Chili : Les leçons d’une tragédie
Par La Gauche le Mercredi, 11 Septembre 2013 PDF Imprimer Envoyer

Le 11 septembre 1973, l’armée chilienne commandée par le général Augusto Pinochet renversait le gouvernement de l’Unité Populaire, assassinait le président élu Salvador Allende et écrasait le mouvement ouvrier le plus puissant d’Amérique latine. Quarante ans après, La Gauche veut non seulement faire oeuvre de mémoire mais surtout mettre en lumière deux aspects très actuels de cette tragédie.

On dit souvent  que le tournant néolibéral remonte à 1982, avec l’arrivée au pouvoir de Reagan et de Thatcher. C’est exact pour ce qui concerne les pays du « centre » et la politique des institutions internationales. Mais le coup d’envoi de la « stratégie du choc » néolibérale (Naomi Klein) avait été donné près de dix ans plus tôt, au Chili.

Beaucoup de dictatures combinaient tyrannie politique et dirigisme économique, voire étatisme. Pinochet a innové. Il a brisé le mouvement ouvrier, non pour aider la bourgeoisie locale à se développer en utilisant son Etat comme rempart contre la concurrence internationale, mais pour imposer le programme néolibéral de l’économiste Milton Friedman : offrir aux multinationales tout ce qu’elles souhaitaient en termes de privatisation, de dérégulation, de flexibilisation tous azimuts.

Cette spécificité contribue à expliquer la longévité politique de Pinochet. Dès 1982, certains admirateurs du « miracle chilien » comparaient ses crimes au cassage des œufs nécessaire à la cuisson de l’omelette. Cette banalisation du putsch s’accrut quelques années plus tard, quand les recettes de Friedman furent appliquées à l’ex-Union soviétique.  Le soutien de Thatcher à Pinochet avait donc une signification politique profonde : le néolibéralisme porte en lui la suppression des droits démocratiques et syndicaux « comme la nuée l’orage ».

Le coup d’Etat de septembre 1973 est l’acte de naissance de l’ère néolibérale que nous subissons toujours. Le capital n’hésitera pas à repasser par ce point de départ si les résistances sociales l’empêchent de poursuivre son travail de destruction. Dans l’UE, la démocratie parlementaire classique n’est déjà plus qu’un souvenir et la Grèce montre bien que la menace d’un Etat fort ne doit pas être sous-estimée.

Comment y faire face ? Par la mobilisation sociale la plus large des exploité-e-s et des opprimé-e-s, par la lutte intransigeante pour leurs revendications de classe, par l’auto-organisation démocratique de ces luttes. Toute illusion sur le rôle de l’Etat, sur la neutralité de ses appareils et sur la loyauté de ses chefs doit être bannie car elle peut se révéler mortelle. C’est la deuxième leçon du Chili, et elle garde toute son actualité.

Un peu partout en Europe, la dégénérescence de la social-démocratie libère un espace politique qui tend à être occupé par des forces de gauche nouvelles : Syriza en Grèce, le Front de Gauche et le Parti de Gauche en France, Die Linke en Allemagne, le SP aux Pays-Bas,... La crise des partis traditionnels est à ce point profonde que certaines de ces forces  pourraient arriver au pouvoir, seules ou en coalition, sur base d’un programme antinéolibéral plus ou moins radical. Le PG français va même jusqu’à plaider pour une « révolution citoyenne » avec « appropriation sociale des moyens de production ».

En supposant que ces programmes ne soient pas édulcorés par leurs propres auteurs, il s’agit de voir la réalité en face : la classe dominante ne cèdera jamais le pouvoir démocratiquement. Elle devra en être chassée par une mobilisation de masse extra-parlementaire qui ne pourra  vaincre qu’en brisant l’appareil d’Etat capitaliste, en particulier l’armée, la police, la magistrature, le corps des hauts fonctionnaires.

Quelques jours avant le coup de Pinochet, des milliers de travailleurs et de travailleuses réclamaient des armes pour contrer le putsch dont la menace était perceptible. Allende refusa de les leur donner.  Qu’un tel aveuglement serve de leçon, et les victimes de Pinochet ne seront pas tombées tout à fait en vain.

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