Enseignement : Un premier succès. Et maintenant ? Photos et vidéo
Par Jean Peltier le Lundi, 09 Mai 2011

La grève et la manifestation de jeudi ont été deux gros succès, qui reflètent bien le mécontentement qui monte dans les écoles. C’est d’autant plus remarquable que c’est la première grève générale dans l’enseignement depuis… 1996. Et pourtant, depuis jeudi, Simonet n’a montré aucun signe d’ouverture sur les revendications essentielles. Conclusion : il va falloir poursuivre le mouvement et le durcir dans les prochains jours. Mais les directions syndicales sont-elles prêtes à organiser cette lutte ?

Jeudi 5 mai a été un succès sur tous les tableaux : la mobilisation a été massive, dans tous les réseaux, à tous les niveaux et dans toutes les provinces. Les syndicats estiment que 1 enseignant sur 2 a fait grève et que près de 1 sur 10 était à la manif. Dans cette mobilisation tous azimuts, deux faits sont particulièrement remarquables. Le premier est la forte participation des instituteurs et institutrices, beaucoup plus présent-e-s que lors des précédents mouvements. Comme l’explique Charles Malisoux, un militant CSC, « Les choses changent au primaire. Avant, le pouvoir organisateur (PO) tenait sa petite communauté. Aujourd’hui, les pressions et le chantage ne suffisent plus. Les instituteurs se sentent des travailleurs comme les autres »1. L’autre fait important, c’est la grande mobilisation des jeunes profs. Jean-Pol Blockx, enseignant du secondaire libre à Liège, en témoigne : «Nous avons beaucoup de jeunes professeurs qui n’avaient pas du tout la culture de la grève. Il a fallu expliquer à la moitié de la salle des profs ce que c’est une grève ! » (2).

Les syndicats avaient annoncé qu’ils espéraient 5.000 participants. Une estimation volontairement basse, surtout au vu de la montée de la mobilisation les jours précédant la grève et la manifestation. Quand jeudi, à partir de midi, l’esplanade de la gare des Guillemins se couvre peu à peu de rouge et de vert, il est clair que le pari est gagné. A 14 heures quand la manif se met en marche, nous sommes 10.000. Les derniers manifestants ne peuvent quitter l’esplanade qu’une heure après le départ des premiers. La longue rivière serpente dans les rues et sur les boulevards pendant deux heures, passant notamment devant les sièges locaux du cdH (« Tiens, c’est marrant, la camionnette de la CGSP a ralenti, pas celle de la CSC ») puis du PS (« Tiens, c’est marrant, la camionnette de la CGSP annonce que les trains vont bientôt partir et qu’il ne faut plus traîner, tandis que celle de la CSC prend tout son temps ! »).

Dans la manif, le rouge est la couleur dominante, mais le vert est bien présent et il y a de temps à autre des touches de bleu et d’orange. Les revendications les plus présentes sur les pancartes tournent autour du maintien du système de « prépension » des enseignants (les fameuses DPPR) et de l’exigence de vraies augmentations  salariales. Mais elles vont bien au-delà. C’est tout le malaise de la condition des profs qui explose dans cette manif, l’incompréhension, la colère, avec quand même une bonne dose d’humour (voir les photos). On sent que les profs en ont marre de subir les sarcasmes, eux qui bossent dans un climat de plus en plus difficile, où les moyens manquent, où les classes sont surpeuplées, où les bâtiments partent souvent à vau-l’eau,… 50% des nouveaux profs quittent l’enseignement au cours des huit premières années de carrière. Et tous vivent très mal le fait que cela ne soit pas compris. « Je suis prof. C’est-à-dire fainéant, je-m’en-foutiste, gréviste, incompétent, toujours bien payé. Défoulez-vous ! ». Ou (un peu) moins désespéré, mais plus direct « Si c’est si cool, viens me remplacer ».

Du « Circulez, il n’y a rien à négocier » à « Je vais vous trouvez 8 millions »

Pour les directions syndicales, la journée du 5 mai a pour but de faire pression sur Simonet et le gouvernement communautaire pour qu’ils rouvrent les négociations. Mais, interviewée jeudi soir, Simonet douche leurs espoirs. Elle réaffirme que l’enseignement est LA priorité du gouvernement, puis se livre à un long plaidoyer mettant en valeur ce qu’elle avait accompli depuis un an et demi. Mais, sur les revendications des syndicats, elle n’ouvre aucune porte, ni sur les salaires, ni sur les DPPR. Bref, Simonet et le gouvernement ont décidé de faire le mort en attendant que l’orage passe ! Au mieux, on rediscutera dans deux ans pour l'accord sectoriel suivant. Avant cela, rien, nada, schnol, kedal....!

Côté syndical, c’est la douche froide : on attendait un geste, il n’est pas venu. Dans les écoles, la colère gronde. Simonet est au cœur des critiques, le cdH est fragilisé sur un terrain dangereux (les enseignants francophones, ce sont 120.000 électeurs !) alors qu’il plonge inexorablement d’élections en élections et de sondages en sondages. Cela devient intenable pour le parti. Et dimanche vient la surprise. A la télé, Joëlle Milquet, la présidente du cdH, lâche une petite bombe : elle réclame la fin du décret Robin des Bois (ainsi nommé parce qu’il prend des moyens – pour une valeur de 8 millions d’euros – dans des écoles considérées comme « riches » pour transférer dans les écoles les plus pauvres).

Milquet ne s’est concertée avec personne. A première vue, le coup est bien joué. Alors que le cdH est devenu ces derniers jours, via Simonet, le parti des restrictions et des mesures qui fâchent, il se profile d’un coup comme le parti qui défend la qualité de l’enseignement. Et le PS et Ecolo, mis devant le fait accompli, ne peuvent contredire trop ouvertement Milquet, sous peine de passer eux-mêmes pour les « mauvais ». Par ailleurs, Milquet joue sur du velours : elle ne dit rien sur les DPPR, ni sur les salaires – qui sont au cœur de la contestation actuelle mais aussi de la politique gouvernementale - mais elle attaque une mesure « annexe », se faisant forte de trouver 8 millions au fédéral pour compenser ce que coûterait la suppression du décret Robin des Bois. Et, dans la foulée, elle permet à Simonet de faire une petite ouverture de négociation aux syndicats. Bénéfice espéré : redorer l’image du cdH en deux coups de cuiller à pot… et tenter de diviser les enseignants en jouant « ceux qui sont avant tout préoccupés par la qualité de l’enseignement » contre « ceux qui ne pensent qu’à leur salaire et leur pension ».

Mais le jeu est quand même risqué. Parce que la ficelle est un peu grosse. Si on peut, par un beau dimanche printanier, trouver aussi vite 8 millions d’euros pour l’enseignement, c’est que les moyens pour le faire existent. Que le budget n’est pas aussi ultra-serré qu’on le serine depuis des mois. Que tout cela, c’est une pure question de choix politique. Et donc que les enseignants ont bien raison de vouloir continuer à mettre la pression !

La lutte dans l’enseignement, un enjeu pour tous les travailleurs

L’offre d’ouverture de nouvelles négociations par Simonet est dans le même registre que les déclarations de Milquet : on va faire dans le « qualitatif » et surtout dans les bonnes intentions. Simonet propose de discuter comment « revaloriser » le métier d’enseignant, le rendre « plus attractif », lui assurer une meilleure « reconnaissance » via de nouvelles formations, un meilleur soutien aux jeunes profs,… Mais, par contre, rien sur le maintien du système actuel des DPPR ni sur de vraies augmentations salariales – qui sont pourtant deux mesures essentielles pour assurer une meilleure motivation des profs et donc un meilleur enseignement. Ce qui confirme que la suppression de Robin des Bois est une première victoire due à la mobilisation, mais que nos éminences y voient surtout un os à ronger  pour tenter de démobiliser une partie des enseignants.

Il faut bien voir que ce qui se joue aujourd’hui dans l’enseignement est d’une importance capitale pour tous les secteurs. Les mesures anti-sociales à l’égard des travailleurs de l’enseignement ne sont  pas isolées : elles font partie d’une offensive patronale et gouvernementale qui se développe partout contre les travailleurs, du public comme du privé, en Belgique comme dans tous les autres pays d’Europe. Les mesures contre les DPPR sont la suite logique des mesures pour limiter les prépensions du privé dans le Pacte des Générations de 2005. Le détricotage des DPPR et les miettes de la prime de fin d’année sont les échos du rabotage du statut des employés et de la limitation / réduction salariale dans le récent Accord Interprofessionnel (AIP) du secteur privé.

Céder sur l’un ou l’autre de ces deux tableaux reviendrait pour le gouvernement à envoyer aux autres catégories de travailleurs un message on ne peut plus clair : la lutte paie ! On comprend donc qu’il ne bougera que le fusil dans les reins !

Organiser l’escalade, pas le reflux

Jeudi dernier, après la manif, le Front Commun Syndical a donné un délai d’une semaine à Simonet pour qu’elle rouvre les discussions. Faute de quoi, il annoncera jeudi de prochaines actions.

On aimerait être convaincu de la volonté de lutte des directions syndicales mais, au vu de ces annonces, on a le droit d’avoir déjà de sérieux doutes. Si Simonet entrouvre réellement une porte, le FCS s’engagera dans des discussions en suspendant les actions. Mais, comme elle et ses acolytes n’ont aucune envie de faire des concessions sérieuses sous la pression de la rue, ils vont faire traîner les choses en longueur et les syndicats n’auront plus la possibilité de possibilité de mobiliser parce qu’on sera en juin. Si Simonet ne bouge pas suffisamment,  le Front Commun annoncera des actions. Bien ! Mais le temps ensuite que la CGSP, la CSC-Enseignement et le SLFP accordent leurs violons, que les Assemblées locales valident,… on se retrouvera le nez sur les congés de l’Ascension et la Pentecôte, les révisions et les examens. Dur, dur d’organiser une mobilisation de grande ampleur aussi tard.

Mais il est fort possible que les directions syndicales n’aient déjà plus l’objectif d’organiser de grosses mobilisations. Eugène Ernst, le n°1 de la CSC-Enseignement, a déclaré immédiatement après la manif que les nouvelles actions seraient « étalées dans le temps », « plus ciblées » et « sans doute pas aussi dures que la grève ». Traduction, svp ? Veut-il revenir aux actions symboliques, du style 50 délégués vont « réveiller » la Ministre Simonet à 7 heures du matin avec des croissants pour lui dire que l’enseignement ne va pas bien et que les profs aimeraient qu’elle fasse un p’tit geste ? Soyons sérieux : face à un blocage complet du gouvernement francophone, peut-on construire un meilleur rapport de forces en organisant la désescalade après la première action ?

Pascal Chardonne, le n°1 de la CGSP-Enseignement, a lui aussi évoqué d'autres actions que la grève sans en dire plus. Lesquelles? Mystère... Le temps presse. Pour mettre la pression sur Simonet, il va d’abord falloir la mettre sur les responsables du Front Commun ! Il faut que militants et délégués organisent une pression forte et rapide sur les directions syndicales pour imposer rapidement une nouvelle journée d’action et de grève… et planifier une véritable escalade, qui tienne compte des contraintes mais qui ne laisse pas la possibilité au gouvernement de passer entre les gouttes. Concrètement, en tenant compte effectivement du calendrier, cela veut dire organiser de nouvelles actions rapidement, comme par exemple une tournante de grèves avec manifestations dans chaque  province : menées avec détermination, elles permettraient au total d'arriver bien au-delà des 10.000 manifestants de ce jeudi.

Et cela veut dire aussi préparer sérieusement la poursuite du combat si cela ne suffit pas. Cela n’a rien d’utopique. En 1990, le mouvement avait  commencé au printemps, avait été provisoirement suspendu pendant l’été (mais des rencontres mobilisatrices avaient continué pendant les vacances) et avait repris à l'automne. Ce long mouvement n’avait permis d’obtenir qu’une partie de ce que réclamaient les enseignants, mais il a montré qu'on pouvait avoir une phase d'action avant les vacances et une phase après (mais, pour cela, il faut évidemment avoir d’abord la phase avant !). Et ce long mouvement, plein de rebondissements et d’innovations, a surtout permis d’ouvrir un débat "intersyndical" sur l'école qui n’existait pas avant et qui n’a plus eu cette ampleur par la suite. Les enseignants sont rentrés en classe "avec le moral", forts de ce débat et d'une expérience de lutte avec piquets croisés entre écoles (souvent de réseaux différents), création de coordinations locales extra-syndicales,...

C’est de ce genre de mobilisation que nous avons besoin aujourd’hui pour faire reculer un gouvernement cramponné à une politique d’austérité qu’il veut faire payer aux enseignants, mais aussi aux élèves et à leurs parents. Et c’est ce genre de détermination qui peut permettre aux enseignants de gagner la sympathie et le soutien actif d’une large partie de la population – en particulier, ceux qui, travailleurs et chômeurs, font eux aussi les frais de cette même politique gouvernementale.

(1) Le Soir, 6 mai 2011

(2) La Meuse, 6 mai 2011

Reportage photo et vidéo de la manifestation du 5 mai à Liège








































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