Palestine: 60 ans de dépossession et d'exil.
Par Michel Warschawski le Mardi, 03 Juin 2008 PDF Imprimer Envoyer

La NAKBA

Il y a dix ans, alors qu'Israël célébrait son cinquantenaire, notre tâche principale était de rappeler que l'indépendance d'Israël c'était aussi pour les Arabes de Palestine la dépossession de leur pays, et leur transformation brutale en un peuple de réfugiés. Quand on mentionnait le concept de Nakba, beaucoup demandaient ce que cela signifiait. Dix ans plus tard, ceux qui demandent ce que signifie ce concept ne sont plus des ignorants mais bien des négationnistes qui refusent de reconnaître le prix terrible payé par la population indigène de Palestine pour que se constitue l'État Juif. Pas un reportage, pas un article, pas une émission de télévision, pas un discours sur les soixante ans d'Israël qui ne mentionne, parallèlement, la Nakba palestinienne. Cette reconnaissance de leur histoire et de leurs droits bafoués est sans aucun doute une première victoire pour le peuple palestinien, qui a trop longtemps été confronté à l'hégémonie du discours sioniste selon lequel "un peuple sans terre est "retourné dans sa patrie", "une terre sans peuple", désertique et avide d'être re-civilisée.

La fin du consensus négationniste israélien

La deuxième victoire, non moins importante et en partie liée à la première, a été la fin du consensus négationniste israélien. L'apparition des "Nouveaux Historiens" qui ont relégué à la poubelle la vieille historiographie sioniste, a à la fois reflété et favorisé dans l'opinion publique israélienne non seulement la reconnaissance d'un peuple palestinien mais aussi son corollaire, la reconnaissance des droits nationaux pour ce peuple. C'est ce changement de l'opinion publique israélienne qui a forcé le gouvernement Rabin à reconnaître l'OLP et à négocier avec ses dirigeants un compromis politique et territorial. En retour, l'existence, en Israël même, d'une revendication au sujet des droits des Palestiniens a renforcé le mouvement international de solidarité et son impact sur les positionnements de la communauté internationale envers ces droits. Il reste évidemment la tâche principale: traduire cette reconnaissance par des faits, c'est-à-dire permettre au peuple palestinien de réaliser son autodétermination nationale. Car même après soixante ans, le peuple palestinien est toujours un peuple colonisé et occupé, et le fait qu'il dispose de nombreux signes extérieurs de souveraineté, y compris un Président, un gouvernement, des ambassades, un drapeau, un budget national et des forces de police armées, ne change pas fondamentalement cette réalité coloniale et la mainmise israélienne non seulement sur ses frontières mais sur sa liberté de décision, que ce soit en politique extérieure ou en politique intérieure. L'"État de Palestine" n'est pas plus souverain que ne l’étaient les Bantoustans d'Afrique du Sud avant la chute de l'Apartheid, avec cependant une différence importante: alors que jamais la communauté internationale n'était tombée dans le piège consistant à voir dans les Bantoustans des entités souveraines, cette dernière se plait à considérer "l'État de Palestine" comme un État souverain. Ce qui crée souvent une inacceptable symétrie: le conflit israélo-palestinien ne serait plus le dernier des conflits coloniaux dans le monde, mais un contentieux entre deux États sur des questions d'ordre territorial, sur le tracé des frontières et sur l'accès aux ressources naturelles, en particulier l'eau et la terre.

La question doit être posée: soixante ans de quoi? De quel anniversaire s'agit-il?

Certainement pas du début de la colonisation sioniste qui a commencé un demi siècle plus tôt, et encore moins de sa fin, puisque celle-ci ne s'est jamais arrêtée, les derniers quinze ans marquant même une accélération de la mainmise sioniste sur l'espace, la terre et les ressources naturelles de la Palestine. Soixante ans d'Israël? Dans une certaine mesure seulement, puisque l'État Juif existait dans les faits bien avant sa constitution formelle en 1948 et sa reconnaissance par les Nations Unies comme État souverain, avec ses institutions politiques, sa représentation internationale et surtout, ses forces armées.

Guerre de nettoyage ethnique

Entre 1947 et 1949, les forces armées sionistes d'abord, et l'armée israélienne ensuite, ont mené une guerre de nettoyage ethnique, faite de massacres, d'expulsions et de destructions de centaines de villes et de villages palestiniens. Si 1948 est une date charnière, c'est parce qu'elle marque l'expulsion des Palestiniens de 78% de leur patrie et leur transformation en un peuple de réfugiés. C'est la raison pour laquelle, quiconque a à cœur la défense du droit et de la dignité humaine se doit de mettre au centre des commémorations du soixantenaire la revendication du droit au retour des réfugiés. Cette question, et pas celle de la souveraineté politique, a été, la force motrice de la constitution d'un mouvement national palestinien et doit le rester. Vouloir marchander le droit au retour des réfugiés en échange d'une souveraineté palestinienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza n'est pas seulement un acte inique qui foule aux pieds les droits élémentaires de millions d'hommes et de femmes, mais une démarche vouée à l'échec: les réfugiés n'ont pas attendu six décennies dans des camps (pour beaucoup d'entre eux) pour qu'à un moment donné leur direction nationale brade leurs droits en échange d'un État, même indépendant et souverain… ce qui semble plus éloigné que jamais. Ce que l'on nomme la "question palestinienne" n'est pas en premier lieu la question de l'occupation, en 1967, de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, mais d'abord et avant tout, la dépossession par le colonialisme sioniste du peuple palestinien de sa terre, son expulsion hors des frontières de sa patrie. Quant à la minorité restée sous la souveraineté de l'État Juif- en Galilée essentiellement- elle est devenue une minorité colonisée qui, tout en jouissant de droits civiques, est soumise à une politique de discrimination institutionnalisée qui perdure encore aujourd'hui. Résoudre le conflit exige donc un changement radical de la politique coloniale, et cela à trois niveaux: le retrait total des territoires occupés en juin 1967, la fin de la discrimination envers la minorité palestinienne d'Israël (1,2 millions d'âmes aujourd'hui), le retour des réfugiés. Seule une telle décolonisation permettra à Israël de devenir un État démocratique et au peuple israélien d'envisager une existence sécurisée au cœur du Moyen Orient.

Droit au retour et Retour

Tant qu'existera un seul réfugié palestinien, Israël ne connaîtra pas la sérénité.
Quand le gouvernement israélien accepte, au début des années quatre-vingt-dix, de négocier avec l'OLP un accord de paix, il tente de limiter le contentieux à une querelle territoriale et à un problème de souveraineté palestinienne sur les territoires occupés au cours de la guerre de juin 1967. Souveraineté nationale pour solde de tout compte, les réfugiés étant sommés de payer le prix de l'État Palestinien généreusement octroyé par les Israéliens. A l'exception de Sari Nusseibeh, il ne s'est pas trouvé un seul dirigeant palestinien, y compris dans les territoires occupés, à prendre au sérieux cette proposition. De même en est-il d'ailleurs de la "communauté internationale", États-unis compris, qui inscrivent la question des réfugiés à l'ordre du jour des négociations de Washington puis d'Oslo. Car la question nationale palestinienne est d'abord une question de réfugiés. Consciente, enfin, que la question des réfugiés est incontournable, une partie de la gauche israélienne envisage alors un nouveau type de marchandage: reconnaissance du tort fait par Israël aux Palestiniens en 1948 et du "droit au retour" en échange de… sa non mise en œuvre. C'est la séparation entre le droit et son application: reconnaissons le droit au retour, demandons pardon pour les torts commis en échange d'une promesse palestinienne de limiter le retour à un nombre limité de cas humanitaires. Certes, personne ne peut ni ne veut obliger les Palestiniens à retourner dans leurs villages d'origine, et sans doute que nombre d'entre eux ont depuis longtemps refait leur vie dans leur lieu d'exil. Mais c'est exclusivement leur droit à eux – un droit individuel – de décider s'ils le veulent ou non : ni la communauté internationale ni même l'OLP ne peuvent décider à la place des réfugiés. Et certainement pas Israël (*). D'ailleurs, l'intérêt bien compris d'Israël exige la pleine et sincère reconnaissance du droit au retour, c'est-à-dire la disparition du réfugié palestinien en tant que réfugié. Car le réfugié est un fantôme qui hante la société israélienne et en fait une société de névrosés qui tente vainement de combattre ses peurs par une brutalité sans fin. Tant qu'existera un seul réfugié palestinien, Israël ne connaîtra pas la sérénité. (*) De nombreuses études – en particulier celle de Salman Abu Sitta – ont prouvé la faisabilité d'un retour des réfugiés sans que cela ne transforme à leur tour les Israéliens en réfugiés.

Le partage de la Palestine

En 1947, l 'Assemblée Générale des Nations Unies décide la partition de la Palestine en un État Juif, un État Arabe et une zone internationale autour de Jérusalem. Les Palestiniens rejettent ce plan qui les dépossède de plus de 50% de leur terre . La direction sioniste, plus cynique, affirme publiquement accepter ce plan, tout en négociant avec l'Emir Abdallah de Transjordanie le partage… de ce qui devait être l'État arabe de Palestine. Et de fait, c’est bien ce partage là qui a eu lieu, jusqu'à ce qu’Israël, en juin 1967, prenne des mains du royaume hachémite, ce qu’elle lui avait provisoirement concédé vingt ans plus tôt.

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