Sur les derniers congrès de la FGTB: Un programme d’action contre l’austérité... Reste à élaborer un plan de mobilisation interprofessionnelle !
Par Denis Horman le Samedi, 31 Juillet 2010 PDF Imprimer Envoyer

En mai dernier, la FGTB wallonne tenait un congrès d’orientation, avec, comme fil conducteur, "Les solidarités, moteur de développement". Début juin, c’était au tour de la FGTB nationale en congrès d’établir un programme d’action et des priorités, concrétisant "la solidarité contre les inégalités". En conclusion de ce congrès, le président de la FGTB, Rudy De Leeuw, et la Secrétaire générale, Anne Demelenne, réélus dans leur fonction, déclaraient, dans un édito de Syndicats, signé en commun : "La FGTB ne s’inscrira pas dans un schéma d’austérité qui ferait payer une fois encore les frais de la crise aux travailleurs". Les 1, 5 million de travailleurs affiliés à la FGTB en prennent acte !

Un scénario prévisible

Le 4 juin, dernier jour de son congrès, la FGTB tenait un meeting. "Même s’il n’y a pas de gouvernement, il n’est pas difficile de prévoir l’avenir. On assiste à une épidémie de plans d’austérité en Europe", devait souligner la Secrétaire générale de la FGTB. Et de poursuivre : " Il n’y a pas de gouvernement, mais les partis politiques de droite et les employeurs annoncent la couleur : les prépensions, l’index, les soins de santé, la fonction publique, les salaires…les cibles se précisent. Et on passe au bleu la responsabilité des banques dans le déficit des finances publiques".

Fin mai, le Bureau du Plan, conseiller économique du gouvernement, ouvrait le feu : une réduction drastique du déficit public implique des économies pour un total de 22 milliards d’euros d’ici 2015.

La question est à nouveau posée : comment réduire le déficit et la dette publique ? Et plus précisément encore : qui doit payer ? Le précédent gouvernement van Rompuy, avec la participation du Parti socialiste, avait déjà répondu à la question, en élaborant les budgets 2010 et 2011. Les 3,5 milliards d’économies décidées pour 2010-2011 s’opèrent via la réduction drastique des dépenses publiques et des recettes nouvelles supportées par la population (taxes, accises, augmentation de prix..). Les actionnaires des multinationales et les familles le plus riches peuvent encore dormir sur leurs deux oreilles. Et ce n’est pas l’aumône demandée aux banquiers et au secteur de l’énergie qui va perturber leur sommeil.

Pourtant, peu de temps avant cet accord gouvernemental, le Président du PS, Elio Di Rupo, y allait d’un vigoureux avertissement : "On épargnerait ceux qui ont été responsables de la crise et on ferait payer les gens ? Je suis clair : avec moi, c’est non".

Redistribuer les richesses de façon équitable

La répartition des richesses est au cœur de la crise. La baisse quasi universelle de la part qui revient aux salariés en est l’une des causes essentielles : ce sont les revenus captés au détriment des salariés qui ont alimenté la bulle financière. Ce que souligne le document de la FGTB wallonne : "La crise que nous connaissons est une phase normale d’un système économique gavé aux profits financiers et sous-alimenté en salaires (…). C’est le partage inégal entre travail et capital (…) qui est au coeur du problème…et des solutions".

Ce sont les multiples avantages fiscaux accordés aux multinationales et aux couches les plus riches, ce qu’a rappelé, dans sa résolution, la FGTB nationale (les intérêts notionnels coûtant 4 milliards d’euros par an à l’Etat ; l’abaissement des cotisations sociales patronales ; la fraude fiscale estimée à plus de 20 milliards d’euros par an, etc ) qui sont la principales causes du déficit public.

La FGTB place en première priorité la répartition des richesses, qu’il faut modifier à la source (entre profits et salaires) et corriger au niveau fiscal.

Le combat pour une norme actionnariale

Le document de congrès de la FGTB wallonne ne tourne pas autour du pot : "Il faut lever le tabou sur les revenus du capital et les reconnaître comme une entrave aux investissements et à l’emploi. Pourquoi les salaires des travailleurs seraient-ils les seuls à faire l’objet d’une négociation ? Le combat pour une norme actionnariale et pour une réelle limitation des bonus doit être une priorité du monde du travail"? "Il nous faut faire admettre que le rendement exigé par le capital plombe la compétitivité des entreprises. Il est temps que la marge de profit, qui alimente le dérapage actionnarial, retourne au monde du travail". "Il s’agit pour les travailleurs de récupérer la part des richesses qui a sur-rétribué les actionnaires pour financer l’augmentation des salaires bruts, la réduction collective du temps de travail, des politiques industrielles, la transition vers de nouveaux modes de production, le relèvement de la pension légale, le rattrapage et la liaison au bien-être des allocations sociales…".

Devant le refrain continuel : "il faut préserver la compétitivité de nos entreprises", il fait dire et redire que relever la part des salaires en faisant baisser les dividendes ne pèserait ni sur l’emploi, ni sur l’investissement, ni sur la compétitivité, pour la simple raison que les (sur)profits distribués sous forme de dividendes alimentent plutôt la bulle et la spéculation financières, les placements dans les paradis fiscaux ou encore le train de vie somptueux des gros actionnaires.

Une fiscalité juste

Pour la FGTB,  la règle de base et fondamentale de la justice fiscale, c’est que chacun contribue selon ses revenus. Cela implique deux corollaires : l’impôt doit être progressif (plus le revenu est élevé, plus on est imposé) et tous les revenus doivent contribuer.

On est loin du compte Le maintien du secret bancaire –avec la non obligation pour les institutions financières de déclarer automatiquement au fisc la liste nominative des comptes et leurs titulaires, avec leurs avoirs- nous amène à la constatation faire par la FGTB : 70% des recettes de l’Etat, alimentées par l’impôt direct à la consommation des ménages, proviennent des salariés-appointés (leur fiche de paie est communiquée automatiquement au fisc !) ; 3% seulement des recettes sont prélevées sur le capital (revenus financiers) et 13% sur base des bénéfices des entreprises.

C’est pourquoi, à juste tire, la FGTB place en priorité dans les mesures pour une fiscalité juste, la levée du secret bancaire, "clé de voûte d’une taxation juste des revenus du capital", comme le souligne la FGTB wallonne : "La levée du secret bancaire et le cadastre des fortunes (conditionné par cette levée, ndlr) sont les conditions pour s’attaquer efficacement à la fraude fiscale estimée à 30 milliards d’euros/an".

La FGTB rappelle sa revendication d’un impôt sur la fortune. "Cela exige, ainsi que le souligne la FGTB wallonne la création d’un cadastre des fortunes, qui n’existe pas. Si 2% étaient prélevés sur la fortune des 25 familles les plus riches de Belgique, qui pèsent 24 milliards d’euros, cela rapporterait 477 millions d’euros".

Lors de la dernière campagne électorale, au nom du PS, Elio Di Rupo a avancé la revendication d’un impôt sur la fortune qui devrait toucher le un pourcent de la population dont les avoirs dépassent 1 million 250 mille euros (en dehors de l’habitation personnelle et le patrimoine commercial pour les indépendants). L’impôt sur ces fortunes, avancé par le PS, serait d’0,5%.

Quelle peut être l’opérationnalité d’une telle revendication, déjà très modeste, en supposant que notre éventuel futur premier ministre la maintienne pour le programme du nouveau gouvernement ?

Sans la levée totale du secret bancaire, permettant l’établissement d’un cadastre des patrimoines et revenus financiers, cette mesure n’aurait aucune portée.

Deux parlementaires du PS /SPa, Alain Mathot et Dirk Van Der Maelen ont déposé une proposition de loi relative à la levée du secret bancaire. Une proposition qui ne change pas grand-chose à la situation actuelle. Les deux parlementaires proposent "de conserver le principe d’un accès conditionné aux données bancaires des clients", mais de permettre à l’administration de requérir les documents bancaires sur base "d’indices permettant à l’administration fiscale de soupçonner que certains revenus n’ont pas été déclarés".

Dans son bulletin mensuel, Eco FGTB, (mai 2009), la FGTB réagissait ainsi à cette proposition de loi : "Pour que le fisc puisse disposer d’indices de non déclaration de revenus, il est préférable qu’il connaisse, comme c’est le cas en France, l’existence de l’ensemble des comptes bancaires des contribuables concernés".

Une aile wallonne plus radicale

Les deux congrès d’orientation de la FGTB, wallonne et nationale, ont le mérite d’avancer et de préciser un programme d’action contre l’austérité portant surtout sur une autre redistribution des richesses, la suppression des intérêts notionnels et le remplacement des aides publiques aux entreprises par d’autres instruments et leur octroi moyennant des conventions garantissant le maintien ou l’augmentation de l’emploi. A cet égard, la résolution de la FGTB nationale "exige l’introduction d’u ne loi InBev-Cartomills interdisant les licenciements et les restructurations dans les entreprises qui font des profits ou qui sanctionne les entreprises par l’obligation de rembourser les aides fiscales et parafiscales".

Sur d’autres points, le congrès de la FGTB wallonne apporte des formulations plus radicales à la résolution de la FGTB nationale. Ainsi, sur la question des pensions, si la résolution nationale se prononce pour "l’évolution vers une pension égale au minimum à 75% du salaire pour tous les travailleurs", la FGT B wallonne précise "à hauteur de 75% des 5 années les mieux rémunérées de la carrière". Si la résolution nationale "exige un moratoire du contrôle dispo des chômeurs jusqu’à ce qu’il y ait une réforme profonde du système", la FGTB wallonne revendique "la suppression du plan de contrôle de la disponibilité des chômeurs et de l’activation du comportement de recherche d’emploi". Si la résolution nationale "exige une évaluation objective de l’impact des libéralisations passées (poste, transport ferroviaire, énergie, télécommunications…) notamment sur l’emploi, les conditions de travail, l’environnement…", la FGTB wallonne revendique "la re-nationalisation de secteurs qui ont été libéralisés ou privatisés comme l’énergie, les transports, la Poste…".

La FGTB wallonne se prononce également dans sa résolution pour "la création d’une entreprise publique d’isolation et de rénovation des bâtiments", pour "la création d’une banque publique régionale", pour "l’établissement de critères objectifs de régularisation, ainsi qu’une Commission permanente de régularisation" pour les sans- papiers.

Un plan de mobilisation interprofessionnelle : incontournable !

"Nous refusons que la résorption des déficits budgétaires se fasse à travers des économies sur les politiques sociales et des mesures d’austérité sur les politiques salariales", prévient la résolution du congrès national de la FGTB.

"Rigueur n’est pas austérité", tentent de nous expliquer doctement ministres et dirigeants du PS pour préparer la voie à de nouvelles mesures dont les travailleurs feront les fais, une fois de plus.

Les arguments purement économiques s’opposant à une inflexion dans la répartition des richesses (entre profits –dividendes- et salaires et corrections fiscales) ne sont vraiment pas fondés. La réalité est plus prosaïque : les privilégiés de la finance, les accapareurs de la richesse sociale produite par les travailleur/euse/s n’ont tout simplement aucune envie de renoncer à leurs privilèges. Et les partis de droite comme de la gauche traditionnelle, acceptant la logique et le fonctionnement de ce système, n’ont pas la volonté de prendre les décisions politiques pour une redistribution plus équitable des richesses.

La grande carence des deux congrès d’orientation de la FGTB, c’est l’absence d’un plan d’action concret pour "le renversement du rapport de forces", selon un des titres pourtant suggestif du document de la FGTB wallonne.

Pourtant, les tout prochains défis sont là : les mesures que ne tardera pas à prendre un prochain gouvernement, sans oublier la négociation d’un nouvel accord interprofessionnel dans le privé pour les années 2011-2012.

La FGTB vient de dégager son plan d’urgence sociale, sur base de "10 priorités" articulées autour d’une autre redistribution des richesses. Encore faut-il, pour renverser le rapport de force, ne pas attendre, sur la défensive, les décisions gouvernementales et les concessions patronales, assorties de chantage, pour un prochain accord interprofessionnel.

Prendre l’initiative, n’est-ce pas plutôt formuler de manière précise, chiffrée, un programme de mobilisation sur les salaires, la réduction du temps de travail, la fiscalité…, en y associant la CSC, l’ensemble des travailleurs, à travers les solidarités interprofessionnelles.

Le coup d’envoi d’un tel plan de revendication et de mobilisation se présente avec la mobilisation syndicale européenne à Bruxelles, le 29 septembre prochain.

Voir ci-dessus