Palestine: Heureux le peuple pour lequel Darwish est un héros
Par Michel Warschawski le Mardi, 26 Août 2008 PDF Imprimer Envoyer

Heureux le peuple qui a pour dieu la poésie. Heureux le peuple qui a pour symbole national les poètes, et non des généraux, des gens disposant de fortunes matérielles ou d’autres oligarques du même style...   Mahmoud Darwish a grandi dans la région d’Acre et a passé de nombreuses années en exil après avoir été exclu d’Israël de 1973 à 1995.... Telle était ma pensée en marchant, avec un groupe d’une vingtaine de militants israéliens, dans l’immense cortège funèbre de Mahmoud Darwish à Ramallah.

Et aussi ce souvenir d’il y a 25 ans, où seules, une vingtaine de personnes, la plupart d’anciens voisins, accompagnaient le cercueil du légendaire espion soviétique et combattant antinazi Léopold Trepper au cimetière de Jérusalem. Pas un représentant du gouvernement n’était présent, pas un porte-parole de toutes ces organisations qui représentent les victimes de l’Holocauste et les combattants de la résistance antinazie. J’ai senti alors que ce qui représentait le peuple juif, son histoire et sa mémoire, reposait entièrement sur les épaules des plus faibles. Malheur au peuple qui n’honore pas ses vrais héros mais qui respecte à leur place des généraux qui envoient leurs soldats au combat pendant qu’eux-mêmes se dépêchent d’aller vendre des actions à la bourse, tout en contraignant la jeune génération à s’identifier à ceux qui ont « réussi », des gens plus ou moins honnêtes, comme Arcadi Gaydamak et Lev Leviev. Malheur à un tel peuple.

Et à propos de généraux, il faut citer le général israélien Gal Hirsch qui a connu l’échec lors de la dernière guerre d’Israël contre le Liban mais qui, aujourd’hui, prodigue ses conseils à l’armée géorgienne et lui enseigne l’art de la guerre. Et en Géorgie, comme au Liban : ce fut une défaite totale. Le Sheikh Nasrallah a une nouvelle fois raison de se moquer de Hirsh et de ceux qui l’emploient, en même temps que d’Israël et des Etats-Unis, et qui se retrouvent une fois encore du côté des perdants.

Le peuple palestinien ne doit pas essayer de suivre le peuple israélien sur son terrain, un terrain où la moralité publique se trouve entre les mains d’une armée professionnelle et se fie à des généraux battus pour protéger sa souveraineté. Pendant le cortège funèbre de Mahmoud Darwish, nous sommes passés devant le bureau de coordination de l’Union européenne gardée par les forces de police palestiniennes. Quelle était la pensée de Mahmoud Darwish en entendant le général Duch, responsable de l’entraînement de la police palestinienne, parler de sa fonction ? L’homme en uniforme ne parlait pas, grands dieux, de former des soldats pour se défendre contre les agressions israéliennes ou protéger la souveraineté de l’ « Etat palestinien ». Il parlait de forces armées formées pour une guerre civile, uniquement pour faire tomber le gouvernement démocratique arrivé au pouvoir, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, dans le cadre d’un processus démocratique. Ce n’est pas par hasard que Darwish a démissionné des ses fonctions politiques lors de la signature des accords d’Oslo. Avant bien d’autres, le poète avait compris que ces accords étaient de nature à transformer l’Autorité palestinienne en un gouvernement fantoche à la solde des Etats-Unis et les forces de police palestiniennes en unités de renfort à l’armée d’occupation. Rétrospectivement, il est clair que le poète a lu la carte politique bien mieux et bien plus vite que les dirigeants politiques.

Heureux le peuple dont les poètes ne courent pas après les faits du jour, refusent de s’enfermer dans une tour d’ivoire de la création littéraire et sont prêts à se salir les mains en politique. Malheur au peuple dont les plus grands auteurs sont prêts à signer, afin de représenter leur pays à une Foire du Livre en Europe, une déclaration les engageant à ne pas critiquer la politique de leur gouvernement. Il n’est pas question là d’une dictature ou d’un régime autoritaire mais d’un Israël démocratique, qui ne persécute pas ses créateurs, les juifs tout au moins. Il n’est pas surprenant, dès lors, que pour devenir le plus grand des poètes arabes, Mahmoud Darwish ait dû quitter son pays natal où il a certes écrit plusieurs de ses meilleurs poèmes, mais qui l’a traité comme un propagandiste communiste (sic) représentant un danger pour la sécurité de la région. Même après que Darwish soit devenu un créateur réputé dans le monde et dans une société israélienne un peu plus ouverte, ce fut après de houleux débats que fut inséré l’un de ses poèmes dans les programmes scolaires israéliens, à la condition... qu’il ne fut pas politique (sic). Mahmoud Darwish n’aimait pas tout ce qui faisait son identité israélienne, mais il ne l’a jamais nié. L’Etat d’Israël, par contre, a nié l’un de ses fils les plus grands. La perte a été, bien sûr, entièrement celle d’Israël, entièrement la nôtre à tous.

Ce texte a d’abord été rédigé en hébreu pour le public israélien et a été traduit en anglais par AIC.

Michel Warschawski est journaliste et écrivain. Fondateur du Centre d’information alternative (AIC) à Jérusalem, il est l’un des représentants du courant radical antisioniste en Israël.

 

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