OIM: Organisation internationale pour... lutter contre les migrant-e-s
Par Eric Matrige le Jeudi, 17 Février 2005

L'OMI (organisation internationale pour les migrations) est créée en 1951 sous le nom de comité intergouvernemental pour les migrations en Europe (ICEM). Le nom même de ce comité intergouvernemental est de sinistre mémoire, pour qui sait que son prédécesseur, créé lors de la conférence d'Evian de 1938, a si pieusement échoué à protéger les réfugiés-es juifs-ves européen-ne-s de ce qui allait leur arriver.

Dès sa naissance, cette organisation est pensée comme une contre-agence du HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés), créé l'année précédente: alors que l'action du HCR se fonde sur des principes humanitaires, le moteur de l'ICEM se nourrit de considérations économiques. Cette organisation est créée indépendamment de l'ONU et est lancée par quelques pays occidentaux. Dans un premier temps, elle est l’un des instruments pour l'établissement des réfugié-és provenant des états signataires du traité du pacte de Varsovie. Dans les années '80, l'ICEM est remodelé et prend le nom d'OIM/OMI.

En 1989, l'OIM connaît une nouvelle redéfinition de ses tâches. Le versant européen est ressuscité et reflète les stratégies européennes en matière de migrations. Des postes avancés visant au contrôle des migrations sont construits aux portes de l'Europe. Dans ces pays d'Europe centrale et orientale, comme en Asie Centrale, l'OIM, et ses nombreuses ramifications, met en place un cordon sanitaire (sic) autour de l'espace Schengen tout en érigeant des dispositifs implacables de contrôle dans les pays d'émigration et de transit.

L'OIM est composée statutairement de 93 états-membres et de dizaines d'états et d'organisations internationales (ONU, OIT, FMI,…) qui ont le statut d'observateurs et en financent l'organisation et les activités. Similaire à ces organisations dans son fonctionnement, l'OIM est chargée de réguler les mouvements des personnes. Elle s'auto proclame "organisation internationale leader pour les migrations" et se situe dans la droite ligne des visées d'administration "globale" faisant montre d'une réelle capacité d'adaptation aux exigences économiques et sociales de la "mondialisation".

Le budget annuel de l'OIM est estimé à plus ou moins 36 millions de francs suisses, pour ses seules tâches administratives. L'administration est centralisée à Genève. Elle est composée de 19 centres de coordinations (celui pour l'Europe est à Bruxelles), et de plus de 100 bureaux locaux.

En mettant en œuvre son programme d'information sur les migrations, ses bureaux régionaux sont autant de postes avancés d'un "système de prévention des migrations" global, qui renvoie à ses commanditaires toute information concernant les mouvements migratoires. L'OIM exporte le modèle européen du contrôle migratoire aux autres parties du monde.

Ces dernières années, l'OIM est devenue une transnationale fort complexe qui n'agit pas seulement sur les politiques migratoires (conception- réalisation) et les mouvement des personnes (c'est-à-dire le plus souvent leur retour). Elle intervient dans le désarment des guerres au Kosovo, au Congo et en Angola, dans l'administration civile du Kosovo, pratique les visites médicales imposées aux migrant-e-s avant leur entrée aux USA ou au Canada, gère des fonds de l'indemnisation des victimes non-juives du travail forcé sous le régime nazi, ou encore facilite des accords pour la venue de travailleurs saisonniers. La nouvelle loi française sur les conditions de séjour de courtes durées pour les non-UE donne pouvoir aux administrations locales ou à l'OIM d'effectuer les contrôles.

De fait, c'est sur le retour des migrant-e-s, souvent non volontaire, que l'OIM se concentre. Par exemple, 75 000 déboutés du droit d'asile ont été reconduits aux frontières de l'Allemagne en 2000. Sous couvert de retour volontaire, c'est bien de froid déplacement qu'il s'agit. Pour cela l'OIM a signé des accords avec pas moins de 80 compagnies aériennes (Air-France, KLM, Lufthansa, ex-Sabena...)

L'OIM dans tous ses états

L'île de Nauru, située dans l'océan pacifique est un exemple du travail mené par l'OIM. Pour éviter que les que les réfugié-e-s venant surtout d'Afghanistan, d'Iran et Irak ne pénètrent sur son territoire, le gouvernement australien applique une solution "pacifique". Les bateaux de réfugié-e-s sont capturés avant d'atteindre la côte et les personnes sont amenées, souvent par la force, sur l'île de la république de Nauru. L'OIM y a installé et y gère deux camps de rétention pour 1 300 personnes. L'accès à l'île est interdit aux journalistes, avocats et à Amnesty International. Sous le soleil brûlant d'une île polluée par l'exploitation du phosphate, les réfugiés sont enfermés pour une durée indéterminée. En cas de protestation, c'est l'isolement. Un autre camp géré par l'OIM se trouve sur la base militaire de l'île Manus en Papouasie-Nouvelles-Guinée.

Au Kosovo, l'OIM joue un rôle complètement différent. Dans un premier temps, elle est liée au programme de désarmement de l'UCK. Ensuite, elle devient compétente en matière de retour et de réinstallation des réfugié-es, fonction qui lui est désormais traditionnelle. En même temps, de nombreux bureaux de l'OIM ouvrent et commencent à travailler comme de véritables agences d'embauche, fournissant ainsi un soutien économique au Kosovo. Parfois ces bureaux organisent le ramassage des ordures, assurent des services de traduction, ou des tâches relevant de l'administration publique. Dans le vide de l'après-guerre, l'OIM s'implante comme substitut étatique.

L'OIM joue un rôle central dans la modification des législations des nouveaux membres de l'UE pour tout ce qui concerne la politique migratoire, en ce compris le contrôle aux frontières.

En France, l'OIM est partenaire privilégiée de l'IHESI, institut spécialisé en sécurité intérieure et vitrine intellectuelle du ministère de l'Intérieur depuis les années '90. Ce couple "migration-sécurité intérieure" en dit long sur l'approche de la France en la matière et sur les politiques qu'elle entend développer… Par exemple, la France a co-organisé un colloque européen en avril 2002 sur la "traite des mineurs non-accompagnés". La conclusion du colloque était claire: plus de répression, plus d'enfermement .

L'OIM et les migration des femmes

Les documents de l'OIM relatifs "au trafic des êtres humains" et particulièrement des femmes sont un mélange complexe relevant pour partie d'une perception honnête de ce phénomène concernant l'horreur des enlèvements, des mauvais traitements, de la réduction en esclavage de femmes et d'enfants, et d'autre part un combat général contre toute forme d'immigration.

A titre d'exemple, dans certains pays de l'ex-bloc de l'Est, des prétendues campagnes d'information sont organisées par l'OIM: à cette occasion, l'OIM tente de montrer aux femmes combien migrer revient à "se jeter dans la gueule du loup". Son intention est d'enraciner des blocages psychologiques vis-à-vis des migrations au cœur même des mentalités pour mieux contrer la volonté de départ des candidat-es.

Bien sûr, il est faux de dire que la majorité des migrantes se destinent au commerce du sexe même si le phénomène existe. De nombreuses études ont montré que les femmes attendent bien plus de la migration: elles veulent avant tout échapper aux persécutions, violences et discriminations, notamment économiques des structures patriarcales dans lesquelles elles sont maintenues.

Depuis les cinquièmes journées mondiales des femmes organisées par l'ONU à Pékin, il existe toute une rhétorique sur le contrôle spécifique des migrations de femmes. Afin de légitimer et d'accroître le contrôle et la restriction des migrations, l'OIM instrumentalise complètement l'anti-patriarcat et le féminisme.

L'OIM condamnée par des organisations humanitaires

Dans un élan unanime assez remarquable Amnesty International et Human Right Watch se sont élevés contre les pratiques et les politiques mises en œuvre récemment par l'OIM, rejoignant ainsi une motion votée à la conférence du HCR en juin 2001. "En tant qu'organisations engagées dans la promotion et la protection des droits de l'homme, nous sommes aussi venus à cette rencontre pour exprimer nos inquiétudes quand à l'impact sur les droits humains de certaines opérations de l'OIM. Plus particulièrement, l'OIM travaille en certaines occasions dans un sens nuisible aux droits humains fondamentaux des migrants, réfugiés et demandeurs d'asile, notamment le droit de ne pas subir de détention arbitraire et le droit fondamental de demander l'asile".

Et ils ajoutent: "Nous sommes conscients du fait que l'OIM joue un rôle croissant dans l'accueil, l'assistance et le retour non seulement des migrants, mais aussi des demandeurs d'asile, des réfugiés, des personnes déplacées de force. Etant donné que l'OIM n'a pas de mandat de protection pour son travail avec les réfugiés et les personnes déplacées, AI et HRW recommandent à l'OIM de s'abstenir de prendre une place de premier plan dans des situations qui tombent en bonne logique sous les mandats de protection d'autres organisations internationales comme le HCR".

Plusieurs ONG se plaignent du fait que l'OIM ne fait aucun travail effectif avec les personnes de retour dans leur pays d'origine. AI et HRW critiquent les politiques de l'OIM qui permettent la perpétuation de politiques et de pratiques étatiques iniques. AI et HRW invitent l'OIM à ne pas se mettre au service d'états peu soucieux de se conformer à leurs obligations concernant les droits humains. Ils rejoignent ainsi de nombreuses voix qui commencent à exprimer le besoin d'une surveillance plus accrue des activités de l'OIM et appellent à un changement dans ses approches et ses pratiques.

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