « masculinistes » exercent un lobbying auprès des institutions publiques, s’expriment librement dans les médias ou encore tiennent des congrès internationaux. Les 17 et 18 octobre prochain, l’association belge relais-hommes organise la troisième édition du congrès « Paroles d’hommes » à Bruxelles…


Une réflexion des hommes sur leur place dans la société et les rapports sociaux de sexe est bien sûr nécessaire. Mais, pour qu'elle soit juste et évite de tomber dans le réactionnaire qui consiste à vouloir rétablir la "puissance" soit-disant "perdue" des hommes, un préalable indispensable est de remettre en cause le patriarcat. Certains hommes pro-féministes le font, comme ceux qui faisaient justement partie de la coalition antimasculiniste qui s'est opposée au dernier congrès "Paroles d'hommes" en 2005 à Montréal.

Patriarcat Fantomas

Or, le mouvement masculiniste, bien qu’il soit composé d’individus et de groupes assez variés (on y retrouve des chercheurs, des psychologues, des groupes de défense des droits des pères, des groupes de thérapie masculine, des groupes d’activistes conservateurs et parfois proches des intégristes religieux), est clairement conservateur et dénie complètement l'existence du patriarcat. Il n'est pas du tout question pour eux de remettre en cause le fondement des inégalités entre hommes et femmes mais de se positionner comme victimes d'un féminisme qui serait allé trop loin en chamboulant les rôles sexués et en oubliant ainsi les souffrances des hommes.

Pour soutenir leurs thèses quant à la piètre condition masculine, ils sortent à la pelle des indicateurs de genre… tout en ignorant soigneusement ceux qui prouvent que du travail reste encore à faire pour les féministes. Le « mâle-être actuel du premier sexe » se constate ainsi, statistiques à l’appui, à travers la présence majoritaire des hommes parmi les fumeurs quotidiens, les personnes dépendantes de l’alcool, les personnes décédées suite à un accident de voiture ou encore les détenus dans les prisons en 2004 (8.891 hommes pour 388 femmes). Ils feignent d’ignorer le fait que la norme, ce qui est soi-disant neutre, c’est encore en règle générale le masculin et que les discriminations envers les femmes dépassent, elles, une somme de comportements individuels mais sont liées à un réel système d’oppression.

Pour les masculinistes, les « choix » qui nous sont pourtant imposés par la société – comme, par exemple, travailler à temps partiel ou rester à domicile pour garder les enfants – sont à leurs yeux des privilèges de femmes, alors que cela pèse sur notre niveau de vie en cas de divorce ou au moment de la pension! Sous des dehors scientifiques, les analyses des masculinistes sont donc souvent très simplistes, incomplètes et enfermées dans les limites du patriarcat.

Vade retro féministes!

Les masculinistes se présentent souvent comme « pacificateurs », contre la « guerre des sexes », ce qui contribue à leur accorder du crédit auprès de ceux et celles qui ne prennent pas la mesure des rapports de pouvoir entre les sexes. Ainsi, sur le site de leur congrès « paroles d'hommes », on peut lire en première page: "Il nous faut « désexualiser » les rapports de pouvoir homme – femme (tant conjugaux que sociaux) et partager équitablement ce pouvoir pour qu'advienne un véritable humanisme". Tout ça, ça fait bien gentil, « peace and love », mais, de là, découlent rapidement des trucs bien plus trash et bien moins pacifiques et rassembleurs, comme par exemple cette superbe démonstration « scientifique » de Yvon Dallaire, psychologue, sexologue et auteur, guest star des congrès « Paroles d’hommes »: "L'on sait aujourd'hui que le code d'ADN du 2e X faisant de cet humain une femelle s'est constitué il y a 150.000 ans et qu'il n'a pas évolué depuis. Quant au code d'ADN du chromosome Y, son évolution s'est stabilisée plutôt récemment, soit il y a environ 49.000 ans, démontrant là aussi que le sexe féminin est antérieur au sexe masculin.

Cela confirme que, malgré les apparences patriarcales de nos structures socio-politiques, l'espèce humaine serait fondamentalement matriarcale (...) Certains généticiens (et nombre de féministes radicales) utilisent ces données pour présenter le sexe masculin comme une atrophie du sexe féminin, comme une femme handicapée, détériorée et dont il faudrait se débarrasser au plus tôt car seul responsable de ce qui va mal dans le monde et entre autres de la piètre condition féminine millénaire, comme si la femme n'avait aucune responsabilité dans l'évolution de l'humanité (...) Sauf que le chromosome Y n'a pas encore dit son dernier mot, car il ne veut pas disparaître. Les gènes le constituant veulent continuer de vivre et d'évoluer eux aussi. Ils veulent se libérer du destin apocalyptique d'Adam. L'être humain homme veut lui aussi devenir autonome et vivre par et pour lui-même et non seulement au service de la survie sexuelle et alimentaire de sa compagne femme-mère" (Yvon Dallaire, Féminisme + hominisme = humanisme, contribution au 2e congrès Paroles d’hommes, Montréal, 2005, sur www.parolesdhommes.com). Magnifique, non?

Quand on visite leurs sites internet les plus explicites (www.garscontent.com, www.lapresrupture.cq.ca, www.hommedaujourdhui.ca, …), c’est clair et net : on y trouve un tas d’attaques contre l’émancipation des femmes : attaques contre le droit à l’avortement (un crime qui menace les sociétés de disparition), attaques contre les créances alimentaires,… et, chez les conservateurs, la promotion d’un retour à la famille du « bon vieux temps » : une famille hétérosexuelle où l’homme a « naturellement » une place dominante. Et quand on lit qu’en cas de violence conjugale il faut une approche sans coupable, qui responsabilise les deux protagonistes, que le responsable c’est « le couple », là, c’est la goutte qui fait déborder le vase … Les masculinistes dénient le sens de notre combat féministe qui est à leurs yeux l’origine de leurs maux et du malaise de la société.

Un lobbying efficace

Avec leurs accroches "humanistes", à l'apparence rassembleuse et aux allures respectables, et derrière les arguments d'autorité de pseudo-scientifiques ("si c'est eux qui le disent!"), les masculinistes sont vraiment dangereux parce qu’ils remettent en cause des décennies de luttes et une série de droits conquis. En s’en prenant au féminisme, ils fournissent sur base de thèses et de quelques chiffres cités en vrac, une autre grille de lecture, conservatrice et rétrograde...

Pourtant, les masculinistes passent comme une fleur dans les médias et ils sont soutenus par des institutions officielles. Ainsi, en Belgique, il est interpellant de constater que l’Institut pour l’Egalité entre Femmes et Hommes soutient le congrès « Paroles d’hommes » qui aura lieu à Bruxelles. Contrairement aux hommes pro-féministes qui appuient les combats d’émancipation des femmes, le masculinisme contribue à renforcer ce que nous sommes déterminé-e-s à combattre et abolir : le patriarcat.

Les masculinistes à Bruxelles!

Le thème du 3e congrès « Paroles d’hommes », qui se tiendra les 17 et 18 octobre à l’IHECS à Bruxelles, sera "Hommes: état des lieux; inventaire des ressources et besoins". Derrière cet intitulé d’apparence anodine, plusieurs hommes (et femmes) de divers horizons interviendront… mais quelques anti-féministes notoires prendront aussi la parole, comme Yvon Dallaire, Jean Gabard ou encore Serge Ferrand (programme complet sur www.relais-hommes.org). Les précédents congrès « Paroles d’hommes », à Genève en 2003 et à Montréal en 2005, ont soulevé des critiques. Au Canada, une coalition anti-masculiniste (avec des femmes et des hommes) s’est d’ailleurs constituée pour l’occasion, en organisant entre autres un contre-congrès[1]. Mais, en Belgique, l’événement n’émeut pas grand monde… pour l’instant. C’est pourquoi, nous appelons à un rassemblement critique des féministes et pro-féministes à l’occasion du congrès « Paroles d’hommes », pour faire tomber les masques du politiquement correct et soulever les vrais enjeux des rapports sociaux de sexe, pour dénoncer la démarche dangereuse et rétrograde de certains masculinistes qui seront présents à ce congrès et pour interpeller les institutions publiques qui les soutiennent.

Pour celles et ceux qui veulent se bouger: écrire à Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

Pour plus d’infos sur les masculinistes, voir le dossier de Sisyphe (www.sisyphe.org) et l’ouvrage collectif « Le mouvement masculiniste au Québec. L’antiféminisme démasqué », s.dir. Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri, Editions Remue-ménage, Montréal, 2008.



[1] http://www.antipatriarcat.org/antimascu/

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