SNCB : privatisation, bureaucratie et travailleurs. Quelle voie pour empêcher le démantèlement du service public ?
Par Sylvia Nerina et Guy Van Sinoy le Vendredi, 10 Décembre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Les travailleurs de la SNCB sont dans une situation qui devient chaque mois un peu plus critique. Ceux-ci se retrouvent face à un groupe dont la privatisation programmée semble inexorable. Depuis la directive européenne de 1991 qui a ouvert le réseau ferroviaire à la concurrence, le groupe est démantelé en morceaux qui permettent de faciliter la mise en concurrence des travailleurs: fret international, transport de voyageurs, transport de marchandises, gestion de l'infrastructure... Le but final est bien celui d'un rail ouvert à la concurrence dans lequel le plus influant achètera ce qui lui permettra de faire le plus de profits: tronçon horaire, ligne entre les capitales, heures de pointes... seuls le non-rentable restera abandonné au public qui, privé des rentrées, sera condamné à faire disparaître petit à petit ce qu'il ne pourra plus financer.

Les travailleurs sentent qu’ils devront s'adapter aux nouvelles règles qui se préparent déjà depuis quelques années. Le personnel du roulant, en particulier, est de plus en plus inquiet face à ce qui se prépare : une accentuation de l'augmentation des cadences qu'ils connaissent depuis 10 ans ; des prestations calculées au plus juste par rapport à la réglementation du travail. Cette réglementation, instaurée de concert par direction et syndicats, est vécue sur le terrain comme inhumaine et dangereuse. Le sentiment des conducteurs et accompagnateurs de la SNCB est que leurs conditions de travail vont devenir aussi douteuses et précaires que tout ce qu'on trouve dans le privé.

Le corporatisme

Et pourtant lorsque la CGSP cheminot appelle à la grève, une grande partie des travailleurs du roulant prennent leur service. Situation d'autant plus interpellante qu'on constate aujourd'hui en France l'importance de la mobilisation, ou de l'immobilisation, du rail dans un conflit social qui prend de l'importance. Il est alors nécessaire de se demander pourquoi parmi les conducteurs et accompagnateurs, on rencontre cet état d’esprit. Les conducteurs et accompagnateurs belges ne sont ni moins combatifs, ni moins sensibilisés que les autres travailleurs. Par contre, ils sont divisés et fragmentés en milles morceaux, avec, croient-ils, milles enjeux différents. Les grands syndicats ont joué un rôle important dans cette dégradation de l'esprit militant des conducteurs et accompagnateurs. Membre du conseil d'administration de la SNCB, les structures syndicales sont de plus en plus perçues par le roulant comme une superstructure indépendante qui appuie sur un bouton pour déclencher un arrêt de travail et prouve ainsi son pouvoir à la direction. Mais les travailleurs ne sauraient pas dire à quoi sert ce pouvoir syndical.

A force d'entendre le mot "solidarité" utilisé comme une arme contre le personnel roulant dès que celui-ci ose demander pourquoi ce sont toujours eux qui font grève et jamais leurs revendications qui passent, on se trouve aujourd'hui dans une situation où le corporatisme apparaît malheureusement à ces travailleurs comme la seule voie de solidarité et de combat. Les syndicats ne réclament jamais de grosses améliorations générales pour le personnel roulant : meilleur salaire, meilleure prime, allègement généralisé des cadences: tout ce que les travailleurs d'un dépôt peuvent obtenir le sera au dépend des travailleurs d'un autre dépôt. Et pendant que les grandes bureaucraties entretiennent cette guerre des dépôts, encourageant les permanents à défendre les petits privilèges (une meilleur service, une ligne plus agréable, des jours de congés..) d'autres mini organisations se construisent.

Et pourtant la solidarité entre les travailleurs existe dans les dépôts et les travailleurs s'organisent malgré leurs faibles forces et leurs cadences infernales. Privés de relais dans les grandes organisations, les travailleurs tournent leur volonté de militer vers de plus petites structures: le mardi 19 octobre 2010, 240 conducteurs venus de partout en Belgique rassemblés par le SACT (Syndicat Autonome des Conducteurs de Train) ont bloqué la gare de Bruxelles-midi en occupant les voies. Presque autant de policiers se tenaient prêt à les arrêter au moindre faux mouvement. Mais ils sont restés. Ces structures ne sont pas porteuses de revendications plus à gauche que leurs grandes sœurs. Mais la question centrale est celle de la volonté des travailleurs de donner un sens à leur lutte. L'existence des petites organisations syndicales rivales aux grandes centrales est le fruit de l'incapacité de ces dernières à prendre en compte ces dimensions.

FGTB et CSC auraient tout intérêt, à la SNCB comme ailleurs, à recommencer à écouter une base qui gronde et à recommencer à composer réellement avec elle. Surtout dans un contexte de crise qui nous mène à une bataille dans laquelle la capacité de résistance d'un secteur aussi important que le rail pourra peut-être faire la différence entre des victoires et des défaites.

Sylvia Nerina


Quelle voie pour empêcher le démantèlement du service public ?

Ce qui est en train d’arriver à la SNCB, est arrivé hier à La Poste et avant-hier à Belgacom. Sous pression de l’Union européenne et des lobbys capitalistes, un certain nombre de services publics sont devenus des entreprises publiques, puis des entreprises mixtes, avant de venir des entreprises tout court selon un scénario qui se répète : désignation de managers venus du privé, scission de l’entreprise publique en plusieurs filiales autonomes avec obligation pour chacune d’elles de répondre aux lois du marché capitaliste, précarisation du statut des travailleurs, fermeture des services jugés non rentables (bureaux de poste, gares, guichets, etc.). Finalement la seule chose qui reste publique, c'est la centrale syndicale !

Les organisations syndicales des services publics ont bien souvent organisé une résistance passive contre la privatisation rampante. Mais sans stratégie offensive et sans alternative politique au démantèlement et à la privatisation, les syndicats sont condamnés à céder du terrain et à reculer sans cesse. La grève de 24 heures du 18 octobre dernier avait de nombreux motifs valables: restructuration du transport de marchandises et pression sur le personnel, fermeture annoncée de gares et de guichets, surtaxe de 7 euros sur les billets internationaux vendus au guichet. Mais rien ne peut être résolu par une grève presse bouton de 24 heures, dans la désunion syndicale, sans lendemain et sans la moindre tentative de mettre les usagers de son côté. Ce ne sont pourtant pas les occasions qui manquent pour gagner l’oreille des voyageurs : nombreux retards, trains supprimés à la dernière minute, nettoyage insuffisant des trains, accidents, etc. Mais il faudrait pour cela sortir du train-train syndical.

Contre le corporatisme: Pour un syndicalisme de combat, démocratique et unitaire

A la LCR, nous ne sommes pas partisans des syndicats corporatistes. Pour trois raisons fondamentales. En premier lieu parce que ces "syndicats" qui regroupent les travailleurs par métier, ne rassemblent en général que des professions mieux rémunérées que la masse des salariés. Le syndicat par métier est une forme ancienne d'organisation, issue des corporations, et qui est apparue au début du capitalisme, à l'époque où le mouvement ouvrier n'était pas encore en mesure de rassembler sur une base de classe (et non de métier) les travailleurs. Aux Etats-Unis, ce n'est que dans les années 30 que le syndicalisme de métier (AFL) a été supplanté par le syndicalisme d'industrie (CIO) groupant tous les travailleurs d'une même entreprise, quelle que soit leur métier ou leur qualification.

En deuxième lieu, parce que les syndicats corporatistes se proclament volontiers "apolitiques", c'est-à-dire qu'ils ne se reconnaissent pas comme faisant partie du mouvement ouvrier. Pour eux, la lutte doit se limiter aux revendications immédiates et ne pas remettre en cause la société dans son ensemble.

Enfin, même si les "petits" syndicats étaient à la fois interprofessionnels et de gauche, nous ne serions pas pour leur création car ils contribuent à diviser et à affaiblir la force syndicale déjà bien entamée par l'orientation des sommets bureaucratiques. Il arrive cependant que d'importants secteurs syndicaux de gauche estiment ne pas avoir d'autre choix, ce qui fut le cas avec la création du syndicat SUD en France, né après l'exclusion de l'aile combative du syndicat CFDT.

La combativité des cheminots de France contre la réforme des retraites est importante, mais il faut aussi constater que la division affaiblit leur résistance. Malgré les grèves reconductibles par dépôts, bon nombre de trains roulent en France alors qu'en Belgique la grève des cheminots paralyse chaque fois le réseau. La grève du rail belge le 18 octobre a d'ailleurs été une réussite et il est dommage que le SACT ne s'y soit pas associé.

La LCR défend la nécessité d'un syndicalisme à la fois combatif et démocratique. Ce n'est pas une tâche facile à réaliser, la dernière affaire du SETCa BHV en témoigne. Mais il n'y a pas d'autre voie. De leur côté, les syndicats traditionnels doivent d'une part, prendre des mesures urgentes pour renforcer la démocratie syndicale (assemblées générales régulières sur le lieu de travail ouvertes à tous), et d'autre part rompre avec la pratique de cogestion (postes au conseil d'administration) et avec les privilèges bureaucratiques.

Guy Van Sinoy

Voir ci-dessus