Le mouvement de Qatif, entre théorie et pratique
Par Fatima Ali le Vendredi, 09 Août 2013 PDF Imprimer Envoyer

Le mouvement révolutionnaire de Qatif ne relève pas seulement d’un changement social ou d’un moyen de pression. Il transforme aussi les consciences. Ceux qui contribuent à la construction du mouvement révolutionnaire acquièrent à leur tour de la confiance, la connaissance et la contre culture opposée à la culture dominante. Le mouvement a eu un résultat clair : toutes les élites en place ont perdu leurs attributs et aujourd’hui émergent de véritables directions à travers la lutte dans la rue qui dessinent la voie vers un futur prometteur. Celui qui veut prouver la justesse d’une méthode, d’une pensée et d’une théorie se doit de les mettre en pratique et prouver leur faisabilité concrète, dans le mouvement et dans la rue. Quant à ceux qui prétendent à la neutralité, ils sont en réalité les apôtres de la partialité. Car la neutralité dans une ère d’injustice et d’oppression est un parti pris pour le pouvoir despotique. C’est pourquoi nous ne nous fions à aucun parti, courant ou élite qui se lave les mains des intérêts des travailleurs et de leur désir de se libérer de leurs chaînes. Nous nous fions uniquement aux directions réelles sur le terrain qui luttent pour changer le statu quo.

Nous savons que les niveaux du mouvement réel sont disparates d’une région à l’autre. La région de Qatif a parcouru un long chemin dans son combat pour la justice et ne peut être comparée avec le mouvement des autres régions qui ont besoin de davantage d’organisation, bien qu’elle ait commencé à bouger à un rythme accéléré.

En tant que militants, nous nous devons de contribuer sérieusement à élargir les perspectives de lutte, depuis la question des détenus jusqu’à d’autres questions fort diverses, dont les plus importantes sont le confessionnalisme, l’exploitation, l’oppression de la femme et la justice sociale.

La grogne populaire dans le royaume

De nombreuses couches sociales et quelques intellectuels ont fait bon accueil aux décisions du roi Abdallah d’injecter des fonds considérables destinés au peuple en 2011, sous forme de donations et de subventions aux institutions de l’Etat. Cet engouement reflète le haut niveau de confiance placée dans l’ère réformatrice du roi Abdallah depuis sa prise de fonction et ses tentatives pour soutenir la politique d’ouverture politique et économique interne et externe. Mais si nous nous reportons aux chiffres, nous constatons que toutes ces politiques, tant intérieures qu’internationales, n’ont eu aucun impact positif pour le citoyen. A titre d’exemple, depuis que le gouvernement a mené la politique de « saoudisation Â» des emplois, sous le nom de « secteurs Â» (un programme qui évalue les performances des entreprises en fonction de la nationalisation des emplois et les classe sous des catégories « excellent Â», « vert Â», « jaune Â» et « rouge Â») le chômage est passé de 10 à 12%. Donc l’Etat n’a pas apporté de solution radicale au problème. De surcroît, il a mis en place une politique raciste et répressive à l’encontre des immigrés ! Quant aux chômeurs, ils sont évalués à trois millions alors que ceux qui sont inscrits dans les programmes d’aides aux chômeurs dans le cadre d’un projet nommé « incitation Â» par le ministère du Travail ne sont que 850 000 citoyens ! Un simple coup d’œil aux niveaux d’inflation en comparaison des salaires permet de constater que le taux a augmenté pour atteindre les 700% depuis l’année 1980 tandis que les salaires n’ont progressé que de 65%, ce qui fait de l’Arabie saoudite le pays du Golfe le plus à la traîne sur la question des salaires.

Le nombre de pauvres est de quatre millions, même après la création du fonds anti pauvreté instauré par le roi il y a des années. Le décompte de ceux qui sont en dessous du seuil de pauvreté n’a pas changé en dépit des fonds considérables injectés par l’Etat en 2011 et en dépit de la décision positive prise par le roi de fixer un salaire minimum de 3000 riyals. Mais reste insuffisant. En effet les études de la commission ouvrière dirigée par Nidhal Radhouane indiquent que le minimum devrait être de 5800 riyals. Le ministre du Travail a déclaré à la suite de cette étude que « pour l’instant il n’y a pas de salaire minimum dans le secteur privé et le patron a le droit de passer un contrat avec l’employé au salaire qui satisfait les deux parties ». Nous pouvons donc en déduire qu’il n’y a pas de salaire minimum. Le ministère du Travail a rejeté l’étude de Monsieur Radhouane, la considérant illégitime et estimant qu’il fallait réaliser une étude basée sur la politique du ministère !

Quant aux projets d’habitat adoptés par le royaume après le printemps arabe visant à anesthésier le mouvement révolutionnaire et des droits de l’homme qui s’exacerbe dans les régions du pays, ils ne concernent pas la plupart des régions, à l’instar de celle de Qatif. Les prêts fonciers émis par le gouvernement pour soutenir le logement restent bloqués dans une longue liste et le citoyen devra attendre 10 ans pour que vienne son tour. En fait, il n’y a pas de mécanisme clair et efficace ni de programme concret pour ce projet aléatoire.

L’illusion de la réforme politique

L’arrivée d’une femme au Conseil de la Choura a créé la surprise générale, quand bien même elle signifie aussi l’arrivée des princesses et des femmes des familles bourgeoises aisées à ces postes, qui ne sont pas soumis à l’élection, mais à une nomination par décret royal. Mais le conseil est dépourvu de prérogatives, il s’agit d’un simple conseil consultatif, et non législatif ni exécutif. Même après la désignation de femmes en son sein, il ne pourra apporter de solution au problème de la violence contre la femme ! Or une femme sur cinq est victime de violence conjugale et une autre étude indique qu’un tiers des femmes en Arabie saoudite subit la violence masculine. Ce que subissent les femmes ne vient pas de nulle part, mais du système politique qui perpétue la violence à travers l’utilisation de textes religieux classiques pour imposer la tutelle de l’autorité, à commencer par celle du mari, pour finir par celle du sultan. L’écrivaine Hutoon Alrasheed écrit dans un article : Â« quand la femme violentée dépose une plainte au poste de police, elle doit affronter en règle générale deux éventualités, soit la plainte est rejetée du fait de l’absence du tuteur ou d’un mahram [1]et peut-être que l’agresseur est le tuteur lui-même ! Soit la plainte est acceptée, mais il ne s’ensuit pas de sanctions à l’encontre de l’agresseur, comme cela a été le cas pour Fatima Chahri. La sanction maximum serait de lui faire signer un engagement formel à ne plus recommencer. Alors la femme violentée a deux options, soit de retourner auprès de celui qui la violente, ou, -si sa famille lui oppose une fin de non recevoir,- elle est écrouée ou placée dans une maison de protection avec interdiction d’en sortir jusqu’à ce que la justice statue dans son affaire, ou que le tuteur-agresseur lui accorde son pardon ! Elle affrontera la sanction judiciaire. La difficulté d’avoir recours à la justice, même si tous en pâtissent, est pire pour la femme violentée. Son destin et celui de ses enfants, – si elle en a,- est suspendu au jugement à sa rapidité et à sa justice.

Le conseil ne peut pas non plus adopter de projet autorisant la femme à conduire une voiture. Lorsqu’une des membres a proposé une collecte du plus grand nombre de signatures pour que les femmes aient le droit de conduire une voiture, une autre membre s’est attaquée à nous, promettant d’en récolter trois fois plus contre ce droit ! Par la suite, nous avons vu comment de nombreuses femmes ont conduit leur voiture pour protester contre cet interdit et tenter de briser sa légalité.

Le salaire féminin moyen est de 3900 riyals contre 6400 pour les hommes et en raison des lois opposées à l’emploi des femmes, ces dernières ne représentent que 14% de la classe ouvrière et forment la majorité écrasante des chômeurs.

En ce qui concerne les chiites de la région orientale, les politiques confessionnelles se multiplient de façon délibérée. Les forces de la sûreté encerclent les lieux de culte et les chiites voient des restrictions à l’exercice de leur culte. Les permis de construire des Hosseiniyeh [2]ne sont pas données alors que l’Etat dépense plus de 200 millions de riyals par an pour construire, entretenir et ravaler les mosquées sunnites, sans parler de la souffrance des enfants et des étudiant(e)s dans les écoles, à cause du harcèlement confessionnel, et d’autant plus qu’ils étudient un programme qui ne représente que la confession sunnite. Embrasser la confession chiite est considéré comme une infraction par l’article premier des « règles d’organisation et de conduite Â» : Â«  embrasser les doctrines subversives ».Les chiites sont exclus de diverses possibilités de carrière et ils sont harcelés. Qatif, par exemple, est implantée dans un site géographique de haute importance, doté de ressources pétrolières et agricoles non négligeables. Pourtant, la région n’en a récolté que la pollution. Les logements de tôle sont partout, les services y sont précaires et les autorités fuient leurs responsabilités envers la région ;

La commission anti-corruption mise en place par le roi Abdallah ne parvient toujours pas à arrêter les responsables de la misère et de l’exploitation. A titre d’exemple, le prince Khaled Al Fayçal était en poste lors de la première inondation de Djedda ainsi que de la seconde. Les inondations de Djedda reflètent l’insuffisance des infrastructures de drainage des eaux pluviales et une grande corruption dans les transactions du gouvernement avec la bourgeoisie locale. La première et la seconde inondations ont eu en commun le sauvetage des princesses par hélicoptère, tandis que les pauvres et les opprimés mouraient noyés dans les taudis délabrés. Il n’y eu ni ministre, ni Khaled Al Fayçal, ni aucun symbole de l’autorité pour être jugé et interrogé par la commission anti-corruption !

La grogne populaire augmente de façon exponentielle, mettant en échec les tentatives de militants réformateurs d’offrir des solutions, excepté par des arrestations ou des signatures de pétitions ou encore des missives comme « les demandes des jeunes au Gardien des Lieux Saints Â», « pétition pour un Etat de droit et des institutions Â», « message du 23 février Â» ou encore « déclaration de réforme nationale Â». Aucune n’entraînera de changement radical. La solution est entre les mains des manifestants de rue. Les tentatives de mendier le pouvoir ont été remplacées par des tentatives d’auto-organisation et de revendications de droits passant par la confrontation et la lutte.

Les derniers développements de la politique de la monarchie

Le gouvernement saoudien est confronté aux défis du printemps arabe ! Le mouvement s’étend à toutes les provinces, y compris à la ville de Jawf au nord et à la Mecque à l’ouest. Il constitue un défi évident au système, d’autant plus avec l’échec de la classe dirigeante à le réprimer et à y mettre fin. Cela a conduit à des changements d’envergure de la structure politique de la monarchie. Le prince Saoud Bin Nayef a été nommé prince de la région orientale, à la place du prince Saoud Bin Fahd, qui s’est avéré incapable de réprimer les manifestations à Qatif.

De même, le prince Khalid Bin Bandar Bin Abdelaziz a été désigné à la mort du prince Satam prince de Riyad. La classe au pouvoir comprend bien qu’il y a un mouvement qui monte rapidement. Toutes les nouvelles nominations ont été faites dans une optique sécuritaire. Le prince Khalid Bin Bandar était le commandant des forces terrestres et il est maintenant prince de Riyad tandis que le prince Saoud Bin Nayef était vice-ministre de l’Intérieur et son frère Mohammad Bin Nayef est le nouveau ministre de l’Intérieur ! Une fois, le roi a laissé entendre que : « Ces fauteurs de troubles méritent plus que la prison » Cette déclaration révèle le niveau d’impuissance sécuritaire au sein de la classe dirigeante. Quant au prince Khalid Bin Bandar, l’une de ses premières réalisations fut l’inauguration de patrouilles communes entre la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice et le ministère de l’Intérieur, intitulées « sécurité intellectuelle » en tant qu’ Â«  exigence importante pour la stabilité du pays ». Par la suite, la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice a commencé à jouer un rôle politique direct, en assurant une présence visible devant les mosquées d’où partent les appels à rassemblement, comme la mosquée Rajhi, et contre le soulèvement des étudiants à l’université du Roi Khalid et autres.

Tous ces développements augurent d’une période de répression, de meurtres et de despotisme, qui voient disparaître tous les prétextes inconsistants et les illusions fragiles sur les velléités réformatrices du régime à savoir que l’âge d’or de la monarchie signifiait les changements radicaux voulus par le roi.

Or le roi lui-même prend une position explicite contre les révolutions arabes et contre le mouvement révolutionnaire local, par ses déclarations officielles, par les arrestations en série qui ont englobé un grand nombre de militants, et qui n’épargnent pas les femmes qui ont fait des sit-in devant la prison de Qassim. Elles ont toutes été arrêtées pour avoir exigé la libération des prisonniers d’opinion. Nous pouvons déduire de tout cela que l’escalade sécuritaire n’a eu pour corollaire que la montée en puissance du mouvement qui gagne toutes les provinces.

Le mouvement de Qatif

Le mouvement révolutionnaire de Qatif est apparu dans la foulée du printemps arabe, après qu’un stade critique ait été atteint par toutes les options basées sur la négociation avec le pouvoir et qui n’ont pas abouti.

Le premier mouvement de protestation exigeait la libération des « neuf oubliés Â» dans les pénitenciers du pouvoir. Avec les manifestations qui allaient croissant et l’augmentation de la répression, les arrestations arbitraires et la violence, les revendications sont passées de cette revendication unique (la libération des prisonniers) à un mouvement révolutionnaire exigeant la chute du régime. Les slogans se sont diversifiés, allant de la solidarité avec la révolution bahreïnie par le slogan «A bas Hamad Â», à la revendication de la chute du régime des Al Saoud, la fin de la monarchie, puis il y a eu une variation et une élévation du niveau des revendications. L’une d’elles réclame des logements et une autre la justice sociale. Des slogans exigent « des punitions pour ceux qui ont tiré Â», un slogan dénonçant l’assassinat de militants du mouvement de protestation.

Depuis le début du mouvement en février 2011 jusqu’à maintenant, dix huit martyrs sont tombés, en majorité des jeunes de 17 et 18 ans. Les exécutions perpétrées par le pouvoir,-aussi sauvages que brutales-, ont visé les militants loin du théâtre des manifestations. Quant aux prisonniers, ils sont des centaines, dont des mineurs, à l’instar d’Hichem Moussa qui a quinze ans tandis que les détenus sans jugement sont au nombre de 2542.

Des notables et des cheikhs de Qatif ont voulu offrir de l’argent aux dirigeants du mouvement pour qu’ils arrêtent les manifestations mais ils se sont heurtés au refus de ces derniers. Car les revendications des pauvres et des exploités ne s’achèveront pas avec de la corruption et que ce n’est pas le choix du groupe dirigeant. En dépit de tous les périls et de difficultés énormes, le mouvement se poursuit et reste déterminé à se mobiliser suivant la même approche révolutionnaire.

La dernière opération à Qatif

Le rôle des agents de la Sûreté est de troubler la sécurité ! Le rôle de la police n’est absolument pas pacifique. Même dans les pays démocratiques, nous avons vu que la police use de sauvagerie et de répression face aux manifestants pacifiques de divers pays occidentaux ou orientaux, rien de neuf sous le soleil. Mais en ce qui concerne les monarchies absolues, les chicaneries policières rendent impossible une posture de neutralité. Les exécutions se multiplient, tantôt expliquées par le hasard ou l’erreur, tantôt par le ciblage direct justifié par le prétexte de trahison ou de terrorisme. Un secteur qui n’existe que par l’armement a été créé pour tuer et non pour enraciner la paix et la sécurité dans la région. Nous voyons ces forces lourdement armées protéger les palais et non les pauvres, tirer sur les manifestants et ne pas viser les traîtres et les assassins, protéger les riches et ôter la sécurité aux pauvres, défendre le confessionnalisme et arrêter les opposants au confessionnalisme !

Les autorités sécuritaires immondes ont transformé l’occasion de la Nessfiyyeh [3] vendredi 21 juin, célébrant la naissance du douzième imam chiite, en funérailles, ---la force anti émeutes a tué deux martyrs. Morsy Al Rabh a été visé et tué par balles au moyen d’un silencieux. L’opération a été menée à l’aveuglette ; les balles ont volé de toutes part, occasionnant de nombreuses lésions et les impacts ont atteint les voitures à Awamiyya. Morsy Al Rabh était un dirigeant notoire du mouvement et il était recherché. Il était alors occupé aux installations des célébrations religieuses annuelles dans la région. Quant à Ali Mahroussi, il est mort en martyr après qu’un agent de la Sûreté ait tiré sur lui à la tête. Il a été transporté à l’hôpital où il a décédé. Le pouvoir ne se contente pas de ces massacres, il a aussi écrasé un citoyen sous un véhicule de la Sûreté. On a fait usage de balles réelles et de munitions dans la ville d’Awamiyya, le matin du vendredi, en riposte aux dernières manifestations qui réclamaient la libération des prisonniers et le jugement des assassins.

La voie pour se débarrasser de l’injustice ne viendra pas de la pensée pure, de la méditation ou l’expression, mais il faudra affronter la machine de répression qui agit comme un pouvoir social aux ordres du pouvoir et de l’argent. N’aurait-il pas été plus utile que l’assassin d’Ali Mahroussi se trompe et atteigne le prince Michaal ou Saoud Bin Nayef, cherchez l’erreur ! Quelle coïncidence pour la brigade criminelle ! Est-ce la première fois que les forces assassinent et terrorisent ? Leur rôle essentiel est la terreur brute et il n’est pas possible de se débarrasser de cette terreur à travers une paix utopique, mais par l’affrontement et la lutte tous ensemble contre le régime qui s’est construit par les meurtres et les crimes. Les assassinats ont lieu dans la rue. Gloire à la rue. A bas les voyous et les assassins mercenaires partout. Nous arracherons nos droits par nous-mêmes et nous marcherons sur la nuque des tyrans. Leur heure n’est pas éloignée. Elle est à distance d’une révolution ! Voilà le sang dont on terrassera notre chemin.

Marges théoriques

Il y a une différence fondamentale entre l’action des commandos et la pratique révolutionnaire. Tout militant doit le comprendre ; la glorification des martyrs, la vénération de leur mémoire et l’exigence de sanctions à l’encontre de ceux qui ont tiré n’ont rien à voir avec le sacrifice et l’appel à la mort ou le fait de considérer cette dernière comme la meilleure option. La vie est notre premier choix. Le mouvement a des objectifs que seuls les vivants seront à même de réaliser et il ne s’agit pas d’un processus dont l’aboutissement serait la mort. Les autorités tentent de terroriser les gens et de démontrer que l’engagement dans le mouvement est un crime et que les manifestants finiront au cimetière. Nous avons déjà dit que les assassinats ont eu lieu loin du théâtre des manifestations. Nous avons aussi constaté que les masses sont plus fortes lorsque l’affluence grossit. Les manifestations les plus pacifiques sont aussi les plus massives : le pouvoir se trouve alors en position de faiblesse. Le mouvement est une invitation à l’espoir, à la vie, à la survie et à l’émancipation et il ne peut en aucun cas être considéré comme une invitation à la mort. Les assassinats organisés, les arrestations arbitraires sont un crime qu’il faut affronter, qui ne s’achèvera qu’avec la révolution contre le régime, pour le changement radical et la réalisation de la justice sociale.

La vision coloniale des révolutionnaires qui analysent la présence de la famille régnante est erronée et a besoin d’être corrigée : le régime n’est pas importé et il n’y a pas d’armées venues de l’étranger pour occuper la région. Il nous faut comprendre le conflit comme un conflit régional et de luttes des classes. Nous ne nions pas les relations de la famille royale avec l’impérialisme. C’est une relation historique porteuse d’un projet despotique que nous ne nions absolument pas. L’épuration confessionnelle peut se produire sans la colonisation, souvent elle se produit sous l’autorité locale et sans que soit nécessaire la présence de troupes d’occupation. A Qatif, des forces ont contribué à la destruction, à l’abattage, à l’exclusion et à la marginalisation de civils sous une couverture confessionnelle en dehors de la présence de forces coloniales. Ce sont bien des despotes locaux qui ont perpétré ces crimes. Alors en quoi est-elle dangereuse cette vision de nombreux révolutionnaires qui considèrent le pouvoir comme étant un Etat qui avait envahi cette région ? D’abord, elle perpétue les allégations d’un péril extérieur à la région et la négation de toute problématique dans la société actuelle de Qatif en disant : la famille royale est le seul danger ! Or, nous voyons les pires formes d’exploitation et de rapports sociaux liant la bourgeoisie (les riches de Qatif) et la classe dirigeante (et la famille gouvernante qui monopolise les richesses et les ressources du pays). Cette relation ne relève pas d’une trahison conjoncturelle et son défaut n’est pas un défaut personnel ou une bande de tyrans venue soudainement dans la région, mais est le fait d’une classe qui a participé au pillage de la terre et des ressources de Qatif à travers l’exploitation, le monopole et l’oppression auxquels sont en butte les travailleurs et les pauvres de Qatif. Par ailleurs, cette vision mène à des coalitions hétérogènes et à l’absence de lutte véritable pour la libération puisque les forces capitalistes alliées au pouvoir restent à l’abri. Car le danger extérieur est en dehors de la région et d’après eux : Â« Il n’y a pas d’exploitation de classe à l’intérieur Â». La question se clôt sur la formule magique : Â« C’est le colonialisme !! Unissons nos efforts contre la famille royale ! », feignant d’ignorer le pouvoir concentré dans les banques, les sociétés, le patronat par l’exploitation et l’oppression de la majorité !

L’exagération de l’attachement à l’identité entrave la lutte commune et menace l’esprit de solidarité entre toutes les confessions réunies par la même oppression. Elle réduit les conflits à une seule région et c’est exactement ce que veulent les autorités. Elles veulent que l’accusation de traîtrise corresponde à l’approche révolutionnaire confessionnelle en l’assimilant à l’attachement à l’identité. Maintenant, l’accusation est effectivement à sa vraie place pour les porte-voix du pouvoir et l’accusation convient parfaitement comme un gant bien ajusté à la main ! Quant à l’émancipation régionale qui passerait par l’indépendance, elle est impossible du fait du rapport de forces qui favorise « l’occupant Â» et le pouvoir dispose de tous les outils de destruction avec une supériorité en armement et en expérience militaire, nonobstant la faible densité de population à Qatif. Il est inéluctable que la solution devra être le soulèvement généralisé, la grève générale et non une lutte régionale au prétexte de l’indépendance.

Le passage à l’action de révolutionnaires qui n’avaient pas adopté la tactique adéquate et la prudence nécessaire est préjudiciable au mouvement et met les militants en danger. Nous avons bien vu que le militant qui ne respecte pas la prudence devient une victime facile à arrêter, kidnapper et tuer. Nous rejetons ce compromis car nous avons besoin de ces militants remarquables qui ont été arrêtés et tués pour des combats décisifs à l’avenir et nous n’appelons en aucune façon à des opérations de commandos ou un combat anarchique. Nous devons rester en vie pour voir un monde meilleur que nous bâtirons de nos mains, des luttes de nos hommes, de nos femmes, de nos aînés et de nos enfants !

Vive Qatif libre et fière !

Gloire aux martyrs et liberté pour les détenus

Solidarité totale avec les révolutionnaires en lutte contre le despotisme sur tous les continents

Fatima Ali, publié le 12 juillet 2013

Sources

Code des droits de la femme saoudienne, études et statistiques sur la violence contre la femme à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la violence.

Questionnement à propos de la violence, Hutoon Alrasheed, mai 2013.

La question chiite dans le royaume d’Arabie saoudite, Hassan Abou Taleb.

(Traduit de l’arabe par Luiza Toscane)


Source du texte en arabe : http://al-manshour.org/node/4220



[1] L’époux ou tout homme qu’il lui est, selon la charia, absolument interdit d’épouser, à cause de leurs liens de consanguinité, d’alliance ou d’allaitement (note de la traductrice)

[2] Des salles de la congrégation pour les cérémonies rituelles chiites et notamment pour la commémoration de leur chef spirituel, l’imam Hossein (NDLT)

[3] Occasion de réjouissances populaires marquant l’anniversaire du douzième Imam chiite Mouhammad Al-Mahdi, né le 15 du mois de Chaabane, d’où Nessfiyyeh qui veut dire mi ou moitié (NDLT)

Voir ci-dessus