Philippines : Un Parti Marxiste Révolutionnaire à Mindanao
Par Clara Maria Sanchez le Mercredi, 23 Mai 2007 PDF Imprimer Envoyer

Le Parti Révolutionnaire des Travailleurs – Mindanao (RPMM) trouve son origine dans la scission qui a eu lieu, en 1992, dans le Parti Communiste des Philippines (CPP). Le CPP, fondé en 1968 sous la direction de Jose Maria Sison, est rapidement devenu une force politique significative et à joué un rôle important dans la lutte contre la dictature de Marcos (1972 – 1986), par sa branche armée, la Nouvelle Armée Populaire (NPA) et dans le mouvement de masse.

Le parti fut conçu dans une optique Mao-Stalinienne inflexible. La société philippine était caractérisée comme « semi-coloniale et semi-féodale » et la révolution définie comme « nationale-démocratique ». La ligne stratégique du CPP était celle d’une guerre populaire de longue durée, encerclant les villes à partir de la campagne, et passant à travers des étapes rigoureusement définies de défense, de trêve et d’offensive stratégiques, composée chacune de plusieurs phases.

Tout le travail du parti était subordonné à l’objectif prioritaire de la construction d’une armée de guérilla rurale. La lutte de masse publique contre la dictature et pour des réformes était seulement considérée comme une manœuvre de propagande et un terrain de recrutement pour le parti clandestin. Les principes organisationnels du parti étaient basés sur le centralisme bureaucratique stalinien, sans droit de tendance. Son premier Congrès aurait eu lieu en décembre 1968. Il n’y en eut jamais de second.

Tous ces aspects de la politique du CPP allaient se heurter à des réalités très différentes. Contrairement à l’analyse de Sison, la société philippine n’était pas semi-féodale mais capitaliste dépendante. De plus, la réalité complexe de la société philippine et la lutte contre la dictature a poussé le parti à développer des combinaisons de lutte de masse et de lutte armée qui dépassèrent rapidement le schéma simpliste de la « guerre populaire prolongée ». Cela entraîna des débats sur la stratégie et les tactiques qui, pendant un temps, ont doté le CPP d’un certain pluralisme.

Les débats autour des désaccords qui allaient causer la scission de 1992 ont commencé dès le 8ème plenum du CC, en 1980. Mais, à ce moment, comme Francisco Nemenzo l’a souligné dans une interview en 1994, « il ne semblait pas urgent de les trancher, étant donné que le mouvement allait de l’avant » [1]. Il y avait non seulement du temps et de la place pour des débats, mais il y avait même expérimentation de diverses formes de luttes qui ne correspondaient pas à la stratégie de guerre populaire de longue durée. C’était tout particulièrement le cas à Mindanao. Ces expériences ont été considérablement influencées par celles des mouvements révolutionnaires d’Amérique Centrale et par l’expérience vietnamienne. Tout cela se passait alors que Sison avait été capturé et emprisonné, de 1977 à 1986.

Un tournant décisif eut lieu en 1986, quand le CPP prit la décision de boycotter les élections anticipées organisées dans la foulée du mouvement « Pouvoir du Peuple » qui renversa Marcos. L’élection vit la victoire de Cory Aquito et la restauration des formes bourgeoises démocratiques. Cette décision laissa le parti isolé du mouvement de masse. Quelques mois plus tard, la direction du parti publia une autocritique, reconnaissant assez clairement que le boycott était une erreur, mais échouant dans l’analyse de ses causes. La direction coupa court aux discussions qui suivirent. C’est après la restauration de la démocratie bourgeoise que les contradictions créées par la subordination du travail de masse à la lutte armée – particulièrement la lutte armée rurale – s’aiguisèrent.

Pendant la période de croissance du CPP, dans la fin des années 70 et le début des années 80, son organisation à Mindanao se développa à un rythme plus rapide encore. Sous de nombreux aspects, la lutte à Mindanao était une des plus avancée des Philippines, à la fois en termes de lutte armée et de lutte de masse. Mais, lorsque le parti s’implanta à Mindanao, il dut se confronter à la spécificité de l’île. A l’époque de la colonisation espagnole, Mindanao n’a jamais été occupée, à l’exception de quelques avant-postes côtiers. L’île était peuplée de Musulmans, connus sous le nom de Moros, regroupés dans les sultanats de Maguindanao et de Jolo, et par des tribus indigènes. Lorsque les Philippines furent vendues aux Etats-Unis pour 20 millions de dollars à la fin de la guerre hispano-américaine de 1898, les américains eurent à conquérir le pays contre une forte résistance des forces nationalistes révolutionnaires qui avaient lancé une insurrection contre la domination espagnole en 1896.

La « pacification » américaine des Philippines est estimée avoir coûté la vie de près d’un sixième de la population. Dans le cas de Mindanao, cette conquête fut particulièrement difficile et sanglante, et la résistance continua jusqu’en 1914. Les gouvernements successifs de Manille ont poursuivi une politique délibérée de colonisation de Mindanao par des pionniers chrétiens des autres îles, avec un tel succès que les musulmans et les populations indigènes furent mises en minorité. Néanmoins, les colons ne constituèrent pas une couche privilégiée, comme par exemple en Afrique du Sud ou en Israël. Ils étaient travailleurs ou paysans, et étaient aussi exploités. Mais il existe bien une question nationale du peuple Bangsa Moro, et une lutte armée pour l’auto-détermination a commencé au début des années 70. Sans oublier la question des droits des peuples indigènes à leurs terres ancestrales, à la fois dans les zones dominées par les Musulmans et par les Chrétiens.

Le CPP de Mindanao eut à faire face à cette réalité et commença à développer un travail d’alliance, parallèlement avec les mouvements Moro – le Front de Libération Nationale Moro (MNLF) et le Front de Libération Islamique Moro (MILF) – et avec les peuples indigènes. Cela provoqua des débats et des dissensions dans le parti à Mindanao, ainsi qu’avec la direction centrale du CPP. En fait, la conception qu’avait le CPP de la révolution démocratique nationale ne tenait pas compte des questions nationales spécifiques à Mindanao qui, dans l’esprit de la direction Sison, ne seraient solutionnées qu’après la victoire de la révolution. Le niveau de lutte à Mindanao impliqua également l’utilisation d’unités de partisans urbains et d’offensives militaires de nature semi-insurrectionnelles qui ne rentraient pas dans le schéma de la « guerre populaire de longue durée ».

Le RPMM est spécialement issu de la section de la Région Centrale de Mindanao (CMR) du CPP-NPA, qui fut créée en 1987, par la fusion des régions Nord-Ouest et Moro. C’était dans une période où le CPP et ses organisations étaient confrontés à de sérieuses difficultés. Elles furent, en premier lieu, causées par l’incapacité à analyser la nouvelle situation découlant de la transition de la dictature à la démocratie bourgeoise et à réorienter, en conséquence, les tactiques du parti. Cela n’impliquait pas que des problèmes tactiques, mais remettait en cause l’intégralité de la stratégie du CPP.

Deuxièmement, le parti fut affaibli et traumatisé par une série de purges imposées dans le but de chasser les indicateurs du gouvernement, dans lesquelles des milliers de membres du parti, la plupart innocents, furent liquidés. Cela affaiblit considérablement le parti, et les purges furent particulièrement sévères à Mindanao.  Les débats se firent plus acrimonieux. Sison, qui était parti en exil volontaire aux Pays-Bas en 1988, publia à la fin de l’année 1991 un document intitulé « Réaffirmer Nos Principes de Base et Rectifier les Erreurs », dont l’objet était de ramener le CPP à sa version de l’orthodoxie maoïste et de purger le parti de ceux qui la remettaient en question. Toutes les organisations du parti furent appelées à « réaffirmer ». Ceux qui soutenaient Sison et le firent furent ainsi appelés « réaffirmistes », ou « RA » ; ceux qui refusèrent, « rejectionnistes », ou « RJ ».

La position de Sison fut avalisée par le 10ème plenum du CC en 1992 et l’exécutif du parti rejeta une demande de Congrès – soutenue par des « réaffirmistes » comme par les « rejectionnistes » – pour trancher les différends, rendant une scission inévitable. Par la suite, ceux qui rejetaient ses positions furent exclus et, à partir de 1993, des secteurs significatifs de l’organisation, divisions géographiques et départements, se mirent à déclarer leur autonomie par rapport au centre du parti [2]. A ce point, les divergences étaient importantes, allant de l’analyse de l’économie et de la société philippine à la stratégie politique et militaire, en passant par la question des minorités nationales, le régime du parti, l’analyse de l’effondrement de l’Union Soviétique et le processus de restauration capitaliste en Chine. Sur ces derniers points, la direction du parti se limitait à des dénonciations rituelles du « révisionnisme moderne », tandis que des secteurs de l’opposition commençaient à utiliser les concepts de Stalinisme et de bureaucratie pour comprendre ce qui arrivait.

Avec la scission, les « RJ » durent organiser une alternative. Vers la fin de 1994, le CMR publia un appel pour une Conférence de Parti et invita les autres principaux secteurs « rejectionnistes » du reste des Philippines. Le résultat de cette conférence fut le lancement d’une formation pré-partidaire à Mindanao, nommée le Parti Communiste du Peuple (PCP). Le PCP maintint des contacts et relations avec les autres groupes « RJ » et, en septembre 1995, il convoqua un sommet avec les directions des régions Manille-Rizal (National Capital Region) et Visayas, dans le but de former un nouveau parti de niveau national. Durant cette période, le PCP entama une réévaluation consciencieuse de son idéologie et de sa politique, faisant le point sur dix ans de d’activité de parti à Mindanao, tenant des conférences sur le travail électoral et parlementaire, la lutte et les mouvements de masse, le travail international, le développement et le travail de consolidation de la paix.

En 1998, après trois ans de discussion et de débat, il y eut une tentative sérieuse de former un nouveau parti à l’échelle du pays, incluant le PCP, la section du Visayas, et une partie de la direction de la région Manila-Rizal. Le Parti des Travailleurs Révolutionnaires des Philippines (RPMP) fut fondé lors d’un congrès tenu dans les montagnes de Mindanao, avec sa branche militaire, l’Armée Prolétarienne Révolutionnaire/Brigade Alex Boncayo (RPA/ABB). Malheureusement, cette initiative prometteuse vers un parti d’ampleur nationale ne fut pas couronnée de succès. De sérieuses divergences émergèrent quant au fonctionnement du nouveau parti. Dans l’opinion des camarades de Mindanao, la direction de Visayas, en particulier, n’avait pas rompu avec certaines pratiques du CPP. En 1999, des négociations de paix commencèrent entre le gouvernement et le RPMP-RPA/ABB et, en 2000, un accord de paix fut signé. Les camarades de Mindanao contestèrent tant le processus antidémocratiques que le contenu de l’accord, qui s’apparentait pour eux à une pure et simple capitulation.

Par conséquent, le 1er mai 2001, les camarades de Mindanao formèrent le RPMM, avec comme bras armé l’Armée Révolutionnaire des Peuples (RPA) – la forme plurielle témoignant de son engagement pour la reconnaissance des trois peuples de Mindanao. Le parti a une perspective nationale, mais ses forces sont à Mindanao et parmi les émigrés originaires de l’île. Après la scission du CPP, le CMR a établi des relations avec d’autres forces à travers le monde, et en particulier avec la Quatrième Internationale, envoyant un représentant à son Congrès mondial de 1995. Ces relations furent maintenues pendant la période RPMR et, en 2003, le RPMM devint la section philippine de la QI.

La situation à Mindanao est loin d’être stable. En premier lieu, la question nationale Moro n’a pas été réglée. Un accord entre le gouvernement philippin et le MNLF en 1996 amena la création de la Région Autonome du Mindanao Musulman (ARMM), qui n’a pas été à la hauteur des espérances et est encore dominé par Manille et ravagé par la corruption et le clientélisme. Des négociations ont maintenant lieu avec le MILF, mais leur issue est incertaine et les affrontements militaires avec l’armée ne sont pas rares.

La présence du Groupe Abu Sayyaf, un véritable groupe terroriste lié à Al Qaeda, sert de prétexte au maintien de la militarisation de Mindanao et de la présence de troupes US, Mindanao ayant été défini comme un front de la « guerre contre le terrorisme ». De plus, Mindanao, et l’ARMM en particulier, contient les provinces les plus pauvres des Philippines. Les compagnies multinationales pillent les ressources naturelles de l’île, spécialement minières et forestières, provoquant des effets catastrophiques pour l’environnement et l’invasion des terres ancestrales des peuples indigènes. Le conflit armé n’est donc pas la seule forme de violence dont souffre le peuple de Mindanao.

Quoiqu’il soit lui-même illégal et clandestin, le RPMM soutient les efforts d’une multitude de mouvements sociaux et d’organisations populaires qui se préoccupent des problèmes de la classe ouvrière, de la pauvreté urbaine, de la paysannerie et des pêcheurs – santé, logement, chômage, réforme agraire. Il existe un mouvement pacifiste particulièrement fort basé sur le concept tri-national, cherchant à résoudre la question nationale par la reconnaissance du droit à l’autodétermination et l’organisation d’un referendum, et qui veut unir les trois peuples sur cette base. En décembre 2006, le 4ème Sommet de la Paix du Peuple de Mindanao, qui eut lieu sur l’île de Basilan, rassembla 500 personnes de tout Mindanao, en ce compris des représentants du MNLF, du MILF et des peuples indigènes. Au niveau électoral, les mêmes idées sont défendues par la liste Anak Mindanao (Amin) qui a actuellement un représentant au parlement philippin.

Mindanao est une société hautement militarisée. En plus de l’armée philippine (dont les deux tiers des forces sont déployées à Mindanao) et de la police, il y a le MNLF, le MILF et les forces de défense des peuples indigènes. Le CPP-NPA, qui continue à être actif dans certaines zones de Mindanao, a mené depuis la scission une politique de liquidation physique de ses anciens membres. Parmi les victimes, on compte deux membres du RPMM-RPA [3]. En outre, il est clair que les services de sécurité de l’état sont responsables de l’assassinat de centaines d’activistes des mouvements sociaux et d’organisations populaires par des escadrons de la mort, y compris à Mindanao, depuis l’arrivée au pouvoir du Président Gloria Macapagal-Arroyo en 2001.

Dans cette situation, le RPMM maintient son aile armée, la RPA. Il ne considère cependant pas qu’une lutte armée offensive soit appropriée à la période actuelle. En conséquence, il a signé un accord de cessez-le-feu avec le gouvernement en 2005 et, en décembre 2006, parvint à un accord pour l’application de ce cessez-le-feu. Mais il n’a pas désarmé et refuse de dissocier un accord de paix définitif de la résolution des problèmes sociaux et démocratiques qui sont les racines de la violence à Mindanao. Les négociations avec le gouvernement ne furent pas seulement de nature militaire, puisque ce dernier dut s’engager à financer des projets de développement dans les zones sous l’influence du RPMM, les projets en question étant choisis par les populations locales. Les premières négociations couvrirent 100 barangays (districts), mais 100 districts supplémentaires ont demandé à être considérés comme partie intégrante de la zone d’influence du RPMM.

Mars 2007


NOTES

[1] Interview dans Links no. 2, Juillet-Septembre, 1994 [2] Cela comprend la majorité ou d’importants secteurs des organisations du parti à Manille-Rizal, Mindanao et Visayas, ainsi que le Secrétariat Paysan, le Secrétariat du Front Uni et le Département International. [3] Une documentation substantielle sur la politique de liquidation physique menée par le CPP peut être trouvée sur les pages anglophones du site Europe Solidaire Sans Frontières (http://www.europe-solidaire.org /spip.php?rubrique14), dans la section Philippines - CPP killings. * From International Viewpoint Online magazine : IV n° 388 - April 2007.  Traduction pour La Gauche, Matthieu Renda

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