Egypte : « Cette élection a été plus une guerre des religions qu’une bataille politique »
Par KENDIL Abdelhalim, OUALI Hacen le Dimanche, 11 Décembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Interview avec Abdelhalim Kendil, cofondateur du mouvement Kifaya

Hacen Ouali – Etes-vous surpris des tendances de la première phase des élections qui confirment l’avancée des islamistes ?

Abdelhalim Kendil – Surpris non. L’arrivée en tête des Frères musulmans dans cette première élection libre et démocratique était prévisible. J’avais prédit qu’ils allaient obtenir jusqu’à plus de 40% des voix. Il faut rappeler que la confrérie des Frères musulmans est la mieux organisée, la mieux structurée et disciplinée de toutes les forces politiques du pays. Mais la grande surprise, c’est la percée des salafistes. Leur parti, Hizb Enour, rivalise sérieusement avec les Frères musulmans dans plusieurs circonscriptions, même à Alexandrie. Pour moi, c’est la surprise de cette élection. Ces deux partis peuvent obtenir plus de 50% des sièges au Parlement. Cela dit, il faut attendre les deux phases des élections qui ne suivront pas forcément la même tendance.

Par ailleurs, l’autre surprise est le score important réalisé par El Kotla El Masrya, sous l’égide du parti de Naguib Sawirris, Les Egyptiens libres. Ce parti sans base électorale arrive en tête dans plusieurs circonscriptions, et c’est le parti qui fait le poids face aux islamistes.

Quelle lecture faites-vous justement de ces premières tendances ?

Nous avons assisté, à l’occasion de cette élection et pendant la campagne électorale, non pas à une bataille politique entre les forces en présence, mais plutôt à une guerre religieuse. Les islamistes appelaient à voter pour la « charia Allah » (la justice de Dieu). Ils promettaient aux gens le paradis en se présentant comme étant les représentants de Dieu sur la terre. Ce discours passe facilement chez les populations pauvres, où l’ignorance fait des ravages. Ils exploitent la misère des gens. Et les islamistes surfent sur la vague et exploitent à fond la religiosité des Egyptiens. La répression contre les Frères musulmans durant quatre décennies et leur « victimisation » ont fait qu’une bonne partie des Egyptiens pensent que c’est un devoir de leur faire justice. Il y a également une sorte de culpabilité chez les citoyens qui pendant longtemps ont laissé les Frères musulmans faire face seuls à la cruauté du régime de Moubarak. Mais pas seulement, tous les autres courants d’opinion ont subi les foudres de l’ancien régime. Et en filigrane, nous avons assisté à un vote-sanction.

Le parti des Egyptiens libres, quant à lui, a mobilisé ses troupes essentiellement chez les Coptes en brandissant la menace islamiste. Donc, nous avons assisté en gros à une confrontation à caractère religieux. Alors que si l’on prend les deux partis, les Frères musulmans et les Egyptiens libres, nous constatons qu’ils se rejoignent sur le plan doctrinal. Ils sont tous deux des partis de libéraux au sens économique, des partis de droite, les uns barbus, les autres en costume-cravate.

Au sein de l’opinion émanent des craintes en cas de victoire des islamistes, pensez-vous que cette peur est justifiée ?

Effectivement, il y a des pans entiers de la société qui craignent le pouvoir des islamistes, mais j’estime que cette peur est un peu exagérée dès lors que ce courant existe depuis longtemps dans la société égyptienne. Les Frères musulmans sont nés en Egypte et avaient un pouvoir social sans que cela ne fasse peur aux gens. Certes, leur orientation idéologique est contraire à la logique de l’histoire, mais cette confrérie n’est qu’un courant politique et idéologique parmi tant d’autres. Les Egyptiens vont respecter le verdict des urnes. Maintenant, il y a des principes sur lesquels les Egyptiens sont intransigeants.

Les libertés démocratiques chèrement acquises, la liberté de conscience, les libertés individuelles et le respect des droits et tous les droits de l’homme. Nous n’avons pas fait une révolution pour faire tomber une dictature pour, ensuite, donner naissance à un pouvoir tyrannique. Encore une fois, l’épreuve du pouvoir va s’avérer très compliquée pour les islamistes. Concrètement, ils n’apportent pas de réponses claires et justes aux problèmes économiques et sociaux auxquels font face les Egyptiens. Moi, je préfère attaquer les islamistes sur ces questions. Les Frères est un parti de droite qui rejoint les libéraux sur le fond. Ils travailleront les intérêts de la finance et des compradores. Ce n’est pas pour rien que les Occidentaux vont applaudir leur victoire.

Mais certaines fractions de la jeunesse révolutionnaire sont déçues du virage que prend leur révolution et parlent d’un hold-up par les urnes. Qu’en pensez-vous ?

Il y a lieu de rappeler, à ce sujet, que la révolution du 25 janvier n’avait pas de direction et qu’elle était interclassiste. Elle est traversée de beaucoup de courants politiques et idéologiques unis pour renverser le régime, mais qui divergent sur le modèle à donner au pays. Une troisième vague révolutionnaire est à prévoir et, cette fois-ci, elle sera dirigée contre les Frères musulmans parce qu’incapables de répondre aux aspirations portées par la révolution. Les gens vont vite découvrir que les Frères musulmans est un parti qui défend les intérêts de la finance et qui n’a rien à voir avec cet « angélisme » religieux, dans lequel ils se drapent. Cela dit, il faut leur donner la possibilité de gouverner. On dit souvent qu’il faut les mettre à l’essai. Cependant, il y a lieu de rappeler que les islamistes ont déjà gouverné, à savoir les shebab(s), proches des Frères, en Somalie avec les résultats que l’on sait, en Irak, au Soudan où ils ont disloqué le pays et sans parler des pays du Golfe avec ces régimes de dinosaures.

KENDIL Abdelhalim, OUALI Hacen

* El Watan, le 03.12.11 | 01h00
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