Entretien avec Daniel Richard, Secrétaire interprofessionnel de la FGTB de Verviers
Par Denis Horman le Jeudi, 03 Mai 2012 PDF Imprimer Envoyer

Le débat stratégique est bel et bien lancé dans la FGTB wallonne. Quel programme face à la crise capitaliste? Quel prolongement politique aux revendications du monde du travail? Telles sont les deux questions clés. Elles sont posées avec une acuité redoublée depuis le remarquable discours de Premier Mai du secrétaire régional de la FGTB de Charleroi, Daniel Piron (Discours_Piron_1er_Mai)

Nous publions ci-dessous une interview de Daniel Richard, Secrétaire interprofessionnel de la FGTB de Verviers. Prochain rendez-vous pour celles et ceux qui veulent avoir leur mot à dire dans cette discussion: l'école de printemps de la Formation Lesoil, en particulier le débat syndical du 26 mai (De plus amples informations sur ce lien Ecole_anticapitaliste). LCR-Web

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Ce gouvernement, avec à sa tête un premier ministre socialiste, a lancé un vaste plan d’austérité et de régression sociale, avec, pour 2012, une facture de quelque 14 milliards d’euros, à payer, pour l’essentiel, par les travailleur/euse/s et les allocataires sociaux.

Qu’est-ce qui te scandalise plus dans ce premier train de mesures.

Daniel Richard : En tant que responsable syndical interprofessionnel, ce qui me révolte le plus, ce sont les mesures prises concernant le chômage. Ce sont des mesures qui visent à créer la division entre travailleurs avec ou sans emploi et qui frappent, d’une manière ou d’une autre, tous les chômeurs et chômeuses.

Ce qui est particulièrement odieux, c’est, d’une part, la dégressivité renforcée des allocations de chômage jusqu’à des montants minimum forfaitaires pour une majorité de chômeurs, et, d’autre part, la limitation à trois ans des allocations d’attente, rebaptisée allocations d’insertion, pour les jeunes sans emploi ou des travailleurs n’ayant pas suffisamment de jours de travail pour avoir droit au chômage complet. Cette catégorie de personnes devra frapper à la porte des CPAS des communes, qui sont déjà financièrement étranglées et ne pourront pas compter sur le pouvoir de tutelle régional qui, lui aussi, est désargenté.

On va donc assister à une paupérisation progressive et généralisée de la population déjà la plus fragilisée. Et, après ça, on va s’étonner du développement du travail au noir ! Et puis, et cela plaide pour la solidarité dans l’action entre travailleurs avec et sans emploi, cette précarisation renforcée et généralisée du marché du travail va tirer vers le bas les conditions de travail et de rémunération de tous les travailleurs.

Je note également que ces différentes mesures vont nous tomber dessus, et comme par hasard, soit après les élections communales de cette année, soit après les élections législatives de 2014 !

Pour les trois prochaines années, c’est déjà décidé, il faudra trouver encore 14 milliards d’euros pour réduire le déficit public. A quoi peut-on, doit-on encore s’attendre ?

Daniel Richard : A tout ! N’oublions pas que le plan d’austérité se situe dans le cadre européen, en liaison directe avec les décisions prises au sein du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernements, avec, encore dernièrement, le fameux pacte Euro Plus le « Six Pack »), signé en mars 2012. Di Rupo, notre premier ministre l’a également signé. Il n’y a pas que les mesures prises pour l’équilibre budgétaire, mais aussi pour réduire la dette publique des Etats. En Belgique, la décision prise pour réduire la dette publique, en la faisant passer, dans un premier temps, de 100% à 80% du PIB entrainera une ponction du budget de l’Etat de quelque 5 milliards d’euros. Dès lors, aux 14 milliards d’euros, on peut y ajouter ces 5 milliards.

Je me rappelle d’une déclaration faire par Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen : « La crise est une opportunité pour réussir des politiques qu’on n’aurait pu faire passer par la négociation ». En fait, c’est tout le « modèle social », construit au lendemain de la seconde guerre mondiale, qui est en train d’être liquidé.

Je suis en total accord avec la phrase qui introduit la » Lettre ouverte de la LCR aux syndicalistes » : « Nous ne sommes qu’au début d’une régression sociale qui vise à liquider ce qui reste de nos acquis sociaux, déjà terriblement mis à mal depuis trente ans ».

Ceux qui disent que cette crise n’est qu’un mauvais moment à passer, faisons le gros dos, se trompent. Nous sommes dans une crise profonde, structurelle. Et l’objectif des forces en face, c’est la destruction du modèle social, construit au lendemain de la seconde guerre mondiale : la sécurité sociale, les services publics, l’emploi à durée indéterminée, etc. Leur objectif c’est également, ça va de pair, l’affaiblissement, voire la destruction de la force syndicale, qui est le premier frein à leur offensive, avec le regroupement des organisations de la gauche de gauche.

Si on ne procède pas à une redistribution radicale des richesses, du Capital vers le Travail et une réforme en profondeur de la fiscalité pour faire payer les gens au prorata de leurs revenus et patrimoines, alors, on peut s’attendre à des catastrophes sociales bien plus grandes encore.

Les syndicats se sont mobilisés contre le plan d’austérité, à travers des rassemblements, des manifestations, des grèves, en particulier la grève nationale interprofessionnelle du 30 janvier dernier.

Mais, cela n’a pas pour autant fait reculer le gouvernement, ni le parlement.

Quelles leçons en tires-tu pour le mouvement syndical qui, qu’on le veuille ou non, reste la force essentielle pour faire changer les choses ?

Daniel Richard : D’abord, ces grèves n’ont pas été inutiles. Mais, nous sommes amenés à avoir un vrai débat sur la stratégie syndicale qui ne peut être postposé vu l’ampleur de l’offensive contre nos acquis.

Je pense d’abord qu’au sein de mouvement syndical, de mon organisation également, on ne fait pas tous la même analyse de la crise de 2008. On n’est pas tous sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’analyse du rapport conflictuel central : Capital-Travail.

On risque aussi d’être seuls au niveau wallon dans la confrontation avec les mesures prises au niveau fédéral, vu, par exemple, les réalités économiques différentes avec la Flandre, région plus riche.

Et puis, un des critères pour mener une politique progressiste, de gauche, c’est le refus de s’inscrire dans le cadre, défini et imposé, au niveau européen, pas seulement par les forces réactionnaires. J’ai déjà dit que notre premier ministre s’inscrivait dans ce cadre.

Pour le mouvement syndical, une des questions n’est-elle pas : comment inverser la tendance, comment changer les rapports de force capital-travail ? 

Dans la « Lettre ouverte aux syndicalistes », nous considérons que le mouvement syndical doit passer de la défense à l’offensive, lutter pour imposer son propre programme, un programme d’urgence sociale, un programme anticapitaliste.

Quelles revendications t’apparaissent-elles urgentes et indispensables dans la lutte pour changer les rapports de force ?

Daniel Richard : Les mesures prioritaires, mais qui sont difficiles à populariser, cela doit être les mesures fiscales, avec la progressivité de l’impôt, à travers la restauration des tranches d’imposition et la globalisation des revenus dans le calcul de l’impôt sur les personnes physiques, qui permet de faire contribuer d’autres revenus que ceux du Travail et d’établir une véritable justice fiscale. Ce sont des mesures faciles à prendre sur le plan technique. Cela implique la levée totale du secret bancaire. Cela implique aussi qu’on aborde le statut de la Belgique comme paradis fiscal, de manière claire.

Mais il y a aussi d’autres éléments. Va-t-on continuer cette gabegie des intérêts notionnels qui représentent annuellement un manque à gagner pour l’Etat de quelque 5 milliards d’euros bruts (3 milliards nets). Il y a aussi un autre combat à mener à propos de la dette publique, par exemple sur un audit de cette dette – à quoi a servi cette dette- pour déboucher logiquement sur une annulation de la dette illégitime et odieuse Est-ce qu’il n’y pas des parties de cette dette qu’on peut qualifier d’illégitime ? Le renflouement des banques, payé par un appauvrissement de la population, ça va directement à l’encontre des garanties données par la Constitution aux droits sociaux.

Il y a aussi le cadre européen à dénoncer. L’urgence est là aussi. Est-ce qu’on accepte que le gouvernement fasse passer, dans la Constitution, la « règle d’or », avec l’aval du parlement, sans débat populaire ?

On parle de relance économique. Mais quel type de développement voulons-nous, en voyant que la crise n’est pas seulement sur le plan économique. Il y a d’autres enjeux liés à cette crise économique : la crise alimentaire mondiale, la crise énergétique, le réchauffement climatique…

Le mouvement syndical doit s’emparer de toutes ces questions, les traduire en termes de revendications et de mobilisation.

Pour changer les rapports de force, il y a également la question des moyens d’action à la hauteur des défis et de l’ampleur de l’offensive d’un patronat, épaulé par le pouvoir politique. La perception, chez les travailleur/euse/s, de manifestation et mobilisations sans lendemain est bien réelle.

Daniel Richard : Il suffit de voir ce qui nous attend dans les prochain mois et années pour se rendre compte de la nécessité d’élaborer, au niveau syndical, un plan d’action interprofessionnel, au niveau national et en front commun.

Il y a maintenant un calendrier établi par les institutions européennes, semestre par semestre, avec des recommandations et injonctions sur l’index, sur les retraites, sur le déficit budgétaire, l’endettement, etc.

Il y a le calendrier en Belgique. En juin, les négociations sur le plan de relance, la compétitivité. En septembre, la liaison des allocations sociales au bien-être, avec la question de l’affectation ou non de 600 milliards d’euros à cette liaison. En automne, le démarrage de la discussion sur le nouvel accord interprofessionnel pour 2013-14. Et, pour moi, un relèvement important du salaire minimum interprofessionnel garanti doit en être un élément important. Et puis, le débat budgétaire va revenir tous les 6 mois. Et on sait bien que les 14 milliards d’euros pour éponger le déficit budgétaire en 2012, ce n’est qu’un début et que cela va se traduire par d’autres plans d’austérité et de régression sociale.

A ce propos, posons-nous la question à propos de l’offensive actuelle sur l’indexation des salaires. N’est-ce pas, en partie, une manœuvre habile, une manière d’agiter l’épouvantail pour faire avaler plus facilement de nouvelles mesures de régression sociale ?

Ma régionale syndicale demande, depuis 3 ans, un vrai débat dans nos instances, sur un plan de mobilisation, avec des objectifs et échéances précises.

Avec l’ampleur des attaques et des mesures de régression sociale qu’on vient de subir et ce qui nous attend pour la suite, ce débat n’en est que plus urgent.

Dans la Lettre ouverte, adressée par la LCR aux syndicalistes, nous soulevons également un autre rôle qu’il appartient, selon nous, au mouvement syndical de jouer : « le syndicat peut et doit favoriser la formation d’une alternative politique…qui soit aussi fidèle au monde du travail que les partis actuels sont fidèles au capital ».

La critique du PS par des syndicalistes est montée d’un cran, après les mesures antisociales, prises par ce gouvernement, mené par un premier ministre socialiste. Le PS peut-il encore être le relais politique des aspirations et revendications du monde du travail ?

Daniel Richard : D’abord, c’est le rôle du syndicat, et même sa raison d’être, non seulement de défendre les travailleurs sur le terrain des entreprises, mais aussi d’imposer une autre politique.

Quand on voit le comportement politique des partis sociaux-démocrates et des gouvernements dirigés par ces partis, en Grèce, en Espagne, au Portugal et également en Belgique, on n’est pas étonné de rencontrer des syndicalistes, membres du PS, qui se désaffilient de ce parti. Et si celui-ci continue à porter et assumer ce type de politique, alors il faudra s’attendre à d’autres défections.

Si le PS peut-il être encore un relais politique pour le monde du travail ? Cela dépend de quoi on parle. Sur l’index, il est actuellement le relais de la revendication syndicale. Sur les mesures concernant les chômeurs, là, comme je l’ai dit, il s’est inscrit, avec le gouvernement Di Rupo, dans une attaque d’envergure des chômeurs. On peut continuer : Di Rupo et le PS assument le pacte « Euro Plus », avec ses directives de régression sociale pour les gouvernements de l’UE.

Ceci dit, je pense qu’il est nécessaire d’avoir, à la gauche du PS et d’Ecolo, une force politique plus importante, mieux structurée, plus crédible et unitaire que ce qui existe à l’heure actuelle. Et j’encourage un front de gauche, partageant et portant, sur le terrain politique, le programme de revendication de la FGTB wallonne par exemple.

Je peux comprendre que des secteurs du mouvement syndical, comme vient de le faire Daniel Piron, secrétaire régional de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut, appellent, dès aujourd’hui, à la création d’un nouveau parti qui puisse porter les revendications et besoins du monde du travail. Mais je me pose la question de l’impact électoral que pourrait avoir, aujourd’hui, une telle formation, comme d’ailleurs le parti que vient de créer Bernard Wesphael, dans le contexte francophone en particulier, où le PS et Ecolo sont des formations politiques, avec des scores électoraux encore impressionnants, malgré les politiques qu’elles mènent.

Cela m’amène à avoir des doutes, non pas sur la nécessité et l’utilité d’une gauche de gauche. C’est un ferment nécessaire pour nourrir et crédibiliser une alternative, y compris pour faire pression sur le PS. Mais, sur l’impact électoral qu’elle peut avoir à l’heure actuelle, là je suis sceptique. L’expérience électorale de Gauches Unies, dans les années 1990, a certainement été pour beaucoup dans la disparition de GU.

Comment vois-tu la place et le rôle des formations de la gauche radicale (PTB, LCR, PSL, PC…) dans cette perspective de construction de l’alternative politique ?

Daniel Richard : Comme syndicaliste, je l’ai dit, je souhaite que se construise, à la gauche du PS et Ecolo, une force politique plus importante, avec des organisations qui, tout en respectant l’identité de chacune, sache s’unifier sur des objectifs communs. Et qu’elle puisse attirer, dans l’action, sur les enjeux actuels, dans l’affrontement Capital-travail, des membres d’autres partis et des mouvements sociaux. Qu’elle puisse ainsi également secouer le PS.

Je constate que le PTB a l’ambition de se poser en axe central de ce rassemblement. C’est une démarche problématique qui peut empêcher la constitution d’une force unitaire. J’ai lu les récentes déclarations de son porte-parole, avec une tonalité nouvelle, mettant l’accent sur la nécessité d’une convergence des gauches politiques. Cette ouverture ne m’apparait pas toujours traduite dans les faits par l’organisation qu’il représente. Rassembler implique généralement des renoncements…

Propos recueillis par Denis Horman, avril 2012

Entretien publié également sur le blog : http://debat-syndicats.blogspot.com

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