Le métabolisme social est détraqué
Par Daniel Tanuro le Vendredi, 24 Septembre 2004 PDF Imprimer Envoyer

On trouve chez Marx une conception dialectique et moderne de nos relations avec le monde qui nous entoure. Résumée dans l'expression de " métabolisme social entre l'homme et la nature ", cette conception met l'accent sur l'unité humanité/environnement tout en insistant sur la singularité de notre espèce: Homo sapiens est capable de comprendre les lois naturelles et de les instrumentaliser délibérément. Ce faisant, il change l'environnement, et ces changements influent à leur tour sur le développement humain. Pour Marx, l'histoire naturelle et l'histoire tout court s'entrelacent, co-évoluent.

On trouve chez Marx une conception dialectique et moderne de nos relations avec le monde qui nous entoure. Résumée dans l'expression de " métabolisme social entre l'homme et la nature ", cette conception met l'accent sur l'unité humanité/environnement tout en insistant sur la singularité de notre espèce: Homo sapiens est capable de comprendre les lois naturelles et de les instrumentaliser délibérément. Ce faisant, il change l'environnement, et ces changements influent à leur tour sur le développement humain. Pour Marx, l'histoire naturelle et l'histoire tout court s'entrelacent, co-évoluent.

Certains disent que Marx ne s'est pas préoccupé d'environnement parce qu'il n'y avait pas de crise environnementale à son époque. C'est inexact, surtout si on définit les problèmes environnementaux en y incluant les maladies dues à la pollution et à l'alimentation, la pression de l'agriculture sur les écosystèmes, l'épuisement des ressources, etc.

En ce sens, le XIXe siècle a connu au moins deux grands dérèglements du "métabolisme social": la dégradation des conditions sanitaires dans les centres industriels (pollution de l'air, des eaux, absence d'égouttage et de gestion des déchets, insalubrité et promiscuité des logements ouvriers,...) d'une part, et, d'autre part, la menace d'épuisement des terres agricoles.

Le premier aspect est bien connu. Le second l'est beaucoup moins. Résumons. L'entassement de millions de gens dans les villes brisa le cycle des nutriments qui était à la base de l'agriculture traditionnelle: les excréments n'étaient plus utilisés comme fumure mais déversés dans les fleuves, puis dans la mer, qu'ils polluaient. En l'absence d'engrais chimiques pour compenser cette perte, les sols s'appauvrirent, à tel point qu'il y eut un véritable pillage impérialiste des réserves de guano des pays non-développés. 

Marx était bien documenté non seulement sur le premier mais aussi sur le second de ces aspects. Sa formule fameuse comme quoi le capitalisme "épuise les deux seules sources de toute richesse" - la terre et le travailleur - exprime sa conscience du danger d'épuisement des sols. Son insistance sur la nécessité de surmonter la séparation entre ville et campagne ne découle pas seulement de sa critique philosophique de l'aliénation vis-à-vis de la nature, mais aussi, plus prosaïquement, de sa conviction qu'il fallait rétablir le "métabolisme social" humanité-nature en tant qu'échange de matières (en clair: rendre le fumier à la terre), afin d'éviter ce qu'on appellerait aujourd'hui une catastrophe écologique. 

Le fait que la conservation des sols se heurtait aux relations sociales existant à la campagne, dans le cadre de la propriété foncière, fut une des raisons incitant Marx à décortiquer le mécanisme de la rente. Ce travail l'amena à la conclusion que l'agriculture capitaliste serait fatalement de plus en plus intensive - donc néfaste pour les sols et agronomiquement irrationnelle - parce que tout accroissement du capital investi à l'hectare accroît le surprofit (ou rente) des propriétaires (et ce en dépit de la loi des rendements décroissants, bien connue des agronomes). Marx alla même plus loin: il pointa l'agriculture comme le lieu d'une contradiction insurmontable entre le rythme du capital et ceux de la nature.

Après deux cents ans de capitalisme, le "métabolisme social" est plus détraqué que jamais, à l'échelle mondiale. La crise des fumures a été "résolue" par les engrais chimiques, ce qui signifie en fait que le problème a été déplacé (vers les ressources en nitrates et phosphates, d'une part, vers la pollution des nappes aquifères, d'autre part). D'autres défis sont apparus: les changements climatiques, le recul de la biodiversité, l'empoisonnement de la biosphère par des polluants persistants, l'épuisement des ressources halieutiques (marines), la dissémination des OGM...

Ces défis majeurs ne se résoudront pas en lisant Le Capital, et il serait ridicule de faire passer Marx pour un écologiste avant la lettre. Mais 1° le  "métabolisme social" reste la clé pour aborder les crises écologiques d'une façon matérialiste et pour intégrer l'écologie dans un programme de changement de la société ; 2° la théorie de la rente est très précieuse pour saisir les enjeux de la nouvelle vague capitaliste d'appropriation des ressources (le génome, l'eau, l'air) ;  et 3° le vieux Karl - qui s'était mis à étudier la chimie, la pédologie et la géologie - donne aussi une leçon de méthode: il faut savoir de quoi on cause...

Voir ci-dessus