Marketing à la maternité
Par Virginie Godet le Jeudi, 13 Janvier 2005

“Prenez un enfant et faites-en un roi, couvrez-le d'or et de diamants. Cachez-vous, en attendant. Vous n'attendrez pas longtemps. Les vautours tournent autour de l'enfant”. Cette chanson - Argent trop cher de Téléphone - ma copine Latifa l'avait chantée lors de notre spectacle des rhétos. Plus de dix ans après, elle prend pour moi un tout nouveau sens. Parce que ce n'est plus vrai que ta vie n'a pas de prix. Les multinationales, bottant l'Eglise en touche, sont désormais là pour nous, de la première échographie au tombaux.

Contrairement aux idées reçues, on peut être féministe, de gauche radicale, avoir les cheveux longs, porter des soutifs, être mariée et même mère de famille nombreuse. Chez les bouddhistes, on appelle ça la non dualité. Un être humain est un être complexe, donc un paradoxe sur pattes. Ayant mis au monde trois magnifiques petits mecs, j'ai eu tout le loisir d'étudier le fonctionnement de nos nouvelles usines à naître. Vachement efficace, il faut le reconnaître, et ce sur bien des points. Mais ce qui m'a le plus marquée, c'est l'avalanche de pubs qui vous atterrit dessus dès la visite du quartier d'accouchement.

De prime abord, c'est sympa. Tout le groupe de candidates parturientes est accueilli avec un gros cadeau. On ouvre le paquet: des bons de réductions chez Machin sur la layette, des échantillons de shampoing, pour bébé, pour maman, rasoirs pour les jambes de maman, pour la barbe de papa (les enfants, ça se fait à deux, n'oublions personne), spéculoos, chocolats de régime, abonnements à des magazines… j'ai peur de ne pas être exhaustive… mais pas de raton laveur. Comme c'est bien ! On va pouvoir en faire des achats pour ce petit minou qui va arriver… Sauf qu'on croule déjà sous les vêtements prêtés ou donnés par les copines, les tantes, les cousines qui sont déjà passées par-là. Qu'on recevra certainement des cadeaux en plus, et que cet enfant, ce n'est pas la reine d'Angleterre, on peut le voir deux fois dans la même tenue sans que vous soyez déshonorée.

Le grand jour est arrivé. Terrassée par les douleurs promises par la Bible (pour celles qui n'y sont pas encore passées: y'en a qui n'ont pas tellement mal), vous débarquez à la mat'. Pendant le travail, on vous foutra relativement la paix. Pendant l'accouchement, évidemment, vous avez autre chose à faire. Une fois la petite merveille sortie, on la pèse, on lui passe l'aspirateur pour vider les restes de mucus.

Retour à la chambre. Cette fois, vous avez droit à deux packs, avec approximativement la même chose dedans. Mais c'est super-ciblé: re-chocolat de régime, lait raffermissant pour le corps, shampoing, rasoirs pour maman et papa, petits pots aux fruits (pas avant 4 mois, je vois pas l'utilité), lingettes pour le pépette, tétine gratos, re-bons de réduction pour faire une garde-robe de diva à p'tit bouchon. Et les pièges à cons commencent. Vous avez droit à une super cuillère en plastic. Vous voulez l'assiette qui va avec ? Prenez rendez-vous avec une de nos démonstratrices pour organiser une soirée Boîboîtes chez vous. Donnez vos coordonnées à l'éditeur du pack, on vous en enverra d'autres, aux dates clefs de la croissance de votre enfant. D'ailleurs, dans la boîte distribuée quand l'enfant a un mois, les réductions sur les fringues, c'est pour maman. Si vous ne faites pas attention (c'est écrit en trop petit pour que ça se remarque), vous allez en fait filer votre adresse à des boîtes de pub, qui vous enverront à tour de bras du mailing personnalisé. Les catalogues spécialisés ont le chic pour vous persuader que si vous ne commandez pas leurs trois quarts de trucs qui ne serviront quasi pas, vous êtes une mère indigne, et que votre gosse deviendra con comme un manche… Quant aux petits guides de puériculture fournis avec les packs, on y trouve presque plus de pub que de conseils.

Mais c'est pas tout. Voici l'infirmière qui entre dans la chambre pour la première toilette. Dans les bras, un paquet de couches et une grosse boîte. "Avez-vous de quoi faire la toilette du bébé? Sinon, nous vous proposons le pack Tûûûût (et là, on ne vous dit pas que ce sera facturé par la maternité)" et de te faire la gueule si tu réponds que tu utilises des produits naturels, et que tu as tout prévu, merci Madame.

Enfin tranquille jusqu'au troisième jour, celui où on commence le baby blues. Jour stratégique, qui voit débarquer la photographe, laquelle vous annonce que la maternité vous offre une photo gratuite de votre bébé. Fuyez ! Trouvez toutes les combines pour dire non (attention, la dame est persuasive). Les photos seront livrées chez vous vers la fin du premier mois, quand vous avez une gueule de déterrée, et une grosse déprime, lassée d'être toujours toute seule. Bien contente d'avoir de la compagnie, vous vous laisserez fourguer n'importe quoi, même l'agrandissement de la photo imprimée sur toile, façon tableau rustique (c’est kitsch, laid, et cher).

Ce sont les trucs classiques. Cette fois, on m'a offert la carte de groupe sanguin de mon fiston. La pédiatre m'a annoncé que c'était juste un moyen pour un labo de se faire de la pub. Parce que les médecins commencent gentiment à en avoir marre, eux aussi. Une maternité, un hôpital, c'est un endroit où on fait naître des bébés, où on soigne des personnes. Et les multinationales mettent la main dessus. Des gens qui sont couchés, qui s'ennuient parfois, souvent, ça fait des cerveaux vides avec de la place pour Coca-Cola. Comme si elles ne se faisaient pas déjà assez de flouze sur la vente des médicaments… Mais ça, c'est une autre histoire.

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