La IVe Internationale, la révolution cubaine et Che Guevara
Par Livio Maitan le Samedi, 07 Octobre 2000 PDF Imprimer Envoyer

Dans l’article ci-dessous, Livio Maitan (*) évoque l’attitude qu’a eue notre courant, la Quatrième Internationale, dans ses publications et dans son action à l’égard du Che et de la révolution cubaine.

Le trentième anniversaire de la mort d'Ernesto Che Guevara a produit, comme on pouvait s'y attendre, une floraison de livres et de publications de toute sorte, une exploitation commerciale démesurée, la relance d'un mythe. Mais de son vivant Guevara a été un personnage contesté, explicitement ou par omission, dans le mouvement ouvrier et anti-impérialiste international lui-même. Faut-il rappeler que pour la plupart des partis communistes latino-américains il a été une cible de choix dans le cadre de leurs polémiques contre les conceptions et les orientations des révolutionnaires cubains, qu'aux yeux des dirigeants des partis communistes parmi les plus représentatifs il est apparu comme un déviationniste gauchiste sinon un aventurier tout court, que les dirigeants chinois sont allés jusqu'à garder le silence sur son entreprise en Bolivie et même sur sa mort ?

Nous avons déjà analysé les aspects multiples de la personnalité et de l'oeuvre du Che dans le dossier paru dans notre numéro de juillet. Aujourd'hui, nous allons évoquer synthétiquement l'attitude qu'a eue la Quatrième Internationale, dans ses publications et dans son action à l'égard du Che et de la révolution cubaine.

Immédiatement après le renversement du régime de Batista, dans son premier numéro de 1959, notre revue « Quatrième Internationale » (QI) présente la victoire du mouvement de Fidel Castro comme l'un des événements les plus significatifs de la révolution coloniale de l'époque.

En septembre, une note éditoriale de la même revue analyse les premiers mois du nouveau régime en mettant l'accent sur le développement ininterrompu de la révolution et le caractère radical des mesures adoptées, dont la réforme agraire. Cette analyse était poursuivie en juillet de l'année suivante : « la révolution cubaine (...), à la suite des progrès déjà réalisés, a largement dépassé les limites bourgeoises démocratiques en adoptant des mesures qui portent atteinte au régime capitaliste lui-même ». Toutefois, nos articles reflètent, d'un côté, des connaissances factuelles insuffisantes (notamment sur le rôle du Che dans la guérilla), d'un autre côté, ne saisis-sent pas encore la nature très spécifique et la dynamique de la direction castriste. Ce sont surtout les mesures d'expropriation adoptées en octobre 1960 qui nous amènent à parachever notre analyse et à élaborer pour le congrès mondial déjà fixé début janvier 1961 un projet de résolution expliquant sans ambages que « Cuba a cessé d'être un État capitaliste et est effectivement devenu un État ouvrier » et soulignant l'évolution du groupe dirigeant de la révolution :

« La direction fidéliste est née comme une équipe jacobine à la composition sociale et à l'idéologie non prolétarienne et petites bourgeoises, mais elle s'est liée dès le début avec les masses paysannes puis successivement, surtout après la prise du pouvoir, aussi avec les masses prolétariennes. Dans une situation telle que celle de Cuba et dans le contexte international donné, elle devait subir de plus en plus l'influence puissante de ces masses, se libérer des éléments petits-bourgeois et même bourgeois conservateurs, avec qui elle avait trouvé un accord temporaire, s'adapter empiriquement mais audacieusement à la logique de la révolution permanente, en allant bien au delà des buts qu'elle avait conçus » (1) Quelques mois auparavant, malgré l'opposition de partis communistes et des staliniens cubains, des militants trotskytes de cinq pays (Argentine, Chili, Mexique, Pérou, Uruguay) avaient participé à la Havane au 1er congrès de la jeunesse latino-américaine, en exprimant un « soutien inconditionnel à la révolution cubaine ».

Dans les années suivantes, nos organisations et nos publications, saluent les prises de position les plus significatives des révolutionnaires cubains. En avril 1962, QI publie le texte intégral de la deuxième déclaration de la Havane en écrivant dans son éditorial : « depuis les premières années de la Ille Internationale, le mouvement révolutionnaire n'avait entendu aucune voix si haute, si passionnée ». Trois mois plus tard, un autre éditorial est consacré au « limogeage » d'Anibal Escalante, dénoncé par Castro comme partisan de conceptions et de comportements bureaucratiques.

C'est à cette occasion que la revue met en relief pour la première fois le rôle du Che. Elle mentionne notamment un dis-cours que celui-ci avait prononcé fin avril et où, d'un côté, il avait insisté sur l'importance de Cuba pour toute l'Amérique latine, et, de l'autre, il n'avait pas hésité à dénoncer le hiatus qui se dessinait entre les dirigeants et les masses (« Il semble que nous parlions deux langues différentes»). Toujours dans la même année, la IVe Internationale appelle à la solidarité avec Cuba lors de la crise aux Caraïbes et dénonce l'attitude de Khrouchtchev qui avait décidé le retrait des fusées sans consulter les Cubains. Elle ne reproche pas pour autant aux dirigeants soviétiques « de ne pas avoir poussé le jeu jusqu'au point de rupture, qui, à un certain moment, il ne faut pas l'oublier, a été extrêmement proche (...). L'éclatement d'une guerre nucléaire ne correspond pas aux intérêts des États ouvriers et du mouvement prolétarien international (...) Il ne correspondait pas non plus à l'intérêt de Cuba socialiste » (QI, décembre 1962).

En 1963, c'est un nouveau congrès mondial qui revient avec force sur le rôle de la révolution cubaine comme stimulant de la montée révolutionnaire en Amérique latine. Le texte « les bases théoriques et politiques de la réunification » explique, entre autres : « l'apparition d'un État ouvrier à Cuba — dont la forme n'est pas encore fixée — présente un intérêt tout particulier du fait que la révolution y a été réalisée sous une direction totalement indépendante de l'école stalinienne. L'évolution du Mouvement du 26 juillet vers le marxisme révolutionnaire fournit un exemple qui sert maintenant d'exemple à une série d'autres pays ». Par ailleurs, justement la convergence d'attitude face à la révolution cubaine de la part des organisations du Secrétariat international et des organisations liées au SWP des États-Unis a été l'une des pré conditions de la réunification sanctionnée par le congrès (QI, troisième trimestre 1963).

Mais c'est surtout de 1964 à 1967 que la IVe Internationale et ses sections s'identifieront profondément avec la révolution cubaine et notamment avec le combat du Che. En 1964, sous l'inspiration de Guevara, à l'époque ministre de l'industrie, se développe un débat économique majeur. Ernest Mandel y participe sur place à l'occasion d'un voyage et par une contribution parue dans la revue « Nuestra industria ». Ses commentaires et ses conceptions s'expriment également dans un article de QI, dont le titre, « la loi de la valeur, l'autogestion et les investissements dans l'économie des États ouvriers », suffit à donner une idée de l'enjeu du débat.

A ce moment-là personne, ni à Cuba ni ailleurs, n'aurait soupçonné que le séjour du Che à Cuba touchait à sa fin et que 1965 serait marqué par son départ pour des destinations alors inconnues. Nous n'avions pas plus d'informations que d'autres et donc nous nous limitions à avancer des hypothèses. Dans un article sobre et clairvoyant (« Un nouveau champ de bataille pour Che Guevara », QI, novembre 1965) Joe Hansen rappelle d'abord le contexte latino-américain et mondial, marque notamment par le coup d'état contre-révolutionnaire au Brésil et le commencement de l'escalade au Vietnam. Il avance ensuite une hypothèse, qui sera par la suite confirmée ; « Il serait assez vraisemblable de supposer que l'équipe Kossyguine-Brejnev adressa à la Havane une vigoureuse protestation au sujet des déclarations de Guevara en Afrique et de certaines critiques lancées à leur intention ».

Et il ajoute : « ce qui s'est passé entre Castro et Guevara, bien sûr, nous ne le savons pas. Les dirigeants révolutionnaires cubains ont parlé, franchement et ouvertement sur tous les problèmes qu'ils ont rencontrés depuis qu'ils ont constitué leur équipe. Ce fut aussi, très probablement, le cas en cette occasion » (tout le monde sait maintenant qu'une très longue rencontre a eu effectivement lieu entre les deux dirigeants au moment du retour du Che à la Havane). «Il se peut que l'incident ait rendu plus net le dilemme crucial auquel font face les révolutionnaires cubains. Ils ont décidé de faire tout ce qu'ils peuvent, y compris de douloureuses concessions, pour conserver des liens solides avec l'URSS. D'autre part, ils savent bien que la politique de « coexistence pacifique" de Moscou constitue un grave et permanent danger pour leur révolution. La révolution cubaine doit recevoir un support nouveau d'autres révolutions, surtout dans l'hémisphère occidental, entrant en liaison avec elle dans les limites d'un certain temps, si elle ne veut pas souffrir une défaite éventuelle.

Ce besoin fondamental a constitué la trame de la politique cubaine vis-à-vis de l'Amérique latine (...) A Guevara, le premier, il doit apparaître que des efforts extraordinaires doivent être faits pour surmonter les échecs, pour renverser les effets de la défaite au Brésil, pour mobiliser plus d'énergie que jamais, pour remporter une nouvelle victoire, pour assurer la défense de la révolution cubaine en faisant progresser la révolution socialiste mondiale en un endroit quelconque où des conditions favorables se trouvent ou peuvent être créées. Est-il si extravagant de concevoir un révolutionnaire comme Guevara se donnant une responsabilité personnelle dans ce programme ? Il n'y a pas la moindre trace de "romantisme révolutionnaire". C'est la manière même de se donner à une grande cause qui a fait de lui un socialiste de premier rang et qui donne son sens à l'existence de chaque socialiste révolutionnaire dans le monde d'aujourd'hui (...). Le principal problème politique qu'ont à résoudre les révolutionnaire cubains et le rôle qu'y joue Guevara sont assez clairs. En tant que partisans de leur révolution, nous ne pouvons que soutenir les Cubains dans leurs héroïques efforts pour sauvegarder leurs conquêtes et renforcer leur forteresse assiégée. »

Tout au long des premiers mois de 1967, les organisations de la QI diffusent le message que le Che envoie à la Tricontinentale. Michaël Lowy soulignera pertinemment notre appréciation et nos sentiments de l'époque : « dans ce texte fulgurant et incisif le Che développe les thèmes suivants : 1) l'impérialisme, stade suprême du capitalisme, est un système mondial, et il faut le battre dans un affrontement mondial, ample et prolongé ; 2) pour lutter contre l'ennemi commun du genre humain, l'impérialisme US, les pays socialistes et leurs partisans doivent unir leurs efforts, malgré leurs divergences. La forme actuelle que prennent ces divergences constitue une faiblesse, mais l'union nécessaire finira par s'imposer, sous la pression des coups de l'ennemi ; 3) dans ce combat gigantesque, la tâche historique des peuples du tiers monde soumis aujourd'hui à une dépendance absolue ; 4) il nous faut aujourd'hui une stratégie globale pour la guerre contre l'impérialisme, capable d'aider efficacement le détachement d'avant-garde du prolétariat mondial : le Vietnam. C'est-à-dire qu'il faut créer deux, trois plusieurs Vietnam pour obliger l'impérialisme à disperser ses forces (M. Lowy, La pensée de Che Guevara, Maspero, 1970, pp108-109).

Pour sa part, QI écrit son numéro de juillet : « En Amérique latine, tous les militants d'avant-garde répondront présent à l'appel de Che Guevara. Dans plusieurs pays existent déjà des foyers de guérillas (...). Les militants d'avant-garde en Amérique latine ne manqueront pas de trouver les formes de liaison et d'action pour renforcer et étendre les combats armés qui se sont engagés sur ce continent ».

Dès que l'existence de la guérilla du Che en Bolivie est connue, la QI n'hésite pas à lui exprimer sa solidarité. Cela vaut en premier lieu pour sa section bolivienne dont les militants, bien que frappés par une dure répression, ne cachent pas leur volonté de s'associer à l'entreprise, politiquement et organisationnellement. Avant d'être arrêté, le secrétaire du POR, Hugo Gonzalez, écrit un appel où on lit, entre autres : « Notre salut aux formations de guérilla de Nancahuazu (...). Les guérillas sont un appel au combat (...). Elles ne sont pas une folle aventure et moins encore une transposition mécanique et artificielle de la guérilla cubaine (...). Elles naissent en Bolivie comme point culminant de son propre processus politique. Non seulement le peuple bolivien ne s'oppose pas à la lutte armée, mais, au contraire, il tire cette conclusion de la réalité objective actuelle » (juin 1967) Au cours de l'été a lieu à Cuba la conférence de l'Organisation latino-américaine de solidarité (OLAS), qui se termine par l'adoption d'un texte en vingt points qui réaffirme les principes du marxisme et du léninisme et explique en toute clarté que « la lutte armée révolutionnaire constitue la voie fondamentale de la révolution en Amérique latine ».

Joe Hansen, à l'époque l'un des dirigeants non seulement du SWP des États-Unis mais aussi de la QI, présent à la conférence, écrira que « les deux conclusions — les dimensions hémisphériques de la lutte de libération et la nécessité de prendre les armes pour une issue socialiste — furent affirmées dans des discours et des résolutions qui firent sensation dans décembre 1967), Selon Hansen, la conférence avait surmonté des incertitudes et des ambiguïtés existant lors de la Tricontinentale en 1966 et, qui plus est, n'avait comporté aucune discrimination.

La solidarité avec la révolution cubaine et avec la guérilla du Che n'empêche pas la Ql d'avancer ses propres analyses de la situation en Amérique latine et d'esquisser ses propres conceptions de la lutte révolutionnaire. En juillet, QI publie une critique systématique par l'auteur de cet article du livre de Régis Debray : « Révolution dan la révolution ? », paru à la Havane, diffusé très largement dans toute l'Amérique latine et censé refléter les conceptions des Cubains en matière de lutte armée.

Trente ans après, il est encore difficile de comprendre les raisons qui ont suggéré aux dirigeants cubains d'inciter une personne, dont l'ignorance de toute une série de données sur l'Amérique latine était manifeste, à se lancer dans une telle entreprise politico-littéraire. Pourquoi ont-ils avalisé un essai qui, comme il était prévisible, allait provoquer assez vite des critiques virulentes dans les milieux révolutionnaires latino-américains eux-mêmes et qui, par ailleurs, était sous plusieurs aspects en contradiction avec un texte que la délégation cubaine présentera peu après à la conférence de l'OLAS ? Pour notre part, nous réaffirmions l'attitude des troskystes boliviens favorables à la guérilla du Che et nous précisions en même temps : « la discussion qui se déroule dans le mouvement révolutionnaire latino-américain sera utile et concluante dans la mesure où elle sera centrée sur l'analyse des situations spécifiques de certains pays plutôt que sur des généralisations en même temps trop vagues et trop engageantes. C'est justement l'originalité de l'expérience cubaine, qui, par plusieurs aspects, a pris de court toutes les tendances du mouvement ouvrier international qui devrait conseiller d'éviter les schémas rigides, notamment en ce qui concerne les formes et les étapes concrètes des processus révolutionnaires ».

L’annonce de l'assassinat du Che provoque une énorme douleur et un sentiment de révolte chez tous les militants marxistes révolutionnaires. Des militants boliviens dans la clandestinité s'expriment dans une lettre parue dans QI : « l'assassinat de Che Guevara est un coup dur pour la lutte de guérilla en Bolivie. Mais il faut souligner que la guerre de guérilla, en Bolivie, comme dans tout autre pays où elle naît, a de profondes causes économiques, nationales et mondiales (...) Le POR bolivien considère qu'il est du devoir de tous les révolutionnaires en Bolivie et en Amérique latine de soutenir la lutte actuelle des guérillas, de la renforcer, de la sortir de son isolement de la lier au mouvement des masses dans les villes et dans les mines et d'y associer la paysannerie comme une force combattante ».

Le même numéro de la revue publie, sous forme d'éditorial, un message du Secrétariat unifié de la QI dont nous rappelons le passage central : « l'accession au pouvoir vit Guevara plus fidèle que jamais à son idéal communiste (...) il lutta pour l'homme nouveau, un homme véritablement nouveau qui n'avait rien de commun avec les caricatures fournies par les bureaucrates. Imprégné au plus haut point du caractère international de la révolution socialiste, il rappela aux États ouvriers "riches" leur devoir à l'égard de ceux qui ne l'étaient pas. »

Les jeunesses communistes révolutionnaires, qui viennent de se former, organisent à Paris un meeting à la mémoire du Che : 1.700 personnes y participent. La publication l'année suivante du journal de Bolivie nous amène à revenir sur la défaite de la guérilla et ses causes. Désormais, il était légitime de se poser une série de questions dont les suivantes : «l'isolement presque complet du noyau était-il inévitable ? La rupture prolongée de toute liaison avec les villes était-elle inévitable ? Était-il objectivement impossible de recruter à temps quelques dizaines de combattants supplémentaires ? » (QI, novembre 1968). Nous rappelions dans cet article que les révolutionnaires boliviens avaient répondu par la négative. Des historiens y reviendront, mais il est difficilement contestable que, si le Che a été condamné à un isolement tragique et si des forces effectivement disponibles n'ont pas pu le rejoindre, une responsabilité majeure en incombe au réseau contrôlé par le Parti communiste pro-Moscou, hostile à l'entreprise du Che dès le début (2).

Finalement, en avril 1969, le IXe Congrès mondial de la QI, qui adopte une résolution sur l'Amérique latine, en essayant de tirer les leçons du combat bolivien et d'autres expériences de lutte armée dans le continent, « honore particulièrement la mémoire du camarade Ernesto Che Guevara, symbole de la nouvelle génération de révolutionnaire intrépides de par le monde » (QI, mai 1969)(3).

Inprécor n°417, octobre 1997

(*) Livio Maitan, dirigeant historique de la IVe Internationale en Italie est décédé en 2005.

1) Ce projet fut adopté par le Secrétariat international à la majorité, avec l'opposition des deux représentants du courant posadiste, Adolfo Gilly et Albert Sendic, lesquels allaient rectifier leur attitude au cours du congrès. Sendic écrira, sous le pseudonyme de A. Ortiz, une analyse de l'État ouvrier cubain dans le numéro de novembre de QI de l'année suivante. Le texte adopté par le congrès a été publié séparément dans QI, premier trimestre 196l. Dans ce même numéro, le chapitre sur Cuba qu'il remplaçait a été maintenu par erreur dans la résolution plus générale sur la révolution coloniale. Les prises de positions du courant posadiste — ainsi défini du fait que son principal dirigeant, l'Argentin d'origine italienne Homero Cristali, a utilisé de préférence le pseudonyme de J. Posadas — après sa rupture avec la QI en 1962 et surtout en 1965 et 1966 lorsqu'il prétendit que le Che avait été assassiné par Fidel, ont contribué incontestablement à induire Fidel et, dans une beaucoup moindre mesure, le Che, à exprimer des appréciations inacceptables sur notre mouvement et le trotskysme.

2) Nous sommes revenus sur ces problèmes dans notre article « De la guérilla à la guerre du peuple ? L'autocritique mystifiée de Régis Debray ", QI, printemps 1975.

3) Le problème de la guérilla a été abordé dans la résolution susmentionnée de 1969 et réévalué sous forme d'autocritique au cours des congrès de 1975 et 1979.


L’exemple de « Che » Guevara inspirera des millions de militants de par le monde

Editorial du journal La Gauche, 21 octobre 1967

L'humanité progressiste vient de subir une terrible perte: Ernesto « Che » Guevara n'est plus. Il est mort au combat, comme Jaurès, comme Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, comme Durrutti et Trotsky. Tel qu'il était, il n'espérait pas d'autre mort que celle-là.

La révolution cubaine et latino-américaine perd un de ses principaux dirigeants; nous perdons un camarade très cher. Tous ceux qui l'ont approché, de près ou de loin, ont été frappés par son idéalisme, son courage, sa sincérité et sa simplicité. Avec Fidel Castro, et mieux que quiconque dans le monde d'aujourd'hui, il a su réincarner les vertus fondamentales du révolutionnaire que le stalinisme avait remplacées par une caricature repoussante: la loyauté prioritaire à l'égard des déshérités du monde entier; la lucidité sans faille qui ne respecte aucun dogme; la résolution farouche de mettre ses actes en conformité avec ses convictions.

Directeur de la Banque d'Etat cubaine, il signe les billets de banque de son simple pseudonyme de « Che », pour bien manifester le mépris fondamental que tout socialiste doit avoir à l'égard de l'argent. Convaincu que la voie des guérillas est la seule voie adéquate vers la victoire de la révolution en Amérique latine, il part lui-même au combat, aux côtés de ses camarades boliviens. Marx, qui lutta toute sa vie pour l'unité de la théorie et de la pratique, aurait été fier de lui.

Des gens cyniques ou désabusés s'étonneront qu'un dirigeant comme le «Che» combatte au premier rang et soupçonneront quelque «machination politique» ; ils démontrent simplement qu'ils ne connaissent pas et qu'ils ne peuvent pas comprendre des hommes comme Guevara. D'autres voient dans sa mort la confirmation de ce qu'il n'aurait été qu'un «aventurier irresponsable»; les « responsables » dignes de louanges ne sont sans doute que ceux qui, dans leurs fauteuils, ne prennent jamais des risques.

D'autres encore diront que, «prêchant la violence, il est mort par la violence». Ils ne comprendront jamais qu'il est mort parce qu'il aimait passionnément les hommes et la vie, qu'il est mort pour sauver les Vietnamiens d'une pluie ininterrompue de bombes meurtrières. qu'il est mort pour sauver des millions d'enfants de son continent de la mort précoce, des centaines de millions d'opprimés de souffrances inhumaines et inutiles, auxquelles les condamne un régime déjà condamné par l'histoire.

La réaction triomphe. Les généraux boliviens, aux mains rouges du sang des mineurs de leur pays, célèbrent la mort de «l'intrus étranger». Les travailleurs boliviens chériront le souvenir de cet «étranger», car il a donné sa vie pour leur libération.

Les cris de victoire des agents impérialistes traduisent bien leur panique et leur couardise. «La guérilla était un grave danger; la guérilla est vaincue». Imbéciles ! Vous pouvez tuer un homme. Vous ne pouvez pas tuer une idée qui plonge ses racines dans la réalité sociale la plus profonde.

Des milliers de Boliviens, de Péruviens, de Colombiens, d'Argentins, des ouvriers, des étudiants, des paysans, des intellectuels d'Amérique latine, saisiront le fusil que le «Che» a laissé tomber de ses mains mourantes. Son nom est déjà devenu un drapeau et un programme, un appel à la révolte qui résonne à travers cinq continents. Vos misérables mascarades ne re-tarderont pas d'un jour le moment de votre écroulement. L'exemple du «Che» incitera des millions de révolutionnaires, de par le mondé, à redoubler d'ardeur dans la lutte contre l'impérialisme et le capitalisme.

Nous pleurons un grand ami, un camarade exemplaire, un militant héroïque. Mais nous savons que sa cause est invincible. Il est entré vivant dans l'histoire qui couvrira de mépris le nom de ses assassins. Car il incarne cette Révolution, cette émancipation définitive du Travail et de l'Homme, de laquelle toute la réalité de notre époque proclame ce que se donna comme épitaphe une autre grande victime de bourreaux abrutis, Rosa Luxembourg: J'ETAIS. JE SUIS, ET JE SERAI!

Ernest Mandel

La Gauche n°39, 21 octobre 1967

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