La guerre contre l’Iran aura-t-elle lieu ?
Par Michael Warschawski le Mercredi, 14 Novembre 2012

Nous publions ci-dessous un article de notre camarade Michael Warchawski, militant antisioniste en Israël. Ecrit un peu avant les élections étatsuniennes, l'article garde toute sa pertinence en termes d'analyse des rapports entre les USA et l'Etat juif. L'offensive de Tel Aviv contre Gaza cadre parfaitement dans l'appréciation de Warschawski selon laquelle les néo-cons sionistes sont prêts à aller loin dans le bras de fer avec l'administration Obama. LCR-Web

Dans les média israéliens de ces dernières semaines on peut sentir un certain soulagement : l’éventualité d’une attaque préventive contre l’Iran a été repoussée, au moins jusqu’après les élections présidentielles étatsuniennes. Il semblerait que l’administration Obama a été sur ce point et pour une fois ferme dans sa volonté de freiner les velléités guerrières du tandem Netanyahou-Barak.

Voila maintenant plus de deux ans que ces deux personnages ne cessent de répéter que « Téhéran delenda est », qu’Ahmadinedjad préparait un nouvel holocauste, et de menacer d’y aller seuls, voire même contre l’avis de la Maison-Blanche, si Washington continuait à tergiverser. L’Iran comme Grand Satan ? cela n’avait pas toujours été le cas. Pendant plusieurs décennies, l’Iran, ainsi d’ailleurs que la Turquie, ont été des alliés proches de l’Etat hébreu contre un monde arabe considéré dans son ensemble comme une menace et un ennemi.

La révolution iranienne a bouleversé la donne, mais plus encore la nouvelle stratégie de recolonisation du monde menée par les néo-conservateurs dès la seconde moitié des années quatre-vingt. La stratégie globale du ‘choc des civilisations’ et de la guerre permanente et préventive a certes fait son temps aux Etats-Unis, mais elle reste centrale dans la politique des néo-conservateurs au pouvoir en Israël : après avoir identifié dans le terrorisme international le nouvel ennemi global, celui-ci est rapidement devenu le « terrorisme islamiste » pour être finalement réduit à l’islam comme menace civilisationnelle pour l’Occident redéfini comme « judéo-chrétien ».

Le discours radicalement anti-israélien (voire parfois antisémite) des dirigeants de la République islamique iranienne n’indique pas une volonté d’attaquer l’Etat d’Israël, mais un moyen de se positionner comme l’avant-garde de l’anti-impérialisme dans le grand Moyen-Orient. Car, et il est important de le souligner, c’est le Golfe arabo-persique qui est au cœur de la politique extérieure iranienne, et ses véritables adversaires sont l’Arabie saoudite et les pays arabes du Golfe bien plus que l’Etat hébreu. La question palestinienne tout comme d’ailleurs le programme nucléaire ne sont que des moyens pour donner et faire reconnaitre à l’Iran sa place de puissance régionale.

Ce qu'Ehoud Barak et Benjamin Netanyahou se refusent de comprendre, entre autres, c’est que les menaces israélienne font le jeu de la direction iranienne qui est ainsi identifiée comme le symbole de la résistance à l’ordre impérialiste dans la région et comme le seul véritable défenseur des droits nationaux des Palestiniens. Chaque menace proférée à Tel Aviv fait sourire Ahmadinedjad, et les bruits de bottes lui permettent de recréer une union sacrée au moment où la situation économique se détériore rapidement et provoque un mécontentement grandissant dans la population.

Le gouvernement israélien a-t-il réellement l’intention de lancer une offensive militaire contre l’Iran ? Logiquement non. En effet, une telle agression pourrait être catastrophique : en plus des innombrables victimes iraniennes, les conséquences de représailles iraniennes pourraient être dramatiques : même si les frappes israéliennes détruisaient 80% du potentiel militaire iranien, les 20% restant seraient suffisant pour détruire Tel Aviv. Sans parler des milliers de missiles de moyenne portée à la disposition du Hezbollah libanais et qu’il n’hésitera pas à utiliser contre les villes israéliennes si l’Iran était attaqué ; ou encore de la capacité qu’a l’Iran de bloquer les flux pétroliers dans le détroit d’Ormuz, et l’activation de réseaux terroristes dans les pays occidentaux. Il n’est donc pas exagéré de dire qu’une attaque militaire contre l’Iran pourrait être le début de la fin d’Israël. C’est bien la raison de l’opposition non dissimulée de la majorité des services de sécurité à une telle perspective. Si les chefs du Mossad, de la Sécurité militaire et du Shin Beit ne peuvent pas s’exprimer publiquement, ils n’hésitent pas à faire parler les anciens, aujourd’hui à la retraite, comme Meir Dagan, ancien chef du Mossad, qui s’invite régulièrement dans les médias pour mettre en garde contre une offensive qu’il qualifie de suicidaire.

A première vue le couple Netanyahou-Barak se refuse d’écouter ces mises en garde, le premier étant animé par un esprit de croisade (« Un messianisme suicidaire » avait dit Dagan), le second par un ego démesuré et la volonté d’entrer coûte que coûte dans l’histoire comme un grand stratège, alors que jusqu'à présent il n’avait pas vraiment brillé dans ses tâches successives de chef d’état-major et de ministre de la Défense.

S’agit-il, comme le supposent certains observateurs israéliens, d’un grand coup de bluff, ou, au contraire, d’une volonté réelle d’en découdre avec Téhéran malgré toutes les mises en garde des experts ? Il est bon de le rappeler, des dirigeants politiques qui, prisonniers de leur hybris, ont mené leur peuple Ã  la catastrophe, n’ont malheureusement pas manqué au cours de l’histoire, et les mythologies grecques et juives sont pleines d’exemples de ces hommes qui ont provoqué la chute, voire la disparition de leur peuple à cause de cette volonté de puissance irrationnelle et suicidaire.

La question qui se pose, et qui fait débat en Israël, c’est celle des relations entre Israël et les Etats-Unis. L’Etat juif peut-il faire la guerre malgré le feu rouge de Washington ? Est-ce que, comme le disait Ariel Sharon, la queue (israélienne) peut, dans certaines circonstances, faire bouger le chien (américain) ? Ce n’est un secret pour personne, Obama et Netanyahou ne s’aiment pas, et c’est un euphémisme. Le dernier n’a pas hésité à humilier publiquement le représentant de la puissance alliée d’Israël ainsi que ses plus proches collaborateurs, y compris même devant le Sénat américain. Pour le néo-conservateur israélien, un président démocrate et noir de peau est un accident de parcours pour les Etats-Unis, une triste parenthèse qui, heureusement, se refermera prochainement. Pour Obama, Netanyahou est celui qui n’a pas hésité à se mouiller aux côtés de son adversaire Romney dans la campagne électorale, chose qui ne se fait pas entre Etats alliés, et qui ne s’est jamais faite dans le passé. Obama a des comptes à régler avec Netanyahou, et il ne s’en privera pas s’il est réélu, éventualité d’ailleurs rejetée d’un revers de main par les néo-cons israéliens qui ont tout misé sur une victoire du candidat de la droite républicaine, au dam de la majorité de l’électorat juif états-unien.

Si Romney est élu et si les Républicains gagnent aux élections, la politique actuelle, plus favorable que jamais Ã  l’Etat hébreu, se poursuivra. Mais si Obama est élu, ce qui est loin d’être invraisemblable, il y a des chances que le ton monte entre Washington et Tel Aviv. Sans jamais remettre en question l’alliance stratégique qui unit les deux pays, il y a fort Ã  parier que dans son second mandat, Obama fasse preuve de plus de fermeté envers le gouvernement d’extrême droite israélien. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Netanyahou a anticipé les élections : certain de faire un carton et de renforcer encore plus la droite à la Knesset, le chef du Likoud veut pouvoir présenter sa politique et son gouvernement comme l’expression d’un quasi-consensus en Israël.

Il reste la question des lobbys pro-israéliens – évangélistes et, dans un moindre mesure, juif. Sur ce point, il me semble que l’on exagère souvent le poids des lobbys dans la détermination de la politique étrangère américaine ; en dernière analyse c’est l’Etat, c'est-à-dire la Maison-Blanche et les hauts fonctionnaires du Département d’Etat, de la CIA et du Pentagone qui fixent le cap, en fonction de ce qu’ils pensent être les intérêts de ce que l’on appelait, il y a encore dix ans, l’Empire. Or cet Empire est, dans la région, confronté aujourd’hui à d’autres puissances globales (Chine, Russie, Inde) et régionales (Turquie, Iran) ainsi qu’à une longue liste de pays émergents (Afrique du Sud, Brésil, Azerbaïdjan), qui ne voient pas d’un mauvais œil comment Israël force la main à l’ancien Empire et freine ses marges de manœuvre dans la région.

C’est dans ce contexte que l’on doit entendre les appels de l’ancien secrétaire d’Etat à la Défense, de certains généraux américains Ã  la retraite, d’anciens diplomates et de commentateurs prestigieux, à une certaine prise de distance avec Israël. Dans un Moyen-Orient en pleine recomposition, les Etats-Unis se doivent de revisiter leur stratégie, et en particulier leurs liens avec Israël. L’extrême droite au pouvoir à Tel Aviv ne semble pas voir ces nuages qui s’amoncellent à un horizon lointain, ni les effets du tsunami qu’est la révolution arabe et la chute de certains de ses meilleurs alliés (Mubarak, Ben Ali), préférant jouir du soleil qui brille encore sur leur tête. Cette myopie peut expliquer la velléité de s’en prendre à l’Iran et de mener, contre l’avis des experts locaux et internationaux, une guerre préventive dont les conséquences peuvent être catastrophiques, voire fatales, pour l’Etat d’Israël.


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