Le Mondial d'Afrique et du fric
Par Guy Van Sinoy le Jeudi, 01 Juillet 2010

L'organisation de la Coupe du Monde de football (la vitrine sportive la plus lucrative du monde) en Afrique (le continent le plus pauvre de la planète) est un symbole. En 1974, l'équipe du Zaïre avait été la première équipe d'Afrique noire à participer à la phase finale de la Coupe du Monde, en Allemagne, où elle avait perdu ses trois matches. En 1990, les Lions indomptables du Cameroun ont failli éliminer l'équipe d'Angleterre en quarts de finale. Aujourd'hui, sur la planète foot, le continent africain est devenu une puissance respectable. Mais  cette Coupe du Monde en Afrique du Sud est-elle  l'occasion de contribuer au développement du continent africain ?

Les grands absents des stades

Alors que six pays africains ont participé à la phase finale de la Coupe du Monde 2010 (Afrique du Sud, Algérie, Cameroun, Côte d'Ivoire, Ghana et Nigeria) presque tout les pays émergents étaient absents, si l'on excepte le Brésil qui est toujours là au Mondial. La Chine n'était pas là, pas plus que l'Inde, ni la Russie, ni l'Indonésie, ni bien d'autres. Au total, plus de la moitié des habitants de la planète ont dû se résoudre à soutenir une équipe nationale qui ne représentait pas leur pays.

Mais les pays émergents n'étaient pas seulement absents du terrain et des vestiaires. Ils ont aussi été absents de la construction des stades, alors que pour la Coupe d'Afrique en Angola, en avril 2010, les entreprises chinoises avaient quasiment construit toutes les infrastructures sportives. Rien que pour la Coupe du Monde, près d'un milliard de dollars a été investi dans des travaux pharaoniques de construction de cinq nouveaux stades et d'agrandissement de cinq autres. Le groupe allemand GMP (Gerkan, Marg und Partner) et le groupe Sud Africain Murray & Roberts ont réalisé une bonne partie des infrastructures sportives.

Les travailleurs sud-africains seront aussi en grande partie absents des stades. En juillet 2009, 70.000 ouvriers du bâtiment occupés à la construction des stades, payés pour la plupart 225 euros par mois, ont fait grève pour arracher 15% de hausse de salaire. Certains travailleurs ne recevaient que 4 euros par jour de travail. La toute grande majorité de ces travailleurs n'ont pas eu les moyens de s'acheter un billet pour suivre un match important.  Pour la finale, une place sur un bon siège représente près de 7 mois de salaire! Que deviendront ces stades une fois la Coupe du Monde terminée est évidemment une bonne question dans un pays où 7 millions d'habitants vivent encore dans des bidonvilles.

Equipementiers: la bonne affaire!

Au niveau des équipementiers (chaussures, maillots) les grands occupent évidemment une place de choix dans le partage du gâteau. Les firmes allemandes Adidas  et Puma équipent respectivement 12 équipes (dont l'Allemagne, l'Argentine et l'Espagne) et 6 équipes (dont l'Italie) L'américain Nike est le fournisseur de 9 équipes (dont le Brésil, le Portugal et les Pays-Bas). L'équipementier espagnol Joma devant se contenter d'une seule équipe (Le Honduras) et l'italien Legea de la seule Corée du Nord.

Adidas, qui a racheté Reebok en 2006, produit aussi le Jabulani, ballon officiel de la Coupe du Monde sud-africaine, et a déjà vendu 13 millions d'exemplaires de ce ballon depuis le début 2010. En outre, au premier trimestre de cette année Adidas a déjà vendu 6,5 millions de maillots aux couleurs des équipes sous contrat. Adidas emploie 2.400 personnes en Allemagne et près de 40.000 dans le monde. Devinez où sont fabriqués, les ballons, les maillots et les chaussures…

Quand la FIFA rafle le magot

De son côté, la Fédération internationale de football (FIFA)  a négocié sous sa propre régie la vente aux chaînes TV des droits de retransmission des matches (1,2 milliards d'euros de recettes). Mais il serait naïf de croire que la FIFA s'est contentée de cela. Les vendeurs  de rue ont été chassés des abords des stades et des grands axes par une milice privée payée par la FIFA afin de lutter contre le "marketing insidieux", c'est-à-dire la vente de boissons et de nourriture par une autre voie que celle des sociétés commanditaires de la FIFA (McDonald's, Coca-Cola, Budweiser, etc.). Au total, l'événement a généré 3,3 milliards de dollars de revenus pour la FIFA.

Une compétition taillée sur mesure pour l'élite européenne

Sur la planète foot, l'Europe occupe une place de choix. Non seulement parce que la moitié des équipes qui participent sont européennes, mais aussi parce que beaucoup des grands joueurs sud-américains, et quasi tous les Africains, jouent dans des clubs européens qui entretiennent des équipes de foot dotées de budgets colossaux. L'Afrique fait désormais partie de cette immense machine à sous, mais elle ne contrôle rien.

Le tournoi est donc façonné par et pour l'élite européenne. Le fait qu'il se soit déroulé en Afrique du Sud en juin et en juillet (c'est-à-dire localement, en hiver) signifie dans des conditions climatiques favorables aux équipes européennes, mais aussi dans des fuseaux horaires propices à la retransmission des matches en direct.

Si la Coupe du Monde s'était déroulée au Nigeria, non seulement les conditions climatiques auraient été autres, mais l'équipe nigériane aurait sans doute  été portée par une vague de ferveur populaire, ce qui n'était pas possible en Afrique du Sud où, du temps de l'apartheid, le football était considéré comme un sport "noir" (par rapport à des sports tels que le cricket ou le rugby) et recevait peu de moyens.

L'économie de marché appliquée au trafic d'êtres humains

Dans un monde où tout se vend et tout s'achète, des entrepreneurs créent des écoles de football en Afrique pour former de jeunes joueurs et puis les vendre aux clubs européens. Ce système a des conséquences sur la composition des équipes pendant le Mondial car les meilleures équipes d'Afrique doivent être assemblées à partir de joueurs éparpillés dans toute l'Europe et qui n'ont souvent pas l'occasion de jouer ensemble. Mais cela va même plus loin. Le Ghana  possède peu de buteurs car le pays est surtout connu pour la qualité de ses joueurs de milieu de terrain, c'est-à-dire pour ce que le système a produit. Les équipes d'Afrique doivent donc se débrouiller avec ce que les pays riches veulent tirer d'eux.

La toute grande majorité des joueurs africains ne finissent pas superstars dans des clubs prestigieux tels que Chelsea ou Barcelone. La plupart se retrouvent dans des coins perdus d'Europe, puis sont échangés contre de petites sommes d'argent par des clubs en manque de fonds qui cherchent des footballeurs de qualité. Ils représentent une sorte de lumpen prolétariat du football professionnel. Ils débarquent en général très jeunes dans des endroits dont ils ne savent rien et où le racisme est rampant. Aujourd'hui, les joueurs africains représentent la majorité des professionnels en Roumanie, et plus d'un tiers en Suisse et en Ukraine. La main-d'œuvre africaine est désormais incontournable pour le menu fretin des championnats européens. Sur le plan du football, comme sur le plan de ses matières premières, l'Afrique est donc considérée comme une mine d'or ouverte au pillage. Et de ce point de vue, le Mondial est non seulement un événement planétaire générateur de profits colossaux pour une petite minorité. Il est aussi le miroir d'un système économique vorace que l'on nomme capitalisme.


La p'tite entreprise… connaît pas la crise

L'équipe qui remportera le trophée de la FIFA, repartira avec une coupe en or de 18 carats pesant 6 kilos, dans une luxueuse valise de marque Louis Vuitton. La marque (bagages, sacs, montres, ceintures, agendas, bijoux,…) ne parraine cependant aucune équipe nationale. Elle n'en a pas besoin car même sans le foot les affaires de Louis Vuitton tournent rond: 16,5 milliards d'euros de chiffre d'affaire en 2009 (+2%). Les ventes feront certainement un bond en avant le soir de la finale, lorsque le représentant de Vuitton sortira de la valise la coupe du monde devant un milliard de téléspectateurs. Vuitton prépare soigneusement ses campagnes publicitaires avec un casting soigné: Madonna, Jennifer Lopez, Keith Richards, André Agassi, etc. Pour le Mondial, Zidane, Pelé et Maradona posent sur une photo publicitaire dans un café où ils ont déposé leurs bagages (Vuitton)  le temps d'entamer une partie de baby-foot.


Vuvuzela… c'est pas fini !

La Chine ne s'est pas qualifiée pour la Coupe du Monde de foot, mais elle s'est assurément qualifiée pour la fabrication à grande échelle de la vuvuzela, cette trompette en plastique, on ne peut plus simple et on ne peut plus bruyante. Neuf vuvuzelas sur dix sont en effet fabriquées en Chine. "Depuis le début de la Coupe du Monde, les ventes ont explosé", a déclaré Shi Xinqqing qui tient une boutique dans le marché de gros et une autre sur un site internet.  'J'ai plus d'une centaine de commandes par jour, c'est incroyable!" Depuis le début du Mondial, les usines chinoises tournent à plein régime et on frôle la rupture de stock.

Au détriment de la santé de nos oreilles, la mode vuvuzela risque de ne pas se clôturer avec la fin du Mondial car les importateurs ont déjà trouvé d'autres clients: fans de sport, joyeux fêtards, mais aussi organisations syndicales! Des vuvuzelas dans les rues de Bruxelles le 29 septembre prochain lors de la manifestation syndicale organisée par la CES? C'est plus que probable!

 

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