Arrêté et détenu par l’armée du 5 au 7 septembre 2013, le camarade Haitham Mohamedein des Socialistes révolutionnaires témoigne après sa mise en liberté
Par Haitham Mohamedein, LCR-Web le Vendredi, 13 Septembre 2013

« Ta barbe ne me plait pas...  »

J’étais en route vers la ville de Suez pour rencontrer un nombre de camarades et de travailleurs. Arrivant au point de contrôle 109 sur la route du Suez, un officier de police a ordonné au chauffeur de l’autobus à bord duquel je me trouvais de s’arrêter. Après avoir tourné autour du véhicule, il s’est arrêté à mon niveau, a tapoté contre le carreau et m’a fait signe de descendre. Ce que j’ai fait. Il a demandé de vérifier mes papiers d'identité, je lui ai donné ma carte d’identité et mon carnet d’inscription à l’Ordre des avocats pour prouver mon métier. Il les a examinés puis a commencé à se moquer du carnet et m’a demandé si je suis exclu de l’Ordre des avocats. J’ai répondu par la négative. Il a fait remarquer que le carnet est daté 2011. Je lui ai dit que j’ai laissé le nouveau carnet à l’Ordre des avocats. Il a continué avec ses moqueries puis a commencé à me traiter de manière indécente en posant des questions genre « pourquoi te laisses-tu pousser la barbe ? », « pourquoi tu as cette drôle d’allure ? »… Je lui ai répondu que ça n’avait rien à voir ni avec la loi ni avec son travail, que ce n’était pas son affaire, qu’il n’avait pas le droit de me parler ainsi. Des limites existent  et qu’il doit rester dans les limites de ses fonctions. Evidemment ma réponse ne l’a pas plu. Ensuite ils m’ont emmmené, lui et les éléments de l’ordre en sa compagnie, dans un pavillon de leur point de contrôle. Sans aucun avertissement, ils ont commencé à me fouiller, mettant leurs mains dans mes poches et précédant à une fouille corporelle. Ils ont sorti tout le contenu de mes poches - papiers, téléphone, cigarettes… - et l’ont étalé sur un bureau. L’officier m’a arraché un bloc-notes que j’avais en main et a commencé à le feuilleter en lisant à haute voix le contenu, par le menu. Ensuite il a pris ma carte d’identité, le carnet d’inscription à l’Ordre des avocats et mon bloc-notes et s’en est allé.

« Si on vous bat, ne vous fâchez pas ! »

Un peu plus tard un autre officier de l’armée, ayant le grade de major je crois, est venu pour me poser quelques questions :

-       Vous sortez dans les manifestations et vous jetez des pierres ?

-       Nous sortons dans les manifestations.

-       Donc si nous vous battons, ne vous fâchez pas et si quelqu’un parmi vous se fâche qu’il se tape la tête contre le mur.

J'ai répliqué que nous continuerons à participer aux manifestations bien que nous nous attendons à ce que l’Etat nous réprime par toutes les formes. En outre, dans tous les cas nous ne pouvons pas arrêter les manifestations parce que nous tenons à participer au processus révolutionnaire. Evidemment ma réponse ne lui a pas convenu.

Quelque temps après, l’officier qui a pris mes papiers d’identité et mon bloc-notes est revenu pour passer plusieurs coups de fil ; je ne sais pas à qui. Alors que je m’assoyais à côté du pavillon, un officier est arrivé. Selon l’adjudant de police assis à côté de moi, il est officier de la Sûreté nationale. Je lui ai fait savoir que je ne parle avec eux et ne veux le faire avec lui. Il lui a dit cet homme-là « ne veut pas parler avec toi ni avec la Sûreté d’Etat ». Il n’y a eu aucun échange avec lui.

Après un laps de temps, l’officier qui avait pris mes affaires est venu vers moi en parlant à quelqu’un au téléphone tout en me montrant du doigt de manière volontairement indécente et provocatrice. Je lui ai demandé s’il y avait quelque chose, il m’a tendu le combiné en disant : « Tiens, parle. »

-       Allô

-       Allô bonjour, ici major Mhammed, directeur de Sûreté de Suez, nous nous excusons pour les désagréments.

-       Quels désagréments ?! L’officier au poste de contrôle m’a traité de façon indécente, ce qui n'est pas admissible.... Puis j’ai remis le combiné à l’officier.

Puis après environ deux heures d'attente au point de contrôle pendant lesquelles l’officier n’a pas arrêté de passer des coups de fil, et alors qu’il était prévu de nous conduire à la station de police Faisal, situé à côté du siège de la Sûreté d’Etat à Suez, ils nous ont soudainement transférés au poste de police d’Ataka. Sur place, l’officier qui m’a arrêté a procédé à ma fouille au corps sans autorisation du parquet, sans base juridique et en l’absence de cas de suspicion. Ensuite après avoir vérifié mon identité et les données de ma carte d'identité ainsi que mon carnet professionnel, il a rédigé un rapport dans lequel il indique que je suis membre d’une organisation clandestine dénommée les Socialistes révolutionnaires auquel il a joint mon bloc-notes.

Il a laissé son rapport au poste de police et est parti terminer sa séance de garde au point de contrôle.

Ils m’ont ensuite conduit en détention préventive dans le poste de police d’Ataka.

Le rapport de police

Environ deux heures plus tard, ils m’ont convoqué chez un officier pour rédiger un rapport de police.

-       Est-ce que tu fais partie d’un mouvement politique ?

-       Oui j’appartiens au Mouvement des Socialistes révolutionnaires dont je suis membre du Bureau politique.

Il a commencé par me poser des questions sur le mouvement et ses activités. Je lui ai dit que je ne répondrai à ces questions que devant le parquet.

Il a clôturé le rapport avec la seule question à laquelle j’ai répondu, puis ils m’ont reconduit au centre de détention préventive où j’ai passé ma première nuit.

Il était prévu que je devais être déféré dans les vingt-quatre heures au parquet, délai légal de la détention policière, autrement dit le lendemain de mon arrestation avant quatorze heures.

La veille on m’avait informé que je devais comparaitre le lendemain, vendredi après la prière, devant le parquet. Deux heures, trois heures, quatre heures de l’après-midi sont passées et on ne m’a pas encore transféré au parquet. Personne ne m’a informé des causes de ce retard. J’ai su après, durant les interrogatoires, que le rapport de police a été présenté au parquet en mon absence d'où le retard pour donner le temps au parquet pour demander les investigations de la Sécurité nationale ou de la Sûreté d’Etat. Le rapport de police me concernant a été donc présenté vendredi au parquet qui mentionna la comparution immédiate, donc samedi, et demanda les investigations de la Sécurité nationale.

Samedi j’ai comparu devant le parquet. Sont arrivées aussi les investigations de la Sécurité nationale qui mentionnent mon appartenance au Mouvement des Socialistes révolutionnaires. Mais selon la Sûreté d’Etat je suis un élément des Frères musulmans qui fait de l’entrisme chez les Socialistes révolutionnaires !

Déféré au parquet

Le procureur commence à m’interroger. La première question est très étrange.

-       Qui est Haitham Mohamedein ?

Normalement les interrogatoires commencent par des questions traditionnelles portant sur le nom, l’âge et l’adresse de l’accusé.

J’ai compris qu’il s’agit d’une question politique qui n’a rien à voir avec l’interrogatoire. Je lui ai répondu : « Je m’appelle Haitham Mohamedein, membre du Bureau politique des Socialistes révolutionnaires. J’ai rejoint ce mouvement il y a treize ans en l’an 2000, et j’ai participé à toutes ses activités depuis l’Intifada palestinienne, passant par la guerre contre l’Irak, jusqu’à la campagne de contestation des révisions constitutionnelles en 2004-2005, puis j’ai participé à différentes manifestations et protestations ouvrières et finalement à la révolution égyptienne. »

Il m’a dit qu’il y a beaucoup d’échanges me concernant sur twitter. J’ai répondu que je n’en ai aucune idée étant en détention depuis hier.

Puis commença l’interrogatoire proprement dit.

-       Est-ce que tu fais partie d’un mouvement politique ?

-       Oui j’appartiens au Mouvement des Socialistes révolutionnaires.

-       Comment ce mouvement accomplit-il ses activités et quand est-ce qu’il a été créé ?

-       Il existe depuis la fin des années 1980 début 1990 et a pris part à la plupart des protestations sociales et politiques survenues depuis qu’il est actif en tant que tel.

-       Est-ce que ce mouvement a participé aux derniers évènements (comprendre la révolution égyptienne même s’il ne le dit pas explicitement) ?

-       Le Mouvement des Socialistes révolutionnaires est l’une des forces qui avait appelé et participé à la révolution du 25 janvier et pris part à son organisation et sa direction. Nous nous sommes mobilisé.e.s de toutes nos forces pendant la révolution égyptienne. Nous avons pris part aux différentes protestations, que ce soient les manifestations ou les grèves ouvrières et nous étions aux côtés du peuple égyptien dans la révolution de 25 janvier pour renverser le régime Moubarak et depuis, le mouvement continue sa lutte pour le parachèvement du processus révolutionnaire.

Il m’a demandé si notre mouvement considère que les objectifs de la révolution ont été réalisés. J’ai dit « non » bien sûr. Pour nous, les objectifs de la révolution n’ont pas été atteints, parfois une révolution peut prendre un certain temps, et c’est pour cela que nous participons aux différentes protestations en cours sur la scène politique égyptienne.

Des questions politiques…

J’aimerais parler des questions politiques qui m’ont été posées par le parquet. Il m’a posé des questions qui vont à mon avis au-delà des limites du rapport de l’officier de police.

Il m’a demandé combien de membres compte le mouvement, qui est son président, ses locaux et de nombreuses questions autour de certains sujets précis et détails sur le mouvement des Socialistes révolutionnaires. Je n’ai répondu qu'à certaines de ces questions par ce que je pense possible d'affirmer et qu'elles vont à mon avis au-delà du cadre de l’interrogatoire.

Il y avait aussi des questions sur les idées et les principes des Socialistes révolutionnaires et comment nous apprécions l’important changement survenu. Je lui ai alors répondu de façon nette et précise que pour les Socialistes révolutionnaires le vrai changement réside dans la répartition des richesses dans la société et la consécration des plus larges libertés politiques. Il a essayé par cette question d’arriver à l’idée de « la domination d’une classe sur les autres classes », c’est-à-dire la domination politique de la classe ouvrière sur l’ensemble de la société, et cela pour confirmer le premier chef d’accusation retenu contre moi. Avec d’autres mots, la charge qu’il veut confirmer contre moi est que l’organisation — il utilisait les termes « organisation clandestine » des Socialistes révolutionnaires — vise à imposer la domination de la classe ouvrière sur les moyens de production et sur le pouvoir politique ce qui, en vertu du droit pénal égyptien, est un crime. Il a cherché des réponses de ce genre pour prouver ma culpabilité d’où le caractère purement politique des questions posées.

Une autre question directe : « Est-ce que tu crois que l’Etat actuel prend des mesures qui réalisent les objectifs des Socialistes révolutionnaires ? » Par cette question aussi il voulait arriver à la conclusion que notre mouvement est contre l’Etat et donc prouver la deuxième charge  qui est « vouloir changer la forme du gouvernement par des moyens terroristes ». Je lui ai répondu que le mouvement des Socialistes révolutionnaires a un but principal, celui de réaliser les objectifs de la révolution de 25 janvier concernant le pain, la liberté et la justice et qu’il prendra part à toutes les protestations sociales et politiques du peuple égyptien en vue de réaliser ces objectifs face à tout pouvoir en toute phase de la révolution, parce qu’il s’agit des revendications du peuple égyptien et de la révolution égyptienne.

Une autre question : « Est-ce que les mesures prises par le gouvernement répondent aux aspirations et objectifs de l’organisation clandestine des Socialistes révolutionnaires ? » J’ai répondu que l’organisation des Socialistes révolutionnaires a pour objectif la répartition des richesses dans la société.

Quelle est la relation des Socialistes révolutionnaires avec les Frères musulmans ?

Il y avait d’autres questions sur la relation du mouvement des Socialistes révolutionnaires avec les Frères musulmans et si nous avons voté pour eux à un moment donné. Cela bien sûr en complément des investigations de la Sûreté d’Etat. J’ai répondu que les Socialistes révolutionnaires n’ont pas coordonné avec les Frères musulmans ni n’ont fait alliance avec eux ou rencontré leurs membres depuis 25 janvier 2011 et que nous avons boycotté les élections législatives et le second tour de la présidentielle. J’ai ajouté que nous avons des divergences idéologiques fondamentales avec les Frères musulmans et des divergences politiques radicales concernant leurs choix politiques depuis leur arrivée au pouvoir [élection de Morsi, mandat en juin 2012] et que nous étions parmi les premiers à appeler et à participer aux manifestations de 30 juin et à contribuer à leur organisation pour renverser le pouvoir des Frères musulmans.

Il a posé beaucoup de questions minutieuses à ce sujet en s’arrêtant à des détails tatillons. Puis il a pris mon bloc-notes et commencé à déchiffrer mes notes et inscriptions. Ses yeux sont tombés sur le plan des activités préparatoires des manifestations de 30 juin 2013 qui ont commencé à être mis en place le 18 juin et il m’a demandé « ce que j’en pensais ». « C’est sans doute mon écriture, ai-je répondu. J’étais l’un de ceux qui ont élaboré ce plan avec d’autres représentants d’autres forces politiques. » Il y avait un autre plan, deux pages plus loin, de toutes les manifestations dans les différentes places, le 30 juin même, pour renverser le pouvoir des Frères musulmans et nous étions parmi les forces politiques qui se sont mobilisées de toutes forces pour les dégager en vue de continuer la révolution égyptienne et réaliser ses objectifs.

En tant que socialiste révolutionnaire et avocat des travailleurs, est-ce que tu participes à leurs grèves ?

Il y avait beaucoup de questions qui surgissaient à la lumière de mes notes personnelles dont certaines sur mes relations avec les travailleurs. S’il y a une relation entre mon travail en tant qu’avocat des travailleurs et les idées et principes  des Socialistes révolutionnaires.

J’ai répondu que, en tant que membre du Mouvement, je suis convaincu de ses idées et principes qui ont pour objectifs la réalisation de la justice sociale et la répartition des richesses dans la société en faveur des couches populaires et paupérisées notamment les travailleurs, et en tant qu’avocat, je mets ma profession au service des travailleurs et pour défendre leurs droits.

Il m’a dit « est-ce que tu participes aux grèves des travailleurs qui bloquent le processus de production ? » Je lui ai répondu qu’en pratique je ne peux pas participer à ces grèves, parce que ce sont les travailleurs eux-mêmes qui organisent et dirigent leurs actions. Puis les grèves ne sont pas illégales. Le droit de grève est un droit fondamental protégé par la Constitution et garanti par  le droit du travail et les conventions internationales. Donc en ma qualité d’avocat, je soutiens toujours leurs grèves avec tous les moyens possibles, sachant que les Socialistes révolutionnaires, en tant que mouvement révolutionnaire, nous nous mobilisons avec force pour soutenir ces grèves que nous considérons comme un moyen de réaliser l’un des objectifs de la révolution qui est la justice sociale.

A toutes les questions qui m’ont été posées, j’ai formulé une défense politique que ce soit concernant la révolution de 25 janvier ou les manifestations de 30 juin 2013 visant à renverser le pouvoir des Frères musulmans.

Et l’usage de la violence donc ?

Il m’a demandé si l’« organisation clandestine » des Socialistes révolutionnaires a commis des actes de violence lors de la révolution de 25 janvier. Je lui ai répondu que les Socialistes révolutionnaires ont participé aux côtés du peuple égyptien à la révolution du 25 janvier et ont fait partie intégrante de ce processus. Il a posé la même question une seconde fois en la reformulant ainsi : « Est-ce que le mouvement des Socialistes révolutionnaires préconise l’utilisation de la violence et la force pour atteindre ses objectifs ? » Cette question a été tirée des investigations de la Sûreté d’Etat dont le rapport mentionne que « l’organisation secrète des Socialistes révolutionnaires utilise la violence pour atteindre ses objectifs ». J’ai répondu que ceci n’est pas une fin en soi des Socialistes révolutionnaires mais notre organisation œuvre à ce que les gens puissent changer leurs conditions de vie de la façon qu’ils décident.

Il m’a ensuite cité les chefs d’accusation[1] portés contre moi et qui sont publiés sur le site des Socialistes révolutionnaires parmi lesquels « l’accusation d’avoir fondé et dirigé une organisation clandestine dénommée les Socialistes révolutionnaires qui a pour but de bloquer les autorités et les services de l'Etat… » 

Dans ma réponse j’ai réfuté catégoriquement toutes ces charges qui proviennent de la Sécurité d’Etat, fait savoir nos positions et formulé une défense politique de notre organisation et des forces politiques révolutionnaires.

Pour revenir à l’arrestation, c’est un acte illégal. Il s’agit d’une interpellation arbitraire et d’une fouille au corps illicite faites par l’officier de police au point de contrôle et qui faisait ça avec plusieurs véhicules et personnes, ce que j’ai constaté pendant mon arrestation. Toutes les personnes qui passent par là sont fouillées au corps illégalement. L'officier de police a dit dans le rapport qu’il a procédé à une fouille préventive.  Ce n’est pas vrai car ce qu’il a fait en réalité, c’est une fouille corporelle. Il y avait aussi des arrestations contraires à la loi dont mon arrestation et ma mise en détention dans le poste de police d’Ataka.

Je voulais dire à la fin que je pense, comme le Mouvement des Socialistes révolutionnaires, qu’il s’agit ici de tentatives de terroriser les forces politiques et révolutionnaires pour les dissuader de parachever la révolution égyptienne face au pouvoir militaire en place. Mon arrestation est intervenue dans ce contexte. Je considère que l’interrogatoire était plus politique que pénal, et c’est pourquoi ma défense a été politique. J’ai défendu les positions de notre Mouvement. Dès le début j’ai annoncé mon appartenance au Mouvement et être membre de son Bureau politique. J’ai aussi défendu notre vision des exigences qui permettent de continuer la révolution égyptienne.

De la solidarité qui paye…

Je considère que ces tentatives ne réussiront pas à dissuader les forces révolutionnaires et les masses populaires de continuer leur révolution. J’ai constaté et senti la grande solidarité des forces révolutionnaires que je tiens à remercier ainsi que tous les révolutionnaires et camarades qu’ils soient en Egypte, dans la région arabe révolutionnaire ou n’importe où dans le monde, pour leur large et magnifique solidarité qui, je crois, a grandement influencé la décision du parquet. La réaction des forces révolutionnaires quant à mon arrestation et aux charges préfabriquées par l’appareil des renseignements et de sécurité d’Etat - qu’on voit revenir en pleine activité - est un message clair que les forces révolutionnaires ne resteront pas les bras croisés devant le retour de l’Etat sécuritaire tyrannique et l’Etat militaire. Ces réactions sont un début pour la poursuite des contestations et de la révolution égyptienne.

Je n’ai pu constaté cet élan de solidarité qu’après ma libération. Le premier jour, jeudi 5 septembre, ils m’ont mis en détention préventive, et le lendemain j’ai été placé en détention criminelle après m’avoir refusé la détention politique. Les cellules sont étroites 4 mètres sur 4, invivables. Dans ma cellule s’entassaient quarante-deux personnes, et pour dormir il faut, faute de place, s’allonger sur le côté, personne ne peut s’allonger sur le dos… C’est  pour vous dire les conditions dans la prison du poste de police d’Ataka où j’ai passé les vendredi et samedi.

Leur but était de me mettre sous pression en me transférant de la détention préventive à la détention criminelle. Mais ça ne m’a pas du tout dérangé. J’ai pu écouter les histoires des prisonniers, concernant leurs malheurs et les mauvais traitements qu’ils ont subis de la part de la police ou des membres de la police militaire que ce soit pendant l’arrestation, le transfert ou d'autres moments. Des citoyens égyptiens de différentes provinces. Ce que j’ai remarqué c’est qu’ils s’attendent à une libération de l’extérieur, ils espèrent qu’une révolution vienne les affranchir. Ils considèrent qu’ils ont été emprisonnés arbitrairement et ont la conviction que le pouvoir en place ne va pas les libérer et qu’il les opprime. Ils sont opposés au retour de l’Etat sécuritaire, bien qu’ils ne le disent pas en ses termes, mais parlent du « retour du gouvernement » qui arrête les gens dans leurs véhicules et dans leur maison, le « gouvernement » qui peut vous coller un procès… ils veulent dire la police. Ils sont en colère à cause de leurs conditions de détention, se plaignent de la manière dont ils ont été arrêtés et se posent des questions sur ce qui se passe à l’extérieur, y a-t-il encore des manifestations ? y aura-t-il une autre révolution ? … Ils rêvent du changement, car c’est ce changement qui leur ouvrira les portes. C’est l’espoir de la grande majorité des gens qui étaient en détention criminelle avec lesquels j’ai eu de longues discussions sur mon appartenance politique, les causes de ma détention et pourquoi une « organisation clandestine », pourquoi on m’a mis avec eux, et c’est quoi le « socialisme ». Je me suis trouvé à leur expliquer de façon très simple les idées auxquelles je crois.

J’ai découvert aussi qu’il y avait deux travailleurs parmi les détenus, l’un arrêté pour fraude, l’autre pour une bagarre. Nous avons longuement parlé des conditions des travailleurs à Suez et dans les entreprises où ils travaillent.

C’était une occasion pour moi de découvrir d’autres idées et d’autres cultures dans la prison même où je me trouvais.

A la fin de l’interrogatoire mené par le président du parquet de Suez, avec des prérogatives de parquet de la Cour de la Sûreté d'Etat/état d’urgence  — ce dernier possède la prérogative d’ordonner la mise en détention de l’accusé pendant 15 jours et non 4 jours —, il a appelé les gardes qui m’ont ramené en bas et fait monter dans le véhicule des transferts qui s’est lancé vers le poste d’Ataka. Jusque-là je ne savais rien de la décision du parquet.

Arrivé, ils m’ont conduit à ma cellule. M’étant réveillé très tôt, j’avais bien l’intention de dormir un peu. J’ai parvenu à m’assoupir un court instant jusqu’à ce qu’un agent de police soit venu m’appeler et m’a fait sortir. Là ils m’ont informé qu’une décision de me libérer est tombée. Les procédures administratives remplies, j’ai quitté le poste de police avec quelques collègues avocats qui étaient orésents dès le début, jeudi, puis pendant l’interrogatoire et ont assuré ma défense légale devant le parquet. Je tiens à les remercier énormément.

Vers 21 heures j’étais en route vers le Caire.

Cependant il faut dire que j’ai été mis en liberté mais le parquet de la Cour de la Sûreté d’Etat/état d’urgence reste saisi de l’affaite et peut ordonner un complément d’investigations.

Je conclus par affirmer sans risque de me tromper que le pouvoir en place accable les militants politiques d’accusations graves qui sont du ressort de la Cour de la Sûreté d’Etat/état d’urgence, des accusations qui rappellent l’époque Moubarak et de Sadat avant lui comme l’accusation typique de « création, appartenance à et direction d’une organisation clandestine qui a pour but de renverser les bases sociales de l'Etat », « vouloir changer la forme du gouvernement par la violence et des moyens terroristes », « l’incitation à la domination d’une classe sociale sur une autre », qui sont toutes des formulations infâmes du code pénal égyptien qui, disons-le en passant, sont toutes reprises du code pénal fasciste italien de 1931. Elles sont toujours en vigueur et applicables à toutes les forces politiques qui affrontent le pouvoir.

Traduit de l’arabe par Rafik Khalfaoui



[1] Vous êtes accusé de diriger et d’appartenir à une organisation clandestine dénommée les Socialistes révolutionnaires qui a pour but de bloquer les autorités de l'Etat, d’attaquer les citoyens et de nuire à la paix sociale ;

Vous êtes accusé de promouvoir verbalement et par écrit les fins mentionnées dans le premier chef d'accusation et d’être en possession de tracts incitant à la violence ;

Vous êtes accusé de tentative de changer la forme du gouvernement à l’aide de moyens terroriste à travers l’organisation que vous dirigez ;

Vous êtes accusé d'avoir participé par l’incitation et l'aide à la dégradation des biens de l'Etat, de ses services et institutions publiques visant un préjudice national ;

Vous êtes accusé d’avoir participé par l'incitation et l’aide à occuper un certain nombre de bâtiments et services publics ;

Vous êtes accusé d’avoir fondé et de diriger l’organisation de Socialistes révolutionnaires qui incite à la domination d’une certaine classe sociale sur l'ensemble de la société et vouloir renverser les bases sociales de l'Etat.

Ci-après le témoignage vidéo de Haitama Mohamedein avec sous-titrage en anglais

Voir ci-dessus