Qui était Trotsky?
Par David Dessers le Mardi, 14 Août 2007 PDF Imprimer Envoyer

Le 20 août 1940, Trotsky fut assassiné au Mexique par un agent de Staline. Avec Lénine, il était un des personnages-clé de la révolution russe de 1917 et en 1938, avec d'autres marxistes révolutionnaires, il fonda la IVe Internationale. Sa lutte contre le stalinisme fut la conséquence logique de son combat pour une société sans classes, pour le socialisme.

Léon Bronstein (Trotsky) est né en 1879 dans la campagne ukrainienne. A 17 ans il entre en contact avec les écrits d'organisations interdites et avec le marxisme.

Avec un groupe de camarades, Bronstein fonde la Ligue Ouvrière du Sud, qui en quelques mois recrute plusieurs milliers de membres. En 1898, la Ligue est dissoute par la police secrète et Bronstein est mis en prison avec les autres dirigeants. Tous sont condamnés à 4 ans d'exil en Sibérie. Léon et Alexandra entrent en contact avec le POSDR de Lénine et Plekhanov. Après un certain temps, Bronstein réussit à s'évader et sur son faux passeport il inscrit le nom d'un gardien de prison à Odessa, "Trotsky".

Rencontre avec Lénine

Trotsky commence à collaborer à l'Iskra, le journal du POSDR. En 1902, à 23 ans, Trotsky rencontre Lénine à Londres. Le parti l'envoie en tournée à travers l'Europe pour la récolte de fonds.

En 1903, le parti tient son deuxième Congrès qui mènera à la scission entre Bolcheviks et Mencheviks. La scission tourne autour de la question de la nature du parti. Lénine, dirigeant des Bolcheviks ('majorité'), plaide pour une organisation très centralisée de militants disciplinés, capables de faire du travail clandestin pour faire chuter réellement le tsarisme. Martov, dirigeant des Mencheviks ('minorité') propose d'ouvrir le parti à tout le monde plus ou moins en accord avec les objectifs.

Au Congrès, Trotsky est d'accord avec Martov, argumente contre la division et ne comprend pas l'insistance de Lénine. Pendant une dizaine d'années. Trotsky mènera un cours solitaire.

Révolution permanente

En 1905 la Russie est secouée par des mouvements de grève importants. Les ouvriers avancent pour la première fois non seulement des revendications sociales, mais aussi des revendications politiques. Durant les grèves et les insurrections, des soviets sont mis sur pied, des conseils de délégués des usines et des quartiers. Ils constituent en fait une structure de double pouvoir. Les soviets sont le début de l'exercice du pouvoir par le peuple. Le soviet de Saint-Petersburg (Petrograd) est le plus important, il organise la vie publique, les milices ouvrières armées, l'alimentation,...

En 1905, Trotsky et Natalia retournent secrètement à Petrograd, où il prend la tête du Soviet. Après l'échec de la révolution, il est condamné aux travaux forcés à vie en Sibérie. Il a alors 26 ans.

Durant son emprisonnement, Trotsky développe sa théorie de la révolution permanente. Tous les marxistes (bolcheviks et mencheviks) pensent à cette époque qu'il faut d'abord une révolution démoratique-bourgeoise en Russie, pays très arriéré. Cette révolution doit abolir le féodalisme et introduire la démocratie bourgeoise. Sous le capitalisme, l'industrie pourra se développer, la classe ouvrière pourra croître et avec le temps pourront mûrir les conditions pour une révolution socialiste.

Après l'expérience de 1905, Trotsky développe un tout autre point de vue. La Russie est un pays sous-développé dans une époque où l'impérialisme émerge. Il y a beaucoup de capital étranger sous la protection directe du Tsar. La bourgeoisie nationale est relativement faible. Tout cela conduit à une sorte d'alliance entre l'impérialisme étranger, la vielle classe des possédants et la bourgeoisie nationale.

En cas de révolution, cette bourgeoisie soutiendra donc plutôt le Tsar que les ouvriers et paysans. Les paysans ne réussissant pas à se transformer en force politique autonome, Trotsky en conclut que seule la classe ouvrière peut libérer la Russie et que la révolution contre le Tsarisme doit combiner les tâches de la révolution bourgeoise aux tâches de la révolution socialiste. La classe ouvrière doit essayer de d'obtenir le soutien des paysans - indispensable dans un pays comme la Russie - et instaurer la démocratie des conseils.

La Révolution russe

A nouveau, Trotsky réussit à s'évader et part pour Vienne où il réside quelques années. La Première guerre mondiale provoque une scission irréparable dans la social-démocratie. Les dirigeants de la IIeme internationale votent pour les crédits de guerre bien que le conflit est une guerre entre Etats capitalistes pour le partage du monde. Pour Lénine et Trotsky, les travailleurs ne doivent pas s'entretuer mais pointer leurs fusils sur la classe qui les exploite. "II faut transformer la guerre en guerre civile révolutionnaire", dit Lénine.

La misère de la guerre provoque des révoltes et des mutineries partout en Europe. En Russie, en février 1917, une nouvelle révolution se déclenche. Cette fois, le Tsar Nicolas II doit abdiquer, remplacé par un gouvernement provisoire dominé par des libéraux bourgeois. Lénine arrive à Moscou en avril, Trotsky en mai. Quand Lénine arrive, les Bolcheviks collaborent de nouveau avec les Mencheviks et reconnaissent l'autorité du nouveau gouvernement. Lénine renverse le cours du parti. Pour lui, les travailleurs doivent prendre le pouvoir à travers les soviets pour commencer la construction d'une société égalitaire, sans classes, le socialisme avec l'appui de la révolution internationale que la révolution russe déclenchera. Après son arrivée en Russie, constatant la disparition des désaccords du passé, Trotsky adhère au parti bolchevik.

Durant les mois qui suivent, les bolcheviks gagnent peu à peu les masses en revendiquant l'arrêt de la guerre, la redistribution des terres et tout le pouvoir aux soviets. Le 25 octobre une nouvelle révolution se déclenche sans trop d'effusion de sang étant donné que les soldats choisissent le camp de l'insurrection. La Russie devient le premier pays où les ouvriers et paysans prennent le pouvoir. Un gouvernement de coalition est bientôt mis sur pied avec les bolcheviks et les socialistes-révolutionnaires de gauche. Lénine et Trotsky fondent de grands espoirs dans la victoire de révolutions réussies dans quelques pays capitalistes développés parce que la Russie, pays sous-développé et culturellement arriéré, n'est pas en mesure de réaliser le socialisme à elle seule.

Malgré les soulèvements et insurrections, surtout en Allemagne, nulle part la révolution n'est victorieuse. Le rôle contre-révolutionnaire de la social-démocratie amène Lénine et Trotsky à la conclusion qu'il faut une nouvelle. Troisième Internationale communiste. La Troisième Internationale est fondée en 1919. En Russie, les Bolcheviks doivent faire face à une terrible guerre civile provoquée par la volonté de l'ancienne classe dominante - soutenue par près de 20 nations capitalistes - d'anéantir la révolution.

Trotsky aura la charge d'organiser une Armée rouge qui réussira à vaincre la contre-révolution. Mais la guerre civile a créé un climat dans lequel une déformation bureaucratique de l'Etat soviétique apparaît. Elle entraîne de plus une "brutalisation" des rapports sociaux et politiques. Dans ce contexte, la direction bolchevique prend des mesures qui, même conçue comme provisoires, se révèlent néfastes en favorisant cette déformation. Les autres partis sont ainsi mis hors la loi et en 1921 le droit de former des fractions est provisoirement annulé. Pour Ernest Mandel ce sont les "années sombres" où Trotsky défendra la pratique de la terreur, la répression à l'égard des anarchistes (Makhno, Kronstadt) et la militarisation des syndicats.

Le début de l'opposition

Staline, peu connu alors, est nommé secrétaire général du Parti Communiste en 1922 alors que Lénine devient de plus en plus conscient de la bureaucratisation qui menace l'Etat soviétique. En 1922, il déclare au Congrès du parti: " Quand nous regardons la machine bureaucratique, nous devons nous poser la question " qui dirige et qui est dirigé? Je doute fortement que les communistes dirigent. La vérité est qu'ils sont dirigés ". Durant cette même année, Lénine est une première fois frappé par un malaise cérébral, le mettant hors combat. Trotsky lance ses premiers appels à un retourner de la démocratie dans le parti, ce qui lui vaut de plus en plus la colère de Staline et de ses acolytes, représentants des intérêts de la nouvelle couche sociale bureaucratique.

Lénine meurt en 1924. Dans son testament politique, il appelle, en vain, les autres membres de la direction du PC à destituer Staline de son poste de secrétaire général. Trotsky essaie de continuer le combat de Lénine, mais dans un contexte d'apathie et de fatigue des masses, il sera contrecarré par la toute-pouissante bureaucratie. En 1925 il est destitué comme commissaire de l'armée et de la flotte. En 1926 et 1927 il regroupe un noyau de quelques 8.000 membres du parti. Cette opposition de gauche doit se réunir en secret dans des quartiers ouvriers des grandes villes.

Depuis 1922 il a été décidé de réintroduire des éléments de marché libre, pour stimuler la croissance économique. Trotsky et l'opposition de gauche mettent en avant un programme économique alternatif qui doit créer les conditions pour un développement socialiste authentique.

Contre le stalinisme

En 1927, tous les membres connus de l'opposition sont expulsés du parti, exilés ou emprisonnés. Trotsky et Natalia sont exilés. Un long périple par la Turquie, la France et la Norvège les amène au Mexique. Trotsky n'arrête pas son activité politique, au contraire. Dans beaucoup de partis communistes dans le monde des groupes de militants oppositionnels sont mis sur pied. Moscou exige l'obéissance, et partout les militants " trotskystes " sont expulsés des PC. Trotsky essaie d'entrer ou de rester en contact avec ces groupes de militants.

En Union Soviétique, Staline se lance dans une industrialisation forcée dont les ouvriers et leurs familles payent le prix fort. A la campagne, il impose une collectivisation forcée. La législation devient pire qu'aux temps du tsarisme: la peine de mort est appliquée au voleurs, dès l'âge de 12 ans. Des déportations et des exécutions massives ont lieu.

La prise du pouvoir par la bureaucratie en Union Soviétique s'accompagne ainsi d'une terreur énorme. Parce qu'ils représentent une alternative politique, les oppositionnels et la vieille garde bolchevique est éliminée physiquement au cours de procès digne de l'Inquisition. Dans les goulags, des milliers de trotskystes sont assassinés à la mitrailleuse.

Au nom de la pseudo construction du socialisme dans un seul pays (une aberration dans les termes aux yeux du marxisme) Staline mène une politique de coexistence pacifique avec l'occident qui implique la lutte active contre toute révolution étrangère (Chine en 1936-27, Espagne en 1936-37, etc.) qui risquerait de ranimer la classe ouvrière russe et mettre ainsi en péril la bureaucratie.

La IVe Internationale

Entre 1929 et 1933 Trotsky écrit une masse d'articles et de brochures sur le fascisme allemand. Pour stoper les nazis, Trotsky encourage le Parti Communiste allemand et le Parti Socialiste à établir un front unique. Mais le Parti Socialiste compte sur la démocratie parlementaire et le Parti Communiste vise avant tout la social-démocratie qu'elle traite de " social-fasciste ". Cette division du mouvement ouvrier permettra aux nazis de prendre le pouvoir et d'envoyer les socialistes et les communistes dans des camps de concentration.

Avec cette défaite écrasante du prolétariat allemand, qui marque la faillite historique de la IIIeme Internationale stalinisée, pour Trotsky, il est devenu clair que la classe ouvrière a besoin d'une nouvelle direction révolutionnaire.

En 1935 il écrit son livre " La Révolution Trahie ", dans lequel il analyse la nature de l'Union Soviétique. Il arrive à la conclusion qu'une couche bureaucratique y exerce le pouvoir. Cette bureaucratie jouit de toutes sortes de privilèges et avantages en opprimant la classe ouvrière dans la terreur. Cette bureaucratie, selon Trotsky, ne peut être renversée que par la classe ouvrière russe à travers une révolution politique.

Le 3 septembre 1938 dans les environs de Paris, la IVe Internationale est fondée en présence d'une trentaine de délégués de 11 pays. La guerre mondiale arrive à grand pas et de cette nouvelle guerre, Trotsky en est convaincu, surgiront de nouvelles possibilités révolutionnaires à laquelle une nouvelle génération de cadres doit se préparer. Trotsky qualifiera la construction de cette nouvelle Internationale comme le principal combat de sa vie.

Mais le 20 août 1940, Ramon Marcader, un agent de Staline, plante un piolet dans la tête de Trotsky. Après une agonie de 22 heures, Léon Trotsky meurt le 21 août. Près de 200.000 mexicains suivront le cortège funèbre. Avec Trotsky disparaît la dernière figure-clé survivante de la révolution russe.


La vie est belle...

"Pendant quarante-trois ans de ma vie consciente, je suis resté un révolutionnaire; pendant quarante-deux de ces années, j'ai lutté sous la bannière du marxisme. Si j'avais à recommencer tout, j'essayerai certes d'éviter telle ou telle erreur, mais le cours général de ma vie resterait inchangé. Je mourrai révolutionnaire prolétarien, marxiste, matérialiste dialectique, et par conséquent athée intraitable. Ma foi dans l'avenir communiste de l'humanité n'est pas moins ardente, bien au contraire, elle est plus ferme qu'au temps de ma jeunesse. Natacha vient juste de venir à la fenêtre de la cour et de l'ouvrir plus largement pour que l'air puisse entrer plus librement dans ma chambre. Je peux voir la large bande d'herbe verte le long du mur et le ciel bleu clair au-dessus du mur, et la lumière du soleil sur le tout. La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression et de toute violence et en jouissent pleinement."

Dernières lignes du Testament de Léon Trotsky, Coyoacan 27 février 1940.


Pourquoi fut assassiné Trotsky

La nature et la psychologie de Staline n'expliquent pas tout. L'élimination de Trotsky relève essentiellement d'un impératif objectif pour la bureaucratie dont Staline n'était, après tout, que le plus pur représentant. Dans ses mémoires, Pavel Soudoplatov, agent secret stalinien, raconte comment au cours d'une réunion en mars 1939 avec Béria et Staline il fut chargé d'organiser l'assassinat de Trotsky.

"Béria suggéra de me rendre responsable de toutes les opérations anti-trotskystes du NKVD afin de porter un coup décisif à la tête du mouvement. (...). J'aurais pour mission de mobiliser toutes les ressources du NKVD afin d'éliminer Trotsky, l'ennemi du peuple numéro 1. " A part Trotsky en personne, il n'y a aucune figure politique importante dans le mouvement trotskyste. Si on élimine Trotsky, tout danger disparaîtra " dit Staline en retournant s'asseoir dans son fauteuil en face de nous. Alors il se mit à parler avec lenteur, exprimant son mécontentement devant la façon, pas assez énergique selon lui, dont étaient encore menées nos opérations de renseignement. Il fit remarquer que l'on avait déjà chargé Spiegelglass d'éliminer Trotsky en 1937, mais que celui-ci avait échoué dans l'accomplissement de cette importante mission d'Etat. Staline se raidit alors comme s'il était en train de donner un ordre et déclara: " Il faut en finir avec Trotsky dans l'année, avant le début de la guerre qui est inévitable. " (1)

Staline savait donc, tout comme Trotsky, qu'une nouvelle guerre mondiale pouvait provoquer l'éclatement de révolutions qui, en retour, mettraient en péril sa domination. De par son passé prestigieux et son combat incessant Trotsky aurait pu alors jouer un rôle décisif dans ces processus révolutionnaires. C'est ce qui a décidé Staline à éliminer l'adversaire le plus dangereux de la bureaucratie.

Cette crainte envers Trotsky était également partagée par les fascistes et les capitalistes. En août 1939, l'ambassadeur de France en Allemagne avait mis Hitler en garde contre l'éclatement d'une guerre dont il soulignait que le seul vainqueur serait peut-être.. Trotsky, péril qu'Hitler ne nia pas! C'est pour cela qu'il " fallait en finir avec Trotsky ". Ainsi, bien qu'exilé, pourchassé, avec à ses côté de petites organisations, Trotsky faisait malgré tout trembler les puissants de la planète, ce qui constitue sans doute le meilleur hommage, bien évidemment involontaire, que ces messieurs pouvaient lui faire!

Ataulfo Riera

(1) "Missions spéciales", Pavel Soudoplatov, éd. Seuil 1994.

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