Fonction publique fédérale : La CGSP s'oppose aux projets d'Hendrik Bogaert
Par Jef Van der Elst le Vendredi, 31 Mai 2013 PDF Imprimer Envoyer

Le jeudi 28 mars s'est tenue une réunion du Comité CGSP des sous-secteurs fédéraux. Il s'agit de la coupole syndicale CGSP pour toutes les administrations publiques fédérales ( Affaires étrangères et Coopération, Défense, Economie, Emploi, Finances, Intérieur, Justice, Mobilité et Transport, Personnel et organisation, Santé publique, Sécurité sociale, etc.). En tout, quelque 80 000 agents. C'était une réunion importante car les délégués devaient prendre position sur les dernières propositions d'Hendrik Bogaert, le secrétaire d'Etat (CD&V) à la Fonction publique et de la Modernisation des Services Publics, au sein du gouvernement Di Rupo.

Dynamisme?

Nous avons relaté que le dynamisme effréné d'Hendrik Bogaert a déjà provoqué, le 7 février dernier, une manifestation syndicale et une pétition signée par près de la moitié des 80 000 fonctionnaires concernés. Après avoir « modernisé » (c'est-à-dire réduit) les indemnités pour les heures supplémentaires et le travail de nuit (« fonctionnaire » ne désigne pas seulement des personnes qui accomplissent du travail de bureau mais aussi ceux et celles qui travaillent sur le terrain le jour, la nuit, le week-end : douaniers, militaires,  divers services d'inspection, gardiens de prison, policiers, etc.), après avoir sabré dans les possibilités de prendre une pause-carrière, après avoir fait sauter les primes de formation certifiée, après s'être vanté de réduire de 2 200 l'effectif du personnel fédéral, voilà notre Hendrik Rambo qui veut réformer la carrière de 80 000 fonctionnaires fédéraux.

Tribunal administratif

Comme le gouvernement Di Rupo suit une dynamique de centre-droit, Bogaert en profite pour traduire rapidement ses conceptions néolibérales en actes. Plus précisément, il met trois propositions sur table. La première concerne la création d'un tribunal administratif. Selon ses propres termes, afin d'éviter que le Conseil d'Etat ne soit pas encombré d'une foule de contentieux administratifs concernant le personnel (nominations contestées, promotions, etc.). Ce nouveau tribunal serait en pratique composé de juges à la retraite. Dans ce projet, le Conseil d'Etat n'interviendrait plus dans les questions administratives que pour casser des jugements antérieurs (un peu comme la Cour de Cassation qui n'intervient pas sur le fond de l'affaire mais sur la procédure et oblige à recommencer le recours depuis le début). Ce qui dérange le plus Bogaert, c'est que le Conseil d'Etat donne souvent raison aux fonctionnaires qui introduisent un recours.

Évaluation

Sa seconde proposition porte sur une nouvelle méthode d'évaluation. Depuis plusieurs années (à l'exception toutefois du SPF Finances, le plus gros des Services Publics Fédéraux) un système dit de « cercles de développement » existe dans les administrations fédérales. Ce système sera désormais «affiné». En lieu et place des critères actuels d'évaluation (« satisfaisant » ou « insatisfaisant ») une autre échelle de critères est introduite : « à développer », « rencontre les objectifs» et « exceptionnel ».  A première vue, cela semble anodin. Mais cette nouvelle échelle de critères est directement liée à la troisième proposition de Bogaert sur la réforme des carrières pécuniaires des fonctionnaires fédéraux.

Ralentir la progression de carrière

Pour la première fois, l'évaluation d'un fonctionnaire par son supérieur hiérarchique aura des conséquences pécuniaires. Jusqu'à présent, ce n'était le cas que pour l'évaluation «insuffisant». Le fonctionnaire qui ne donne pas satisfaction pourrait désormais soit subir un blocage de carrière, soit même être licencié. Il pourrait aussi y avoir des conséquences pécuniaires pour celui ou celle qui n'atteint pas au moins la cote «rencontre les objectifs». Entrer dans plus détails nous mènerait trop loin. Mais l'essentiel est que quiconque obtiendra la note « insatisfaisant » ou « à améliorer » verra désormais sa carrière pécuniaire bloquée. Ceux et celles ayant une note « exceptionnel » pourront voir leur carrière s'accélérer. Bien entendu, la note « exceptionnelle » ne sera accordée qu'exceptionnellement ! Bogaert voudrait faire avaler le fait qu'un blocage ou un retard de carrière ne dépend que de la volonté du fonctionnaire concerné à s'impliquer dans son travail. C'est pourquoi il prévoit une phase de « remédiation ». En pratique un retard dans l'évolution de la carrière pèsera pendant toute la carrière de l'agent concerné. En plus clair : cela risquera de se produire si vous ne plaisez pas à votre chef direct en raison de vos opinions, de vos apparences ou de tout autre critère subjectif.

Mesures d'austérité

Il ne fait aucun doute que ces mesures s'inscrivent dans un plan général d'austérité pour le personnel des services publics fédéraux. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les chiffres des tableaux comparatifs entre la situation actuelle et le plan de carrière à la sauce Bogaert.

De plus, l'agent qui se trouve à l'échelle de salaire la plus élevée de son niveau et bénéficie de l'indemnité de compétence (à la suite de la réussite d'une formation certifiée) ne sait pas s'il conservera cette indemnité  après le 1er janvier 2014. Pour certaines catégories, cette prime de compétence représente une situation transitoire avant de pouvoir passer, après un certain nombre d'années, à une progression dans l'échelle de traitements, Il s'agit donc bien de mesures d'austérité.

Gel des rémunérations

Certaines carrières spécifiques (notamment au SPF Finances et au SPF Justice) ont des barèmes spécifiques légèrement plus favorables (ex : le 22B) qui deviennent inaccessibles, alors que des fonctionnaires remplissent les conditions nécessaires pour y accéder. Comme Bogaert a finalement décidé de remettre tout le monde à zéro pour l'application des nouvelles règles de progression pécuniaires, il faudra trois ans de plus avant que ne s'ouvrent des opportunités de progression de carrière. De facto cela revient donc à un gel des rémunérations pour tous les fonctionnaires fédéraux.

Diviser pour mieux régner

Bogaert est suffisamment  intelligent pour comprendre la levée de boucliers que ses propositions vont soulever. Aussi, il veille à ce que certaines catégories de personnel s'en sortent un peu mieux. Par exemple, les agents de niveau D, les contractuels et le personnel de cuisine pourront mieux progresser. Pour ceux qui sont actuellement en service, la carrière pécuniaire pourra progresser plus vite que dans la situation actuelle. La prime de fin d'année augmentera de manière relative pour un certain nombre d'agents mais cela coûtera peu au Trésor public. D'abord parce que cela ne concernera qu'un nombre limité d'agents. Mais surtout parce que le blocage ou le retard de progression dans la carrière carrière pécuniaire de l'ensemble des agents dégagera des marges budgétaires.

Une politique de nivellement par le bas

Les nombreux militants syndicaux présents à la réunion du 28 mars ont complètement démonté les propositions du plan Bogaert, les qualifiant « d'inacceptables ». Plusieurs intervenants ont souligné que ces propositions s'inscrivent en ligne droite de la gouvernance européenne et ils ont insisté sur les conséquences négatives d'une telle politique pour la société dans son ensemble, en faisant notamment référence à la situation en Grèce, en Irlande, et en Espagne. Certains ont fait part de leur inquiétude quant à l'attitude de la CCSP (Centrale chrétienne des Services publics) actuellement divisée sur le plan interne.

Action et communication

Bien que les dirigeants syndicaux ne se soient pas prononcés, plusieurs intervenants ont exhorté la direction syndicale à ne rien concéder ni à se replier sur un compromis. Les militants ont insisté sur la nécessité de passer à l'action et sur le besoin d'une bonne communication pour expliquer largement les raisons des actions syndicales. « Nous devons bien entendu nous opposer à de telles mesures de régression sociale et, de plus, nous refusons d'aller vers une société où "L'homme est un loup pour l'homme!", s'est exclamé un délégué en faisant référence aux nouvelles procédures d'évaluation pour l'évolution de la carrière.

Un plan d'action?

Finalement, l'assemblée a décidé à l'unanimité que la réponse à donner au plan Bogaert était un vigoureux « Non ». Si le Secrétaire d'Etat persiste et ne modifie pas favorablement ses propositions, le début des négociations officielles coïncidera avec les premières actions. La réunion s'est clôturée sans adopter expressément un plan d'action mais la proposition d'un intervenant de commencer par des journées d'actions provinciales culminant avec une mobilisation nationale a été chaudement applaudie par la salle. Il a été convenu entre tous de faire connaître rapidement la position de la CGSP auprès de l'ensemble du personnel et à l'opinion publique. Il est clair que le dernier mot sur ce dossier n'a pas été dit.

Cet article a été publié comme édito de La Gauche n° 62 du mai-juin 2013

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