Le militantisme politique mis à SAC par la Ville de Bruxelles : un signal inquiétant
Par Kyle Michiels le Dimanche, 07 Octobre 2012

Le 13 avril 2012, quelques militants de la cause des sans-papiers pénétraient pacifiquement au siège du Parti Socialiste (PS) pour brièvement y déployer une banderole. Cet endroit avait été choisi devant l’impossibilité de manifester devant le siège du Premier Ministre, Rue de la loi (zone dite « neutre », interdite de toute manifestation). Face à l’inaction des décideurs politiques dans ce dossier, ils souhaitaient rendre public ce qu’ils percevaient comme une profonde injustice.

Bien que l’action se soit passée dans le calme, les militants ont été délogés manu militari puis détenus administrativement, par les policiers arrivés sur place. Quelques mois plus tard, les 6 jeunes arrêtés se virent infliger une sanction administrative communale (SAC) par la Ville de Bruxelles pour « troubles à la sécurité publique ».

Si elle devait se généraliser, cette pratique constituerait un recul significatif des libertés publiques dans notre pays et enverrait un funeste signal à une jeunesse dont on n’a pourtant de cesse de dénoncer le manque d’engagement politique.

S’il est tout à fait normal que les autorités communales exercent leurs pouvoirs de police pour assurer la sécurité publique, il faut, au contraire, s’opposer vigoureusement à tout exercice de ce pouvoir tendant à restreindre les libertés fondamentales d’expression et de manifestation. Les occupations temporaires, accompagnées d’affichages de messages politiques, ont, depuis la naissance de la démocratie, constitué un des modes essentiel d’expression de tous les grands mouvements de contestation, des combats pour l’abolition de la discrimination raciale aux mouvements populaires ayant accompagné la naissance de notre État social, en passant par les luttes pour la paix à travers le monde.

En réprimant durement l’action du 12 mai dernier, la ville de Bruxelles condamne un mode d’expression politique qui constitue une des conditions essentielles à l’existence d’une démocratie dynamique, ouverte au changement et respectant le droit d’expression de tous, indépendamment de leur rapport avec la majorité au pouvoir.

Certes, l’exercice de toute liberté doit se faire dans le respect des droits d’autrui. En particulier, on ne saurait tolérer que l’exercice du droit de protestation serve de prétexte à la dégradation des biens ou à un blocage permanent du siège d’une organisation politique adverse. En l’espèce, tel n’était pas le cas puisque l’occupation, qui n’avait aucune vocation à devenir permanente, s’est limitée au balcon du siège du Parti socialiste et s’est réalisée, de l’aveu même des policiers présents, sans violence ou dégradation aucune.

Ce signal n’est que l’expression plus générale d’une « délictualisation » croissante de l’expression d’opinions politiques divergentes dans notre pays. On se rappellera le cas de Barbara Van Dyck, cette chercheuse de la KUL licenciée pour avoir soutenu une action anti-OGM. Un certain parti politique propose même dans son programme électoral d’interdire, à l’avance (!), toute manifestation dans le quartier Matongé à Ixelles. La Belgique n’a malheureusement pas le monopole de ce genre de pratiques : le parlement québecois a voté la fameuse « loi 78 » limitant les manifestations et grèves étudiantes, et le projet de loi Hinzpeter au Chili. Ces pratiques concourent à dégoûter encore davantage les jeunes et moins-jeunes de la chose publique. Pire, elles deviennent de plus en plus une entrave au militantisme politique.

Quelle que soit l’opinion de chacun sur les revendications de ces divers mouvements, il est du devoir de tout démocrate de s’opposer vigoureusement à toute tentative de limiter l’exercice, déjà fortement réglementé, des droits d’expression politique.

Sur la forme, la décision de la ville de Bruxelles démontre également de manière éclatante les graves problèmes posés par l’application sans cesse croissante des sanctions administratives (SAC) par les autorités locales. En effet, celles-ci ne confèrent pas les protections procédurales garanties par le droit pénal, en particulier en termes d’impartialité et de clarté. Généralement, dans ce domaine, les autorités communales sont nécessairement juges et parties puisque les amendes bénéficient directement au budget communal. Le manque de précision des nombreuses dispositions des règlements communaux est source d’insécurité juridique dans la mesure où il est actuellement difficile de prévoir à l’avance ce qui sera sanctionné, et ce qui ne le sera pas. Enfin, elles sont aussi source d’arbitraire : d’une commune à l’autre, et parfois en fonction de la situation budgétaire de la commune, certains comportements seront poursuivis, et d’autres non. Bref, les garanties d’une justice saine et équitable font défaut.

La délictualisation des opinions politiques via notamment la généralisation de SAC et les problèmes que cela engendre nous posent question. Poursuivre des jeunes émettant des opinions politiques est un choix de société, visant à contourner le débat politique. Une certaine classe politique, plutôt que débattre et écouter les opinions politiques émises préfère la voie de la sanction. Ce choix n’est pas le nôtre. Nous appelons au contraire à remplacer l’administration répressive des communes par le développement d’espaces démocratiques, laissant place au débat et à la contestation.

 

Signataires:

- Kyle Michiels

- de Liga voor Mensenrechten

- Maite Morren (animo)

- Joc Bruxelles

- Dirk Van der Maelen (sp-a)

- Erik Demeester

- Erik Corijn (VUB)

- Jean-Jacques Jespers (ULB)

- Annemie Schaus (ULB)

- Alexis Deswaef (Ligue des droits de l'homme)

- David Mendez Yepez (FEF)

- Aurélie Decoene (Comac)

- Zoé Genot (Ecolo)

- Céline Moreau (Jeunes FGTB)

- Philippe Van Muylder (Algemeen secretaris FGTB Bruxelles)

- Neal Michiels (JAC)

Voir ci-dessus