Supprimer les licenciements
Par Michel Husson le Mardi, 17 Avril 2007 PDF Imprimer Envoyer

Parallèlement aux luttes contre les suppressions d’emplois, il est nécessaire d’avancer des propositions alternatives. Voilà ce que font Laurent Garrouste, Michel Husson, Claude Jacquin et Henri Wilno dans leur livre, « Supprimer les licenciements » (Syllepse, 8 euros), dont nous publions quelques bonnes feuilles.

Le succès de la revendication d’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits s’explique par un sentiment légitime de rejet d’une telle situation. Il s’est développé en France, à partir de l’affaire Michelin, quand cette firme a annoncé, en 1999, à quelques jours d’intervalle, de confortables bénéfices et la suppression de 3 500 emplois ! Un sondage montrait qu’une forte majorité (75 %) de Français considérait que de telles décisions étaient inacceptables. Pour légitime qu’elle soit, cette revendication se heurte cependant à une limite de taille. Elle ne couvre pas la grande majorité des licenciements économiques qui ont lieu dans des entreprises qui peuvent connaître des difficultés réelles, transitoires ou non, dont une grande partie sont des petites entreprises qui ne sont pas assujetties à la procédure de plan de sauvegarde de l’emploi.

Or, les dégâts sociaux engendrés par les licenciements appellent la formulation d’une réponse d’ensemble qui soit à même de prendre en compte la totalité des cas, y compris les licenciements économiques individuels dans les petites entreprises. On voit immédiatement surgir toute une série d’objections. Le capital a considérablement accru sa mobilité, sa capacité de redéploiement et de contournement des règles sociales : comment, dans ces conditions, aller vers une sécurité accrue pour les salariés ? Comment éviter les licenciements dans les entreprises qui font faillite ? Comment fermer les activités “dépassées” ou polluantes sans licencier ? [...] En même temps, l’exigence d’un droit à l’emploi effectif monte, et de nombreuses propositions ont été récemment avancées sur ce terrain : rapports Supiot1 ou Bélorgey2, projets de « sécurité d’emploi-formation » du PCF, ou de « sécurité sociale professionnelle » de la CGT, terme ayant été repris avec des contenus parfois différents par des responsables du PS. [...] Faute d’être suffisamment précis, certains d’entre eux recèlent même de réels dangers. [...]

Responsabilité patronale

La question centrale qui est posée est de savoir comment rendre effectif le droit à l’emploi. Nous l’abordons à partir de deux idées essentielles. Première idée : il n’y a aucune raison que les salariés pâtissent de choix de gestion dont ils ne sont nullement responsables. Après tout, ce sont les employeurs qui dirigent les entreprises, et c’est le système de concurrence qui conduit aux restructurations et aux destructions d’emplois. Seconde idée : la question ne peut être traitée au niveau de l’entreprise. Pour que le droit à l’emploi devienne effectif, c’est le fonctionnement global des entreprises qui doit être questionné. Seuls responsables de leur gestion, les employeurs doivent supporter les coûts d’une mise en œuvre effective du droit à l’emploi. [...] • Principe n°1 : continuité du socle contractuel.

Plusieurs juristes affirment que le droit à l’emploi ne serait pas opposable [au patronat, NDLR], faute de pouvoir définir un « débiteur » redevable de cette « créance ». Pourtant ce débiteur existe : ce sont les entreprises, et donc le patronat compris comme entité collective. Il appartient donc au législateur d’élaborer des lois établissant sa responsabilité au regard du droit de chacun à obtenir un emploi qui, sans cela, est évidemment une coquille vide. [...] L’effectivité du droit à l’emploi passe par un véritable projet de refondation du statut de salarié, dont le principe de base serait de le déconnecter de l’affectation à un moment donné du salarié. Autrement dit, les périodes intermédiaires entre deux emplois doivent bénéficier d’une garantie de rémunération intégrale, avec la possibilité de choisir une formation prise en charge, elle aussi, intégralement.

Ce principe de continuité du salaire et des droits sociaux implique qu’un travailleur doit se voir reconnaître des droits à ressources qui dépendent de sa qualification personnelle (formation, expérience, etc.), mais pas de sa position du moment : qu’il soit en emploi immédiatement productif, en formation, ou en recherche de travail, il doit percevoir le salaire qu’il recevrait s’il était en situation d’emploi. [...] Ce principe reconnaît donc à la personne un statut professionnel permanent, entérinant le fait que les périodes de recherche et de formation sont des périodes productives à part entière.

Cependant, et c’est là un désaccord essentiel avec beaucoup de projets actuels de « sécurité sociale professionnelle » qu’ils reprennent cette dénomination ou non, cette nouvelle définition des droits du salarié ne saurait en aucun cas être le prétexte à une libéralisation du régime du licenciement. Lorsque les dirigeants d’une entreprise estiment que celle-ci est dans une situation difficile nécessitant une réduction du nombre d’emplois, il faut d’abord que cette appréciation, et donc le projet qui en découle, puissent être contestés en cours de procédure. En tout état de cause, les salariés concernés ne devraient subir aucun licenciement, mais bénéficier d’un statut garantissant le bénéfice du socle contractuel acquis dans leur emploi et d’une obligation de reclassement de résultat incombant au patronat selon les modalités décrites plus bas. [...] • Principe n°2 : une obligation de reclassement de résultat. On a montré au chapitre 2 les résultats désastreux de l’actuelle « obligation de recherche de reclassement ». Lorsqu’il est mis en œuvre, le reclassement est souvent un déclassement, fréquemment doublé d’une précarisation du statut contractuel.

Nous proposons de substituer à cette obligation molle ce qu’il convient d’appeler une obligation de reclassement de résultat, corollaire de la continuité du socle contractuel et permise par le financement mutualisé. La mise en œuvre de cette obligation pourrait suivre un parcours étagé, de l’entreprise au groupe, puis à la branche et au patronat en tant qu’entité collective. [...] • Principe n°3 : un financement mutualisé. Les deux principes précédents débouchent sur la nécessité d’un financement mutualisé des coûts de fonctionnement du système ainsi mis en place. [...] Il faut donc mettre en place des fonds de mutualisation à la charge des entreprises qui permettent de financer cette permanence du droit à l’emploi, par-delà les aléas de la vie de telle ou telle entreprise. De tels fonds sont nécessaires si l’on veut garantir un statut du salarié caractérisé par la continuité de l’emploi, non d’un emploi particulier et immuable, mais d’un emploi avec garantie de qualification et de rémunération. [...]

Abolir la précarité

Lutter contre le chômage et les licenciements nécessite une intervention spécifique sur la précarité. L’emploi précaire (CDD, intérim, temps partiel et, maintenant, contrats nouvelles embauches) constitue en effet une dimension clé de la gestion patronale de la main-d’œuvre. Il vise à constituer un volant de main-d’œuvre éjectable sans formalités en cas de problème économique et donc de contourner la réglementation sur le licenciement économique. [...] Le recours à cette main-d’œuvre précaire est massif dans certains secteurs : intérimaires dans l’automobile et le bâtiment, temps partiel dans la grande distribution ou les centres d’appel. Le recours au CDD comme période d’essai est très répandu, en toute illégalité [...].

Il ne s’agit pas, pour autant, de nier les problèmes de saisonnalité et de pic d’activité : certaines activités peuvent effectivement se concentrer sur quelques mois. Cependant, la logique de mutualisation esquissée plus haut permet d’avancer des solutions simples et radicales, autour de deux propositions : tout intérimaire devient un salarié en CDI de l’entreprise d’intérim ; le régime du CDD, comme celui des contrats de chantier (régi par l’article L321-12 du code du travail) est supprimé. [...] Supprimer les licenciements, c’est aussi supprimer les autres licenciements, notamment les licenciements pour faute et pour inaptitude. Ce n’est pas une remarque de détail puisque ces licenciements sont plus nombreux que les licenciements économiques aujourd’hui [...]. Ce phénomène traduit l’individualisation et la violence accrues des rapports salariaux. [...]

Élargir le rapport de force

Il faut donc investir ce terrain d’un point de vue revendicatif. Il faut notamment exiger un changement radical du droit disciplinaire. Aujourd’hui, l’employeur instruit la faute, la qualifie, l’apprécie, entend le salarié, décide de la sanction, l’applique. S’il décide que la faute est grave, il peut licencier sans indemnités de licenciement. [...] Il faut donc, au moins, que la qualification des faits supposés fautifs échappe à l’employeur.

Soit que l’employeur doive saisir un juge des faits reprochés, ce qui empêche tout licenciement durant l’instruction, soit que ce rôle soit dévolu à une commission paritaire de branche, par exemple [...]. Il faut, en tout état de cause, exiger en priorité que tout licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, soit nul et ouvre droit à réintégration, sauf souhait contraire du salarié préférant une indemnisation3. [...] Pour sortir de la phase défensive actuelle, le rapport de force doit se construire à la fois dans et hors de l’entreprise : le groupe doit être interpellé, mais aussi la branche voire le Medef et/ou les pouvoirs publics. La bataille pour la préservation des emplois menée face à un patron d’une entreprise qui est en train de couler doit élargir sa cible au-delà du champ de bataille local pour pouvoir gagner. Face aux multinationales, la contestation devrait viser à une convergence de l’ensemble des mouvements sociaux afin de cerner l’entreprise dans ses différents lieux d’implantation et viser les différentes failles de la cuirasse.

Ainsi, à Metaleurop, la constitution d’un front commun des salariés et de leurs syndicats, des habitants de la zone et des associations écologistes aurait amélioré le rapport de force des salariés : une alliance commune aurait permis de puissamment délégitimer cette entreprise « voyou » et de créer un rapport de force élargi. La domiciliation du principal actionnaire dans un paradis fiscal helvétique permettait aussi d’ouvrir un autre front, et de donner une dimension internationale à cette bataille. [...]

1. Alain Supiot (coord.), Au-delà de l’emploi, Odile Jacob, 1998. 2. Jean-Marie Bélorgey (autour de), Refonder la protection sociale. Libre débat entre les gauches, La Découverte, 2001. 3. En Italie, l’article 18 du statut des travailleurs prévoit la réintégration d’un salarié en cas de licenciement individuel « sans juste motif » ou « juste cause ».

Voir ci-dessus