Nouveaux enjeux
Par Pierre Rousset le Samedi, 13 Mai 2006 PDF Imprimer Envoyer

Au Népal, plusieurs semaines de manifestations et de grèves ont permis la restauration du Parlement. Une nouvelle phase de la lutte démocratique s’ouvre : la réunion de l’Assemblée constituante.

Après plusieurs semaines de mobilisation et dix-huit jours de grève générale, une douzaine de morts et des centaines de blessés, le mouvement populaire népalais a emporté une première victoire d’ampleur. Le roi a dû se résigner à convoquer le Parlement, qu’il avait dissous en février 2005 pour se doter des pleins pouvoirs.

Cette victoire est d’autant plus retentissante que le mouvement démocratique s’affrontait sans armes, à Katmandou, à une armée engagée depuis dix ans dans une sale guerre contre la guérilla rurale du Parti communiste du Népal (maoïste), afin de mettre à bas une dictature royale. Jusqu’à la fin, le roi a bénéficié d’importants appuis de la part des gouvernements indiens, chinois, américain et européens. à la dernière minute, les chancelleries occidentales ont exercé de fortes pressions sur les partis d’opposition pour qu’ils acceptent un compromis pourri : choisir un nouveau Premier ministre, mais laisser au roi le contrôle de la situation.

Les gouvernements occidentaux se targuent d’exporter la démocratie dans le monde. Ils n’en ont pas moins observé avec beaucoup de suspicion un mouvement démocratique qui surgissait de la société népalaise sur des mots d’ordre simples : restauration du Parlement et des libertés civiles, convocation d’une Assemblée constituante à même de décider de la nature du régime... Leur obsession : en terminer au plus tôt avec la crise. Mais la mobilisation populaire était si forte qu’aucun parti ne pouvait accepter le compromis de dernière heure proposé par le roi et les chancelleries.

Au fil des jours, dans ce royaume de 28 millions d’habitants, les manifestations sont passées de 50 000 à 100 000, puis 200 000 et au-delà. La puissance de l’exigence démocratique est frappante. Elle bouscule bien des clichés, soigneusement entretenus par les tenants du « choc des civilisations », sur les peuples asiatiques - qui plus est, himalayens ! - étrangers à la démocratie. Mais de quelle démocratie parle-t-on ?

La restauration du Parlement de 2005 n’a jamais été le but ultime des mobilisations. Cette institution est dominée par des partis, comme le Congrès, qui ont failli. La deuxième étape du combat, décisive, concerne l’Assemblée constituante. Sa convocation est acceptée. Selon quelles modalités ?

La nature du régime est en question. La royauté sera-t-elle remplacée par un ordre républicain ? Le Népal est le seul État officiellement hindou au monde. Il comprend des ethnies variées et plusieurs religions, même si l’hindouisme est majoritaire (80 %). Lors du rassemblement populaire du 28 avril, la revendication d’un État « dharmanipeksh » (laïque) était clairement exprimée : « Des gens de toutes religions vivent au Népal. Il y a des hindous, des bouddhistes, des musulmans et d’autres. C’est pourquoi l’État doit être laïque », pouvait-on entendre. La définition non religieuse de l’État est au cœur des préoccupations démocratiques en Asie du Sud, dans des pays comme l’Inde, où la laïcité traditionnelle est menacée par la montée de mouvements fondamentalistes hindous, ou au Pakistan, créé en 1947 sur une base confessionnelle.

Le contenu social de la démocratie népalaise sera lui aussi posé. La crise rurale est telle que la guérilla du CPN (maoïste) contrôle une bonne partie du territoire. L’influence révolutionnaire était très perceptible, lors des manifestations de Katmandou. Cependant, à gauche, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue, car le mouvement marxiste-léniniste népalais est divisé, comme il l’est en Inde. Il y a aussi le Parti communiste népalais-union des marxistes-léninistes (PCN-UML), l’un des sept principaux partis légaux d’opposition.

Pour leur part, les partis bourgeois, comme le Congrès, vont chercher à désamorcer la charge révolutionnaire du mouvement démocratique, avec l’appui, une nouvelle fois, des chancelleries occidentales.

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