Salaires, prix et profits au paradis des capitalistes (1)
Par Ataulfo Riera le Lundi, 12 Novembre 2007 PDF Imprimer Envoyer

Marx écrivait en son temps que la Belgique était le « confortable paradis des capitalistes ». La situation actuelle ne permet malheureusement pas de le démentir. Les inégalités sociales s’accroissent à la faveur d’une répartition des richesses de plus en plus inéquitable entre le Travail et le Capital, et ce sans rencontrer la moindre résistance sérieuse de la part du mouvement ouvrier. Les choses risquent de se corser avec la hausse des prix et les mesures envisagées par le (probable ?) gouvernement Orange-bleu. Nous aborderons dans cette première partie la question de l’envolée actuelle des prix et leurs conséquences pour analyser par la suite la situation des salaires, des profits et des revendications à avancer si l’on veut réellement inverser les choses.

Tant la FGTB que la CSC se sont récemment et successivement déclarées « préoccupées » (1), ou « inquiets » (2) par l’augmentation des prix. Il y a effectivement de quoi s’inquiéter - mais surtout se mobiliser ! - puisque ce sont les prix de toute une série de biens de première nécessité tels que les aliments de base ou l’énergie (gaz, électricité, carburants) qui connaissent une envolée spectaculaire depuis plusieurs mois.

 

L’énergie: Un luxe?

 

Test-Achat a calculé que la hausse actuelle des prix représenterait une dépense supplémentaire de 417 euros en moyenne dans le budget des ménages en 2008. Près des deux tiers de cette somme additionnelle proviendra des hausses de l’énergie puisqu’il faudra débourser 277 euros de plus rien que pour l’électricité (+30 euros) et le gaz (+75 euros pour la distribution et +172 euros pour la consommation). Merci à la libéralisation du marché de l’énergie!

 

L’évaluation de Test-Achat est d’ailleurs en-deçà de la réalité puisqu’elle n’a pas pu tenir compte de l’évolution exacte des prix des carburants (essence et mazout de chauffage) qui, eux-mêmes, influent sur les autres prix énergétiques. Or, alors que les premiers froids hivernaux sont arrivés et que pas mal de gens ont attendu avant de remplir leurs cuves en espérant que les prix du gasoil de chauffage baisseraient, ces derniers ont déjà atteint un « plafond historique » de 0,6645 euros le litre. Par comparaison, le précédent « plafond historique » était de 0,6392 euros en septembre 2005. (3)

 

Un « Fonds social chauffage » avait été instauré par le précédent gouvernement suite à la hausse des prix pétroliers de 2005. Ce fonds, déjà largement insuffisant à l’époque - et il faudrait déjà savoir qu'il existe - était intervenu auprès de 100.000 ménages en 2005-2006 avec une intervention plafonnée à 195 euros par ménage au cas où le prix facturé du gasoil dépasse les 0,49 euros le litre. Avec la hausse actuelle atteignant 0,66 euros, une révision est donc plus que nécessaire… mais empêchée « faute de nouveau gouvernement ». Et le gouvernement sortant ? Aux abonnés absents ! Ou plutôt, avec une définition élastique des « affaires courantes » qu’il peut assumer puisqu’il se permet bel et bien de régler une série de choses essentielles au bon fonctionnement du capitalisme et pour garantir la continuité des politiques néolibérales - par exemple en signant le nouveau Traité européen - , mais qu’il ne bouge pas le petit doigt lorsqu’il s’agit de prendre des mesures sociales urgentes.

 

La situation actuelle avec la hausse des prix de l’énergie va donc à coup sûr multiplier les drames sociaux. En Wallonie, 1.200.000 rappels (concernant 250.000 familles) avaient été envoyés en 2006 pour des retards de paiement d’électricité. Un ménage sur onze, soit 128.000 familles, avait demandé un plan de paiement étalé. Et 5.500 foyers on été coupé de la fourniture du gaz. En 2003, à Liège, il y avait 535 nouveaux dossiers ouverts pour des problèmes de factures d’énergie, ils sont passés au double en 2006 avec 1.242 dossiers ! (4) Ce genre de cas vont donc exploser en 2007-2008…

 

Alimentation, santé, logement, transport, banques… tout augmente!

 

Le second poste de dépenses supplémentaires prévu par Test-Achat sera l’alimentation puisque sur les 417 euros additionnels, l’organisme de défense des consommateurs estime que 140 euros seront nécessaires pour acheter du pain, des biscuits, du beurre, du lait, etc. Ces hausses brutales des prix alimentaires et énergétiques se cumulent d’ailleurs avec une tendance longue. Une étude du Crioc menée en 2006 estimait ainsi qu’en 10 ans le prix du gaz a augmenté de 65% et l’eau de 57%. Quant aux aliments, les pommes de terre : +76% et le pain +26%, l’augmentation moyenne de tous les prix étant de 19% (5)

 

Les prix alimentaires ou énergétiques ne sont pas les seuls à grimper, d’autres, tout aussi nécessaires, connaissent une évolution à la hausse continue. D’après la Mutualité socialiste le prix du séjour en hôpital à charge exclusive du patient a crû de 31% entre 2002 et 2006. Dans les transports, les TEC augmenteront leurs tarifs de 1,29% en 2008 tandis que la SNCB augmente annuellement ses tarifs de 2 à 4%, un taux supérieur à l’indice-santé. Pour le 1er janvier 2008, cette augmentation sera ainsi de +2,26% (6).

 

Sans oublier les prix du logement, toujours aussi élevés et qui font qu’aujourd’hui, pour 50% des gens, le coût du logement représente 40% du revenu. Et tout récemment encore, les deux principales banques du pays, Dexia et Fortis, qui accumulent par ailleurs des bénéfices astronomiques, ont décidé d’augmenter les tarifs de gestion des comptes à vue les plus utilisés à partir du 1er janvier ; +13% chez Fortis (de 27,60 euros par an à 31,20 euros) et +26% chez Dexia. (7)

 

L’Index, un filet de sécurité passablement troué

 

La CSC, contrairement à la FGTB, reconnaît dans son communiqué que « la liaison automatique des salaires et des allocations à l’indice des prix permet de compenser partiellement ces augmentations de prix, mais cela ne suffit pas ». C’est le cas de le dire, mais elle ne va plus loin dans l’explication, ni dans les solutions proposées.

 

L’indexation actuelle est en effet doublement insuffisante : d’abord parce que l’indice des prix à la consommation utilisé aujourd’hui ne correspond pas tout à fait à l’augmentation réelle et correspondante dans le budget de toutes les catégories de ménages. L’exemple du logement est particulièrement frappant : ainsi, à Bruxelles, entre 1998 et 2004, les loyers courants ont augmenté de 26,5% alors que l’indice-santé n'a augmenté que de 10%. (8)

 

L’économiste Philippe Defeyt estime que « pour les 10% des ménages les plus pauvres, les frais de logement, d’eau, d’électricité et de gaz sont deux fois plus importants que pour un ménage aux revenus moyens ». Résultat de cette non prise en compte des dépenses réelles des ménages les plus modestes; une perte annuelle de près de 400 euros de pouvoir d’achat. (9)

 

Ensuite, parce que l’instauration de l’index-santé fausse en bonne partie l’adaptation des salaires (et donc des allocations sociales) puisque le tabac, l’alcool et la plupart des carburants (sauf le mazout de chauffage) en sont exclus. Ainsi, une augmentation de 10% des prix pétroliers se répercute par une augmentation de 0,4% de l’indice des prix à la consommation, mais cette augmentation ne sera que de 0,21% pour l’index-santé (10) qui, seul, est utilisé pour l’indexation des salaires. Dans son étude déjà citée, le Crioc a calculé que depuis l’instauration en janvier 1994 de cet hypocrite « index-santé », entre 1995 et 2005, le pouvoir d’achat a diminué de 2,08% pour les salariés, et pour les catégories les plus pauvres, cette perte a été de 2,61% à 3,25%.

 

A qui la faute?

 

Selon la théorie classique néolibérale, les hausses salariales trop fortes ou rapides doivent êtres absolument évitées car elles provoquent l’inflation ; on doit laisser le marché le plus « libre » possible afin que les prix s’équilibrent harmonieusement par la loi de l’offre et de la demande. Or, le taux d’inflation est passé en Belgique de 1,12% au mois d’août à 1,51% en septembre et à 2,24% en octobre tandis que les accords salariaux prévus par l’Accord interprofessionnel 2007-2008 n’ont donné lieu qu’à une hausse réelle de 0,4% en 2007 (11). Autrement dit, le contrôle sur les prix du marché sont laissés à la dérive tandis que le contrôle des salaires – via la loi sur la norme salariale qu’appliquent les Accords interprofessionnels - afin de les « modérer » est devenu un véritable dogme. C’est donc bel et bien la loi sacrée du « marché libre » elle-même qui est à l’origine de l’inflation actuelle des prix.

 

C’est assez clair avec l’évolution la plus notable des prix pétroliers et alimentaires. En ce qui concerne les premiers, la baisse des réserves stratégiques, les quotas de production relativement bas et les incertitudes géopolitiques (Iran, Turquie-Irak, etc.) provoquées par l’impérialisme maintiennent une offre en stagnation face à une demande toujours en forte croissance. Et les multinationales pétrolières en profitent pour empocher au passage une marge bénéficiaire sans cesse plus forte : Exxon Mobile a affiché un bénéfice record de 39,5 milliards de dollars en 2006 et Total-Elf-Fina de plus de 12 milliards d’euros, le profit total mondial pour la vente d’hydrocarbures s’élevant à pas moins de 1500 milliards de dollars.

 

Pour les produits alimentaires, les mauvaises récoltes des céréales (dues à des vagues de sécheresse consécutives au réchauffement climatique), la part croissante des terres agricoles consacrées aux agro-carburants et une demande également en croissance expliquent tout autant les hausses des prix. Dans ce cas-ci, ce ne sont pas les producteurs directs (les paysans) qui s’engraissent mais bien les intermédiaires que sont les multinationales agro-alimentaires et les grandes chaînes de la distribution. La logique du capitalisme combinée à la dérégulation des marchés agricoles impulsée par les diktats néolibéraux de l’OMC ou de l’Union européenne ne font que renforcer l’emprise et les profits de ces multinationales.

 

Impuissance publique

 

Si, dans notre pays, l’absence de nouveau gouvernement sert de prétexte aux pouvoirs publics pour rester balcon, qu’en est-il au niveau de l’Union européenne, ce « grand marché intégré » ? Dans une carte blanche publiée dans Le Soir (12), Mariann Fischer Boel, la Commissaire européenne en charge de la politique agricole, étale à la fois toute l’impuissance volontaire des institutions européennes tout comme leur dévotion au dieu du marché. Elle tente d’abord de minimiser les choses en affirmant que la hausse des prix ne dépassera pas 5% et que, « Selon nos calculs, le niveau des prix actuels devrait entraîner une charge supplémentaire de 1,1% pour le budget des ménages ». Mais quelques lignes plus loin, elle avoue avec une candeur touchante que « ce chiffre n’a de sens que si les différents maillons de la chaîne alimentaire (…) ne profitent pas de l’occasion pour « faire leur beurre » et augmenter leur marge bénéficiaire »!

 

Plutôt que d’envisager quelles mesures prendre pour éviter ce scénario, la toute-puissante Commissaire européenne se contente avec audace d’« oser espérer » que le secteur se montrera « responsable »… Mais pourquoi un tel « espoir » pour le moins passif ? Tout simplement parce qu’« il serait difficilement compréhensible qu’une augmentation du prix des matières premières entraîne une telle augmentation des prix à la consommation et, en tous les cas, pas dans un contexte où la concurrence est suffisamment forte ». CQFD. Autrement dit ; les règles du marché vont corriger les méfaits du marché et quant à moi je n’ai plus qu’à me tourner les pouces et à « oser espérer »...

 

«Espoir» bien vite déçu puisque d’après une enquête menée par la « Vlerick Leuven Gent Management School », qui, comme son nom l’indique est peu suspecte de bolchevisme; « Certaines entreprises actives dans le secteur de l’alimentation profitent de la hausse des matières premières pour augmenter de manière excessive leurs prix ». C’est le cas pour plus de 50% des multinationales du secteur et pour 67% des supermarchés. Pire, 76% des acteurs de ce secteur s’attendent à ce que les prix ne baisseront plus, même si les matières premières repartent à la baisse, comme c’est le cas dès maintenant pour le très prosaïque paquet de frites, malgré la récente baisse notable des pommes de terres dont les prix s’étaient envolés depuis 10 ans. (13).

 

Il nous semble quant à nous « difficilement compréhensible » que la Commissaire européenne puisse croire en ses propres sornettes et au conte de fées que le « jeux de la concurrence » fonctionne réellement de manière « libre » dans le capitalisme alors que ce dernier est dominé par des monopoles et des cartels qui s’entendent parfaitement lorsqu’il s’agit de dicter leur loi pour atteindre le profit maximum.

 

Bref, les travailleurs, les allocataires sociaux et particulièrement les ménages les plus pauvres subissent de plein fouet la hausse des prix, pour le plus grand profit des multinationales pétrolières et alimentaires, tandis que les filets de sécurité n’assument pas pleinement leur rôle et que les pouvoirs publics sont aux abonnés absents pour cause de « crise communautaire » ou d’espoirs fondés sur la main invisible et salvatrice du libre marché. Une situation d’autant plus scandaleuse au regard de l’évolution de la répartition sans cesse plus inégalitaire des richesses, comme nous le verrons dans un prochain article.

 

Notes:

1) Communiqué de la FGTB du 17/10/07, www.fgtb.be

2) Communiqué de la CSC du 15/10/07, www.csc-en-ligne.be

3) L’Echo, 31/10/07

4) La Capitale, 25/05/07

5) http://www.oivo-crioc.org/textes/pdf/1561.pdf

6) La Libre Belgique, 12/10/07

7) La Libre Belgique, 30/10/07

8) Baromètre du logement, http://www.barometresdulogement.be

9) http://users.skynet.be/idd/

10) « Les conséquences économiques du choc pétrolier sur l’économie belge », Bureau fédéral du plan, Working Paper, janvier 2006

11) Conseil central de l’économie, http://www.ccecrb.fgov.be

12) Le Soir, 05/10/07

13) L’Echo, 06/11/07

Voir ci-dessus