Le « faux » plus vrai que nature…
Par Freddy Mathieu le Vendredi, 10 Février 2012

Au lendemain de la grève générale du 30 janvier, son image a fait le tour de l’Europe, et même plus loin. Lui c’est François Houart, comédien, militant. « Le Soir » n’avait retenu que « La FGTB avait amené Elio en personne ! Un comédien bruxellois a parodié notre Premier ministre sous les quolibets amusés »… Nous l’avons rencontré en compagnie de Freddy Bouchez, animateur au Cépré, l’ASBL d’éducation permanente de la FGTB Centre[1].

FM. D’abord, il faudrait rendre au Cépré ce qui appartient au Cépré. Freddy, tu peux nous expliquer d’où vient cette idée de produire ce spectacle de rue ?

FB. Ce n’est pas la première fois, dans le cadre des activités de l’ASBL Cépré que l’on utilise l’outil « théâtre-action ». On l’a déjà fait pour sensibiliser et organiser des actions, sur des réalités vécues par les travailleurs sans emploi ; on a popularisé, par exemple, le livre « Paroles de chômeurs » à partir de lectures théâtralisées permettant à des travailleurs sans emploi de devenir les acteurs de leur propre vie…

Par rapport aux mesures d’austérité du gouvernement Di Rupo, on a constitué un « comité d’action contre l’austérité », le constat de départ étant qu’il y a encore beaucoup de gens qui ne sont pas sensibilisés sur le contenu des mesures et de la manière dont cette austérité va les toucher. Dès lors, elles ne se mobilisent pas. Particulièrement toute la couche de travailleurs qui ont (encore) un contrat à durée indéterminée avec un salaire plus ou moins convenable, étant donné que dans un premier temps les mesures ne vont toucher que le chômage, les jeunes, les prépensions, les pensions. Dans le comité d’action on a décidé de créer une campagne de sensibilisation dans les villes et villages de la région. D’utiliser le théâtre-action pour réoccuper l’espace public, les marchés, les places… Au cours d’une réunion du Comité d’Action est venue l’idée de monter un sketch qui met en scène le premier ministre Elio Di Rupo, surtout pour déconstruire les arguments avancés par le gouvernement pour justifier cette austérité qui serait inévitable. Nous, nous disons tout le contraire, cette austérité n’est pas une fatalité !

FM Freddy a dit « déconstruire » le discours dominant… mais ce qui « marche » bien dans ce spectacle de rue, c’est l’imitation, le détournement du discours d’Elio Di Rupo. François, tu commences les phrases comme lui mais ensuite tu dis le contraire de lui ; finalement tu trahis ce qu’il dit, ce n’est pas un peu malhonnête cela ?

FH Dans cette discussion avec les militants, tout le monde disait que le discours lénifiant et manipulateur d’Elio Di Rupo c’est ce qui qui les écoeure. Finalement, c’est le président d’un parti qui s’est fait élire en disant qu’il était le seul à pouvoir s’opposer au « bain de sang social »… Or, avec le plan d’austérité, les gens ici, le bain de sang social, c’est eux qui le prennent dans la gueule et ils se disent, « quoi ? le PS est au gouvernement et Di Rupo est premier ministre, et c’est eux, aujourd’hui les instigateurs du bain de sang social ! » Ils se sentent trahis.

La « déconstruction » du discours dominant est urgente car il fait des ravages chez les travailleurs et même au syndicat : beaucoup partent au combat battus d’avance ou pour un « baroud d’honneur ». C’est la preuve que toute la stratégie de communication d’un homme politique comme Di Rupo, c’est quelque chose d’affiné et qui marche encore sur la population. On a donc voulu prendre ce discours à contre-pied. Ce qui donne un effet assez surprenant car plutôt que d’en faire une caricature de comploteur machiavélique, on en a fait un gars qui dit avec candeur: « on va continuer, pas à pas, à construire l’Europe des banques sur les ruines de l’Europe sociale comme nous le faisons depuis 30 ans.. ». Ça n’a rien de malhonnête car quoi qu’ils disent de leurs « convictions », on sait que partout, quand ils sont au pouvoir par le passé comme maintenant, les partis sociaux-démocrates  font passer de sales mesures en utilisant les mêmes arguments. Ce qu’on voulait faire c’est  déconstruire cette sorte de « pensée magique » qui a gangrené la social-démocratie : la croyance aveugle et dogmatique dans les dieux des Marchés, les financiers comme ceux de l’emploi !  On a fait comme si Elio Di Rupo avait pris une pilule d’ecstasy et qu’il ne maîtrise plus tout à fait ce qu’il raconte et va jusqu’au bout de ses raisonnements, il n’essaie plus d’enrober son discours : « On vous dit :  indignez-vous ? Je vous réponds : résignez-vous ! »

altFM Ouvrons une parenthèse et faisons un parallèle avec la Grèce : on en est au 7ème plan  d’austérité en deux ans et la situation est catastrophique, on parle de début de famine, des études montre les ravages sur la santé, les tendances suicidaires d’une large partie de la population,… c’est ça qui nous attend ? Alors quoi, ils sont aveugles ?

FH Ils ne sont pas aveugles, ils n’ont pas le courage politique d’envisager des alternatives de gauche.Remettre en cause cette dette injuste, ils ne le feront que si on les y oblige. Car comme le dit notre Elio :  « Nous nous sommes volontairement pieds et poings liés à l’Europe des Marchés ! ».

FB Le PS tient depuis longtemps ce discours de résignation. On a parlé de la problématique de la chasse aux chômeurs, je me souviens en 2004, lors d’un débat à Bruxelles organisé par la plateforme « Stop Chasse aux chômeurs », où le président du PS, Elio Di Rupo, nous a dit carrément « votre combat est louable, mais nous, vu les pressions de l’Union Européenne, on ne peut pas faire autre chose que mettre des rustines pour que cela fasse le moins mal possible ». Ils sont persuadés qu’il n’y a pas d’autre politique possible. On peut aussi se demander s’ils croient encore en la possibilité de contrer le capitalisme… Aujourd’hui disent qu’ils défendent ce qu’ils appellent une « économie sociale de marché »

FH D’ailleurs c’est symptomatique qu’Elio ne dénonce que l’ultralibéralisme, les superprofits, les dérives des spéculateurs, etc…pour lui ce n’est pas le capitalisme qui est responsable de la crise mais quelques excès.

FB Mais ce concept d’économie sociale de marché n’a aucun sens. Quand on regarde les politiques menées ces dernières années, on voit bien que le social a été broyé partout. A commencer par les systèmes de Sécurité Sociale, la bourgeoise est entrain de reprendre ce qu’elle a dû concéder au mouvement ouvrier quand le rapport de forces lui était plus favorable.

altFM Est-ce que vous ne croyez pas que les socialistes ont franchi une étape supplémentaire, un saut qualitatif? Au cours des négociations pour la constitution du gouvernement, notamment quand la « note Di Rupo » fait une synthèse des propositions socio-économiques émises par les différents partis, faisant une part belle à la ligne de la NVA qui ne cache pourtant pas qu’elle roule pour le patronat flamand...  On ne reviendra plus en arrière : c’est le « catalogue des horreurs » que le gouvernement veut faire passer en trombe…

Avant les socialistes disaient « sans nous ce serait pire » ou bien « on est là pour arrondir les angles de mesures difficiles », maintenant ils disent « il faut rentrer dedans » et ils accusent les syndicalistes d’être excessifs. C’est la phrase d’Elio Di Rupo aux syndicalistes de la CGSP : « Vous conduisez le peuple vers l’abime »…

Dans la logique de déconstruction du discours dont vous parliez tantôt, n’est-ce pas important de faire prendre conscience aux gens, et en particulier aux syndicalistes, de ce changement assez radical ? Ce n’est plus l’ultra capitalisme qui serait in fine le seul responsable, mais aussi ceux qui défendraient de manière irresponsable leurs droits ; on inverse véritablement les responsabilités… A partir de ce moment-là croire qu’on peut demander au PS d’être un relais politique pour faire passer telle ou telle revendication, c’est fini, c’est de l’illusion.

FH Oui, on inverse tout à fait le discours. Le PS a pu apparaître comme relais politique « naturel » des organisations syndicales pendant longtemps, tant que les gens du PS vivaient encore dans l’idée qu’il y avait des grosses miettes du gâteau capitaliste à ramasser pour les travailleurs. C’est fini. Le libéralisme même, l’idéologie libérale, ont fait des dégâts. Avant il y avait même au PS des gens qui pensaient sincèrement aller cahin-caha vers le socialisme. André Renart a parlé des « Réformes de Structure Anticapitalistes » devant 40.000 grévistes ici à La Louvière en 60.. Mais aujourd’hui on a remplacé ces mots par toute une logorrhée, installée par l’idéologie libérale, de  « saine gouvernance », de « régulation des marchés », d’employabilité… ce sont des technocrates qui sont aux manettes et quand ils sont au PS ils teintent leur discours d’un peu plus de social que les autres.

Avant d’écrire le sketch, j’ai étudié soigneusement de nombreuses interviews de Di Rupo, il y a plein de moments où il dit « je ne suis pas contre le profit, ce qu’il faut simplement c’est qu’il y ait des retombées pour tout le monde ». Mais évidemment quand cette machine-la est en panne -et elle est en panne, comment le nier : après les superbénéfices, la Xème crise est venue en 2008- les gens commencent à douter. Il y a un choc, il y a une opportunité pour amener d’autres idées et les mettre à portée de tous.

FB On est en train de casser la Sécurité Sociale. Chaque fois, ils disent « ce serait pire sans nous » mais chaque fois on accepte des reculs sociaux de plus en plus importants. Si on considère que la conquête de la Sécurité Sociale, c’était une « révolution », ou au moins une réforme sociale majeure, il faut bien constater qu’ils sont passés dans l’autre camp, dans le camp de la contre-réforme libérale. Ce qui est dramatique c’est qu’au niveau syndical, face à cette évolution il y a un certain désarroi.

FH On est dans l’impasse. Il y a un vide. On n’a plus de relais politique naturel.

FB Par rapport à nos revendications, on n’a plus de relais politique. C’est bien clair. Ceux qui étaient considérés comme des amis politiques sont devenus des adversaires. Les seules forces qui portent encore des revendications anticapitalistes se trouvent dans le mouvement syndical, dont des ailes importantes ont aussi radicalisé leurs analyses (par exemple dans la FGTB wallonne). C’est un contexte assez difficile, qui plonge beaucoup de syndicalistes dans le désarroi. Mais à partir de ce contexte nouveau il faut réinterroger les stratégies syndicales : il faut que le syndicat se positionne différemment pas rapport au politique, il faut rompre avec les anciens relais. Il faut en tout cas un mouvement syndical plus offensif qui détermine ses positions en toute indépendance.  Il faut des plans d’actions plus convaincants pour éviter de devoir « atterrir » n’’importe comment. Cela implique que même quand on a perdu une bataille, on continue à se battre pour nos alternatives plutôt que de se jeter sur des « compromis » qui se traduisent en reculs sociaux successifs. Nos luttes doivent être plus déterminées et aller jusqu’au bout.

Propos recueillis par Freddy Mathieu

Publié sur le blog www.debat-syndicats.blogspot.com


[1] ASBL Cépré -Centre d’Education Populaire Régional (Régionale du Centre du CEPAG)- : Le Comité d’action contre l’austérité de l’ASBL CEPRé a été présent dans les rues et sur les piquets de grève, les 28 et 30 janvier 2012, la « joyeuse entrée d’Elio 1er dans sa bonne ville de La Louvière » et la présence du « premier sinistre » à Mons, le 30 janvier…

Prochaine réunion du comité d’action contre l’austérité de l’ASBL CEPRé, qui aura lieu le mercredi 22 février 2012 à 18 h 30, rue Henry Aubry, 23 à 7100 Haine-Saint-Paul (dans les locaux de la FGTB/Centre) – contact : Tél : 064/236173

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