Grévistes de la faim afghans à Ixelles : « La Belgique lance des bombes en Afghanistan, mais ferme ses portes aux gens qui tentent de leur échapper ! »
Par Cécile Massot, Charlotte le Mercredi, 22 Juin 2011 PDF Imprimer Envoyer

altJeudi 16 juin, 60 grévistes de la faim afghans ont été expulsé et jetés à la rue par la police d’un bâtiment qu’ils occupaient depuis le mois de décembre. 25 réfugiés afghans ont été arrêtés et 8 d'entre eux ont été emmenés dans un centre fermé. Nous avons rencontré Charlotte, membre des Jeunes Anticapitalistes (JAC), qui, dans le cadre d’un stage, a donné pendant plusieurs mois des cours de français aux réfugiés afghans et participe aux actions de protestation contre leur expulsion.(LCR-Web)

Peux-tu te présenter et nous expliquer vos contacts avec les réfugiés Afghans ?

Je m’appelle Charlotte, j'ai 20 ans et je suis membre des Jeunes Anticapitalistes. Avec quatre autres personnes, depuis six mois, j'ai donné des cours de français dans l’Avenue de la Concorde, où les réfugiés afghans occupaient un bâtiment. Les leçons n'étaient pas très formelles. C’était aussi une occasion de discuter avec eux et de leur apporter un soutien moral.

Au début, les contacts ont été assez difficiles en raison de la méfiance, mais au fur et à mesure des rencontres, les conversations sont devenues de plus en plus intéressantes. En moyenne, 40 personnes participaient aux leçons et ensuite nous mangions ensemble et nous jouions aux cartes. Cela nous a donné l'occasion de mieux nous connaître mutuellement.

D’où viennent ces réfugiés ?

Les résidents étaient tous des Afghans, originaires de diverses villes d’Afghanistan. Ils sont en Belgique depuis des années. On leurs avaient promis des documents de résidence. Le propriétaire de l'immeuble leur avait donné la permission de l’occuper et ils y étaient présents depuis le mois de décembre. Ils sont dans des critères différents de demande d'asile et de régularisation basée sur un travail, mais les avis rendus par l’Office des étrangers ont presque tous été négatifs.

Pour quelles raisons ?

L'octroi ou non de l’asile s’est fait par exemple sur base du lieu de naissance de la personne. Ceux qui sont nés à Kaboul ont automatiquement reçu une décision négative. D'autres ont reçu une décision négative fondée sur la date de leur introduction. Ils ont accusé certaines personnes d’avoir soumis leurs demandes en retard, donc la demande a été catégoriquement refusée.

Pourquoi sont-ils partis en grève de la faim?

Ils ont lancé cette grève à partir du moment où ils ont presque tous reçu une décision négative. Il y avait beaucoup de découragement, et personne ne semblait faire attention à leur situation.

Qu'est-ce qui s'est passé le jeudi 16 juin?

A 8 heures du matin, un groupe de policiers a pénétré dans le bâtiment par la porte arrière. C’était la police fédérale. Avec la police locale, le contact était plutôt positif ; ils leur ont même apporté leur courrier, etc. Mais les policiers envoyés jeudi étaient très violents et ont commencé à sortir brutalement les gens assis un par un. Les avocats des Afghans ont été rapidement informés par des voisins.

Nous avons essayé d'organiser un sit-in improvisé pour empêcher les arrestations, mais la police a commencé à distribuer des coups de matraques et trois personnes ont été immédiatement transportées à l'hôpital.

En raison de la grève de la faim, ils n’avaient pratiquement aucune énergie, l’acharnement policier était ridicule. Certains Afghans ont quand même essayé de résister autant qu’ils pouvaient aux coups reçus, la police a alors commencé à les arrêter.

25 Afghans ont été arrêté au total et 8 d’entre eux ont été envoyés dans un centre fermé pour être expulsés. Je ne savais même pas qu'on pouvait expulser des Afghans alors que ce pays est en guerre. Et il faut d’ailleurs souligner que l'armée belge participe directement à cette guerre !

Quand ils ont été amenés au poste de police, nous avons essayé de négocier pour leur rendre visite, mais en vain. Comme il s’agissait d’un des plus grands commissariats de Bruxelles, Place du Marché au Charbon, et que nous n’étions pas très nombreux, nous n’avons pas pu organiser une action sur place.

Des familles ont-elles été séparées?

Je ne peux pas le confirmer. Il faut savoir que, depuis que la Régie des bâtiments avait menacé de faire évacuer le bâtiment, quand la grève de la faim avait commencé, un certain nombre de familles avec enfants avaient préventivement quitté les lieux afin d’éviter ce risque.

Avez-vous reçu le soutien d'autres groupes?

Oui, des gens qui font partie du comité de soutien fondé il y a 5 mois par la CRER (Coordination contre les rafles, les expulsions et pour la régularisation) étaient présents. La Ligue des droits de l'homme a également aidé dans la tentative de négociation au commissariat, je pense. Mais nous avons un grand nombre de personnes et d’organisations à contacter depuis lors.

Quelles actions ont été menées?

Le vendredi 17 juin, avec les Afghans qui n'ont pas été arrêtés, nous avons bloqué le trafic au carrefour de l’Avenue Louise en signe de protestation, mais la police y a rapidement mis fin. Ce même jour, nous avons également occupé le cabinet du ministre Wathelet, Secrétaire d’Etat à l'asile et à l’immigration, pour nous faire entendre. Trois porte-parole afghans ont  négociés avec le ministre. Mais Wathelet a continué à se cacher derrière le fait que la question du statut de réfugié est de la seule responsabilité du Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides et du Conseil du Contentieux des Etrangers. Nous avons de nouveau organisé un sit-in dans ses bureaux, d’où la police nous a violement chassé.

Où es-ce que les Afghans expulsés dorment-ils à présent ?

Nous avons tenté de négocier avec l’Eglise de Gesù, près du Botanique, qui héberge actuellement  des sans-abri, pour demander s’il y avait de la place pour les Afghans qui n'ont pas été arrêtés.

Mais les responsables de Gesù n'ont pas accepté de les recevoir en raison du manque d'espace, même pas une seule nuit. Finalement, le bourgmestre d'Ixelles a donné la permission d’occuper provisoirement un immeuble de la Chaussée d'Ixelles. Actuellement, une cinquantaine d’Afghans y résident et une trentaine y poursuivent leur grève de la faim.

Malgré l’autorisation du bourgmestre, nous ne savons pas combien de temps ils y seront en sécurité. Si les décisions négatives à leurs demandes sont maintenues, la police reviendra tôt ou tard pour les conduire à un centre fermé d’où ils seront ensuite expulsés vers l’Afghanistan.

Il est urgent maintenant de dénoncer et faire connaître au plus grand nombre cette situation, leur grève de la faim et le risque inacceptable qu'ils encourent d’êtres expulsés. C’est réellement hallucinant: notre pays contribue à lancer des bombes en Afghanistan, mais nous fermons nos portes ici aux gens qui tentent de leur échapper !

Propos recueillis par Cécile Massot

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