Pensions et vieillissement: Le grand bluff
Par Guy Van Sinoy le Mardi, 09 Mars 2010 PDF Imprimer Envoyer

Prochainement commencera la Conférence nationale pour les Pensions qui réunira autour de la table gouvernement, patrons et syndicats. Avant que cette conférence n'ait commencé, Michel Daerden, ministre fédéral des Pensions, a déjà déclaré qu'il "faudra travailler trois ans de plus pour payer les pensions"! Il ne fait que répéter ce qui se dit depuis des mois à l'OCDE, au FMI, dans les universités, dans les médias et, d'une manière générale dans toutes les agences et sous-agences de la bourgeoisie chargées de marteler le message selon lequel le vieillissement de la population nécessite de travailler plus longtemps.

Qu'est-ce que le vieillissement d'une population?

La Belgique, comme la plupart des pays d'Europe occidentale, connaît un vieillissement de sa population. "Les habitants de Belgique vivent de plus en plus longtemps: un trimestre de plus par an, depuis 1970. En 2001, l'espérance de vie était de 75,4 ans pour un homme et de 81,7 ans pour une femme. Jusqu'en 2030, elle se prolongera sans doute encore de plus de cinq ans. Cependant, la cause majeure du vieillissement n'est pas la prolongation de l'espérance de vie, mais la décroissance du taux de natalité. Le vieillissement ne doit pas être considéré en termes absolus, mais comme l'expression du rapport entre le nombre de seniors et le nombre de jeunes." (50 mensonges sur les fins de carrière, Gilbert De Swert, p.26, Ed. Luc Pire, 2005).

En d'autres termes, le vieillissement d'une population ne dépend pas tellement de l'allongement de la durée de vie, mais surtout de la baisse de la natalité: on vit un peu plus longtemps, mais surtout la proportion de jeunes diminue.

Le grand bluff

Dans notre pays, le système de pension repose sur le principe de la répartition: les cotisations des salariés actuels paient les pensions des pensionnés actuels. Affirmer, comme le font les commis idéologiques de la bourgeoisie, que le vieillissement de la population de Belgique nécessite de travailler plus longtemps, c'est du bluff pur et simple. Car c'est mélanger des données démographiques avec des considérations socio-économiques.

Dans un système de répartition, le fait que l'on puisse ou non payer les pensions ne dépend pas du nombre d'adultes en âge de travailler, mais du nombre de salariés effectivement au travail et dont les cotisations sociales sont réellement payées. Or c'est justement sur ces deux points que le bât blesse aujourd'hui en Belgique: il y a 600.000 salariés sans emploi et depuis des années les entreprises bénéfices de réductions de cotisations sociales, appauvrissant ainsi progressivement les caisses de sécurité sociale.

Le problème n'est donc pas le vieillissement, mais le manque de travail et les cadeaux faits au patronat. Et si jamais on manquait d'adultes en âge de travailler le gouvernement n'hésiterait pas une seconde avant de faire appel à de la main-d'œuvre immigrée, comme il l'a fait dans le passé.

De surcroît, les prévisions démographiques ont le défaut de supposer un monde inerte, où rien ne bouge. Une prévision démographique qui aurait été faite en 1900 pour les 50 années futures n'aurait bien évidemment pu prévoir les deux Guerres mondiales. En outre, ces prévisions sont faites comme si les variables restaient immuables: la hausse du produit intérieur brut, l'augmentation de la productivité, l'amélioration des conditions de vie, les progrès de la médecine, les migrations de population, les catastrophes, etc.

Le principe de capitalisation

D'autres pays que la Belgique connaissent le principe de capitalisation en matière de pensions. Les cotisations forment un capital qui sera reversé au pensionné lors de sa retraite. Ce système est beaucoup plus fragile que celui de répartition car les banques auprès desquelles sont capitalisées les cotisations sociales ne se contentent pas de placer l'argent jusque la pension. Elles le jouent en bourse, et en cas de crise boursière ces fonds de pensions peuvent très bien s'envoler en fumée.

En 1994, l’Argentine a opté pour le transfert de la gestion de leurs fonds de pension à des organismes privés et non plus à la sécurité sociale. L’ancien système reposait sur le principe de répartition. Le nouveau système mis en place reposait sur le principe de retraite par capitalisation administré par des fonds de pension privés ou publics. La crise économique profonde de 2001 en Argentine a dévasté les fonds de pensions par capitalisation.

Mettre un frein aux fonds de pension privés

La première offensive contre le système de répartition a eu lieu dans notre pays lorsque certaines entreprises ont commencé à mettre sur pied des pensions complémentaires sur le principe de capitalisation. Ensuite, dans les années 80, le gouvernement a instauré l'épargne-pension. Tout contribuable peut se constituer une épargne-pension et les montants épargnés (limités à 850€ par an), donnent droit à un avantage fiscal. Autrement dit, la collectivité contribue à financer un système de pension complémentaire par capitalisation qui contribue à miner le système officiel de pensions par répartition!

Nous plaidons pour la suppression de l'avantage fiscal lié à l'épargne-pension et la hausse du forfait forfaitaire des frais professionnels, de manière à ne pas léser les salariés sur le plan fiscal tout en mettant un frein au développement des fonds de pension privés.

"Au voleur!"

Depuis des années, les entreprises ont reçu des cadeaux colossaux sous forme de baisse des cotisations à la sécurité sociale. Pour cela, le prétexte invoqué était de permettre de créer de l'emploi. Mais à vrai dire aucun employeur n'a jamais embauché un salarié s'il n'en avait pas besoin de manière absolue. Les nombreuses mesures de baisse des cotisations patronales à la sécurité sociale n'ont pas mené à la création massive d'emplois.

Elles ont eu cependant deux conséquences: baisser les salaires (car les cotisations sociales à la sécurité sociale représentent du salaire indirect) et appauvrir les caisses de la sécurité sociale. Les patrons qui poussent de hauts cris en prétendant qu'on ne pourra plus payer les pensions, c'est un nouvel épisode l'histoire des voleurs qui crient "Au voleur!"

Vers une société de pensionné-es pauvres?

Dans ce contexte, la Conférence nationale des pensions qui se tiendra dans quelques mois entre gouvernement, patrons et syndicats comporte plusieurs enjeux cruciaux. Le premier est de résister à la campagne de propagande forcenée sur la nécessité de retarder l'âge du départ à la pension. Un deuxième enjeu important sera de relever les pensions les plus basses. En effet, le taux de remplacement des pensions est souvent trop faible par rapport au dernier salaire reçu.

De nombreuses personnes, surtout des femmes, n'ont pu avoir une carrière complète, n'ont pas eu d'autre choix que de travailler à temps partiel ou ont connu de longues périodes de chômage. Elles doivent vivre avec une pension de 885,90 € pour une personne isolée, ou 590 € pour une pension de base. Aujourd'hui, plus de 79.000 pensionnés ou pensionnées doivent vivre avec moins de 20€ par jour! Si on ne revalorise par immédiatement ces minima, on s'achemine tout droit vers une société où une partie croissante des pensionné/es pauvres, surtout chez les femmes.

La meilleure défense, c'est l'attaque

Deux autres enjeux importants devront aussi être relevés. D'une part il est indispensable de permettre à tous les retraités de vivre dignement. C'est pourquoi les pensions doivent être liées à l'évolution des richesses produites (le Produit intérieur brut). Au-delà de la question du montant des pensions, il faut aussi adapter les conditions à réunir pour pouvoir bénéficier d'une pension complète.

Aujourd'hui, les conditions d'entrée sur le marché du travail ne sont plus les mêmes qu'il y a 50 ans. L'obligation scolaire est passée de 14 à 18 ans. De nombreuses professions ne sont accessibles qu'aux détenteurs d'un diplôme. Tous ceux et toutes celles qui commencent donc à travailler au-dessus de 20 ans, ne parviendront pas à atteindre une carrière de 45 ans de travail ouvrant le droit à une pension complète, sauf à devoir travailler au-delà de 65 ans. Les conditions de travail ont aussi changé. L'utilisation de machines et d'engins de levage ont rendu le travail moins pénible, mais l'accélération des cadences de travail et la diminution des effectifs provoquent le stress et le burn out dans de nombreuses professions (production à la chaîne, travail hospitalier, etc.) Il faut donc réduire le nombre d'annuités nécessaires à l'obtention d'une pension complète. Sans quoi, à quoi bon calculer un montant fictif de pension complète que quasi personne ne pourra atteindre faute d'avoir assez d'années de carrière?

L'offensive contre le système actuel de pension a mûrement été réfléchie dans les rangs patronaux. L'enjeu est colossal. Pour les salariés, il s'agit de défendre bec et ongles un acquis social mis en place par la lutte de nos aînés. Pour la bourgeoisie, il s'agit de démanteler ce qui a été acquis immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale de la même manière que l'on démantelé les entreprises publiques (CGER, Belgacom, La Poste, SNCB), l'objectif étant de baisser fortement le coût de la main-d'œuvre et de le ramener à un niveau proche de celui des pays émergents. La LCR appelle les travailleurs et les travailleuses à résister à ce nouvel assaut de la bourgeoisie, a dénoncer la campagne d'intoxication menée sur le thème de 'la nécessité de retarder l'âge de la pension en raison du vieillissement". Et à engager la lutte pour le droit à la prépension à 55 ans, la pension à 60 ans, avec embauche d'un jeune ,et des pensions liées à l'évolution du PIB et calculées sur 40 annuités.

Voir ci-dessus