Auto 5, Van Heck Interpieces, Audi Brussels… Les licenciements «sauvages» pleuvent
Par Guy Van Sinoy le Lundi, 12 Septembre 2011

Les prochaines élections sociales se dérouleront du 7 mai au 20 mai 2012. A l’approche de cette période cruciale pour le renouvellement des délégué/es du personnel dans les Conseils d’Entreprise et les Comités pour la Prévention et la Protection au travail, des licenciements « sauvages » pleuvent. Il faut parler de « licenciements sauvages » car il s’agit d’un véritable détournement de la loi sur le contrat de travail de 1978.

La loi sur le contrat de travail (1978) permet à un employeur de mettre fin « normalement » (c’est-à-dire avec un préavis) à un contrat de travail à durée indéterminée essentiellement pour deux motifs : soit le ou la travailleuse ne convient pas (mais c’est pour cela qu’il existe une période d’essai), soit parce qu’il n’y a plus assez de travail. En dehors de ces motifs, et hormis le cas d’une faute grave (qui doit d’ailleurs être reconnue par le tribunal du travail) tout autre licenciement doit être considéré comme abusif et donner lieu à des indemnités qui s’ajoutent au préavis. L’actualité sociale récente montre cependant qu’à la veille des élections sociales, pas mal d’entreprises abusent de la loi pour se débarrasser de travailleurs et de militants combatifs, des deux sexes. Voici quelques exemples.

Auto 5

En décembre 2010, un travailleur d’Auto 5 Waterloo dépose plainte pour harcèlement. A la pause de midi, un collègue avait, par jeu, fait éclater une bouteille en plastique qui l’avait réveillé en sursaut alors qu’il faisait la sieste sur une banquette. Le conseiller en prévention établit un rapport qui conclut à des faits de harcèlement. Giuseppe Di Verde, délégué CNE, est chargé de défendre le travailleurs accusé de harcèlement et il négocie une sanction légère (une note au dossier du travailleurs accusé). Il informe ensuite les autres collègues lors d’une assemblée générale. Donc dossier clos, du moins en apparence.

En plein mois d’août 2011, le directeur général d’Auto 5 ressort le dossier et licencie quatre travailleurs, dont le délégué syndical Giuseppe Di Verde, sans respecter ni la loi ni le règlement de travail. Les quatre travailleurs sont licenciés sur le champ, sans invoquer la moindre faute grave. Giuseppe, le délégué, est licencié pour « insubordination » et la direction propose de payer les indemnités de rupture. Il s’agit donc d’un exemple caractéristique où, à l’occasion d’un incident qui s’est passé il y a plus de 6 mois et qui concernait d’autres personnes, un délégué est chassé du jour au lendemain.

Au cours des semaines qui suivent les militants syndicaux organisent des arrêts de travail sur plusieurs sièges d’Auto 5 à Bruxelles et en Wallonie. La direction obtient des juges, en référé, des ordonnances accompagnées d’astreintes et elles envoient les huissiers aux différents piquets. Le 7 septembre, un accord intervient entre la direction et la CNE : les quatre travailleurs (dont le délégué syndical) reçoivent des indemnités (de 3 à 10 mois de salaire) complémentaires aux indemnités légales. Les quatre travailleurs perdent donc leur travail. Le gérant du siège de Waterloo, qui était à la source de tous les problèmes est déplacé. Lui, par contre, garde donc son emploi. Une victoire ? A votre avis ?

Van Heck Interpieces

Chez Van Heck Interpieces, à Vilvorde, un distributeur pour grossistes en matériel automobile, la répression et un climat de terreur sont instaurés comme méthode management. Fin août, le délégué principal LBC a été licencié sur le champ, avec paiement immédiat des indemnités de rupture. Les syndicats ont organisé une assemblée d’information du personnel pendant les heures de travail (comme le prévoit d’ailleurs, noir sur blanc, la Convention collective n°5, négociée en 1971 au Conseil national du Travail). La direction a multiplié les pressions individuelles sur les employés pour qu’ils n’y participent pas. Seuls quelques-uns sont venus à l’assemblée à laquelle participaient de nombreux ouvriers.

Malgré la présence de quelques cadres, de nombreuses plaintes ont fusé au sujet des pratiques patronales: envoi systématique de lettres recommandées sans avertissement préalable, pénurie de personnel et charge de travail trop élevée, pressions individuelles, durée à rallonge des contrats des intérimaires malgré l’opposition de la délégation syndicale.

Audi Brussels

Chez Audi à Forest (ex-VW) la direction adresse le 1er septembre un mail (en néerlandais, en français, en allemand) aux délégués de toutes les organisations syndicales rédigé de la façon suivante :

«  Chers Délégués syndicaux (sic). Madame Karin Peene a perdu la confiance de la part du SETCa/BBTK, la direction d’Audi Brussels n’a plus confiance en Madame Peene non plus (sic). Nous avons licencié Madame Peene aujourd’hui. Dès maintenant elle ne fait plus partie du personnel. Bien à vous. Jochen Haberland ».

Un mot d’explication. Jochen Haberland, c’est le directeur du personnel chez Audi Brussels. Karin Peene, elle, est employée chez Audi Brussels, déléguée SETCa au Conseil d’entreprise. Une première question aussi. Depuis quand les patrons se permettent-ils d’annoncer le licenciement d’une déléguée syndicale par mail ? Pourquoi pas par pigeon voyageur tant qu’on y est ? La loi est très précise à ce sujet. Si un employeur veut licencier pour motif grave un ou une déléguée syndicale, il doit au préalable :

  • informer le ou la déléguée concerné(e) et son organisation syndicale, saisir le tribunal du travail
  • s’ouvre alors une période de 5 jours ouvrables de négociations et de comparution devant le tribunal du travail
  • s’ouvre ensuite une période de conciliation et une deuxième audience devant le tribunal du travail.

Bref la direction Audi Brussels a brûlé tous les feux rouges, a consciemment violé la loi et se borne à dire à la délégués Karin Peene : « Ma vieille, on t’a assez vue, débarrasse le plancher, dégage et on te paiera les indemnités prévues par la loi ! »

Le mail de la direction Audi Brussels soulève toutefois des interrogations. Qu’en est-t-il exactement en ce qui concerne la « perte de confiance de la part du SETCa-BBTK ». Karin Peene est déléguée syndicale, déléguée au Conseil d’Entreprise et membre du Comité exécutif du SETCa de Bruxelles Hal Vilvorde. Précisons toutefois que Karin était déléguée syndicale car depuis quelques mois son mandat en délégation syndicale lui a été retiré par Miranda Ulens, secrétaire SETCa BHV responsable du secteur Finances, mais qui est aussi en charge de Audi Brussels depuis que la totalité des cinq secrétaires SETCa Industrie ont été bureaucratiquement licenciés en septembre 2010.

Il se fait qu’au sein du Comité exécutif, Karin Peene s’est battue courageusement contre l’élimination des cinq secrétaires du secteur Industrie. Faut-il voir un lien de cause à effet entre le combat mené par Karin au sein du Comité exécutif, le retrait de son mandat en délégation syndical et… son licenciement par la direction Audi Brussels pour le motif que l’intéressée « avait perdu la confiance du SETCa » ? Dans quelle pièce joue-ton ? Le SETCa BHV se rendrait-il complice du licenciement de ses propres délégués ? Si cela s’avérait exact (et nous espérons bien que ce n’est pas le cas !) le SETCa BHV serait alors en train de se préparer un enterrement de première classe pour les élections sociales de 2012 car quel candidat serait assez fou pour se porter candidat sur une liste d’un syndicat qui serait prêt à le jeter en pâture au patronat au moindre désaccord ?

Alertés, plusieurs délégués et militants du SETCa ont interrogé les responsables du SETCa BHV pour savoir ce qu’il en était exactement. il a été répondu qu’il s’agissait « d’une manœuvre de Audi Brussels pour nuire au SETCa » et que « jamais le SETCa ne donnerait son accord pour le licenciement de Karin ».

Comme dit le proverbe, c’est au pied du mur qu’on voit le maçon. On va donc bien vite voir non seulement si le SETCa « ne donnera pas son accord », mais surtout organisera activement le combat pour s’opposer à ce licenciement arbitraire. Jusqu’à présent, les réactions du SETCa BHV sont assez floues face au licenciement d’une de ses propres déléguées.

Mardi 6 septembre, une bonne vingtaine de militants syndicaux (FGTB et CSC) de différentes centrales ont diffusé aux portes d’Audi Brussels un tract unitaire dont voici quelques extraits:

« … Karin a été élue par le personnel, avec plus de 40% de voix de préférence dans son collège électoral. Ce n’est pas à la direction de décider si elle peut exercer ce mandat ou non. C’est vous qui ‘lavez élue, elle est votre représentante dans l’entreprise. Se débarrasser d’elle, c’est aussi vous enlever votre élue et votre vote. A qui cela sert de voter qi ensuite la direction se permet de choisir les représentants aves lesquels elle veut bien parler ? C’est tout le principe de la démocratie économique dans l’entreprise qui est en jeu. Une entreprise comme Audi Brussels, qui a à cœur de jouer le jeu de la concertation sociale, ne peut pas mépriser la règle de base : c’est le personnel qui élit ses représentants et personne d’autre. »

C’est en effet, le principe des droits démocratiques dans les entreprises qui est au cœur de cette problématique des licenciements sauvages de délégués syndicaux.

Le respect des droits démocratiques du personnel

En Belgique, les droits démocratiques des travailleurs dans les entreprises ont été fixés, de commun accord, entre employeurs et syndicats dans les années d’après guerre. Dans le cadre du Conseil national du Travail, des Conseils d’entreprise et des Comité de Sécurité et Hygiène (devenus entre-temps CPPT), le personnel a le droit démocratique d’élire ses représentants. Bien sûr, les patrons peuvent estimer que cela se passait autrement dans l’Espagne de Franco ou au Chili à l’époque de Pinochet. Mais nous ne sommes ni au Chili des années 70 ni en Espagne franquiste.

Aucun patron, aucune multinationale, si puissante soit-elle, ne peut bafouer le droit démocratique du personnel d’élire librement ses propres représentants. Si demain, une multinationale suffisamment riche licenciait tous les délégués de son siège belge en leur payant des indemnités, serait-ce acceptable ? Ce serait aussi inacceptable que lorsque les autocrates tels que Benali et Moubarak muselaient les droits démocratiques en Tunisie et en Egypte par la corruption et la répression.

La place des dirigeants d’entreprise qui bafouent les droits démocratiques du personnel dans leur entreprise est d’ailleurs la même que celle destinée aux Ben Ali et aux Moubarak : en prison ! Car la protection des délégués syndicaux dans les entreprises doit être renforcée. On ne peut se débarrasser d’eux en leur versant des indemnités. Et les sanctions prévues pour les patrons voyous qui violent ouvertement et délibérément les droits démocratiques du personnel ne peuvent se limiter à des amendes. Il faut aussi des sanctions pénales : des amendes mais aussi des peines de prison.


Pétition et rassemblement contre les licenciements de délégués syndicaux !

Représentante du personnel SETCa chez Audi Brussels, Karine Peene a été licenciée le 1er septembre, pour avoir « perdu la confiance de la direction » !

Après Clariant, Auto 5, Van Heck Interpièces, BRC, encore une victime de la période de soldes ! Et dans une des entreprises les plus importantes du pays ! La loi protégeant les représentants du personnel est ouvertement violée par les plus grandes entreprises. La sanction financière ne suffit pas !

La protection des délégués nous importe tous. Comment dire ce qu’on a à dire au nom de nos collègues si l’on craint le licenciement ? Comment défendre nos collègues si nous ne savons pas nous défendre nous-mêmes ?

Contre le licenciement des délégués syndicaux et représentants du personnel ! Mobilisons-nous.

Et donnons-nous rendez-vous pour une manifestation ce mercredi 21 septembre, à 12h, à Bruxelles contre l’employeur-pirate. Le lieu exact vous sera communiqué par e-mail. « NO Discount On Union Activists » : diffusez le plus largement possible !

Pour signez cette pétition : http://10411.lapetition.be/


Voir ci-dessus